Lc 16, 1-13
Lectures bibliques : Mt 10, 16 ; Lc 16, 1-13
Thématique : Faire entrer la grâce dans le monde de l’argent, pour subvertir la puissance du Mamon d’injustice
Prédication = voir plus bas, après les lectures
Prédication = voir plus bas, après les lectures
Mt 10, 16 ; Lc 16, 1-13
- Mt 10, 16
Jésus envoie ses disciples en mission avec cette instruction :
« Voici que moi, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups ; soyez donc rusés (avisés) comme les serpents et candides comme les colombes ».
- Lc 16, 1-13
1. Puis [Jésus] dit aux disciples : Il était un homme riche qui avait un gérant, et celui-ci lui fut dénoncé comme dispersant (gaspillant) ses biens.
2. L’ayant appelé, il lui dit : qu’est-ce que j’entends à ton sujet ? Rends-moi compte de ta gestion, car tu ne peux plus gérer.
3. Le gérant se dit en lui-même : que ferai-je, puisque mon maître m’enlève la gestion ? bêcher je n’en ai pas la force, mendier j’en ai honte.
4. Je sais ce que je ferai, afin que, lorsque je serai écarté de la gestion, ils me reçoivent dans leurs maisons.
5. Ayant fait venir chacun des débiteurs de son maître, il disait au premier : combien dois-tu à mon maître ?
6. Il répondit : cent baths (barils) d’huile.
Il lui dit : prends ton reçu, assieds-toi, écris vite : cinquante.
7. Puis il dit à un autre : toi, combien dois-tu ?
il répondit : cent kors (mesures) de blé.
Il lui dit : prends ton reçu, et écris : quatre-vingts.
8. Le maître félicita le gérant de l’injustice car il fit de manière sensée (avisée). En effet, les enfants de ce siècle sont plus sensés (avisé) que les enfants de la lumière envers leur génération.
9. Et moi je vous dis : faites-vous des amis avec le Mamon de l’injustice, pour que, lorsqu’il manquera, ils vous reçoivent dans les demeures (tentes) éternelles.
10. Celui qui est fidèle (fiable) pour la moindre chose l’est aussi pour beaucoup. Celui qui est injuste pour la moindre chose l’est aussi pour beaucoup.
11. Si donc pour l’injuste Mamon vous n’avez pas été fidèles, le bien véritable, qui vous le confiera ?
12. Et si, pour ce qui vous est étranger, vous n’avez pas été fidèles, ce qui est à vous, qui vous le donnera ?
13 Aucun domestique ne peut servir deux maîtres. Car ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et dédaignera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mamon.
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 25/11/12
* Deux mondes
Vous ne pouvez servir Dieu et Mamon : il faut choisir !
Jésus nous dit qu’il y a deux mondes, deux réalités qui s’opposent : le monde de Dieu (le Royaume) et le monde de l’argent (le monde économique qui tente d’imposer sa loi au monde présent).
Dans le système économique, on n’a rien pour rien, tout est payant. C’est le monde de la symétrie, de la réciprocité, du donnant-donnant. C’est le monde marchand de l’achat et de la vente. Rien n’est donné, tout doit être mérité. Ce qui est échangé, ne l’est jamais pour rien : vendu pour de l’or ou prêté contre intérêt. C’est le monde du calcul et de la dette… de la dette qui vient écraser de son poids les plus faibles, les plus démunis, les plus petits (économiquement parlant).
Le système gouverné par l’argent organise l’échange. Il joue sur la loi de l’offre et de la demande : Par la publicité, il veut toucher notre désir… nous inciter à consommer. Il promeut ainsi la circulation de l’argent, en stimulant les ventes, en organisant des soldes.
Mais, en même temps, il contrôle l’offre en limitant la production… pour éviter la surproduction et la dévalorisation des biens… pour influer sur les prix, sur la valeur des biens produits. Autrement dit, il organise la valorisation de l’argent, en limitant sa quantité, en maintenant sa rareté.
