dimanche 17 février 2013

Mt 7, 13-29 (1/2)


Mt 7, 13-29 (1ère partie)

Lectures bibliques : Dt 11, 26-28 ; Dt 30, 15-20 ; Jc 2, 14-17 ; Mt 7, 13-29
Série de prédications sur Mt 5 à 7 (le sermon sur la montagne) : n°12 (1/2) – Mt 7, 13-29
Thématique : la foi en actes... l’obéissance concrète
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 17/02/13.

Nous voici à la fin du sermon sur la montagne. Et voilà que Jésus nous confronte à un impératif, à un choix. Après son long discours, après l’enseignement qu’il vient de donner, il ne s’agit plus simplement, pour les disciples, d’écouter la voix du maître, mais de « faire », de s’engager, de passer à l’action.

Les quatre passages que nous avons entendus sont réunis par un seul et même thème : celui du choix, celui de la suivance du Christ, celui de la cohérence entre la foi et les actes.

- D’abord, il y a l’idée d’une opposition, d’un choix décisif, qui ne laisse aucune place à des possibilités intermédiaires : ou la porte étroite ou la porte large ; ou l’arbre bon ou l’arbre mauvais ; ou faire la volonté du Père ou dire sans rien faire ; ou la maison sur le roc ou la maison sur le sable.
- Un tel choix est de caractère éthique, mais il dépasse (d’une certaine manière) la simple alternative « morale » qui consisterait à choisir le bien ou le mal. Ici, ce qui est en jeu, c’est d’abord la question du choix entre « faire » et « ne pas faire » (v.21-23)... c’est la question de l’engagement concret pour prendre part au Royaume de justice, au monde nouveau de Dieu.
Aussi, on peut penser que ceux qui ont choisi la porte la plus large, le chemin le plus spacieux, ne sont pas seulement ceux qui ont choisi la facilité, qui ont suivi le plus grand nombre ou qui ont fait un mauvais choix (par paresse, indifférence, ou à cause de leurs soucis - cf. Mt 13, 18-23).
Mais il s’agit d’abord, pour Jésus - et c’est là que la radicalité de l’Evangile nous interpelle - de ceux qui ont choisi de « ne rien faire » pour répondre à la volonté de justice de Dieu... de ceux qui ont décidé de ne pas se préoccuper de ce qui préoccupe Jésus, justement : les petits (cf Mt 25, 40)... le Royaume et la justice de Dieu (cf. Mt 6, 33).
- Enfin, dans ces passages, le fond est celui d’un jugement, d’une mise en lumière des conséquences de nos choix. A l’alternative « faire » ou « ne pas faire » (la volonté de Dieu) correspond l’alternative « salut » ou « perdition », « vie » ou « mort ».

Autrement dit, à travers les images, les métaphores ou les paraboles que nous avons entendues ce matin (deux portes, deux chemins, deux arbres, deux fruits, deux maisons), Jésus nous dit - quelle que soit notre situation, quel que soit notre âge et notre parcours - qu’il est temps... qu’il est encore temps... pour nous d’opérer des distinctions et de faire des choix.
Car il est finalement question de vie ou de mort... de choix qui font vivre ou qui mènent dans une impasse. Il est question d’une promesse - d’une promesse de vie - qui nous est offerte... pourvu que nous écoutions les paroles de Jésus et que nous les mettions en pratique (cf. Mt 7, 24 ; voir aussi Jn 13,17).

Alors... ce matin... regardons ensemble un peu plus en détail ces passages :

* D’abord, nous avons l’image de deux portes qui mènent, chacune, à un chemin différent (v.13-14) : le premier est spacieux et courtisé, mais il conduit à la perdition ; le second est resserré et peu fréquenté, mais il mène à la vie.
Le thème des deux voies utilisé par Jésus (conduisant à la vie ou à la mort) n’est pas nouveau. On le retrouve dans le livre du Deutéronome (Dt 30,15s) ou celui du prophète Jérémie (Jr 21,8)[1], mais ici Matthieu nous donne trois indications intéressantes au sujet du chemin qui conduit à la vie : d’abord, il nous apprend qu’il est « resserré ». En réalité, le mot grec veut aussi dire « plein de tribulations », de difficultés, d’épreuves. Ensuite, il nous dit que ce chemin doit se « trouver »... donc qu’il faut vouloir le « chercher » (cf. Mt 7,7). Enfin, que peu de personnes le choisissent... et cela sans doute pour de bonnes raisons... car c’est un chemin difficile, qui nécessite une recherche personnelle... et l’audace de franchir un pas décisif, d’« entrer » (v.13) dans la Vie, dans le règne de Dieu.

Bien sûr, ce chemin évoqué par Jésus, est celui dont il parle dans tout son sermon sur la montagne : c’est le chemin des Béatitudes, du Royaume, de la Justice de Dieu... c’est le chemin de l’amour gratuit et inconditionnel, du don et du pardon, de l’humilité et du partage.
Jésus lui-même nous a montré ce qu’il en coûte de choisir ce chemin, qui nécessite de renoncer à soi-même (Mt 10, 38-39), à son auto-suffisance, à sa propre justice, à sa propre gloire... pour ne rechercher que celles de Dieu.

Si nous pouvons nous sentir interpellés par l’Evangile ce matin, c’est précisément en raison de ce choix que Jésus nous appelle à faire. Et à bien y regarder, je crois que dans notre monde d’aujourd’hui... peu de personnes osent répondre à l’appel de Jésus... à son exhortation à obéir... à quitter ses fausses sécurités pour suivre le Christ (chacun à sa manière et selon ses charismes)... à renoncer au monde de la possession et de la consommation, pour se rendre disponible à Dieu, pour se tourner vers l’autre, pour vivre dans le partage et la gratuité.

Et pourtant nous voyons bien que le chemin large et spacieux, celui que tente d’imposer à tous le modèle occidental (par son mode de vie consumériste), nous mène droit dans le mur, car il est fondé sur le profit personnel, l’égoïsme, l’accaparement et la convoitise.
Nous voyons bien que cette route large et spacieuse ne conduit pas à plus de justice, car elle fait peu de cas de l’intérêt général et du sort des plus faibles.
Elle aboutit, au contraire, le plus souvent à imposer sa loi à tous - celle du système marchand de l’échange, du « donnant-donnant »... celle de la rivalité et de la concurrence qui écrase sans considération - y compris ceux qui n’ont plus rien et qui sont condamnés à vivre sous la domination des plus puissants.

(D’une certaine manière, nous avons encore eu cette semaine une illustration des conséquences de ce système écrasant et absurde… à travers le désespoir qui a conduit un chômeur dans l’impasse, en fin de droits, à mettre fin à ses jours, en s’immolant devant une agence de Pôle Emploi à Nantes.)

Sans concession... il faut nous interroger sur le sort de notre monde et les valeurs qu’il véhicule, lorsque l’économie finit par prendre le pas sur l’humain.
N’y a-t-il pas là, d’une certaine manière, une nouvelle forme (perfide et cachée) d’esclavage et de servitude ? (Ne sommes-nous pas en train de revenir au temps des Hébreux en Egypte ?)
Qu’est-ce qui nous conduit à faire comme les autres ? à travailler le plus souvent sans sens, sans but, sans éthique... si ce n’est le profit ou la satisfaction des besoins que d’autres ont créés pour nous ?
Enfermés dans le mimétisme et la répétition, dans un système à bout de souffle, fondé sur la promesse d’une croissance impossible à tenir... ne sommes-nous pas les marionnettes, les pantins d’un système, qui manipule notre désir et nos illusions, pour nous faire croire que les temples de la consommation nous rendront finalement plus heureux que celui de Dieu ?

Dans la bouche des médias... des journalistes, des politiques, du grand public... la loi du marché est devenue « parole d’évangile », mais quelle Bonne Nouvelle... quelle Promesse... a-t-elle réellement à nous offrir... face à l’Evangile du Royaume, proclamé par Jésus ?

L’Evangile nous appelle à un travail de mise en lumière, pour discerner nos idoles contemporaines… nos dieux d’aujourd’hui (ceux de l’économie, de la croissance, de la performance, de la rentabilité)… qui s’inscrivent en fin, en but ultime… au lieu de rester simplement au stade de moyens, utiles pour s’orienter vers le monde de justice voulu par Dieu.

Nous voyons bien aujourd’hui quel est le chemin le plus spacieux et le plus fréquenté... et à quoi il conduit : grande richesse et profits exorbitants pour les uns, misère et précarité pour les autres... sans parler des conditions de vie et de la pollution suscitée par un monde fondé sur l’exploitation et l’accaparement des richesses et des biens.

Mais nous voyons bien aussi que les autres chemins qui se dessinent ne sont pas meilleurs :
Celui de l’extrémisme religieux, par exemple, fondé sur l’ignorance, l’obscurantisme et le fondamentalisme, conduit inévitablement à un ordre moral basé sur la violence et la privation des libertés.

Or, un monde sans liberté de conscience est tout aussi invivable qu’un monde en proie au dictat de la loi du marché. L’un et l’autre conduisent à la perdition comme le dit si bien l’Evangile.
C’est pourquoi Jésus nous propose une autre alternative, un autre monde pour aujourd’hui et pour demain : le monde nouveau de Dieu qu’il appelle le « Royaume de Dieu ».

Alors... il y a quand même une Bonne Nouvelle que Matthieu nous rappelle ce matin, malgré le constat alarmant qu’il dresse, en nous parlant d’un chemin étroit et peu fréquenté.
La voie que Jésus nous propose est certes peu pratiquée, mais elle n’est pas impraticable.
Si, ailleurs, Matthieu nous rappelle que « beaucoup sont appelés, mais que peu sont élus » (Mt 22, 14), cela veut dire, en réalité, que la grâce est offerte à tous, qu’elle est pour tous... mais qu’il faut une réponse active en retour... que, malheureusement, peu apportent.

Jésus nous appelle - une fois encore - à faire partie de ceux qui répondent à cette offre de Dieu... qui choisissent le chemin qui conduit à la Vie.
Il nous invite à nous laisser déplacer et orienter par Dieu... à vivre selon sa Parole, selon sa volonté... car c’est là, pour lui, que se trouve le chemin de la Promesse... le chemin de la vraie nouveauté.

Ce chemin... nous l’avons sûrement déjà emprunté ou croisé à un moment ou à un autre :
Combien de fois dans nos vies personnelles avons-nous été confrontés à des choix importants et difficiles à faire... et combien de fois… en ayant choisi ce qui nous semblait le plus « juste »… avons-nous pu constater, a posteriori, que le chemin parcouru n’était certes pas le plus simple, le plus facile… mais finalement celui qui nous a permis d’évoluer, de changer, de construire et de grandir.

Quoi qu’il en soit de nos chemins (tortueux ou rectilignes), Jésus nous invite à les vivre sous le regard de Dieu, à nous appuyer sur Lui, pour faire les bons choix, les choix qui font vivre... pour nous engager dans la concrétisation, dans la mise en pratique quotidienne des valeurs de l’Evangile... afin de prendre part au règne de Dieu, offert dès maintenant.

Oui… nous dit le Christ de Dieu, le porteur de l’Esprit… « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 6)… si vous suivez mes sentiers, si vous écoutez ma voix, si vous mettez mes paroles en pratique… alors… oui … vous aurez la vie… la vie en plénitude… la vie éternelle.

Alors… mon frère… ma sœur… choisis la Vie !
Amen.




[1] Voir aussi Ps 119, 29-30 ; Ps 139,24 ; Pr 12,28 ; Pr 14,12 ; Si 21,10 ; Sg 5,6-7.

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