dimanche 5 mai 2013

La vie juste que Dieu demande : l'objet de notre préoccupation


La vie juste que Dieu demande : l’objet de notre préoccupation

Lectures bibliques : Lc 12, 13-21 ; Mt 6, 25-34  (Louange = Psaume 8)
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 05/05/13.

« Cherchez d’abord le royaume et la vie juste que Dieu demande…  et tout le reste vous sera donné par surcroît » (Mt 6, 33) : Qu’est-ce que Jésus veut dire exactement ? … à quoi nous appelle-t-il ?

* Si vous suivez les actualités… vous avez peut-être entendu cette annonce aux informations, il y a une dizaine de jour : la société IBM France prévoit de licencier près de 1400 emplois d’ici deux ans.
Ces licenciements répondent à une logique financière :
Pour augmenter sa marge bénéficiaire et pour faire plaisir aux actionnaires, la société cherche à faire des économies. C’est sur le dos de la masse salariale qu’elle a décidé de rogner ses dépenses, afin d’accroitre davantage sa perspective de rentabilité. Car précisément, la société IBM a réalisé un bénéfice record en 2012. Et elle n’entend sans doute pas en rester là pour les années à venir.
Malheureusement, il ne s’agit pas d’un cas isolé. De nombreuses multinationales résonnent  de la même manière, dans une logique orientée prioritairement par le profit et la rentabilité.

Le problème, c’est que cette manière de penser fait peu de cas de la personne humaine, de l’autre, de celui qui va se retrouver sur le carreau.

Face à la logique marchande et financière, qui en vient à considérer la personne humaine comme un simple moyen, un rouage, un objet, au service du profit financier de l’entreprise et de son actionnariat, l’Evangile nous appelle à voir les choses de façon radicalement différente… à une conversion, un retournement complet de perspective. Il nous appelle, au contraire, à nous soucier prioritairement de l’autre…. de la vie juste selon Dieu.

Il s’agit, au fond, de savoir ce qui nous fait réellement « gagner » ou « perdre » notre vie.

* Dans le premier passage biblique que nous avons entendu (cf. Lc 12, 13-21) … nous recevons d’abord une exhortation : « Gardez-vous de toute avidité » ! (v.15)

Jésus nous propose d’adopter un nouveau comportement… une nouvelle mentalité. Car il en va de notre manière d’habiter le monde… de notre rapport à la création et aux autres.
Il nous invite à sortir de la logique de la possession… à quitter l’optique du profit, de l’excès, de la surenchère, qui nous pousse à la cupidité… au désir de ramener toute chose à soi-même…. pour vivre dans la sobriété et le partage.

Pour illustrer ce nouveau mode de relation au monde et aux autres que Jésus nous appelle à vivre, il nous fait cheminer à travers une parabole :

1er constat de cette histoire : c’est l’abondance qui est de mise, la surabondance, même !
La parabole débute avec la présentation d’un homme riche, comblé de biens… et c’est encore d’autres dons, d’autres récoltes, qui s’offrent à lui.

Mais, le problème de cet homme… c’est que ses yeux restent fixés sur ses richesses… et que tous ses biens l’enferment dans la solitude.
Bloqué sur la perspective de nouvelles récoltes abondantes… il ne soucie que de lui-même.
Il ne se préoccupe… ni de la volonté du Créateur, de Celui qui a mis entre ses mains tout ces biens – comme si le Créateur n’avait pas de projet…. comme s’il n’attendait rien de l’être humain à qui il a pourtant confié la terre et ses créatures (cf. Gn 1, 28 ; Ps 8, 7) – … ni de l’autre… ni du prochain, du voisin, du petit… de celui qui pourrait se trouver dans la misère ou le besoin.

L’histoire nous raconte le débat intérieur que vit cet homme… qui n’est, en réalité, qu’un monologue avec son âme :
Centré sur lui-même… le regard fixé sur ses possessions…. son seul souci est de savoir comment il va bien pouvoir conserver cet acquis… comment il va pouvoir continuer à amasser, à accumuler, à engranger toutes ces récoltes.  
Faute de place – ses greniers étant déjà pleins – l’homme décide de les démolir pour en construire de nouveaux, plus grands, plus vastes… pour continuer à faire des réserves, à accaparer tous les dons qu’il a reçu….afin d’en profiter égoïstement… afin de se reposer et de faire bombance !