On ne s’en rend pas toujours compte, mais il y a là une sorte de paradoxe : D’une part, le marché favorise la circulation de l’argent – l’investissement et la dépense – pour permettre la croissance. D’autre part, il met des limites, il plafonne, il quantifie – d’une certaine manière, il organise la rareté – pour maintenir la valorisation des biens et de la monnaie.
En effet, plus un bien est limité ou rare… plus il sera valorisé et cher… et plus il dégagera de marges, plus il sera salué pour sa performance. C’est le cas, bien sûr, des produits de luxe, mais aussi des biens courants. C’est ainsi, par exemple, qu’on détruit des milliers de tonnes de fruits tous les ans pour conserver le cours de leur prix de vente.
De même, si le marché a besoin des salaires pour promouvoir la consommation, il organise aussi leur faiblesse pour diminuer les coûts de production : Evidemment, plus un bien est produit à bas coût, plus il dégagera de rentabilité.
Le système économique repose ainsi sur un équilibre précaire entre consommation et pénurie… pour favoriser l’échange tout en maintenant la valeur de l’argent.
La question centrale de ce mécanisme est peut-être la question de la valeur… de ce qu’est la valeur… de la finalité de cette valeur :
qu’est-ce que ce système tend véritablement à valoriser, à favoriser ? Les biens ou les personnes ? L’individu ou le collectif ? Le profit personnel ou l’intérêt général ?
Le système de l’échange influence profondément notre mentalité, nos comportements, notre motivation. Il nous incite à chercher d’abord – et dans chaque situation – notre intérêt particulier… avec la fausse idée que l’intérêt de la collectivité serait en quelque sorte le fruit, la somme des intérêts particuliers. Mais l’expérience du néo-libéralisme nous montre que les choses ne fonctionnent pas ainsi.
Loin de construire la fraternité, le système marchand favorise la rivalité, la concurrence et l’injustice.
L’injustice vient du fait que tout est organisé pour que le petit… quitte à devoir emprunter … en ait juste assez pour subvenir à ses besoins en enrichissant le plus gros : celui qui possède, celui qui a la capacité d’investir, de prêter ou de vendre.
Dans le monde économique – nous le voyons bien – le droit est du côté de celui qui possède. Son intérêt… c’est d’augmenter sa capacité de profit et d’enrichissement… c’est de maintenir le système de l’échange, de la vente, de la dette… de faire circuler l’argent, tout en maintenant sa valeur, sa rareté. Car que vaudrait l’argent si tout le monde en avait à volonté, si tout le monde pouvait tout obtenir ?
C’est pourquoi, dans ce monde, il y aura toujours des pauvres (comme le dit lui-même Jésus – cf. Jn 12,8 ou Mc 14, 7, voir aussi Dt 15, 11), des laissés pour compte, des misérables, des victimes du système, qui n’ont plus rien à échanger… sinon eux-mêmes. C’est ainsi que l’homme peut devenir une marchandise… un objet parmi les autres… un esclave du système de l’échange.
A l’opposé du monde de l’argent, il existe une autre alternative (la seule, en réalité) : le monde nouveau de Dieu, le Royaume.
Le Royaume, c’est le monde de la surabondance : celui du don, de l’amour. Ici, rien n’est à vendre, à marchander, à mériter, à échanger. Tout est donné par grâce, sans raison, sans dette. C’est le monde du don et de la gratuité : un monde offert par Dieu… manifesté par Jésus… un monde à accueillir et à construire ici et maintenant… en changeant les mentalités, en modifiant les comportements.
Durant notre pèlerinage sur la terre… pour peu que nous placions notre foi et notre espérance en une altérité, en Dieu… nous ne vivons pas dans un seul de ces mondes, mais dans les deux : dans le monde économique et dans le monde nouveau de Dieu… ce monde dont nous sommes appelés à être les ouvriers… en nous préoccupant de la justice… en tenant compte de l’autre, de notre prochain.
C’est une situation limite, instable et difficile. Tout en étant un acteur économique… il faut résister aux sirènes de Mamon… et agir en faveur du Royaume.
