Mt 12, 1-14
Lectures bibliques : Dt 5, 12-15 ;
Mt 12, 1-14
Thématique :
« l’amour du prochain » ou l’impératif central de la foi dans
l’interprétation des Ecritures
Prédication de
Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 03/08/14.
* Au 21e
siècle, la question du respect du sabbat n’est plus à l’ordre du jour. Le
samedi, ou plutôt le dimanche pour nous Chrétiens, est devenu plus ou moins un
jour comme les autres.
On peut donc
légitiment penser que ces débats, ces récits de controverses, portant sur la
question du respect du sabbat, n’ont plus vraiment d’intérêt pour nous
aujourd’hui, tant ils se situent loin de nos préoccupations et de notre
actualité.
Mais, ce matin,
j’ai bien envie de vous dire qu’en réalité, il n’en est rien. Et je voudrais
vous montrer combien les paroles de Jésus – prononcées, il est vrai, dans un
tout autre contexte – dévoilent néanmoins tout un pan de l’Evangile éternel que
Jésus nous invite à vivre, en nous appelant à nous interroger.
* Les textes que
nous avons entendus mettent en débat, en conflit, deux points de vue :
- D’une part,
vous avez la manière de voir des Pharisiens. Selon eux, l’observance du shabbat – du jour saint pour le Judaïsme
– n’est pas une option. De même que la circoncision et les règles sur le pur et
l’impur, le sabbat constitue une pièce maîtresse de la religion juive, qui
s’enracine dans les Ecritures et répond à la volonté de Dieu.
Dans le Décalogue
(Ex 20 ; Dt 5)[1]
et dans le livre de l’Exode (en Ex 23, 12), la raison de cette observance se
trouve entièrement dans le repos :
« Six jours, tu feras ce que tu as à
faire, mais le septième jour, tu chômeras, afin que ton bœuf et ton âne se
reposent, et que le fils de ta servante et l’émigré reprennent leur
souffle ».
Mais, à côté de
cette motivation, il en existe encore une autre plus
« sacrée » :
Le sabbat était
alors considéré comme un jour mis à part, consacré au Seigneur… un jour béni destiné
au service de Dieu (cf. Ex 20,11).
Face à cet
impératif du respect du shabbat, et
donc à l’interdiction de travailler ce jour-là (cf. Ex 34,21), il existait
néanmoins une possibilité de dérogation, au cas où la vie était en danger.
Dans ce cas là –
et seulement celui-là – il était possible d’agir, d’effectuer un travail et
donc de rompre provisoirement le shabbat
– pour sauver une vie (cf. Yoma’ VIII,
6).
La question que
l’on peut déjà se poser dans la manière de voir des Pharisiens, c’est s’ils
n’ont pas simplement réduit et transformé les Ecritures et les instructions de
vie qu’elles comportent, en un recueil de lois et de règlements.[2]
Cela on le voit
à travers la formulation de la remarque ou de la question adressées à Jésus
(cf. Mt 12, 2.10) : Qu’est-il permis
de faire – ou de ne pas faire – le jour du sabbat ?...
Autrement dit,
il est question de règles strictes : d’interdits et d’autorisations.
Avec cette
manière de voir et d’interpréter les Ecritures, de façon légaliste, les
pharisiens en ont fait un carcan, un code de bonnes conduites… qui enferme les
humains dans un système rigide d’actions permises ou défendues… qui prive les
Croyants de leur liberté d’interprétation.
Avec cette
manière de voir, les membres du peuple de Dieu sont traités comme des enfants
mineurs, et tout ce qu’ils peuvent faire entre inévitablement dans une des deux
catégories : « tu dois… ou… tu
ne dois pas ».
De ce fait,
chacun peut être jugé à l’aune de sa fidélité ou de son infidélité à l’égard de
cette loi.
La loi – ou
plutôt l’interprétation pharisienne de la Torah
– devient ainsi le seul critère pour juger ce qui est bien et mal, et chacun
peut désormais dire qui est en règle et qui ne l’est pas.
Evidemment… ça
simplifie considérablement les choses et c’est sans doute rassurant !…
mais, en réalité, cela réduit les instructions de la Torah à une liste d’interdits… et à une petite morale à suivre… pour
faire partie des bons croyants, des "sauvés"… Comme si le salut de Dieu dépendait
de notre obéissance à un code de bonnes conduites… Comme si Dieu était là pour compter "les bons points" et "les mauvais points".
- Jésus prend le
contre-pied de cette manière de comprendre la Torah. Pour lui, justement, « le
sabbat a été fait pour l’être humain et non l’être humain pour le sabbat »
(cf. Mc 2,27). Aussi, les instructions de la Torah ne sont pas là pour nous enfermer, pour nous réduire en
servitude, mais pour nous permettre de vivre libres, de vivre en communion avec
les autres et avec Dieu.
Si on lit
attentivement l’Evangile, on s’aperçoit que les interventions de Jésus – au
contraire d’une vision légaliste de la religion – invitent les hommes et les femmes
à devenir spirituellement majeurs… à devenir libres et responsables.
C’est une toute autre
manière de comprendre les Ecritures que Jésus nous propose.
Il va
réinterpréter le commandement du repos comme un jour, non pas gouverné par un
interdit, mais consacré à la vie et au bien du prochain… comme un jour de paix
et de réconciliation… qui préfigure le salut – la libération et la guérison –
apporté par le Messie.
* Alors…
essayons d’y voir plus clair… et revenons quelques instants sur les deux
situations que l’évangéliste Matthieu nous présente :
- Dans le 1er
cas (v.1-8), celui des épis arrachés pour les manger, on voit que la critique
des Pharisiens porte sur le non respect du sabbat par les disciples de Jésus.
En détachant des
épis avec leurs mains, ils ont effectué une activité, un travail… Ils ont donc transgressé
un interdit en ce jour « sacré ».
Mais, pour
Jésus, les disciples n’ont commis aucune faute. La faim des disciples
correspond au cas exceptionnel de « sauvetage d’une vie »… à l’image
du roi David qui a eu faim et qui a dû manger le pain des offrandes, normalement
réservées aux prêtres.
La situation des
disciples affamés prévaut donc sur le respect du sabbat, puisque le sabbat a
été fait pour l’homme, c’est-à-dire pour la vie.
Pour Jésus, le
vrai problème n’est là où le pointe les Pharisiens, mais il est, en réalité,
ailleurs :
Qu’il s’agisse
de David ou des disciples, le sacrilège, ce n’est pas de manger des pains
consacrés quand on meurt de faim, ni d’arracher quelques épis le jour du
sabbat… mais c’est que des êtres humains puissent être victimes d’autres êtres
humains, soit en étant lésés dans leurs besoins essentiels et leur dignité…
soit du fait d’une religion qui juge et qui condamne au lieu de relever.
C’est en ce sens
qu’il faut comprendre la citation du prophète Osée (cf. Os 6,6 cité en Mt
12,7) : « C’est la miséricorde
que je veux, non le sacrifice ». C’est la bonté et l’amour du prochain
qui doivent prévaloir sur toute autre chose.
- Dans le 2ème
cas (v.9-14), celui de la guérison de la main sèche, Jésus justifie son action
en avançant un argument : Si, le jour du sabbat, il est permis de sauver
la vie d’une brebis tombée dans un puits, à combien plus forte raison est-il
permis de sauver un homme, dont la vie vaut beaucoup plus que celle d’une
brebis.
Si cette argumentation
est vraie aux yeux des Pharisiens, elle n’est pourtant pas jugée suffisante,
car la vie de l’homme à la main paralysée, ici, n’est pas directement menacée.
L’homme ne se trouve pas en danger de mort. Il n’y a donc pas d’urgence à agir
en ce jour.
Pourtant, en regardant
mieux à la situation de cet homme, Jésus montre que son interprétation est la
plus fidèle à l’esprit des Ecritures :
En effet, quel
est le problème de cet homme à la main paralysée ?
Son problème… ce
n’est pas seulement la maladie, mais l’impossibilité de vivre du travail de ses
mains. Cela le réduit à mendier pour gagner de quoi survivre.
Il est utile de
se rappeler que le commandement du sabbat – du repos hebdomadaire – inclut
d’abord un ordre positif, le précepte du travail les jours ouvrables :
« Tu travailleras six jours, faisant
tout ton ouvrage, mais le septième jour, c’est le repos (le sabbat) pour le
SEIGNEUR, ton Dieu »
(Ex 20, 9-10 ; Dt 5, 13-14).
Qui ne met pas
en pratique la 1ère partie de l’injonction, relative aux 6 premiers
jours de travail, est difficilement en mesure d’observer la 2nde partie,
relative au jour du repos.
Aussi, respecter
la volonté de Dieu, ne consiste pas d’abord à interdire à cet homme toute
activité le 7ème jour, mais à lui permettre d’en avoir une et de pouvoir
travailler les 6 premiers jours de la semaine.
C’est la raison
pour laquelle, Jésus répond simplement qu’au delà d’une question de vie ou de
mort, « il est permis de faire le
bien le jour du sabbat » (cf. Mt 12, 12).
Et faire le
bien, ici, c’est permettre à cet homme de retrouver l’usage de sa main, pour
qu’il puisse recouvrer une vie sociale et professionnelle équilibrée et
épanouie… pour qu’il puisse vivre du travail de ses mains… (et alors,
seulement, le repos du 7ème jour aura un sens pour lui.)
Pour Jésus,
c’est là le but … l’intention de Dieu… dans cette instruction du sabbat :
Si c’est un jour
de repos consacré au Seigneur, cela veut dire que cela doit être un jour de salut pour l’homme, un jour de guérison et de réconciliation … un
temps de paix et d’harmonie pour l’âme et le corps… de cette paix que l’on peut
trouver ou retrouver dans la proximité de Dieu.
Ainsi, loin de
profaner le jour du sabbat, Jésus – au contraire – lui rend sa pleine
signification. Il fait à nouveau de ce jour, une Pâque (cf. Dt 5, 15)… un
passage de la maladie à la vie retrouvée pour cet homme… et une libération de
l’emprise légaliste de la loi, que des religieux avaient peu à peu transformé en
nouvel esclavage.
* A travers ces deux
exemples, on assiste donc à une controverse théologique, à une lutte d’interprétation
des Ecritures.
En réalité, la
question qui se pose est la suivante :
Si la Bible
n’est pas seulement une loi, un règlement, mais un recueil de livres destinés à
nous orienter vers la Vie – la Vie véritable, la Vie en plénitude – voulue par
Dieu, comment doit-on interpréter les Ecritures ?
Quel principe
fondamental… quel canon dans le canon… quelle règle au-dessus de toutes autres
règles… quel impératif central de la foi… doit prévaloir dans notre manière de
comprendre la volonté de Dieu ?
A travers les
deux situations, Jésus répond à cette question : C’est l’être humain qui
doit constituer la priorité… C’est le commandement d’amour du prochain…
synonyme de vie et de liberté… qui doit prévaloir avant toute autre chose.
Par son
interprétation, Jésus vient bousculer la lecture normative de la loi imposée
par les Pharisiens. D’une certaine manière, il vient remettre en cause leur
autorité, leur manière de comprendre la volonté de Dieu.
Bien entendu… ces
derniers ne veulent pas reconnaître la justesse de l’interprétation de Jésus,
ce serait une remise en question radicale de leur enseignement.
Aussi, pour
conserver leur pouvoir et leur influence, désormais menacés, décident-ils
d’éliminer – de faire périr[3] –
l’adversaire qui vient marcher sur leurs plates-bandes.
C’est forcément
plus facile de se débarrasser d’un opposant que d’oser s’interroger… que de
changer sa manière de penser son rapport à Dieu et aux autres.
* Alors… je le
disais en introduction… ce passage des Evangile peut aujourd’hui encore nous
questionner, nous aussi.
Le sabbat n’est
plus pour nous un principe décisif dans notre vie quotidienne. Pour autant, il
ne faudrait pas croire que nous ne vivons pas encore sous le régime de la loi… sous
d’autres lois.
Posons-nous
sérieusement la question : quel est, aujourd’hui, le principe fondamental
qui dicte nos actes et nos priorités… notre manière de penser et nos mentalités
dans notre société contemporaine ?
Pour ma part, j’ai
tout simplement l’impression que « les règles économiques » d’aujourd’hui
sont venues remplacer « les règles religieuses » d’hier.
Je crois que c’est « l’économie » – l’économie, parfois au détriment de l’être humain – qui a remplacé l’exigence de respect du sabbat… qui est devenu, pour nous, une nouvelle loi.
Je crois que c’est « l’économie » – l’économie, parfois au détriment de l’être humain – qui a remplacé l’exigence de respect du sabbat… qui est devenu, pour nous, une nouvelle loi.
Les actualités
quotidiennes nous en donnent des preuves ici ou là :
- On n’hésite
pas à fermer un service hospitalier, une unité pédiatrique, comme à Garche, par
exemple[4]… par
souci d’économie.
- On laisse des
centrales nucléaires vieillissantes en activité, malgré les dangers pour la population…
par souci d’économie.[5]
- On est bientôt
prêt à ouvrir certains supermarchés le dimanche… par souci d’économie, pour
favoriser la consommation.
- L’industrie
agro-alimentaire nous vend de plus en plus de produits alimentaires, ultra-emballés
et de mauvaise qualité nutritionnelle… pour réduire ses coûts de fabrication et
augmenter ses marges, encore par souci économique.
- On n’hésite
pas, ici ou là, à délocaliser notre industrie, à exploiter des populations
pauvres et sous-payées à l’autre bout du monde, à faire travailler des femmes
et des enfants dans des conditions misérables… par souci de rentabilité
économique.
- Même dans les
terribles conflits armés, comme dans la bande de Gaza en ce moment, d’un côté,
on critique à demi-mots Israël pour son déchainement de violence qui touche
malheureusement des populations civiles, et de l’autre, sans rien dire, notre
pays est plutôt satisfait de vendre des armes aux belligérants, pour remplir
les caisses de l’Etat.
- Et on
pourrait, sans doute, multiplier les exemples.
L’argent, l’économie
et la croissance à tout prix, sont devenus les maîtres-mots, les nouveaux
dieux, la nouvelle loi qui fait courir le monde… bien souvent de façon
inhumaine… au détriment des plus petits, des plus pauvres, des plus précaires.
Et pourtant, comme
pour le sabbat, on pourrait dire que « l’économie
a été faite pour l’homme, et non pas l’homme pour l’économie ». Il ne
faut pas confondre la fin et les moyens !
* Il y a donc
bien dans l’Evangile une Parole qui vient nous bousculer et débusquer nos
idoles, nos erreurs et nos errances.
Dieu nous offre
de vivre avec l’Evangile et pas sous une loi… fut-elle religieuse ou
économique !
Tant que l’être
humain n’aura pas compris – comme Jésus nous le rappelle ici – que le principe
qui doit motiver nos actes et nos lois ne peut pas être déconnecté de la
recherche du bien, de la justice (cf. Mt 6,33 ; 12,7.12)… et
fondamentalement de l’amour du prochain… nous ne sortirons pas de nos erreurs
et de notre enlisement.
Il nous reste,
nous Chrétiens – humblement, et là où nous sommes – à essayer de vivre avec cet
Evangile :
Plus que toute
loi religieuse ou économique… « tu
aimeras ton prochain comme toi-même » (cf. Mt 22, 39).
Pour nous, cette
instruction – cette préoccupation de l’autre – est une Bonne Nouvelle, qui nous
donne une orientation… une direction de vie… Et cela nous libère de toute autre
loi.[6]
Amen.
[1] Le repos du 7ème
jour reçoit une signification différente en Ex 20,8-11 ; Dt 5,
12-15 ; Ex 23, 12.
[2] Initialement le mot Torah signifie
« instruction » ou « enseignement » et ne recouvre pas
l’idée de « loi » telle que nous la connaissons aujourd’hui. La Torah désigne les instructions que Dieu
donne à son peuple, plutôt qu’une « Loi ».
[3] Le contraste entre
« faire périr » (v.14) et « faire le bien » (v.12) saute
aux yeux des lecteurs.
[4] Je fais référence à
l’unité d’oncologie pédiatrique de Garches qui va fermer définitivement ses
portes, malgré la bataille humaine et juridique menée par des parents d’enfants
atteints de cancer qui s’opposaient depuis des mois à la fermeture de ce
service.
[5] Parce qu’en période de crise, on n’ose pas investir dans
d’autres sources d’énergie… et parce que le démantèlement des centrales est
vingt fois plus onéreux que prévu et laisse des déchets nucléaires dont on ne
sait que faire.
[6] De toute loi qui se
voudrait « autonome », c’est-à-dire qui prétendrait être à elle-même sa
propre loi et s’imposer à nous comme telle.
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