dimanche 6 mars 2016

Lc 10, 25-37

Lecture biblique : Lc 10, 25-37
Thématique : la parabole du bon samaritain, à la lumière de la recherche scientifique
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 06/03/16 – AG.

* Ce matin – une fois n’est pas coutume – pour nous aider à réfléchir aux valeurs de compassion et d’altruisme, auxquelles Jésus fait référence dans la parabole bien connue du bon samaritain, je vous propose de nous appuyer sur un documentaire qui est passé la semaine passée à la télévision. Je ne sais pas si certains d’entre vous l’ont regardé sur Arte ? Il s’intitulait « Vers un monde altruiste ? »[1]

Des études scientifiques menées à la fois par de spécialistes des neurosciences et des comportements sociaux tendent à montrer que l’homme – dès sa plus tendre enfance – est naturellement altruiste.
C’est – semble-t-il – nos conditionnements sociaux, familiaux, éducatifs, médiatiques – et même religieux… si on pense à la parabole racontée par Jésus – qui seraient susceptibles de modifier ce comportement naturel, en nous rendant égocentriques ou égoïstes.

Nous le voyons bien à travers cette histoire : Les deux religieux, le prêtre et le lévite, auraient pu s’arrêter pour porter secours à l’homme blessé, croisé sur leur route. Mais ce qui les empêche d’écouter leur cœur, c’est paradoxalement leur religion, les règles religieuses auxquelles ils veulent rester fidèles, coûte que coûte.

En effet, les deux hommes montent à Jérusalem vers le Temple où ils exercent des fonctions religieuses.
Comme le blessé du chemin est à « demi-mort », ils doivent absolument s’écarter de lui. Ils passent donc de l’autre côté de la route, pour mettre le plus de distance possible entre eux et un mort probable. Car la proximité d’un mort ou le contact du sang, c’est l’impureté assurée. Et s’ils arrivent souillés à Jérusalem, ils seront impropres au service de Dieu pendant sept jours.
Ils se détournent donc du blessé, non pas parce qu’ils sont méchants ou insensibles, mais parce que ce sont de bons religieux, fidèles aux instructions du Lévitique.

Bien sûr, Jésus, pour sa part, enseignera un comportement contraire : Il ne faut pas être fondamentaliste ! Pour lui, c’est l’humain et l’amour du prochain qui doivent constituer la priorité dans nos choix éthiques, même face à la loi ou à la lettre des Ecritures.

Dans nos comportements avec les autres, nous pouvons donc être influencés – positivement ou négativement – par nos systèmes de croyances, par nos présupposés, par notre éducation ou notre environnement socio-culturel.
Nous-mêmes – ou des personnes autour de nous – pensons parfois que la norme dans le monde est l’égoïsme universel. Et du coup, nous nous refreinons à aider les autres, de peur d’être soupçonnés d’agir par intérêt personnel, ou de ne pas faire comme tout le monde.

Or, le documentaire de cette semaine, qui s’appuie sur des études de chercheurs américains et allemands, montre que spontanément les gens – et même les enfants dès leur plus jeune âge – ont plutôt tendance à aider les autres.

La définition de l’altruisme, c’est le fait d’agir pour les autres, dans leur propre intérêt, plutôt que dans le nôtre.
A l’origine de l’altruisme, il y a une faculté : l’empathie. C’est le fait d’entrer en résonance avec autrui. C’est l’aptitude innée à ressentir ce qu’un autre ressent. C’est la faculté de comprendre et même de ressentir les sentiments et les émotions d’un autre individu.

L’empathie aurait des bases biologiques. Des scientifiques ont montré que dans notre cerveau nous pouvons ressentir la douleur qu’une autre personne ressent concrètement. Voir souffrir peut provoquer une souffrance… et, en retour, une réaction.

Or, c’est ce qui se passe avec le samaritain dans la parabole. A côté des deux religieux qui passent leur chemin, Jésus nous présente un Samaritain : un dissident, un étranger, un homme en marge, a priori disqualifié et détesté des Juifs.

