Mc 6, 1-6a / Mt 13, 53-58
Lectures
bibliques : Mc 1, 14-15 ; Mc 6, 1-6a ; Mc 12, 28-34
Thématique :
« préjugés » ou « confiance »…
accepter de remettre en question ses croyances, pour entrer dans la nouvelle
mentalité proposée par Jésus.
Prédication de
Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 24/08/14, culte avec baptêmes
* Qui d’entre
nous n’a jamais été témoin (ou victime) de préjugés ?
« Ah celui-là – ce jeune – est un fainéant,
un paresseux… il n’arrivera jamais à rien ! »
« Ah ça… on a déjà essayé… c’est pas
la peine… ça ne marchera jamais… ça ne changera rien ! »
« Ah untel… pas la peine de le
solliciter… on connait bien sa famille ! …. Inutile d’essayer ! »
« Ah celui-là ne porte pas un nom
français… ça ne passera jamais avec la clientèle… c’est même pas la peine de
regarder son C.V. »
« Ah ! Cette personne a un
handicap… ça risque de nous retarder dans l’organisation du travail… Faut mieux
prendre quelqu’un d’autre ! ». Etc. etc.
C’est, au fond, ce
que nous entendions déjà à l’époque de Jésus :
« Ah celui-là vient de Nazareth… il
ne peut rien sortir de bon de Nazareth ! « (cf. Jn 1, 45-46)
« Ah, cet homme !... on connaît
ses parents… c’est le fils du charpentier… comment pourrait-il être un prophète
ou le messie qu’on attend ? » (cf. Mc 6, 1-6). Etc. etc.
Ici ou là… à
titre individuel ou dans les structures collectives (associations et
entreprises)… nous ne sommes pas indemnes de préjugés, qui viennent parfois
polluer notre manière de voir les choses, et limiter nos capacités
d’innovation, d’imagination et d’action.
La plupart du
temps ces préjugés sont véhiculés, de façon sous-jacente, dans la société ou
dans nos familles, ou même dans la sphère médiatique, qui influence largement
nos mentalités.
Le terme
« préjugé » désigne ce qui a été jugé préalablement dans un cas
semblable ou analogue… l’opinion, a
priori favorable ou défavorable, qu’on se fait sur quelqu’un ou quelque
chose, en fonction de critères personnels, d’apparences ou d’appartenances.
Mais bien
souvent, il s’agit d’une opinion hâtive et préconçue, imposée par le milieu,
l’époque, l’éducation, ou due à la généralisation d’une expérience personnelle
ou d’un cas particulier.
Autrement dit,
les préjugés sont souvent des projections, des « partis pris », issus d’opinions arrêtées ou de sentiments
péjoratifs sans fondements, établis sur des éléments d’appréciation sommaires à
l’égard de personnes jugées différentes.
Ils reposent
souvent sur l’ignorance ou la méfiance. Et de ce fait, ils contribuent à propager
des « idées reçues » et constituent une forme d’aveuglement, de
jugement, de condamnation a priori,
qui génère la défiance, la peur de l’autre ou encore des formes de racisme.
L’histoire de
l’humanité en est malheureusement pleine. Mais elle est également et heureusement
semée d’exemples de grandes figures – d’humanistes, de théologiens, de
philosophes ou de scientifiques, de toutes les époques – qui ont dû et su braver
et se battre contre les préjugés, les conformismes et les conservatismes.
Bien que les
consciences et les esprits aient largement évolué depuis 2000 ans… il ne
faudrait pas croire que tout, aujourd’hui, est parfait… que notre 21e
siècle en est désormais préservé.
On peut toujours
en trouver quelques exemples, ici ou là :
- En ce qui concerne la religion, par
exemple. De nos jours, bien des hommes et des femmes – qui se disent « athées »
– voient la religion comme un vieux truc poussiéreux et moralisateur. Sans
distinction, ils associent la foi des Chrétiens du 21e siècle, à la
morale religieuse du 19e siècle, ou au fondamentalisme religieux qui
sévit dans certains pays, ou encore au monde des sectes soumis au dictat d’un
gourou qui maintient ses fidèles dans l’obscurantisme. Ils pensent que la foi
consiste à croire en des non-sens, des absurdités… peut-être parce qu’ils ne sont
jamais entrés dans un temple, parce qu’ils n’ont jamais ouvert l’Evangile et ne
savent pas, par exemple, que les Protestants ont toujours lutté pour la liberté
de penser et de conscience.
