dimanche 24 février 2013

Mt 7, 13-29 (2/2)

Mt 7, 13-29 (2ème partie)

Lectures bibliques : 1 Jn 4, 7-9. 12. 16b. 20-21 ; Lc 6, 31-35 ; Mt 7, 13-29
Série de prédications sur Mt 5 à 7 (le sermon sur la montagne) : n°12 (2/2) – Mt 7, 13-29
Thématique : la foi en actes... l’obéissance concrète
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 24/02/13.

Nous avons commencé à méditer la semaine dernière sur la fin du sermon sur la montagne, avec l’image des deux portes et des deux chemins… je vous propose ce matin de poursuivre l’examen du discours de Jésus.

* Nous avons d’abord l’image de l’arbre et de ses fruits (v.15-20).
Ce qui est mis en avant à travers cette métaphore, c’est la solidarité entre l’arbre et ses fruits : le bon arbre produit de beaux fruits, et inversement…
Pour Jésus, il y a forcément un rapport, une cohérence entre ce que nous sommes, notre cœur, nos intentions, nos paroles (cf. Lc 6,45 ; Mt 12,34) ... et notre volonté traduite en actes.

Bien sûr, nous pouvons toujours commettre des erreurs - qui n’en fait pas ! - et nous savons qu’on ne peut jamais réduire un homme - l’identité d’une personne - à ses actes… surtout quand ils sont mauvais.
(Notre identité véritable, notre identité d’enfant de Dieu est inconditionnelle. Elle nous est offerte par un Autre, par Dieu, par grâce, indépendamment de nos actes et nos mérites.)
Mais, en même temps, nous savons aussi qu’un homme (à moins qu’il ne souffre de schizophrénie) n’est pas pleinement différent de ce qu’il fait.

Pour Jésus… justement… le critère de discernement ce sont les fruits. C’est à ses fruits, à ce qu’il fait - et non à ce qu’il prétend être - qu’on reconnaît un vrai disciple. C’est en regardant aux fruits, qu’on devine l’arbre. S’il porte de « beaux » fruits, c’est que l’arbre est « bon ».[1]

Ces fruits, ces « belles » œuvres, dont parle Jésus, ce sont les œuvres de la justice (Mt 5, 20) et de l’amour (Mt 5, 43-48)... ce sont les œuvres bonnes et gratuites qui découlent de la foi, de la confiance en un Dieu bon et miséricordieux pour chacun (Mt 5, 45 ; 6, 8.30 ; 7, 11).

Dans le contexte du temps de Matthieu, il y a ici une pointe polémique contre des « faux prophètes » (des « prophètes de mensonge »), des imposteurs dont nous savons rien, mais qui, vraisemblablement, n’avaient pas une conduite en rapport avec leurs propos.
Face à ce contre-exemple, Matthieu met en relief le lien nécessaire et logique entre la foi en Dieu et les actes envers le prochain.
La foi en un Dieu de grâce, de bonté et de miséricorde, doit nous conduire, dans le même élan, à une attitude existentielle fondée sur la bonté et la gratuité.
On ne peut pas prétendre être disciple du Christ, vouloir la justice de Dieu, et, en même temps, avoir un comportement contraire, fondé sur l’égoïsme, l’indifférence ou le « chacun pour soi ».

Avec cette image de l’arbre et des fruits... il semble que Jésus attire notre attention, non pas seulement sur les fruits (bons ou mauvais), mais sur l’arbre dont ils viennent... donc, sur l'intentionnalité qui détermine nos comportements et nos façons d’agir.
Quelles sont réellement nos intentions, nos motivations, nos désirs profonds ? Sont-ils guidés par la volonté de justice de Dieu, par la recherche du Royaume (cf. Mt 6,33), par l’amour du prochain ? …
ou par notre confort, le calcul de notre intérêt personnel, la logique commerciale du mérite, du « donnant-donnant »… par la quête de la reconnaissance ou la sauvegarde des apparences ?
Pour Jésus, c’est là ce qui différencie les justes des hypocrites : les premiers (en pratiquant l’aumône, le jeûne ou la prière) recherchent la justice de Dieu (qui voit dans le secret) ; les seconds ne cherchent, en réalité, que leur intérêt propre : la quête de la récompense des hommes et des honneurs (cf. Mt 6, 1-18).

On peut tirer une conséquence immédiate de cette image :
C’est clairement au niveau de l’arbre qu’il faut agir, au niveau de notre être, de notre désir, de nos motivations.
Avant de vouloir porter de beaux fruits, chacun est invité à se laisser convertir, à se laisser transformer par l’amour de Dieu.... pour devenir un bon arbre... animé par la sève de la gratuité, de la bonté, de la miséricorde.
C’est seulement en puisant nos racines en Dieu que nous pourrons devenir ces arbres capables de produire de beaux fruits.

