Mt 11, 3 & Mt 11, 29
Lectures
bibliques : Rm 8, 18-25 ; Mt 11
Thématique :
Jésus, un Messie « doux et humble de cœur »… qui nous appelle à le
suivre.
Prédication de
Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 13/07/14.
Chers amis, nous
le savons, la vie… la foi… la vie dans la foi n’est pas un long fleuve
tranquille. Lorsque nous sommes soumis à certaines épreuves : rupture, maladie,
dépression, perte d’un proche… notre foi – foi en Dieu ou foi en la vie – peut
en prendre un coup.
Le doute peut
surgir et venir nous submerger de ses questions… car nous avons bien du mal à
admettre… à comprendre même… comment le mal, la souffrance et l’injustice
peuvent coexister dans notre monde avec la volonté d’un Dieu juste, qui appelle
ses enfants, les humains, à l’écouter, à vivre selon sa volonté – sa Parole – selon
son projet.
Face aux
épreuves de l’existence, nous ne comprenons pas pourquoi les choses ne sont pas
plus simples… pourquoi il nous faut en passer par là… pourquoi les hommes
n’arrivent pas à vivre en harmonie avec eux-mêmes, avec Dieu et avec la
création… pourquoi faut-il sans cesse que nous rencontrions des obstacles (la
faiblesse de notre corps, la convoitise des hommes qui crée tant d’injustice,
l’indifférence ou le mépris face à la souffrance d’autrui)… pourquoi nous faut-il
toujours lutter, pour surmonter ces épreuves, comme s’il nous fallait accoucher
à la vie, dépasser les douleurs de l’enfantement, pour enfin advenir à nous-mêmes,
pour nous dépasser, nous libérer, nous découvrir – découvrir Dieu et découvrir
la réalité – autrement que ce nous avions cru ou pensé.
L’image de
l’accouchement… c’est celle qu’utilise l’apôtre Paul, pour comparer les
épreuves et les souffrances que nous traversons, avec toute la création, à une
sorte de combat pour la vie… à un long enfantement, qui se fait dans la
douleur :
« Nous le savons – dit-il – la
création tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de
l’enfantement. Elle n’est pas la seule : nous aussi, qui possédons les
prémices de l’Esprit, nous gémissons intérieurement, attendant l’adoption, la
délivrance pour notre corps. Car nous avons été sauvés, mais c’est en
espérance. » (cf. Rm 8, 22-24)
Ce que Paul veut
dire ici c’est que le salut – la guérison et la libération – sont au bout du
chemin.
Dans l’espérance
et la confiance que nous plaçons en Dieu, nous pouvons déjà – dès à présent –
trouver cette voie de salut, en Jésus Christ… mais – pour Paul – cette
libération, cette paix, adviendra pleinement lorsque nous serons enfin conforme
à l’image du Christ… lorsque nous serons, nous aussi, des ressuscités… lorsque
nous aurons revêtus l’homme nouveau, à l’image de Jésus (cf. Rm 8, 29 ; Col
3, 1-11).
Dans l’Evangile,
nous avons également entendu le questionnement tourmenté d’un homme prisonnier,
soumis à la question du doute.
C’est la
situation de Jean le Baptise : celle d’un prophète, au fond du trou, qui
sait qu’il risque de ne pas en sortir.
Voici que cet
homme, qui s’est battu toute sa vie, comme un envoyé du Dieu vivant… arrive aux
termes de sa mission. Il se demande peut-être si ce combat n’a pas été vain
(?)… qui va prendre la suite (?)… et si Jésus – connu pour ses œuvres, son
activité thaumaturgique et ses actes de guérison – est bien celui que le peuple
juif attend… le Messie… celui qui doit venir (?)
Au cœur de
l’épreuve, de la prison, de l’enfermement, l’évangéliste Matthieu nous fait
entendre le questionnement existentiel de Jean-Baptiste :
Jésus… est-il
bien celui que nous attendons, celui qui doit nous conduire sur le chemin du
salut ?
Cette
interrogation peut nous étonner :
Si nous nous
replaçons quelques chapitres plus tôt (au chap.3), au moment du baptême de
Jésus… Jean-Baptiste affirme, de façon claire et explicite, que Jésus est plus
fort que lui… qu’il est celui qui baptisera dans l’Esprit saint et le feu…
autrement dit qu’il est le porteur de l’Esprit de Dieu, l’envoyé de Dieu, le
Messie choisi (cf. Mt 3, 11-17).
Et voici qu’un
peu plus tard, au cœur de l’épreuve qu’il traverse, il se met à douter : « es-tu, toi, celui qui doit venir ou
est-ce un autre que nous attendons ? » (cf. Mt 11, 3)
Cette interrogation
peut avoir de quoi nous surprendre. Mais, la suite de notre passage nous aide à
la comprendre :
En effet, Jésus
laisse entendre, à travers un assemblage de citations empruntées au prophète Esaïe
(cf. Es 26,19 ; 29,18 ; 35,5s ; 42,18 ; 61,1) qu’il est bien
ce Messie, celui en qui nous pouvons placer notre espérance.
Mais, en même
temps, Jésus rappelle qu’il n’a pas été reçu et accueilli comme tel (cf. Mt 11,
20-24)…que son activité a suscité une vive opposition… que ses paroles et ses
gestes n’ont pas été pas compris ou mal compris… qu’il a été cause de scandale et
de division pour beaucoup (cf. Mt 10, 34-36 ; 11,6).
Malgré tout ce
qu’on entend et voit de lui, malgré ses paroles de libération et ses gestes
thérapeutiques, il n’est pas du tout évident que Jésus soit reçu et considéré
comme le Messie par ses contemporains.
Ici ou là, il
est peut-être passé pour un prophète ou un guérisseur, mais pour le Messie – le
Sauveur – c’est beaucoup plus incertain.
Pourquoi ?
Tout simplement,
parce que Jésus n’est pas « Messie » à la manière dont les hommes
pouvaient l’attendre… il n’est pas le Messie fort, puissant et victorieux dont
les Juifs – sous domination de l’occupant romain – pouvaient rêver… il n’est
pas le libérateur politique attendu.
Jésus est un
Messie pauvre et désarmé en ce monde… un Messie qui vient certes apporter la
guérison, mais pour les humbles et les petits, pour ceux qui reconnaissent en
avoir besoin… un Messie qui ne vient pas s’imposer… qui ne peut être accueilli que
là où on le réclame, là où on le reconnaît.
Le doute de Jean
Baptiste est donc bien fondé. Il y a véritablement un scandale à dépasser pour
reconnaître Jésus comme Messie :
Il faut attendre,
non un roi victorieux, susceptible d’écraser le mal par la force, mais un roi crucifié
qui peut agir dans notre cœur et notre vie, pour peu que nous lui laissions la
place d’y régner. … un roi porteur de l’Esprit de Dieu qui agit de façon
secrète et caché au plus intime de notre cœur, pour le transformer… à condition
que nous lui laissions de la place dans notre existence.
De nos jours, 20
siècles plus tard, la question de Jean-Baptiste prend d’autant plus de relief
que les choses n’ont pas vraiment changé : Aujourd’hui encore, la presse
et les médias vont s’intéresser à tel ou tel personnage ou exploit sportif
exceptionnel… à tel ou tel événement extraordinaire… dans la mesure où il
symbolise la force, la puissance, le dépassement de nos limites… – rendez-vous compte, lors du mondial de foot, l’équipe
allemande a battu le Brésil 7 à 1 … quelle domination, quelle supériorité de l’Allemagne… et quelle honte pour le Brésil ! Ce qui
compte, ce qui fait rêver, c’est la victoire et la réussite – … Mais, qui va s’intéresser à tel ou tel
désespéré ou miraculé de la vie… qui a retrouvé le chemin de la confiance et de
l’envie de vivre, grâce à quelques témoins anonymes de la foi ? Qui
s’intéresse à ce qui est doux, humble, discret ?… quand on peut montrer ce
qui fait du bruit, ce qui brille, ce qui répond aux critères de la réussite, de
la puissance, de la richesse ou du pouvoir.
« Mes pensées ne sont pas vos
pensées… vos voies ne sont pas mes voies, dit l'Éternel » dans le livre d’Esaïe (cf. Es 55,8).
C’est à nouveau cette
différence entre les attentes des humains et la sagesse de Dieu que pointe
l’Evangile ce matin (cf. Mt 11, 25 ; voir aussi Es 29,14 ; 1 Co 1,19).
C’est – en creux
– ce que révèle la question de Jean-Baptiste :
Celui qui est
prisonnier s’entend dire que Jésus est bien ce Messie libérateur, par qui les
aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds
entendent (cf. Mt 11,5)… mais, lui, est toujours en prison !
Il y a là une
sorte de contradiction hautement dramatique :
Selon le
prophète Esaïe, le Messie va apporter la délivrance.
« L’esprit du seigneur est sur moi –
dit-il – parce que le Seigneur m’a oint. Il m’a envoyé évangéliser les pauvres,
panser les cœurs brisés, proclamer la liberté des esclaves et la sortie de
prison des prisonniers » (Es 61, 1).
Mais lui, Jean-Baptiste,
entend résonner cette bonne nouvelle depuis sa prison… et il aimerait bien en
sortir… il aimerait bien que Jésus soit aussi, pour lui, ce Messie libérateur.
Alors, face à sa
situation, il a de quoi s’interroger et douter :
Quel est donc ce
messie qui ne le libère pas de sa prison ?
(C’est aussi la
question que nous sommes tentés de nous poser, face à l’épreuve ou à la souffrance… en nous tournant vers Dieu :
Seigneur… si tu
es là… Que fais-tu ?... Pourquoi n’interviens-tu pas de façon claire et
visible ?)
Mais, nous
savons bien que les choses ne sont pas si simples !
Jésus – pour
autant qu’il soit revêtu de l’Esprit de Dieu – ne peut pas agir d’un coup de
baguette magique.
Le Christ n’est
pas le super-héros de nos rêves ou de nos fantasmes, qui interviendrait, comme
par magie, de façon surnaturelle, avec puissance et fracas, pour faire sauter
les verrous et défoncer les portes blindées.
Pour adhérer à
Jésus comme Messie, pour le reconnaître comme tel, il y a une contradiction à
surmonter, un scandale à dépasser : celui d’un Messie désarmé « doux
et humble de cœur » (v.29) qui n’intervient pas avec violence, mais qui agit
avec douceur… là où il trouve une porte
ouverte, une confiance… là où il est reçu sans bruit, au cœur de nos demeures,
au creux de nos existences.
Pour recevoir
Jésus… pour le suivre et nous mettre à son école… il faut accepter de nous
placer dans cet élan de douceur et d’humilité de cœur… comme le sont les
enfants, les tout-petits – dira Jésus (Mt 11,25 ; 18,1-5).
Et c’est pour
cela qu’il est bien souvent accueilli par ceux qui souffrent, par les pauvres,
les affligés, les persécutés… car ceux-là … ceux qui ont un fardeau à porter…
savent bien que le salut ne peut pas arriver sur la terre par eux-mêmes, par
leur propre justice ou leurs mérites… ni par la force ou la puissance… Ceux-là
savent bien qu’écraser l’adversaire, le méchant, l’injuste, ne fait que
renvoyer le mal, lui donner encore plus d’écho et de place… Ceux-là, ceux qui
ont été victimes de la violence ou de la rivalité, savent bien que la violence
– celle de l’injustice ou celle de la loi du talion – ne peut pas être la bonne
réponse, qu’elle ne provoque jamais la conversion libre des cœurs, la
transformation de l’être.
Il y a donc un
paradoxe dans le passage de l’Evangile que nous avons entendu, c’est celui que l’apôtre
Paul relève dans sa 1ère lettre aux Corinthiens :
Dieu n’a pas
choisi de se révéler à travers la force et la puissance, mais par ce qui est
doux et humble dans ce monde, à travers la faiblesse d’un homme qui s’est fait
serviteur, par amour, et qui a été crucifié.
« Ce qui est folie dans le monde,
Dieu l’a choisi pour confondre les sages ; ce qui est faible dans le
monde, Dieu l’a choisi pour confondre ce qui est fort ; ce qui dans le
monde est vil et méprisé, ce qui n’est pas, Dieu l’a choisi pour réduire à rien
ce qui est » (1 Co 1, 27-28)
[ou ce qui a de la valeur aux yeux des puissants.]
Paul – comme
Matthieu – nous rappelle ainsi que le salut – la guérison et la libération que
l’être humain attend pour sa vie et pour le monde – ne peut pas advenir à
travers ce qui brille, ce qui est fort et puissant, ce qui domine ou qui
écrase… mais par ce qui est doux et humble, c’est-à-dire par ce qui appartient
au registre de la paix et de l’amour.
C’est là – chers
amis – le chemin que Jésus nous propose d’emprunter pour le suivre… le chemin exigeant
de la douceur et de l’humilité.
Malheureusement,
ce n’est pas souvent le choix que font les humains, notamment les grands et les
dirigeants de notre monde.
Il suffit
d’ouvrir le journal télévisé, pour nous rendre compte de la violence des pressions
économiques et des combats stratégiques qui sévissent partout sur notre planète,
pour des questions de pouvoir, de conflits d’intérêts ou de luttes d’influences…
qu’elles soient politique, économique ou religieuse.
Et c’est la
raison pour laquelle l’homme est encore loin de revêtir l’image du Christ.
Tant qu’il
n’aura pas changé de mentalité et élargi sa manière de voir au dimension de
l’humanité, de la planète… tant qu’il n’aura pas compris qu’en agissant ainsi,
l’être humain se prive lui-même du salut… et, en quelque sorte, se punit
lui-même… le monde continuera à courir de catastrophes en catastrophes.
Alors… face à
cela… face à ce constat… que pouvons-nous faire ?
Commencer par
nous ! … penser autrement et agir localement !… montrer l’exemple
dans nos vies et avec nos proches… en essayant de vivre cette douceur et cette
humilité de cœur, là où nous sommes, dans nos familles, avec nos amis, dans
l’Eglise et les associations dans lesquelles nous sommes engagés.
On ne peut pas
attendre que le monde change et se pacifie, si nous ne commençons pas nous-mêmes
(même de façon modeste) à vivre cette douceur et cette humilité à laquelle
Jésus nous appelle :
« Prenez sur vous mon joug et
mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez
le repos de vos âmes » (cf. Mt 11, 29 ; voir aussi Mt 5, 3-4).
C’est là le
chemin du salut que le Messie nous propose… et cela commence avec nous… dans
nos cœurs, dans nos maisons, nos villes ou nos villages.
Et
rappelons-nous la règle d’or : Nous ne pouvons pas attendre cela des
autres, si nous ne commençons pas nous-mêmes à le vivre :
« Tout ce que vous voulez que les hommes
fassent pour vous, faites-le vous-mêmes [d’abord] pour eux : c’est la Loi
et les Prophètes » (cf. Mt 7, 12).
Alors… à nous de
jouer… à nous de vivre, dans la confiance, cette paix et cette douceur que Dieu
nous offre.
Amen.
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