- Ailleurs, et dans d’autres domaines, d’autres
hommes ont d’autres préjugés. Et peut-être sommes-nous parfois de ceux-là. Ils
croient, par exemple, que le bonheur de l’être humain est forcément lié à « l’avoir »
et au « pouvoir »… que pour être heureux, il faut absolument
posséder, accaparer, consommer… avoir toujours plus, toujours davantage.
Cette croyance – que l’on peut considérer
comme un préjugé [1]
– est largement entretenue par la publicité et le monde médiatique. Elle
résulte d’une société entièrement tournée et soumise au dictat de l’économie (d’une
économie dite « capitaliste »)… une société obsédée par les chiffres,
par une réussite fondée sur le quantitatif, la croissance, la rentabilité… qui
nous entraîne dans une course effrénée et sans fin… qui, en réalité, ne mène
nulle part… sauf à tous les problèmes que nous connaissons aujourd’hui.
Beaucoup de nos contemporains pensent ainsi,
parce qu’on ne les ouvre pas à d’autres modèles, d’autres manières de penser…
parce que valoriser « l’être », le mieux-être, le qualitatif, le
relationnel, le don, le partage ou la solidarité… ça ne rapporte rien à ceux
qui détiennent les clés du pouvoir et qui veulent continuer à remplir leurs
poches ou leurs portefeuilles boursiers.
Alors, on nous fait tout simplement
croire qu’en faisant de même… nous serons, nous aussi, forcément plus heureux…
mais sans se soucier des conséquences de ce mode-de-vie fondé sur
l’accaparement et la convoitise, ni pour notre planète, ni pour les plus
pauvres qui vivent dans des conditions misérables, en grande partie du fait de
cette mentalité individualiste et consumériste.
- Autre exemple d’idée reçue : la
science ou plutôt le scientisme. On présente la science comme l’ultime rempart
contre l’ignorance et les préjugés. C’est en partie vrai, mais en partie
seulement [2]. En
idéalisant de façon exagérée (pour ne pas dire idolâtre) la science, on lui
octroie une confiance sans limite et on crée un nouvel impérialisme. On oublie pourtant
que les découvertes et les théories scientifiques sont toujours provisoires, que
nos connaissances évoluent sans cesse… et, de ce fait, que les vérité de demain
risquent sans aucun doute de remettre en question celles d’aujourd’hui… comme
celles d’aujourd’hui ont pu ébranler les prétendues vérités d’hier.
En réalité, nos avancées scientifiques
devraient nous pousser à plus d’humilité… nous qui sommes sur la planète terre à
l’image d’un grain de sable dans l’immensité de l’univers… nous qui ne savons
pas, aujourd’hui encore, de quoi sont constitués les 95% de la masse de
l’univers… puisque la matière noire et l’énergie sombre sont encore, pour nous,
totalement mystérieuses.[3]
En bref, un certain nombre de théories
scientifiques – réputées véridiques – appartiennent, en réalité, au domaine
spéculatif… et ne sont pas plus prouvable que l’existence même de Dieu.
- Pour élargir la panoplie, on aurait pu
également parler du racisme et il y a encore bien d’autres exemples de préjugés
qui sclérosent nos esprits. Chacun d’entre nous pourrait sans doute citer des
exemples plus personnels.
En tout cas… ce
qui est certain… c’est que nous vivons dans un monde où les préjugés existent
toujours… soit par ignorance, par manque d’éducation ou d’instruction… soit par
méfiance, par peur de l’autre ou par manque de confiance en de nouvelles
manières de penser (avec une perspective plus large et plus altruiste)… soit
par conservatisme, pour permettre aux privilégiés de notre monde (dont nous
faisons peut-être partie, d’une manière ou d’une autre) de conserver leur
sphère d’influence, leurs intérêts et leur confort, indépendamment – ou aux
dépends – d’autrui.
* Mais, en
réalité, il n’y a là… rien de nouveau sous le soleil ! A l’époque de
Jésus… il en était déjà de même.
On peut même
dire que Jésus s’est attaché à proposer aux hommes de son temps, la possibilité
de s’ouvrir à une nouvelle manière de penser : d’envisager autrement la
vie, notre rapport à Dieu et aux autres, de façon nouvelle.
C’est cette
injonction, cet appel qu’on retrouve au début de l’évangile de Marc :
« le règne – le monde nouveau de
Dieu – s’est approché, convertissez-vous – changez de mentalité – et croyez à
l’Evangile – à la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu » (cf. Mc 1, 15).
Pour Jésus, il
faut justement sortir des jugements et des préjugés qui nous limitent, nous
réduisent… et enferment les autres (voir par ex. Mt 7, 1-5 ; 12,
1-14 ; 15, 10-20). Rien n’est figé. Les choses peuvent évoluer : nous
pouvons vivre en harmonie les uns avec les autres, avec plus de fraternité, de
solidarité, de liberté… à condition que nous osions faire confiance à Dieu… à
condition que nous vivions dans l’amour de Dieu et du prochain (cf. Mc 12,
28-34)… à condition que nous ne nous préoccupions pas seulement de nous-mêmes,
mais aussi des autres, et notamment des plus petits parmi nos frères (cf. Mt 6,
Mt 7, Mt 25, Lc 16, etc.).
Les évangiles
nous montrent le « combat », à la fois, persévérant et pacifique, que
Jésus a mené face aux Religieux de son temps, pour faire place à plus de
compréhension et d’ouverture d’esprit entre les hommes – en donnant la lecture
d’une Torah et l’image d’un Dieu qui
accueillent et qui relèvent, au lieu d’exclure ceux qui étaient victimes de
préjugés : les péagers ou les Samaritains, les personnes malades ou handicapées,
les adultères ou les prostituées.
Le passage que
nous avons entendu ce matin, nous montre que Jésus lui-même a été victime de
préjugés.
Lui qui n’a
cessé de relever, de guérir, d’encourager… lui qui était sans doute considéré
comme un thérapeute, un guérisseur, a également rencontré le rejet de ses
contemporains, du fait de ses origines modestes.
Les évangiles
nous révèlent qu’une censure mentale que l’on peut appeler « préjugé de
familiarité » s’est développée à l’égard de Jésus… non pas à cause de ses
actes, de ses guérisons… ou simplement du fait qu’il venait bousculer les
conservatismes religieux en dépassant les pratiques en vigueur au sujet du
sabbat ou les règles de pureté… mais en partie à cause de la simplicité de ses
origines.
En effet, comme
ses concitoyens pensent bien le connaître… qu’ils savent de qui il est le fils
– « le fils du charpentier » (cf. Mt 13, 54-58) – ou qu’il n’est
lui-même rien de plus qu’un simple artisan (cf. Mc 6, 1-6) et qu’ils
connaissent sa mère, ses frères et ses sœurs… ils ne sont pas disposés à le
considérer autrement qu’ils se le sont toujours imaginé. Ils sont incapables de
lui donner une autre image que celle qu’ils lui connaissent déjà.
Et c’est cela,
au fond, s’arrêter à des préjugés, c’est manquer d’ouverture d’esprit et
d’humilité pour accepter de se remettre (soi, ses croyances et ses connaissances)
en question.
Ce n’est pas que
les auditeurs de Jésus contestent sa sagesse et les guérisons qu’il accomplit,
mais ils ne savent pas s’expliquer « d’où » cela lui vient (?) Et
comme ils connaissent sa parenté, ils n’arrivent pas à comprendre l’origine de
son autorité et des signes qu’il réalise… ils n’arrivent pas à admettre que
cela lui vient d’ailleurs… de Dieu… qu’il tire cette force de l’Esprit saint,
du souffle divin.
C’est pourquoi, finalement,
ils trouvent en lui un achoppement, un obstacle à la foi, à la possibilité d’entrer
dans la nouvelle mentalité – dans le monde nouveau : le royaume de Dieu –
que Jésus vient annoncer et proposer à notre monde.
En d’autres
termes… leurs supposées connaissances quant aux origines de Jésus et de sa
famille constituent pour certains de ses auditeurs un obstacle à la foi, un
blocage psychologique.
A l’opposé de la
confiance, cette familiarité avec la famille de Jésus suscite – au contraire –
de la défiance, de l’incrédulité vis-à-vis de celui qui est pourtant présenté
comme un maître de sagesse et un thérapeute extraordinaire.
Ici, la question
en jeu, n’est pas tant de savoir qui est
Jésus… mais d’où – de qui – tire-t-il
sa force et son enseignement (?). Et on voit que le fait de « savoir »
ou plutôt de « croire savoir » peut parfois constituer un obstacle à
la découverte et à la foi… quand on reste bloqué sur ses croyances, sans accepter
de les remettre en cause.
Un tel constat
peut nous interroger de façon plus personnelle : la foi et la croyance, ne
sont pas du même ordre. Acceptons-nous, en ce qui nous concerne, de remettre en
question nos croyances ?... nos manières de voir la vie, la société et
peut-être même Dieu ?
* Alors… pour
conclure… que pouvons-nous retenir de cette méditation ? Deux choses, peut-être :
- Premièrement… que
Jésus et son Evangile nous appellent encore aujourd’hui à sortir de nos
préjugés, de nos jugements ou de nos idées préconçues au sujet de notre
prochain ou des valeurs mises en avant par notre société.
Jésus nous
appelle à un changement de mentalité. Nous pouvons voir la vie autrement… du nouveau
peut surgir dans notre existence et notre monde… dès lors que nous nous inscrivons
dans la confiance en Dieu… en ce Dieu qui nous appelle à plus de justice et de
fraternité entre les hommes.
C’est, d’une
certaine manière, ce que Jésus affirme quand il dit que la foi peut nous
permettre de déplacer les montagnes (cf. Mc 11, 22s). Et, a contrario, qu’il ne peut faire aucun miracle, ne permettre aucun
changement, là où il n’y a ni foi ni d’espérance. [4]
C’est pourtant
cela que Jésus est venu apporter à notre monde : du changement, de la
nouveauté… en proclamant la proximité du règne de Dieu.
Alors osons lui
faire confiance !
- Deuxième et
dernier point… que signifie exactement « croire » ? Quelle est
cette foi à laquelle Jésus nous appelle ?
Croire, ce n’est
pas adhérer à un certain nombre de vérités concernant Dieu, Jésus, nous-mêmes
ou le monde. Ce n’est pas non plus adhérer à une religion et la pratiquer. Jésus
n’est pas venu créer une religion nouvelle, mais nous appeler à vivre autrement
sous le regard de Dieu.
Croire, c’est
d’abord tenir pour vrai ce que Jésus dit, reconnaître que c’est lui qui a
raison quand il annonce que le monde nouveau de Dieu est devenu tout proche et
qu’il nous appelle à changer de mentalité… à être enfin humains, comme Dieu le
désire et l’espère pour nous.
Croire, c’est
avoir compris avec Jésus que le salut qu’il nous apporte, nous pouvons y
prendre part, ici et maintenant, en inscrivant notre existence dans la vie
nouvelle qu’il nous propose… en nous appelant au service et au partage… en
vivant pleinement l’amour de Dieu et du prochain…. autrement dit, en
élargissant notre manière de voir la vie au-delà de nos cercles
habituels : de nous-mêmes, de ceux/ce que nous aimons ou de nos seuls
intérêts.
Alors, frères et
sœurs, laissons-nous transformer par celui qui nous propose simplement d’oser
lâcher nos fausses croyances, nos peurs et nos préjugés… pour vivre libres,
dans la foi et l’amour du prochain.
Amen.
[1] Les statistiques
semblent bien confirmer qu’il s’agit là d’un préjugé : La France, qui fait
partie des grandes puissances économiques et des pays dont le PIB/ habitant est
relativement élevé, est pourtant dans « top » des pays consommateurs
d’antidépresseurs. Par ailleurs, une étude a relevé que les populations des
pays « moins riches » (que les pays occidentaux) ne s’estiment pas
forcément « moins heureuses ». Au contraire, la joie de vivre y
paraît parfois plus grande. C’est également le constat que font bien des
voyageurs et des touristes à l’autre bout du monde. Preuve qu’il faut
déconnecter le sentiment de « bonheur » de celui de
l’« avoir »… que celui-ci se trouve sans doute ailleurs… dans le
partage et la joie des rencontres… dans les relations… les choses simples et
authentiques de la vie.
[2] Il est évident que la
science a permis à l’homme de développer des capacités d’observation, d’analyse
et d’esprit critique, en mettant à distance ses objets d’étude et
d’investigation… en passant de la théorie à l’expérience, et vice versa. Elle a
permis des progrès considérables dans de nombreux domaines. Ce qui nous a
permis, non seulement, de lutter contre les idées reçues (les préjugés et les
superstitions), mais surtout de vivre mieux et plus longtemps. Pour autant, la
science a – malgré tout – la fâcheuse tendance à déconsidérer tout ce qui ne
rentre pas dans son champ d’observation ou d’investigation, comme par exemple
la dimension spirituelle de l’homme.
[3] On aurait pu également
parler de « la théorie des cordes » selon laquelle l’univers
contiendrait, en réalité, 11 dimensions (cf. Edward Witten) et non pas seulement
nos 3 dimensions + le temps.
[4] C’est une certitude… les
choses ne peuvent jamais être autrement ni évoluer, tant qu’on ne croit pas
possible qu’elles puissent vraiment l’être, tant qu’on ne croit pas à la
possibilité même d’un changement.
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