Lectures bibliques : 1 Co 3,16.
17b ; Mc 10, 46-52
Thématique : la foi obstinée de
Bartimée
Prédication
de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 20/06/15
(inspirée
d’une méditation d’Anselm Grün)
* Nous
connaissons bien ce récit de guérison raconté par l’évangile. L’évangéliste
Marc commence par présenter les personnages en présence : Jésus, ses
disciples, une grande foule et Bartimée. Il laisse entendre la détresse de ce
dernier personnage : il est aveugle ; il est assis ; il est au
bord du chemin ; il est en train de mendier. C’est l’exemple même de la
marginalité.
Evidemment,
à cette époque, il n’y avait rien – aucun de système de prestations sociales,
aucune allocation de solidarité – pour venir en aide aux personnes handicapées.
En tant qu’infirme, Bartimée est condamné à la mendicité pour pouvoir survivre.
Maintenant,
si on regarde la fin du récit, la situation est complètement inversée,
totalement transformée pour Bartimée : il n’est plus l’aveugle, assis au
bord de la route, mais il voit, il est debout et il suit Jésus sur le chemin…
c’est-à-dire qu’il devient « disciple » de Jésus.
Alors, que s’est-il passé pour cet
homme ?
En
réalité, l’évangile ne raconte pas tout. On ne sait pas si Jésus a accompli
quelques gestes particuliers de guérison. Mais Jésus conclut, pour sa part, que
c’est la foi de Bartimée qui l’a sauvé, qu’il l’a guéri.
Quelle est donc cette foi ?
Pour le
découvrir, il faut nous arrêter quelques instants sur l’attitude de Bartimée.
Tout
commence par des cris, par une volonté farouche de se faire entendre. Ayant
entendu dire que Jésus allait sortir de Jéricho avec une foule considérable, il
se met à crier « Fils de David,
Jésus, aie pitié de moi ! ». Il est aveugle ; il ne peut
donc se faire remarquer autrement qu’en criant. Mais ce brouhaha dérange bien
des gens autour de lui, qui le rabrouent et lui commandent de se taire.
Loin
d’être découragé, Bartimée crie de plus belle. Alors, Jésus s’arrête et appelle
ses disciples à changer d’attitude. Il leur dit « appelez-le ». Il leur demande de l’appeler eux-mêmes à
venir à lui, au lieu de le mettre distance.
Les
disciples obtempèrent. Ils encouragent maintenant l’aveugle à
s’approcher : « Confiance,
lève-toi, il t’appelle ! » Celui-ci, rejetant son manteau, se
lève d’un bond et vient vers Jésus (v.49-50).
Après
avoir manifesté son désir d’être guéri par ses cris incessants afin qu’on le
remarque, Bartimée réagit maintenant en accomplissant trois pas :
En
jetant son manteau – geste symbolique – il abandonne d’une certaine manière ses
défenses, son identité d’aveugle. Il quitte la carapace qui le protège ; il
tombe le masque derrière lequel il se cache. Il veut se présenter devant Jésus
tel qu’il est, avec son dénuement et sa détresse.
Puis, il
bondit, électrisé par l’invitation de Jésus. Enfin, alors qu’il n’y voit rien,
il met toute sa force dans ce mouvement, en courant vers Jésus. Il exprime
ainsi son enthousiasme à le rencontrer et à solliciter son aide.
Mais les
choses ne s’arrêtent pas là. Une fois devant lui, Jésus lui demande encore ce
qu’il veut, il interroge sa volonté : « Que
veux-tu que je fasse pour toi ? »
Drôle de
question ! La chose paraît évidente : l’aveugle veut voir !
Mais si
Jésus le demande, c’est qu’il veut d’abord rencontrer l’homme. Il l’incite à
parler de lui, à se dire, à se raconter… à ne plus se laisser traiter comme un
objet posé là au bord du chemin, qui attend tout et dépend totalement des
autres… Il l’invite à dire sa propre volonté de sujet : « que veux-tu vraiment ? »
C’est également
ce que nous pouvons faire et exprimer dans nos prières adressées à Dieu :
que voulons-nous vraiment ? Quels sont nos vrais désirs, nos projets ?
Qu’est-ce que notre âme désire profondément ? Le savons-nous ?
Osons-nous le dire ou le demander à Dieu ? Que voulons-nous qui nous
rendrait plus vivants… en paix… réconciliés avec nous-mêmes ?
Pour
guérir, il faut que le souffrant manifeste son désir d’une autre vie.
Jésus
met ainsi Bartimée en contact avec son vrai Soi, avec son désir le plus
profond. C’est une manière de l’engager dans sa guérison, de le rendre
partie-prenante de son salut.
Enfin,
l’homme aveugle rencontre quelqu’un qui l’écoute et lui permet d’exprimer son
propre désir. Il répond simplement à Jésus : « Rabbouni, mon maître, que je retrouve la vue ! »
Et c’est
ce qui va se passer : Jésus lui dit « va,
ta foi t’a sauvé ! » et l’homme recouvre la vue.
Alors – on se posait la question – quelle
est donc cette foi qui sauve Bartimée ?
C’est,
bien sûr, sa confiance en Jésus, mais plus encore l’obstination dans la
confiance.
En
effet, pour atteindre Jésus, Bartimée a dû surmonter les obstacles, lutter et
se faire entendre. C’est vraiment son obstination qui lui permet cette
rencontre avec Jésus et l’accès à une guérison.
La foi –
dont on parle ici – ce n’est pas simplement une croyance : rien ne nous
dit dans ce récit que Bartinée avec une foi orthodoxe, qu’il avait la bonne
doctrine (qu’il croyait ceci ou cela). Cette foi véritable, c’est un mouvement
conduit par le désir, par le cœur et la volonté… un mouvement de l’être tout
entier.
C’est ce
mouvement de confiance qui rend Bartimée « acteur » de sa propre vie…
qui l’aide à surmonter les épreuves et son handicap, jusqu’à atteindre son
but : rencontrer Jésus et être un homme debout.
Ce sont
ce mouvement et cette rencontre qui l’installent dans sa propre humanité.
La
manière dont Jésus s’y prend avec Bartimée est très intéressante. D’une certaine
façon, ce n’est pas lui qui le guérit de l’extérieur, comme par magie, mais
c’est la foi de Bartimée qui est agissante… qui le sauve de l’intérieur… comme
Jésus le conclura lui-même.
En
l’invitant à se déplacer, à quitter le rôle d’aveugle dans lequel la société et
les autres hommes l’avaient enfermé et en l’invitant à exprimer son propre
désir, Jésus renvoie Bartimée à lui-même, à sa propre confiance.
C’est
d’ailleurs comme cela que ça fonctionne dans beaucoup de thérapies ou de
guérisons de pathologies :
Ce n’est
pas le médecin qui nous guérit de l’extérieur, mais c’est d’abord notre
confiance ou la confiance que nous avons en notre médecin ou notre thérapeute,
qui nous met en contact avec les forces curatives que nous avons à l’intérieur
de nous, de sorte que nous participons nous-mêmes au processus de guérison.
Comme
Bartimée, nous avons besoin de rencontrer d’autres hommes, des personnes à
l’écoute et bienveillantes, qui nous aident à nous exprimer et à nous relever. Mais
nous devons aussi agir, sans tout attendre des autres, et faire confiance à ce
qui est en nous… en nous mettant en contact avec nos vrais désirs, pas ceux que
les autres projettent ou calquent sur nous, ni ceux qu’ils nous inculquent, ni
les rôles qu’ils nous font jouer ou que la société nous incite à occuper.
En
dernière instance, notre vrai Soi, notre âme sait ce qui lui fait du bien. Ce qui
est nécessaire, c’est de reprendre contact avec notre âme ancrée en Dieu… avec
notre propre profondeur, avec cette partie spirituelle de nous-mêmes qui est en
contact avec l’Esprit divin.
C’est la
raison pour laquelle il est important de prendre du temps pour soi, pour se
ressourcer spirituellement (par la prière, la méditation, le contact avec la
nature, etc.), pour être en contact avec les forces vivifiantes qui sont en
nous et que nous avons tendance à mettre de côté ou à ignorer.
Ainsi,
comme Bartimée, par la confiance en Dieu agissant en soi, dans notre
intériorité, notre vie peut apparaître dans une nouvelle lumière, nous pouvons
sortir de nos aveuglements et prendre notre vie en mains.
* Voilà
donc ce que nous pouvons retenir de ce récit biblique : la foi, c’est une
confiance, mais c’est aussi une persévérance, une obstination dans la
confiance, qui nous rend « sujet », acteur et responsable de notre
propre vie… qui nous libère des rôles qu’on nous fait jouer, pour faire nos
propres choix, en relation avec l’Esprit de Dieu qui habite en chacun de nous.
Ce qui peut
marquer notre attention dans cette rencontre, c’est la façon dont Jésus s’y
prend avec Bartimée : il fait tout pour que l’aveugle prenne l’initiative,
se mette en mouvement et exprime son désir de vivre. Plus que de faire
disparaître la maladie, il met l’homme en marche sur une route nouvelle,
dynamique et salvatrice.
C’est
peut-être cela notre rôle de « témoins de l’Evangile », à la suite de
Jésus : être pour chacun de ceux que nous croisons une occasion de rencontre
avec lui-même et avec Dieu ; être un intermédiaire sur la route – un
questionneur, comme Jésus – qui favorise le mouvement, la quête de ce qui est
beau et intact en soi… qui conduit chacun à lui-même, devant Dieu.
Par
ailleurs, la question que Jésus adresse à Bartimée est aussi une question pour
chacun d’entre nous. Nous avons peut-être des blessures, des amertumes, des
culpabilités, des souffrances en nous. Nous cherchons, nous aussi, la paix et
la réconciliation.
Aussi,
laissons-nous déplacer et interroger par Jésus : « Que veux-tu que je guérisse en toi ? »
Osons
lui confier et lui formuler nos véritables désirs, dans le secret du cœur à
cœur.
Amen.
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