Alors… la question est la suivante : comment faire entrer, comment instiller le monde nouveau de Dieu dans le monde de l’argent, le monde de Mamon… pour le transformer, le subvertir ?
* Mamon
Avant de répondre à la question… arrêtons-nous sur ce personnage… sur cette personnification de l’argent, de la richesse : Mamon.
Pour Jésus, l’argent n’est pas un objet neutre, c’est une puissance capable d’asservir.
Alors qu’on croit la posséder, c’est elle qui nous tient… qui nous possède.
L’argent – nous le savons bien – est un objet de pouvoir, un instrument de domination…de subordination… d’oppression.
A cause de l’attrait et de la rivalité qu’il suscite, il est vecteur de conflits, source de divisions et de violences, à l’intérieur des familles, des groupes, des structures. Il est ferment d’injustices entre les individus et les peuples.
Le mot « Mamon » désigne ce en quoi je me fie… ce en quoi je place ma confiance… et mon désir. Et c’est en cela qu’il s’agit d’une sorte de divinité, d’une puissance trompeuse.
Mamon soulève en l’homme un désir qu’il n’assouvit jamais (cf. Qo 5, 9). Il appelle à une confiance que lui-même ne peut pas offrir. Il donne l’illusion de la sécurité et de la stabilité, mais il est fuyant et fluctuant.
Non seulement Mamon suscite l’intérêt et la convoitise, mais il génère l’égoïsme, le souci et l’inquiétude. Il finit par asservir l’homme en le centrant sur lui-même… en le détournant de la quête du Royaume et de la justice de Dieu (cf. Mt 6, 33).
Vis-à-vis de cette puissance trompeuse et injuste, Jésus nous donne une parole, une parole tranchante : Entre Dieu et Mamon, il ne peut y avoir qu’un seul maître ; il faut choisir. C’est soit Dieu, soit Mamon.
Jésus ne donne pas de 3ème alternative. Il ne dit pas que nous pouvons être autonome, être nous-mêmes notre propre maître. Ça c’est l’illusion du monde moderne ! Mais puisque nous dépendons toujours d’un maître, il faut choisir lequel.
Faire le bon choix – en optant pour Dieu – implique de démystifier la puissance de Mamon et trouver le moyen de la déjouer.
Il faut faire face à la réalité du monde présent et voir ce qu’on peut y ajouter – le sel qu’on peut y mettre – pour changer le goût de ce monde, la saveur de la vie (Cf. Mt 5, 13).
En termes bibliques… Jésus nous dit qu’il faut faire preuve de ruse : être « avisé comme le serpent » (Mt 10, 16) ou comme le gérant de la parabole. [C’est le même mot grec qui les caractérise.]
Pour instiller le monde nouveau de Dieu dans le monde de l’argent, Jésus nous appelle à adopter l’attitude du gérant. Mais ce que lui fait pour de mauvaises raisons, en pensant uniquement à son intérêt personnel, il nous invite à le faire pour de bonnes raisons… en sachant où on va… en sachant qui on sert.
* L’habileté du gérant
Alors… qu’est-ce qu’a fait le gérant, exactement ?
L’histoire du gérant se déroule dans le contexte économique d’une métairie, dont la gestion a été confiée à un intendant.
Le propriétaire reçoit une plainte pour gestion déloyale et décide de démettre le gérant de ses fonctions.
Avant de rendre son tablier, l’intendant se livre à une analyse réaliste de ses possibilités. Il conclut que la solution la plus avantageuse pour lui consiste à profiter de son ultime pouvoir pour abaisser les dettes des débiteurs de son maître. Il obtiendra ainsi leur reconnaissance et leur amitié.
Evidemment, quand on doit 3700 litres d’huile, une remise de 50% n’est pas de refus. On ne peut que remercier et accueillir chaleureusement celui qui vous rend la vie moins pesante.
Le paradoxe de cette histoire, c’est qu’en agissant de la sorte – en pensant uniquement à son intérêt particulier – le gérant a, malgré tout, fait quelque chose en faveur du royaume :
En remettant une partie de la dette qui pesait sur les débiteurs de l’homme riche, il a instillé de la gratuité dans le monde écrasant de la dette. Il s’est fait des amis en utilisant l’argent trompeur, le « Mamon d’injustice ».
En d’autres termes, il a retourné la puissance de l’argent à son avantage, en favorisant la relation à l’autre. Il a subverti la puissance injuste de l’argent par la remise de la dette, par le don, la gratuité.
Là où la puissance de l’argent est habituellement démoniaque, c’est-à-dire là où elle divise les hommes entre eux, il a trouvé le moyen de la renverser, afin de créer du lien, de se faire des amis.
Il y a quelque chose d’étonnant et de déstabilisant dans cette parabole.
La surprise vient du fait que Jésus donne en exemple un homme apparemment malhonnête.
Le riche propriétaire aussi félicite le gérant d’injustice pour son habileté, alors qu’au départ, il veut le renvoyer pour avoir gaspillé et dilapidé ses biens… et qu’au final, l’habileté du gérant conduit à une dispersion plus importante encore de ses richesses.
Alors, pourquoi donner en exemple et féliciter un tel homme, un escroc ?
Uniquement pour son habileté !... une habileté dont nous avons besoin, pour la mettre au service du Royaume.
En mettant en concurrence deux vertus importantes – l’habileté et l’honnêteté – la parabole vient chambouler nos représentations, bouleverser nos catégories, notre manière de penser.
Il faut distinguer plusieurs plans :
- Du point de vue de la morale économique, l’attitude du gérant est malhonnête. Il se permet de remettre une dette qui ne lui appartient pas. Il falsifie des lettres de créances ; il dilapide les biens de son maître. C’est du vol caractérisé, même si son maître est un homme riche.
- Du point de vue de l’habileté, en revanche, le gérant est un maître. Il a su manifester les qualités essentielles d’un bon gestionnaire : face à l’adversité et à la précarité de sa situation, il prend le temps de la réflexion et du discernement (v.3), il cherche la manière de réaliser un gain le plus facilement et le plus rapidement possible, il montre un véritable esprit de prévoyance, pour assurer ses arrières (v.4), il est rapide dans l’application des décisions qu’il a prises (v.5-7). C’est la raison pour laquelle il reçoit les félicitations de son maître : il s’agit là d’un homme avisé, sensé, habile.
- Enfin – troisième plan – du point de vue de Jésus, du point de vue du Royaume : L’homme a su renverser… subvertir la puissance du « Mamon d’injustice », en introduisant de la gratuité, du don, dans le système de la dette. Par son habileté, il a transformé l’argent trompeur en relation d’amitié.
La parabole (v. 8b) se conclue par une comparaison entre les enfants de ce siècle et les enfants de lumière, pour encourager les Chrétiens à s’inspirer de cette intelligence toute pratique dans la gestion des affaires du Royaume [désigné ici par « les demeures, les tentes éternelles » (v.9)].
Autrement dit, … ce qui est donné en exemple, dans l’attitude du gérant, ce n’est pas qu’il ait truandé son patron. Au contraire… Jésus appelle à la fidélité envers son maître… en choisissant bien son maître : Dieu le Père… et aucun autre.
Mais ce qui est salué, c’est qu’il soit parvenu à retourner la puissance d’asservissement de l’argent – par le biais de la dette – par une autre logique : celle du don, de la remise de la dette, de la dilapidation.
Ici, l’homme s’est conduit en gérant et non en propriétaire. (Et c’est cette manière de vivre que Jésus nous appelle à adopter !)
Considérant que ces sommes ne lui appartenaient pas, qu’elles lui étaient étrangères, il n’a eu aucune peine à les remettre, à s’en débarrasser. Ce faisant, il a désacralisé Mamon, en le réduisant à l’état de moyen, par la logique du don.[1]
Là où Mamon est bien souvent considéré comme un dieu, une idole, comme une fin en soi… le gérant lui a rendu sa place de moyen, d’instrument, au service de l’humanité, de l’amitié, de la fraternité.
En cela, l’économe – infidèle à l’argent – a été fidèle à la grâce.[2]
* Habileté et/ou fidélité ? Quelle fidélité ?
Mais le commentaire qui ponctue la parabole vient compliquer les choses, et d’une certaine manière, les nuancer.
Dans ce passage, si Jésus salue l’« habileté » du gérant (v.9), l’évangéliste Luc a ajouté à l’histoire une autre parole de Jésus qui met en avant la « fidélité » (v.10-12) : une fidélité qui commence dès les plus petites choses, les choses de l’argent.
En ajoutant à la parabole du gérant habile un enseignement de Jésus sur la fidélité (v.10-12), l’évangéliste Luc veut éviter les malentendus :
Si Jésus nous appelle à imiter l’habileté du gérant pour gérer les affaire du Royaume, il ne nous invite pas – en revanche – à imiter sa malhonnêteté.
La conclusion de l’épisode présente ainsi l’argent – notre relation à l’argent – comme le test de notre fiabilité, de notre fidélité à gérer les vraies richesses : celles que Dieu nous confie et nous offre gratuitement… celles qui appartiennent à la Lumière et qui ne périssent pas : l’amour et la grâce qui libèrent et qui sauvent.
Malgré tout… la parabole elle-même nous montre qu’il n’est pas toujours simple, ni même possible, de concilier les deux vertus : l’« habileté » (en faveur du Royaume) et la « fidélité » (pour les choses de l’argent) ?
Ici, l’évangéliste Luc… qui s’adresse d’abord aux responsables des communautés chrétiennes… tente de concilier l’enjeu spirituel et moral… le monde de la gratuité avec la fidélité à la loi (y compris celle du système économique).
Mais nous voyons bien que ce n’est pas toujours possible. Et c’est ce que se joue dans cette parabole : l’introduction de la grâce dans le monde de l’argent vient inévitablement secouer et retourner ce petit monde de la loi, du calcul et de la dette.[3]
C’est la raison pour laquelle, le passage se conclut par une exhortation finale (v.13) à choisir entre Dieu et Mamon.
Car le choix de la « fidélité » réside avant tout à ce niveau. C’est un choix que chacun est conduit à faire :
- En dernière instance, veux- tu travailler pour le monde de la Loi : un monde où l’on compte, où l’on ne cesse de régler des comptes… un monde où, dans tous les domaines, les dettes et les créances doivent toujours s’équilibrer… un monde où l’on attend que Dieu punisse et récompense, menace et juge ?
- Ou acceptes-tu d’entrer dans le monde de l’Évangile, le Royaume : un monde de grâce, de prodigalité, d’abondance, où Dieu aime à profusion, où Il se donne sans compter… pour inscrire ta vie dans cette dynamique du don ? [4]
* Pour conclure : que peut-on entendre aujourd’hui… pour nos vies… dans cette parabole ?
Jésus nous invite à nous considérer comme « étrangers » à Mamon (v.12), bien qu’il nous faille nous frotter aux deux réalités : au monde de l’argent et au Royaume.
Ce qui nous appartient vraiment... ce qui est à nous (v.12)… ce n’est pas ce que nous accaparons, ni ce que nous possédons… mais c’est ce qui nous est donné et ce que nous donnons.
Ce qui nous appartient réellement (v.12) – le bien véritable – relève du domaine du don et non de la possession.
C’est pourquoi Jésus ne nous appelle pas à nous comporter en propriétaire, mais en gérant – en gérant habile – pour gérer notre vie selon la logique du Royaume, par le biais du don, de la remise de la dette… qu’il s’agisse d’une dette pécuniaire ou de la dette du péché (cf. Jn 20, 23).[5]
Nous voyons, à travers cette parabole, le changement de mentalité que Jésus nous invite à opérer : Il s’agit de faire entrer la Grâce dans le monde de l’argent[6] … et non le contraire, comme les Pharisiens qui font entrer l’argent, le donnant-donnant (pour ne pas dire le commerce) dans le domaine de leurs relations avec Dieu.
A travers cette histoire (scandaleuse en apparence), nous comprenons que les questions soulevées par l’argent ne sont pas d’abord d’ordre moral, mais spirituel.
Avec l’argent, il ne s’agit pas simplement d’une monnaie d’échange, mais d’une puissance qui vient influencer notre désir, nos comportements… et concurrencer Dieu dans le cœur de l’homme.
Le conflit entre Dieu et Mamon porte sur notre confiance, sur notre amour. (Idolâtrer l’argent est incompatible avec la confiance en Dieu.) C’est la raison pour laquelle Jésus nous appelle à faire un choix radical, à prendre une décision pour Dieu ou pour l’argent.
« Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » (cf. Mt 6, 21 ; Lc 12, 34).
Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas travailler, exercer une profession dans le monde marchand. Mais cela signifie que nous devons toujours avoir en mémoire que l’argent, c’est Mamon !… pour conserver notre liberté et le détachement nécessaire vis-à-vis de l’argent… pour être capable de déjouer sa force de séduction (qui nous appelle à convoiter, à posséder) et retourner son pouvoir d’injustice (par le don).
La sagesse, l’habileté consiste à être capable de se servir de l’argent… sans le servir… d’en user comme d’un instrument au service du Royaume… au service de la Grâce.
Jésus nous appelle peu à peu à instiller, à insuffler la logique du don et de la gratuité dans toute les strates de notre existence… dans tous les domaines : personnel, économique et relationnel.
En ce sens, cette parabole nous livre aussi un enseignement sur le pardon.
L’attitude du gérant nous montre que, dans le Royaume, nous n’avons pas besoin de rembourser nos dettes, nos fautes… ni en travaillant durement, ni en mendiant.
Il nous faut simplement apprendre à remettre la dette des autres, comme Dieu remet la nôtre, gratuitement (cf. aussi Mt 6, 14s).
Dieu nous fait grâce. Par sa miséricorde, il nous pardonne nos dettes, nos fautes.
Dès lors, nous pouvons, à notre tour, être miséricordieux avec nous-mêmes et avec autrui.
Et c’est bien ce que fait le gérant habille. Au fond de lui-même, il sait qu’il a dilapidé les biens de son maître et qu’il ne pourra pas rembourser la totalité de sa dette, ni par un travail acharné, ni en mendiant.
Dans cette situation, il a une approche créative de sa culpabilité[7]. Il comprend que la seule possibilité qui lui reste est de traiter les autres débiteurs avec humanité, en remettant une partie de la dette qu’ils avaient eux aussi contractée auprès du maître.
Il se dit alors en lui-même : « je suis endetté, vous l’êtes tout autant… avant d’être relevé de la gérance je peux encore faire quelque chose : vous soulager du poids de votre dette ».
Puisque notre maître n’est pas Mamon, mais Dieu… nous avons un maître miséricordieux et accueillant, qui donne gratuitement son pardon. L’habileté consiste à faire preuve de la même libéralité, de la même largesse à l’égard des autres.
Alors, à nous de saler le monde avec l’Evangile… de faire entrer les valeurs du Royaume – la logique du don, de la gratuité – dans toutes nos relations… avec Dieu et avec les Hommes.
Amen.
[3] Selon qu’on se place du point de vue de la loi (du point de vue du riche) ou du point de vue de la grâce (du point de vue du débiteur), on trouvera que le gérant est un escroc ou un homme habile.
[4] Cf. Richard Bennahmias, « une grâce bien méritée » (Luc 16, 1-13) : voir site internet « la Bête à Bon Dieu ».
[5] Dieu nous donne tout gratuitement… il nous fait grâce… et c’est dans cette logique du don qu’il nous invite à nous inscrire, afin de détrôner, de surpasser le système du calcul, de subvertir la puissance du « Mamon d’injustice » (v.9).
C’est, bien malgré lui, ce que fait le gérant, en remettant la dette avec l’argent d’un autre. Il retourne la puissance destructrice de l’argent pour la transformer positivement.
Du point de vue du Royaume… si son habileté est louée, c’est que le don est la seule façon de blanchir l’argent injuste (Cf. François Bovon, L’Evangile selon saint Luc (15,1 – 19,27) IIIc, Labor et Fides, p.73.).