* Le passage suivant – ceux qui disent et ne font pas (v.21-23) – porte sur le même thème… sur la cohérence entre la confession de foi et le changement d’attitude existentielle.
Pour Jésus, il ne suffit pas de dire « Seigneur, Seigneur », il ne suffit pas de confesser le Christ (pour entrer dans le monde nouveau de Dieu), mais il faut faire la volonté de notre Père céleste... il faut prendre part à la justice miséricordieuse de Dieu. [2]

Le critère de la condition chrétienne ne réside donc pas dans l’adhésion à tel ou tel dogme théologique ou christologique, mais dans la décision de foi de vivre dans la confiance… de suivre le Christ… et de prendre part, dès maintenant, au règne de Dieu.

Contrairement à ceux qui se contentent de se réclamer du nom et de l’autorité du Seigneur… Matthieu nous appellent à une autre attitude existentielle... à un comportement nouveau à expérimenter et à vivre concrètement : Placer toute notre confiance dans la générosité de la providence divine, vivre dans la gratuité de l’amour du Père céleste, exercer notre pardon... notre miséricorde à l’égard de nos amis et de nos ennemis… y compris, donc, à l’égard de ceux qui ne nous rendent pas la pareille.

Je crois qu’il ne faut pas comprendre l’avertissement de Jésus comme une menace (v.21-23), mais comme le choix que chacun a à faire devant le don de la promesse de vie, offerte par Dieu :
En réalité, c’est la volonté de Dieu que tous les peuples (Mt 28, 16-20) entrent dans le Royaume (le règne de Dieu), en passant du système de l’échange à l’esprit du don et de la gratuité. Mais c’est à chacun de se décider... c’est à chacun de franchir le pas décisif, qui implique de voir la vie autrement, sous le signe de la gratuité de l’amour... de cet amour que Dieu porte à tout homme, bon ou mauvais (Mt 5, 43-48).

Ce que nous dit Matthieu, c’est que la foi vécue concrètement implique un changement de logiciel... de mentalité et de comportement : vouloir vivre à la manière de Dieu, selon sa loi d’amour et sa miséricorde, c’est forcément remettre en cause les mentalités et les comportements qui ont cours depuis toujours dans notre monde... cela va forcément à l’encontre de notre mode de vie traditionnel (et même ancestral), dans la mesure où il se fonde, la plupart du temps, sur le calcul de notre intérêt particulier... sur le discernement de notre avantage propre... et non sur l’esprit de gratuité qui est celui de la Vie qui appartient à Dieu.

On sait comme il est difficile de sortir de cet esprit de calcul et de réciprocité qui marque notre monde et nos mentalités. Mais c’est précisément ce que nous demande Jésus, pour entrer dans le Royaume de la miséricorde : Quitter le système de l’échange, la logique calculatrice du mérite… pour aimer et pardonner... sans compter.

* Enfin, le dernier passage (v. 24-27), avec les deux maisons - l’une sur le roc, l’autre sur le sable - distingue, à nouveau, deux attitudes existentielles : celle de l’homme prudent/avisé qui a écouté Jésus et décide de mettre en pratique ses paroles ; celle de l’homme insensé/stupide qui ne se préoccupe pas de concrétiser ce qu’il a entendu[3].

La sagesse correspond ici à l’obéissance concrète.

On peut comprendre cette image (courante dans la littérature rabbinique) de la maison bâtie sur le roc de deux manières :
- La maison, c’est l’écoute de la parole ; la roche, c’est la mise en pratique. Une écoute qui n’a pas de fondation s’évanouit. Au contraire, lorsque la foi s’enracine dans l’amour... lorsqu’elle repose concrètement sur l’amour... elle tient bon.
La solidité du disciple vient donc de la mise en pratique des paroles de Jésus. Car il ne s’agit pas de paroles en l’air, de paroles philosophiques ou spéculatives, mais de paroles existentielles, qui appellent notre participation active.
- On peut aussi lire la parabole de la maison construite sur le roc comme le rappelle de l’offre de la promesse de Dieu : Quiconque met sa confiance en Dieu, en la gratuité de son amour et de sa justice, recevra la force d’affronter les catastrophes de l’existence.
Pour tenir bon… malgré les bourrasques et les tempêtes… pour persévérer dans la foi et dans l’amour… il faut de prendre appui sur Dieu, se fonder sur le roc de son amour et de sa miséricorde... se laisser construire par lui.

En ce sens le Psaume 127 (v.1) affirme : « Si le Seigneur ne bâtît pas la maison, ses bâtisseurs travaillent pour rien » !

Quoi qu’il en soit de la manière d’interpréter cette parabole des deux maisons, on peut constater qu’elle prolonge le registre existentiel introduit par les Béatitudes (au début du sermon) : Le chemin du bonheur, de la promesse, de la vie, du Royaume de Dieu, se trouve dans la mise en pratique des paroles de Jésus.
Quiconque accepte l’invitation de Jésus à mettre toute sa confiance dans la providence du Père céleste et à vivre dans la recherche de la justice, fonde son existence sur le roc.
Il sera miséricordieux et il lui sera fait miséricorde ; il aura le cœur pur et verra Dieu ; il sera pacificateur et sera appelé fils de Dieu... il y a là une promesse de vie !

Toute la question que nous pose Jésus est de savoir si nous acceptons maintenant de nous laisser transformer par cette promesse.

Conclusion : Alors... chers amis, frères et sœurs, pour conclure, que pouvons nous retenir de cette médiation ?