Mais, l’histoire se retourne au moment où Dieu lui adresse la parole… au moment où il se rend compte qu’il n’était pas seul… qu’il avait un vis-à-vis qui lui avait confié une vie et des biens… et que ce vis-à-vis est susceptible de lui demander des comptes.

Ce qui se joue ici peut nous faire penser à une autre parabole : celle des talents ou des mines :
Qu’as-tu fait des dons que Dieu t’a donné ?… les as-tu gardé pour toi ?… les as-tu fait fructifier ?… les as-tu mis au service des autres ?
Insensé ! (v. 20) Tu n’as pensé qu’à toi… tu n’as pensé qu’à amasser ce qui t’était donné, sans t’occuper de la justice, sans te soucier de la volonté du Créateur…. sans te préoccuper des autres, sans rien partager !
A l’heure où Dieu te demande de rendre des comptes de ce qui t’était confié… à l’heure où le jour va bientôt s’achever… qu’as-tu à répondre ?... Toi qui avait la possibilité d’agir… n’as-tu pas oublié ton prochain ?... qu’as-tu fait pour soulager la misère des autres… pour atténuer l’injustice du monde ?...  Insensé !

Le mot « insensé » … comme une parole tranchante… est justement sensé nous faire réfléchir à la question du « sens ».
L’homme riche a agi sans direction, sans sens… c’est-à-dire d’une manière qui n’est pas conforme au bon sens, à la raison.
Le bon sens, c’est précisément d’utiliser sa raison… cette intelligence que l’homme a reçue… pour discerner quelle est la volonté du Créateur… quelle est le but de tout cela, de tout ces dons reçus… quelle est la direction à prendre.
La fin de la parabole nous donne un indice : au lieu d’amasser, de thésauriser pour soi-même… il aurait fallu « s’enrichir auprès de Dieu / en Dieu » (v. 21).

« S’enrichir auprès de Dieu » : on peut se demander ce que ça signifie… de quoi il s’agit ?

Une autre parabole peut peut-être nous éclairer : celle du jugement dernier (cf. Mt 25, 31-46). Dans ce passage, le Seigneur est présenté, de façon imagée, comme un juge qui, à la fin des temps, opérera un discernement parmi les hommes, un peu comme un berger qui sépare les brebis des boucs. Mais ce qui est surprenant, c’est que ce Juge de la fin était, en réalité, un autre personnage au cours de l’histoire.
Bien avant de recevoir la figure d’un juge eschatologique, il en avait une autre, il occupait une autre place. Au cours de l’existence, il est venu à notre rencontre dans le rôle du « plus petit parmi mes frères ». Il a pris la figure du dernier, de celui qui est tout en bas. Il est entré dans la peau du malade, de l’étranger, de celui qui est nu ou affamé, du prisonnier.
Alors, si le Seigneur se rencontre dans le visage de l’autre, du plus petit… « s’enrichir auprès de Dieu » c’est peut-être cela : Porter attention…. se préoccuper… enrichir… donner sa présence et ses dons… à celui qui est tout bas… démuni, dans le besoin… et auquel le Seigneur s’identifie.

En même temps qu’il est tout en bas, le Seigneur est aussi Celui qui est tout en haut, Celui qui donne avec générosité, sans compter. Il est Celui qui fait grâce… qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes (cf. Mt 5,45).
Alors, « s’enrichir auprès de Dieu », c’est peut-être oser faire la même chose que lui… agir de la même manière que Seigneur : dans le don et la gratuité… avec générosité… par le don de ses biens (cf. Lc 14, 33) et le don de soi (Lc 9, 23).

Et c’est bien là l’interpellation que nous adresse l’Evangile : Là où le Créateur donne gratuitement et en abondance tous ses biens… suis-je en capacité de participer à son geste de création et de justice ?... suis-je capable de vivre et d’agir dans la même dynamique, le même élan, le même sens : c’est-à-dire, finalement, de façon sensée ?

Conclusion intermédiaire :

Ce passage de l’évangile nous montre donc comment habiter le monde… quel type de rapport entretenir avec la création et avec les autres :
Non pas un comportement de propriétaire ou d’épargnant, mais celui d’un gérant responsable de ce qui lui est confié… à commencer par son frère … Non pas un rapport d’avidité (v.15), d’accaparement ou de convoitise… mais une relation de reconnaissance – reconnaissance et gratitude pour les dons reçus, sans mérite – qui nous pousse à agir dans la même direction que le Créateur, à faire preuve, à notre tour, de don et de gratuité envers le prochain, envers le plus petit.

L’Evangile nous appelle à « ouvrir grand » nos greniers et nos cœurs… en acceptant de partager, en acceptant le risque de vivre dans le manque et le désir…. Car, en réalité, si chacun prenait ce risque, l’injustice disparaitrait.

Jésus veut nous montrer que ce n’est pas la logique du « toujours plus », du « trop plein » qui nous nourrit véritablement. Au contraire, cette logique là, a tendance à nous enfermer sur nous-mêmes.
Ce qui nous enrichit auprès de Dieu et des autres, c’est bien plutôt la logique du Père céleste : celle du don et de la gratuité… qui rend la création vivante et généreuse.

Cette parabole est donc une parfaite illustration de l’inversion de valeur à laquelle Jésus nous appelle : « qui veut sauver sa vie, la perdra ; mais qui perd sa vie à cause de moi, la sauvera » (Lc 9, 23).

Contre la logique du gain, de l’excès, du « toujours plus » qui conduit à la cupidité… l’évangile nous lance deux mots d’ordre :
La modération et la sobriété, pour nous-mêmes ; le don et la générosité, pour les autres.
C’est en partageant les dons qui viennent de Dieu… que nous pouvons prendre part à cette vie juste, dont nous parle l’Evangile… à cette vie ajustée au désir de la « justice de Dieu » (cf. Mt 6, 33).

- Pause musicale -

* A travers la parabole du « riche insensé », nous venons de voir qu’une des questions fondamentales qui se pose à chacun, est la manière dont il regarde le monde.[1]
Le riche insensé était bloqué sur ses biens, ses richesses et ses récoltes. Cela l’empêchait de voir autre chose.

Pour rééduquer notre regard, Jésus nous appelle à ouvrir les yeux en direction de la création, et à nous laisser émerveiller (cf. Mt 6, 25-34) : 
« Regardez les oiseaux du ciel… observer les lis des champs… et constatez ! »
Pour comprendre la création et le Créateur… pour envisager l’acte de création comme un acte de donation, de don totalement gratuit… pour prendre conscience que tout nous est offert, par grâce… Jésus nous appelle à l’admiration, à la contemplation.

Contempler, c’est voir au-delà des faits… c’est voir l’œuvre du Créateur derrière sa création … c’est regarder le monde avec les yeux du cœur et de la foi.
Jésus nous appelle à discerner dans la création, l’acte de donation du Créateur.

Cette contemplation [2]… doit nous permettre d’aboutir à une conclusion : constater la vie qui nous est donnée, constater tous les biens qui nous sont offerts, constater l’amour du Créateur pour nous.

Si Dieu donne sans compter… s’il donne gratuitement sa nourriture aux oiseaux du ciel… et son vêtement, sa beauté magnifique, au lis des champs…. combien plus, il nous donne, et nous donnera encore, tout ce dont nous avons besoin… à nous qui comptons bien plus à ses yeux que les oiseaux et les lis… à nous – l’homme et la femme – la « fine pointe » de sa création, qu’il a voulu créer à son image… en nous donnant son logos : sa raison et sa parole, l’intelligence et le langage… pour faire de nous des co-responsables de l’évolution du monde (cf. Gn 1, 28), des co-créateurs de sa justice (cf. Mt 25, 31-46).

Constatant le don illimité de Dieu à notre égard… constatant que tout nous est donné… Jésus en conclut une chose … ou plutôt deux :
- D’abord, il nous appelle à vivre en paix, dans la confiance… à ne pas nous inquiéter inutilement…. à ne pas nous préoccuper des choses qui nous sont données, de la nourriture et du vêtement.
- Ensuite, à nous organiser pour recevoir ce que la vie nous donne… pour partager au mieux entre nous, les dons que Dieu nous offre, à travers sa création.
C’est là la pointe de ce passage de l’évangile :
Ne vous inquiétez pas inutilement pour ce qui vous est donné gratuitement, mais préoccupez-vous des autres… souciez-vous que ce don soit partagé entre tous… qu’il profite à chacun.
« Cherchez d’abord le royaume et la justice de Dieu, et tout le reste (la nourriture, le vêtement) vous sera donné par surcroît » (v. 33)

En ouvrant les yeux, pour contempler la générosité et la prodigalité du Créateur, Jésus nous appelle à adopter un rapport apaisé… une attitude confiante vis-à-vis de la création.
Dès lors – loin de continuer à accumuler par peur du lendemain, par crainte de manquer – ce rapport apaisé doit nous pousser à regarder dans une autre direction : vers l’autre.
Il doit nous permettre de recentrer notre attention ailleurs, sur notre véritable mission, sur ce qui doit être au cœur de notre préoccupation : non pas ce qui nous est donné gratuitement, mais ce que nous avons à en faire… à partager…. à donner.

Conclusion :

Dans l’évangile de Matthieu, ce passage sur « les soucis », « les préoccupations » se situe juste après un passage sur « Dieu ou l’argent (Mammon) ». Dans l’évangile de Luc, il se situe juste après la parabole du « riche insensé » (que nous avons entendue).
Ce qui est en jeu, c’est notre rapport au monde… et par là-même… notre relation au Créateur et à sa volonté de justice (de vie juste) :

L’œuvre de Dieu… sa justice… c’est de donner gratuitement sans compter…. Mais comment nous comportons-nous vis-à-vis de cette grâce, de ce don ?

Pour Jésus, nous avons, nous aussi, à faire œuvre de justice. Et cette justice… ce ne peut pas être celle de l’animalité, mais celle de l’humanité… Ce ne peut pas être la loi de la nature, la loi de la jungle, la loi du plus fort ou du « chacun pour soi » (ou la logique du néo-libéralisme qui écrase le plus faible, le moins compétitif), mais ce doit être la loi d’amour, la loi du don et du partage, qui consiste à prendre soin de chacun, à commencer par les plus petits (cf. Mt 25, 31-46), les plus fragiles, ceux qui ne sont pas en capacité de s’occuper d’eux-mêmes, par eux-mêmes.

Ce texte trouve une grande actualité dans notre monde d’aujourd’hui, marqué par un rapport d’avidité vis-à-vis des biens de ce monde…. par la volonté d’accaparement des richesses par une minorité d’individus… par le règne de la consommation, qui consiste le plus souvent à posséder, sans se préoccuper ni des autres, ni de leur condition de traitement, ni de la manière dont notre terre nourricière est exploitée… et par la logique de la concurrence, qui écrase, sans scrupule et sans état d’âme, les plus petits.

Malheureusement, l’effondrement dramatique d’un immeuble au Bangladesh, où travaillaient des femmes et des travailleurs pauvres, pour le compte de sociétés de prêt-à-porter occidentales – faisant des centaines de morts – montre, de façon scandaleuse, combien l’homme peut être insouciant, indifférent ou négligeant envers son frère… tout cela par appât du gain… par soucis d’économies et de profits.

A l’opposé de cette vision du monde… où l’argent est devenu une idole, un dieu capable de réduire les hommes en esclavage … l’Evangile nous invite à un changement complet de perspective… pour vivre dans la liberté et la gratuité :
Plutôt que de lutter les uns contre les autres, plutôt que de vivre dans la concurrence et la compétition entre nous…. constatons, observons, admirons. Alors, en ouvrant les yeux, nous comprendrons peut-être qu’il est inutile de vouloir arracher, accaparer ou saisir ce qui nous est déjà donné. Alors, en ouvrant les yeux, nous constaterons que la mission que Dieu nous confie – nous qui sommes fait à son image, nous qui avons reçu la terre en héritage – est bien plutôt, d’ouvrir la main, de lâcher prise, de nous réjouir des dons reçus, en les partageant entre tous.

C’est là que doit se situer notre préoccupation, selon Jésus : Non pas la peur du manque pour nous-mêmes, non pas la crainte du lendemain qui nous pousse à thésauriser, à accumuler. Mais le souci de l’autre, la préoccupation du partage, pour aujourd’hui.

Notre préoccupation première doit être la recherche de la justice, un meilleur partage des dons et des richesses que Dieu nous donne gratuitement.
Et pour se faire, Jésus nous appelle à regarder vers le Créateur… à imiter Dieu… à oser le don et la gratuité… pour faire advenir son royaume.
Amen.



[1] « La lampe du corps, c’est l’œil – dit Jésus – si ton œil est sain, ton corps tout entier sera dans la lumière » (cf. Mt 6, 22).
[2] Le texte grec dit « Fixez le regard sur les oiseaux du ciel » (v.26), « instruisez-vous des lis des champs » (v.28)

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