Et pourtant, c’est lui ce Samaritain – ce méchant, ce schismatique – qui va accomplir ce qui est juste : la justice que Dieu demande (cf. Es 58, 6-8 ; Mi 6,8 ; Mt 6,33).
Comment ? D’abord en se laissant toucher et émouvoir par la situation de l’homme atterré.
Ensuite, en prenant soin de lui, en se mettant à son service, par une aide charitable.

La parabole nous laisse entendre son empathie, son émotion et sa compassion :
Il fut « ému aux entrailles » dit Jésus. C’est la même expression qui est employée dans la parabole du « fils prodigue », au moment où le père voit au loin son fils perdu revenir vers lui : Il fut « ému aux entrailles » (cf. Lc 15,20), en d’autres termes, il fut « pris aux trippes ».

Voilà la raison pour laquelle cet homme rejeté des Juifs – ce Samaritain – va s’approcher en véritable prochain :
Tout simplement… il voit, il tressaille… il vient, il touche, il porte, il paie.
Il a vu la souffrance du malheureux, il a souffert avec lui et cette souffrance partagée lui dicte des gestes secourables.

Selon les scientifiques qui s’exprimaient dans le documentaire d’Arte : le langage de l’empathie serait universel. Il s’exprime dès le plus jeune âge. Les chercheurs affirment que la coopération serait naturelle. Un bébé serait naturellement altruiste. Il serait même capable d’avoir un jugement moral rudimentaire, de faire la distinction entre le bien et le mal. Le sens de la justice serait « inné ».

Autrement dit, l’homme naturel ne serait animé par l’égoïsme, la compétition et la rivalité – comme on a tendance à le croire – mais par la coopération. Ce qui a permis l’évolution de notre espèce.

Cependant, ce processus de coopération avec les autres est, d’une certaine manière, limité. Dans les faits, nous avons tendance à aider ceux qui appartiennent à notre groupe social, à notre parentèle ou à notre voisinage.

Nous établissons des frontières symboliques ou physiques entre les groupes d’individus. Nous divisons le monde entre ceux qui pensent comme nous – le groupe dans lequel nous nous reconnaissons, le pays, la région ou la religion à laquelle nous appartenons – et les autres, ceux qui sont différents. Nous avons une tendance naturelle à préférer ceux qui nous ressemblent, tout en excluant les autres.

Il suffit de regarder ce qui se passe entre « supporters » qui soutiennent des équipes sportives différentes ou entre des pays qui sont en conflit politique, économique ou militaire.

Jésus, pour sa part, nous appelle à surmonter tous ces clivages.
A travers l’exemple du bon samaritain, il nous invite à élargir notre cercle moral… à dépasser nos distinctions et nos catégorisations.

Dans la parabole, le samaritain agit de façon gratuite et inconditionnelle. Son action dépasse son intérêt particulier, mais elle dépasse également le cadre de sa communauté. Il aide sans compter, sans réfléchir, sans opérer de distinction.

En nous appelant à agir comme le samaritain, Jésus nous invite à dépasser nos comportements naturels et habituels. Il nous appelle à adopter un comportement fraternel de dimension « universelle ».

L’Evangile nous appelle à cultiver l’altruisme, à élargir notre cercle moral à tous les frères humains, quels qu’ils soient… et je dirai même à tous les êtres vivants qui peuplent notre planète.

Eprouver de l’empathie et de la compassion pour autrui est sans doute naturel, mais en éprouver même pour ceux qui ne sont pas nos proches, nos semblables et les aider de la même manière qu’eux, nécessite un dépassement, un éveil de la conscience et un travail d’ouverture du cœur. C’est le chemin de développement humain et spirituel que Jésus nous propose. Il dira même, dans son sermon sur la montagne, que nous pouvons aimer nos ennemis… et pas seulement nos amis. (Mt 5,44)

A travers cette parabole, nous entendons donc un appel à élargir la définition du prochain :
Il n’est pas seulement celui qui est proche, qui me ressemble, mon semblable, le même (le séparé, le pur)… mais tout homme, quiconque… y compris le différent, l’autre… y compris le malheureux, le demi-mort sur le bord du chemin… y compris aussi le Samaritain, l’étranger, l’ennemi religieux.

« Ton prochain, c’est aussi le Samaritain ! », voilà ce que répond Jésus au légiste juif.
Aimer son prochain, c’est non seulement donner de l’amour… mais c’est aussi accepter de recevoir l’amour d’un autre… de celui qui s’approche de moi.[2]

Encore une fois…  – il faut le souligner – … tout cela peut nous sembler difficile. Mais, rien n’est impossible à celui qui croit, dira ailleurs Jésus (cf. Mc 9,23).

* Pour nous inscrire dans ce chemin nouveau, le Christ ne nous laisse pas orphelin. Il nous offre son Esprit et il nous donne des pistes pour tous les jours. Il me semble qu’une des pistes de transformation efficace que Jésus nous propose, c’est la prière personnelle et quotidienne. La méditation et la prière constituent un chemin de transformation.

D’ailleurs, il n’y a pas que Jésus et la Bible qui en parlent. C’est même prouvé scientifiquement maintenant :
Le reportage diffusé cette semaine montrait les études qu’ont réalisées des équipes de chercheurs sur le cerveau de personnes qui font régulièrement de la méditation.

Au moins deux résultats peuvent être tirés de ces études :
-       1er point : nous pouvons cultiver en nous la bienveillance et l’altruisme, par la méditation. La pratique régulière de la méditation permet de nous transformer, de gérer nos émotions et d’avoir davantage de considération pour autrui.
-       2ème point : comment cela se peut-il ? Ce n’est pas seulement une question de spiritualité ou de psychologie, c’est aussi une question de biologie. Les scientifiques ont montré qu’une activité mentale peut induire des changements fonctionnels et structurels dans le cerveau : Deux semaines de pratique quotidienne de méditation ou de prière, 30 minutes par jour – soit 7 heures – sont suffisantes pour modifier le cerveau humain. Car, contrairement à ce qu’on croyait il y a quelques années, le cerveau est sans cesse modelé et remodelé par les expériences vécues. C’est un organe plastique qui fabrique chaque jour des milliers de neurones, en fonction de nos expériences, nos rencontres, nos lectures, etc. Une activité purement mentale – comme la prière ou la méditation… même s’il s’agit justement de lâcher notre mental – peut modifier la physiologie de notre cerveau.

Ces études sont passionnantes, dans la mesure où elles corroborent les paroles de Jésus.
Lorsque Jésus croit en la capacité de conversion de l’être humain. Lorsqu’il invite ceux qu’il croise à agir, à changer, à évoluer… lorsqu’il appelle ses disciples à plus de compassion et d’amour… il dit inlassablement que tout cela est possible, qu’avec la foi et la prière, nous pouvons opérer ces changements, apprendre et nous inscrire dans une nouvelle réalité.

2000 ans plus tard, avec un autre langage et d’autres concepts, c’est exactement ce que disent les scientifiques interviewés dans ce documentaire. Ils affirment que quand nous méditons ou nous prions… mais aussi lorsque nous regardons une émission à la télévision ou un jeu vidéo… nous modifions notre cerveau… et donc indirectement, nous modifions notre réalité.

Cela signifie, en conséquence, que nous devons bien réfléchir à la nourriture que nous donnons à « manger » à notre cerveau. L’homme ne se nourrit pas de pain seulement, mais de tout ce qui sort de la bouche de Dieu (cf. Dt 8, 3 ; Mt 4,4) et – il faut ajouter – de toutes ses expériences. C’est pourquoi, tout n’est pas profitable (cf. 1 Co 10,23). Nous devons faire preuve de discernement.

Personnellement, je trouve qu’il y a là, dans toutes ces découvertes, une très bonne nouvelle. Cela veut dire que chacun peut intervenir, changer son niveau de conscience et sa réalité, en pratiquant la méditation… et donc que chacun peut aussi, indirectement, transformer le monde autour de lui.