Dans l’Evangile d’aujourd’hui – comme la semaine dernière – il est essentiellement question d’éthique : Entrer par la bonne porte, c’est porter du fruit, c’est faire la volonté du Père, c’est mettre en pratique les paroles de Jésus.
Matthieu ne cesse de mettre en avant les « belles » œuvres que nous sommes appelés réaliser (cf. Mt 5, 16).
Mais cette éthique ne trouve son sens et son accomplissement que dans la foi et le cheminement à la suite du Christ.
Elle ne trouve sa force qu’en raison de la grâce, de la bonté première de Dieu, qui agit pour nous avec amour et gratuité.
Tous nos actes en faveur de l’autre ne sont qu’une réponse de notre foi, une conséquence de cette confiance que nous avons en la bonté de Dieu, en son amour inconditionnel.

Dans la dialectique de la foi et des œuvres, il ne faut donc pas se tromper. Les images que Jésus nous donne ne décrivent pas un long chemin au terme duquel s’obtiendrait le salut : Le salut nous est offert par grâce, mais encore faut-il le recevoir dans la foi et vouloir en vivre dans l’existence.

Si Jésus nous offre toutes ces images, c’est pour nous appeler à faire un choix personnel, à prendre une décision évangélique... c’est pour nous inviter à franchir le pas décisif, à suivre le Christ, à choisir la vie, à entrer dans le règne de Dieu, dès maintenant.
Car pour Jésus, ce Royaume n’est pas seulement pour après, il est déjà pour aujourd’hui. Et celui qui est passé par la porte étroite y est déjà entré, il se dirige déjà vers le but (cf. Mt 7, 21).[4]

En d’autres termes, Jésus nous appelle à la cohérence entre notre confiance en Dieu et notre attitude existentielle, entre notre foi et nos actes (notre comportement au quotidien).
Il nous rappelle que le choix du chemin à sa suite, à la suite du Christ, conduit inévitablement - malgré les renoncements et les difficultés qu’il implique - à porter de « beaux » fruits (Mt 7, 17-19), à accomplir de « belles » œuvres (Mt 5, 16).
Si nous nous enracinons dans la confiance en Dieu... alors certainement nous serons comme de beaux arbres « plantés près des ruisseaux » (cf. Ps 1,3)... qui puisent leurs ressources dans une terre féconde et une source jaillissant en vie éternelle (cf. Jn 4,14)... alors nous porterons du fruit... du fruit pour les autres, pour le monde, pour le Royaume.

Comme les Israélites convoqués par Dieu, au temps de Moïse, pour « choisir la vie » (cf. Dt 30, 15-20), nous sommes appelés à faire le même choix... à renouveler ce choix aujourd’hui.
Et Jésus nous dit que « choisir la vie », c’est vraiment faire un choix… c’est renoncer à nos mentalités et nos comportements traditionnels souvent égocentriques et calculateurs… pour entrer dans le règne de Dieu... le Royaume de la gratuité. « Choisir la vie et le Royaume », c’est accepter de laisser Dieu régner sur nous, sur notre personne, nos paroles et nos actes.

Le Royaume de Dieu, c’est pour maintenant... pour aujourd’hui.
Alors... mon frère, ma sœur… choisis la Vie !     Amen.



[1] On retrouve l’affirmation de cette nécessaire cohérence entre la foi et les œuvres, aussi bien dans l’épître de Jacques (cf. Jc 2, 14-26) que dans la 1ère lettre de Jean. En ce sens, Jean affirme : « si quelqu’un dit "j’aime Dieu ", et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur » (1 Jn 4, 20 ; voir aussi 1 Jn 2, 4).
[2] Encore une fois... on peut s’interroger sur cette volonté de Dieu : finalement, qu’elle est-elle ?
En réalité, Jésus ne cesse de le répéter tout au long de son sermon sur la montagne : c’est la bonté, la justice, la miséricorde et la confiance (On peut traduire pistis par « confiance », « foi » ou « fidélité » : voir Mt 23,23.)... c’est la vie à la ressemblance de Dieu, dans l’esprit de don et de gratuité... bien au-delà du système de la réciprocité, du donnant-donnant, du monde de l’échange, où rien n’est jamais gratuit, où tout doit toujours être mérité.
Ce n’est sans doute pas un hasard si Jésus ne cesse de revenir sur ce thème de la justice.
Et il nous apprend que cette justice ne peut pas être déconnectée de la miséricorde.
Dans son évangile, Matthieu cite deux fois le prophète Osée (cf. Mt 12,7 ; 23,23) : « c’est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice » (Os 6, 6), pour nous appeler à l’amour et à la grâce... au-delà de tout marchandage avec Dieu ou avec notre prochain.
[3] Sur l’opposition entre « prudent » et « stupide », voir aussi Mt 25, 1-12 (la parabole des dix vierges).
[4] C’est aussi ce que dit Jésus dans l’évangile de Jean : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit en celui qui m'a envoyé, a [la vie...] la vie éternelle ; il ne vient pas en jugement, mais il est passé [… il est déjà passé] de la mort à la vie » (Jn 5, 24). 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire