dimanche 31 mai 2015

Mt 20, 1-16

Lectures bibliques : Jn 15, 1-5a ; Mt 20, 1-16 
Thématique : travailler et se laisser travailler, plutôt que de se comparer
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 31/05/15 & Nérac, le 28/06/15
(Partiellement inspirée d’une méditation de Anslem Grün)

Prédication = voir plus bas

Lectures bibliques

Jn 15, 1-5a

1« Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron. 2Tout sarment qui, en moi, ne porte pas de fruit, il l’enlève, et tout sarment qui porte du fruit, il l’émonde, afin qu’il en porte davantage encore. 3Déjà vous êtes émondés par la parole que je vous ai dite. 4Demeurez en moi comme je demeure en vous ! De même que le sarment, s’il ne demeure sur la vigne, ne peut de lui-même porter du fruit, ainsi vous non plus si vous ne demeurez en moi. 5Je suis la vigne, vous êtes les sarments : celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là portera du fruit en abondance

Mt 20, 1-16

1« Le Royaume des cieux est comparable, en effet, à un maître de maison qui sortit de grand matin, afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne. 2Il convint avec les ouvriers d’une pièce d’argent pour la journée et les envoya à sa vigne. 3Sorti vers la troisième heure, il en vit d’autres qui se tenaient sur la place, sans travail, 4et il leur dit : “Allez, vous aussi, à ma vigne, et je vous donnerai ce qui est juste.” 5Ils y allèrent. Sorti de nouveau vers la sixième heure, puis vers la neuvième, il fit de même. 6Vers la onzième heure, il sortit encore, en trouva d’autres qui se tenaient là et leur dit : “Pourquoi êtes-vous restés là tout le jour, sans travail ?” – 7“C’est que, lui disent-ils, personne ne nous a embauchés.” Il leur dit : “Allez, vous aussi, à ma vigne.” 8Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : “Appelle les ouvriers, et remets à chacun son salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers.” 9Ceux de la onzième heure vinrent donc et reçurent chacun une pièce d’argent. 10Les premiers, venant à leur tour, pensèrent qu’ils allaient recevoir davantage ; mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d’argent. 11En la recevant, ils murmuraient contre le maître de maison : 12“Ces derniers venus, disaient-ils, n’ont travaillé qu’une heure, et tu les traites comme nous, qui avons supporté le poids du jour et la grosse chaleur.” 13Mais il répliqua à l’un d’eux : “Mon ami, je ne te fais pas de tort ; n’es-tu pas convenu avec moi d’une pièce d’argent ? 14Emporte ce qui est à toi et va-t’en. Je veux donner à ce dernier autant qu’à toi. 15Ne m’est-il pas permis de faire ce que je veux de mon bien ? Ou alors ton œil est-il mauvais parce que je suis bon ?” 16Ainsi les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. »

Prédication

* Cette parabole bien connue que Jésus nous propose peut être interprétée à plusieurs niveaux. L’histoire avec ses différents personnages nous livre deux surprises :

- La première, c’est que le maître de maison embauche des ouvriers à toute heure de la journée… y compris en fin de journée… même s’il ne reste plus qu’une heure à travailler. En effet, on apprend que le maître sort à 5 reprises pour embaucher, depuis le petit matin et jusqu’à 17h, alors même que la journée de travail s’achevait à 18h.

Ce propriétaire étonnant est évidemment une image de Dieu : un maître bon, généreux et bienveillant qui appelle tous ceux qu’il rencontre à devenir artisans de son royaume et qui prend soin de chacun d’eux, quelle que soit l’heure à laquelle on le rencontre et on répond à son appel.

- La seconde surprise que nous offre la parabole, c’est que les derniers ou les premiers sont tous payés de même, alors qu’ils n’ont pas travaillé la même durée.

L’histoire nous déplace ainsi au-delà de la logique habituelle du mérite, du donnant-donnant. Par son attitude de bonté inattendu, le geste généreux du patron à l’égard des derniers ouvriers vient briser la proportionnalité entre récompense et œuvre accomplie.

Ainsi, la parabole nous livre deux enseignements :

- Elle nous révèle, d’une part, que la véritable grâce n’est pas d’abord liée au montant de la récompense, mais à l’embauche. La véritable grâce c’est de pouvoir œuvrer et travailler pour la vigne de ce maître bon et généreux. C’est quelque chose qui réjouit, plutôt que de rester sans rien faire, sans projet.

- D’autre part, elle nous appelle à sortir de nos logiques et nos mentalités habituelles pour rejoindre et imiter l’attitude du maître… autrement dit : 1) ne pas penser en termes de mérite, de calcul, de rétribution, mais s’inscrire dans la gratuité...  2) ne pas nous comparer aux autres, mais travailler dans la reconnaissance… 3) enfin, reconnaître chacun pour ce qu’il est – comme un frère ou une sœur, un enfant aimé de Dieu – et non pour ce qu’il fait. Ce qui n’est pas toujours facile, tant nous avons l’habitude de nous comparer aux autres.

* Et c’est bien là tout le problème. La plupart des gens se comparent aux autres. C’est ce qui les rend malheureux. Et cela commence dès l’enfance : « Lui, il a ceci… et moi, j’ai ça !... ce n’est pas normal ! C’est injuste !... »
Si les autres ont plus, ça nous rend jaloux et envieux. Si les autres ont autant sans l’avoir apparemment mérité, ça nous rend irritables et mécontents. Si les autres ont moins, ça peut nous rendre suffisants et prétentieux.

Beaucoup de personnes éprouvent de la jalousie parce que d’autres ont ce qui leur manque. Ils se sentent injustement traités par Dieu ou par le destin.
Ce sentiment d’injustice vient de notre propension à nous juger par rapport aux autres – et à les juger par rapport à nous – en nous comparant réciproquement.
Or, nous voyons à travers cette parabole que cette tendance naturelle à nous confronter à autrui nous rend mécontents et non heureux. Elle nous mène dans une impasse, car une telle attitude sous-entend, implicitement, que le bonheur serait conditionné à nos possessions (à nos avoirs ou nos mérites)… à la quantité de notre avoir… à ce que nous devrions posséder nous-mêmes, plutôt qu’autrui.

Ainsi, plutôt que de se satisfaire de ce qu’ils ont – une pièce d’argent – pour faire vivre leur famille pour la journée, les premiers ouvriers n’admettent pas que les autres – ceux qui ont travaillé moins longtemps – puissent être traités de la même manière qu’eux et devenir leurs égaux.

Face à cela, la remarque finale de l’intendant (N’ai-je pas le droit de disposer comme je le veux de mon bien ? Verrais-tu d’un mauvais œil que je sois bon ?) rappelle que chacun est libre de faire autrement : de changer de mentalité et d’agir avec bonté. Elle nous appelle à nous défaire de cette mauvaise habitude de nous comparer à autrui.
Un tel comportement nous rend insatisfaits et nous divise. Il révèle que nous ne nous acceptons pas nous-mêmes.

* Aujourd’hui encore, la mentalité des premiers ouvriers est courante dans notre monde. C’est, d’une certaine manière, le résultat de la publicité qui nous appelle sans cesse à consommer. Elle est comme une petite voix – celle de la convoitise – qui nous dit : « tu peux avoir plus, avoir mieux que ce que tu as. Ta situation actuelle n’est pas satisfaisante, tu mérites mieux, tu peux rêver et obtenir mieux ou davantage ! » … un peu comme le serpent qui invitait Eve à succomber à la tentation en croquant le seul fruit défendu, alors que tous les autres étaient à sa portée.

Nous avons vite fait de comparer notre situation à celle du produit en vente ou à celle de notre voisin qui vient d’acquérir telle ou telle nouvelle chose à la mode. Nous pensons que notre vie serait vraiment meilleure et réussie si nous étions aussi beau, aussi intelligent et aussi riche que d’autres.

Mais, à bien y regarder, tout cela n’est que vanité et joue sur notre orgueil et notre égo. C’est une course sans fin – perdue d’avance –, car on pourra toujours trouver ou rêver mieux.
Par ce genre d’attitude, nous ne pouvons que nous sentir lésés. Nous nous empêchons de vivre pleinement et librement.

* Bien souvent, lorsque nous entendons cette parabole pour la première fois, elle nous choque : nous nous identifions facilement aux premiers ouvriers et nous trouvons injuste que les derniers ouvriers soient traités comme les premiers.
Si cela se produisait dans la vie réelle, dans une entreprise, le patron devrait faire face à un certain nombre de récriminations.

[Imaginez ce qui se passerait si un patron tenait compte de la situation personnelle de ses ouvriers et ne les rémunérait pas en fonction de leur temps de travail, mais juste par charité fraternelle. Un tel patron aurait rapidement les syndicats sur le dos et devrait, tôt ou tard, s’expliquer devant les « prud’hommes » !
De même, imaginez qu’un homme politique – un maire, par exemple – commence à agir comme ça gratuitement, en tenant compte des besoins de chacun, sans s’arrêter à leur bon droit. Ce serait rapidement la révolte de tous les « biens méritants » qui revendiqueraient leur dû !
Comme quoi la vraie justice n’est pas d’abord une question de droit ou de mérite, mais relève de la bonté, de la miséricorde du donateur, qui tient compte, ici, de la situation de chacun, et qui, en donnant autant aux derniers, leur permet, à eux aussi, de nourrir leur famille.]

D’un point de vue chrétien, l’attitude de ce maître, c’est-à-dire de Dieu – dont Jésus nous dit qu’il agit avec grâce à l’égard de tous et qu’il donne autant aux derniers qu’aux premiers – peut aussi nous choquer.
Les chrétiens qui s’efforcent d’obéir aux commandements de Dieu, de s’engager pour l’Eglise, d’accomplir tous leurs « devoirs », pourraient être mécontents de constater que ceux qui n’observent aucun commandement n’en vont pas moins au ciel.
Penser que la fameuse chanson, qui affirme qu’« on ira tous au paradis », dit peut-être vrai peut contrarier ceux qui ont répondu à l’appel de Dieu dès leur jeunesse, en s’attachant à respecter scrupuleusement un certains nombres de règles et de normes. 

Mais Jésus vient remettre en question un tel raisonnement. Il ne faut pas imaginer la vie chrétienne comme une vie de sacrifices, de devoirs ou de renoncements.
Dans la parabole, la véritable grâce c’est d’être embauché, c’est de travailler dans la vigne du Seigneur.

Or, l’évangile nous apprend – dans l’autre passage que nous avons entendu (dans l’évangile selon Jean : Cf. Jn 15) – que nous sommes nous-mêmes les sarments de la vigne.
Le travail qui nous incombe est donc avant tout un travail sur soi : Suivre le Christ, c’est, bien sûr, travailler pour l’avènement du règne de Dieu, pour un royaume d’amour, de justice et de paix, qui s’inscrit dans la fraternité (et cela nous pouvons essayer de le vivre dans notre vie quotidienne, dans nos rapport aux autres, notre vie familiale, notre vie professionnelle ou nos engagements associatifs). Mais un tel royaume ne peut advenir que s’il commence déjà dans nos cœurs, que si nous changeons nous-mêmes de mentalité.

Suivre Jésus est un chemin d’humanisation qui commence par soi. Notre premier travail, en tant que chrétien c’est de nous évangéliser nous-mêmes. Et ce travail qu’on fait sur soi porte déjà en lui-même sa propre récompense.
Le salaire n’est pas quelque chose d’extérieur qu’on reçoit en fin de journée, à la fin de sa vie (comme une récompense). Il réside dans le sens donné à la vie.
Ce sens nous le trouvons dans la grâce de l’appel, en répondant dans notre cœur et notre vie à l’amour de Dieu, en vivant selon l’Evangile… une vie qui a du sens et qui rend heureux… parce qu’elle est fondée sur la confiance et la bonté, à l’image de Dieu.

C’est pourquoi, par leurs récriminations, les premiers ouvriers ne semblent pas avoir vraiment compris le projet de leur maître :
- D’une part, ils sont dans la logique du mérite, de la revendication et non dans celle de la grâce.
- D’autre part, ils se comparent aux autres, ce qui les rend envieux et malheureux.
- Enfin, ils imaginent – à tort – que le sort de ceux qui n’ont travaillé qu’une heure dans la vigne était plus enviable et meilleur que le leur.

Il est vrai que les gens qui ont un travail – qui ont une vie qui a une orientation, une direction – ne s’imaginent pas toujours à quel point c’est angoissant d’être au chômage, de ne pas savoir si on pourra subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Ils n’imaginent pas ce que ces hommes ressentent, eux, qui sont dans l’attente, qui restent toute la journée sans rien faire, parce que personne ne les a embauché. Ils ignorent à quel point leur vie peut apparaître vide de sens, à quel point ils peuvent se percevoir comme inutiles et superflus.
[Et je peux dire que dans les associations caritatives – comme l’Entraide – on rencontre le mal-être de ces personnes.]

Certes, à l’époque, c’était pire ! Il n’y avait pas d’allocation chômage, ni de minima sociaux. Mais, même avec l’apparition des prestations sociales, peut-on vraiment envier le sort de ceux qui n’ont pas ou plus de projet professionnel, faute de perspectives ?

Dans la parabole, quand le maître les embauche, même en fin de journée, c’est l’espoir qui renaît pour ces hommes. Et quand ils reçoivent leur paye, c’est la joie qui domine.

* Quelques pères de l’Eglise ont attribué un symbolisme à la pièce d’argent, au denier reçu par les travailleurs. Ils considèrent le denier comme une image de l’accès de l’être humain à son unité et à son intégrité intérieure. Pour eux, cette pièce ne représente pas une récompense extérieure, mais quelque chose qui symbolise l’unité intérieure et l’union réalisée avec Dieu.

Le véritable travail que nous avons à faire est un chemin de maturation humaine et spirituelle.
Devenir un être humain à part entière, en harmonie avec soi-même, c’est là le seul salaire. Cela est suffisant. C’est ce que représente la seule et unique pièce d’argent offerte à chacun.
Et c’est là notre seul but sur cette terre : travailler dans la vigne, c’est travailler sur soi-même, c’est mûrir, évoluer, progresser et grandir intérieurement, à travers les joies et les épreuves de l’existence.
Ce travail nous rend plus vivants que de ne rien faire. Il nous fait accéder à notre vrai soi, au meilleur de nous-mêmes. Il nous permet de trouver l’unité et l’harmonie intérieure.

* Autrement dit – et je conclurai par là – la parabole nous fait réfléchir à ce que signifie le travail dans la vigne du Seigneur :

Si nous nous comparons aux autres, nous pouvons nous fâcher de ce que certains ne font rien de leur vie. Mais ce faisant, nous avouons implicitement que nous aimerions faire de même.

En réalité, nous devrions plutôt éprouver de la compassion vis-à-vis de ceux qui semblent perdus et ne trouvent pas de chemin. Nous devrions les soutenir et les aider.[1]
En nous comparant aux autres, nous sommes comme des jeunes enfants immatures qui se jalousent et se disputent, au lieu de se réjouir pour ce qu’ils ont.

Au contraire, si nous prenons plaisir à travailler dans la vigne du Seigneur, nous sortons de la logique de la comparaison, de la rivalité ou de la concurrence. Nous pouvons rendre grâce pour la vie qu’il nous est donné de vivre et nous nous réjouissons pour les autres s’ils trouvent un moment donné le chemin vers la vie.

Cette parabole nous invite donc à sortir des comparaisons qui nous rendent toujours insatisfaits. Elle nous invite à aller notre chemin avec reconnaissance, en nous contentant de ce que nous avons, sans nous satisfaire de ce que nous sommes… car Dieu nous invite toujours à progresser… à trouver et à offrir le meilleur de nous-mêmes… à apprendre le chemin de l’amour.

Amen.




[1] Selon cette parabole, la fraternité ce n’est pas regarder ce qu’ont les autres et qu’ils doivent mériter, mais c’est les accueillir et leur permettre d’avoir de quoi subvenir à leurs besoins, même s’ils ne sont pas en état de mériter ce dont ils ont besoin. Autrement dit, la fraternité ne passe pas par le calcul et le mérite, mais par la gratuité et la générosité.

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