Comme le disait déjà Jésus : avec la foi, tout devient possible ! (cf. Mc 9,23) Chacun peut évoluer et progresser. Chacun peut développer des qualités comme la générosité ou la bienveillance, grâce à la prière et la méditation.[3]

La prière nous fait regarder au-delà de nous-mêmes. Cela nous aide à voir plus grand, plus large, à ouvrir nos horizons et à nous ouvrir au monde, en nous sentant plus connecté à Dieu et aux autres.

En d’autres termes, la méditation nous permet de repousser nos propres frontières, de nous ouvrir à l’autre, à son état d’esprit et à sa souffrance. Nous pouvons alors dépasser le stade de l’empathie, de la résonnance affective. Par la prière, nous pouvons envelopper cette empathie d’une présence chaleureuse et positive – que Dieu nous donne – qui est l’amour altruiste et la compassion, associés à la sollicitude.

Grâce à la prière et la méditation, nous apprenons non seulement à élargir le cercle de ceux pour qui nous éprouvons de la bienveillance, mais cela nous conduit aussi à l’intercession… à porter ceux que nous rencontrons dans la prière positive et la bénédiction devant Dieu.
Nous rejoignons alors l’attitude du Samaritain, qui ne met aucun limite à son action, qui agit par don et par amour, de façon gratuite et inconditionnelle.

* Encore quelques mots pour conclure : Que peut-on finalement retenir de tout ça ?

Au moins deux choses :
-       Premièrement, que rien n’est figé : nous pouvons apprendre et progresser toute notre vie. Quel que soit notre âge, nous pouvons nous entrainer, grandir dans la bienveillance et la compassion, par la méditation et la prière.
-       Deuxièmement - et je terminerai par là - il faut également avoir conscience que nos paroles et nos gestes positifs sont aussi, d’une certaine manière, contagieux.

Une étude sur les comportements sociaux montrait, dans ce documentaire passionnant, que les attitudes altruistes et les gestes d’entraide ont tendance à se propager : si vous avez reçu de l’aide d’une personne autour de vous, vous allez, à votre tour, aider une autre personne, et ainsi de suite.
L’altruisme n’est jamais sans effet. Il y a une sorte de diffusion sociale de la bonté et de la gentillesse.

Ainsi, par son attitude personnelle altruiste et compatissante, chacun peut changer les choses… mais, en plus, chacun peut induire et participer à une chaîne de gentillesse et de bienveillance.

En nous appelant à agir de la même façon que le Samaritain, Jésus nous appelle ainsi à quitter nos replis, notre inertie ou notre indifférence… il nous invite à inscrire nos pensées, nos paroles et nos actes dans une attitude altruiste, en étant toujours animés par la préoccupation du prochain… mais il nous invite à faire davantage : à ne pas attendre… car nous avons toujours de bonnes excuses pour attendre qu’autrui fasse le premier pas : le manque de temps, de disponibilité… le manque de moyens, d’argent… le manque de force, d’énergie, de courage… la peur du lendemain… ou tout simplement, notre orgueil.

Or, Jésus nous appelle à passer à l’action, à prendre l’initiative du bien dans toutes nos relations humaines :
« Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites le vous-mêmes [d’abord] pour eux ! C’est la Loi et les Prophètes ! » (cf. Mt 7,12)

Et Jésus nous indique le résultat de cet altruisme : c’est la Vie. « Fais cela et tu vivras » (cf. Lc 10, 28).

Amen.




[2] En nous appelant à « faire de même » que le samaritain, Jésus nous appelle à un changement de mentalité et d’attitude, à une conversion du cœur et des habitudes. Il s’agit en fait de ne plus choisir qui est notre prochain :
Se mettre à l’écoute de l’Evangile du royaume proclamé par Jésus, c’est accepter de ne plus découper le monde en différentes zones de prochains et de lointains. C’est déclarer que tout homme, quel qu’il soit, est potentiellement mon prochain... pour autant que je me laisse émouvoir… que je me porte à sa rencontre… que je profite du hasard des circonstances et des événements, pour m’approcher, pour me mettre en mouvement… pour qu’il devienne « mon prochain ».
[3] La méditation basée sur la respiration, la conscience de sa présence au monde, la coopération et l’expression de la gratitude.

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