Lectures bibliques : Es 54, 1-8 (ou
Es 62, 1-5) ; Jn 2, 1-12
Thématique :
le signe d’une nouvelle alliance qui appelle à la joie et à a la communion
fraternelle
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 10/01/16
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 10/01/16
Le récit des noces de Cana n’est relaté que dans
l’évangile selon Jean. C’est le premier signe accompli par Jésus, au début de
son ministère public.
C’est un récit
extrêmement troublant, dans la mesure où on a affaire, en apparence, à un pur
miracle matériel – changer l’eau en vin – dont on ne peut guerre trouver
d’explication rationnelle au XXIe siècle.
Les plus
rationalistes ou les plus septiques auront du mal admettre que Jésus ait
réellement pu accomplir un tel prodige surnaturel. Ils mettront en avant
l’aspect légendaire de ce récit.
Les plus
évangéliques ou les plus littéralistes, quand à eux, ne remettront pas en cause
une telle possibilité. Si vraiment Dieu agit en Jésus Christ, pourquoi
n’aurait-il pas pu agir sur la matière ? Si la foi peut déplacer les
montagnes… pourquoi Jésus n’aurait-il pas réellement pu intervenir sur les
éléments, lui qui était un guérisseur, un thaumaturge extraordinaire.
Quoi qu’il en
soit, nous ne saurons sans doute jamais ce qui s’est vraiment passé ce jour-là.
Et d’ailleurs, le récit de Jean est trop bref, pour nous renseigner précisément.
Il ne décrit absolument pas le miracle en lui-même.
Plutôt que de
diviser les lecteurs de l’évangile, entre les rationalistes, d’un côté, et les
littéralistes, de l’autre, on peut, en réalité, essayer de réconcilier tous les
auditeurs en essayant de comprendre pourquoi Jean raconte cet épisode et ce
qu’il entend par le terme « signe ».
Il précise, en
effet : « Tel fut, à Cana de
Galilée, le commencement des signes de Jésus. Il manifesta sa gloire et ses
disciples crurent en lui » (v.11).
Pour
l’évangéliste Jean, un « signe » n’est pas seulement un
« miracle », mais c’est une révélation, c’est une manifestation, une
épiphanie. Cela signifie qu’à travers un événement particulier, c’est la
présence et l’action de Dieu qui apparaissent.
Jean le précise
en disant : « [Jésus] manifesta
sa gloire ».
Cette
affirmation a de quoi nous étonner. Le mot « gloire » renvoie
normalement à la présence et à l’action de Dieu.
Le fait qu’il
soit appliqué ici à l’intervention de Jésus signifie que, pour Jean, le
véritable miracle est là : Dans la personne de Jésus, l’Esprit de Dieu est
devenu visible et accessible.
A travers Jésus,
c’est Dieu qui manifeste sa « gloire ». Autrement dit, l’Esprit de
Dieu est présent et agissant en Jésus.
Il faut
s’arrêter un instant sur la signification de ce « signe ». Ce que
l’évangéliste Jean présente ici, c’est une sorte de « miracle de
prodigalité » qui révèle la surabondance offerte par Dieu, en Jésus
Christ :
Grâce à
l’intervention de Jésus, un temps nouveau est inauguré : le vin peut
couler à nouveau et à flot, c’est la joie et la fête qui sont offertes en
abondance.
Pour les
premiers lecteurs de l’évangile, le signe de Cana devait être parlant :
- Dans l’Ancien
Testament, les motifs de la noce et du vin en surabondance évoquent la fin des
temps et la venue du Messie (cf. Es 54,4-8 ; Es 62, 4-5 ; Es 25,
6 ; Am 9,13 ; Os 2,24 ; Jr 31,5)
- Dans la
culture grecque, d’autre part, le motif de la transformation de l’eau en vin
était liée au nom de « Dionysos » et signifiait une épiphanie, une
manifestation du divin. (Les romains, quant à eux, parleront plutôt de
« Bacchus ».)
A travers cet
épisode, Jean veut donc nous dire qui
est Jésus :
Pour lui, c’est
le Verbe de Dieu, Celui qui est venu révéler et manifester la présence du Père.
Le motif des
noces peut recevoir plusieurs niveaux de lecture :
- Dans le sens
immédiat, les noces sont le lieu de la joie et de l’amour, du triomphe de la
vie.
- Au sens
symbolique, dans l’Ancien Testament, la métaphore des noces signifie
l’irruption de la fin comme temps du salut.
Ici, à travers
ce signe, Jésus est donc présenté comme Celui qui apporte la vie et le salut.
De nombreux
autres détails élargissent encore le sens de ce récit :
L’évangile
précise, par exemple, que cela se passe le 3ème jour.
Plusieurs sens
peuvent être donné à cette précision :
- Dans la
tradition juive, le 3ème jour est celui de la révélation de Dieu au
Sinaï (cf. Ex 19, 10-11 et 16).
- Dans la
tradition chrétienne, il correspond au jour de la résurrection, qui est aussi
l’événement de la révélation par excellence.
Le personnage de
Marie est aussi très intéressant :
La fête des
noces – qui durait une semaine entière au cours de laquelle les invités
festoyaient et rendaient une visite aux nouveaux mariés – est marquée par un
incident : le vin vient à manquer, si bien que la poursuite de la fête est
compromise.
Marie, qui n’est
pourtant qu’une invitée parmi d’autres, le remarque.
Sa déclaration –
« ils n’ont pas de vin »
– est une demande indirecte, une requête
voilée adressée à Jésus.
Elle montre sa
totale confiance en son fils.
Dans une
situation de manque ou de détresse, c’est à lui qu’il faut s’adresser… c’est de
lui qu’il convient d’attendre aide et restauration de l’abondance.
Sa consigne aux
serviteurs – « quoi qu’il vous dise,
faites-le ! » – exprime sa confiance inconditionnelle en son
fils.
Marie incarne ici
le visage de la foi. Elle a la ferme espérance que Jésus va agir de façon
réparatrice et libératrice.
- Au niveau
humain, Marie représente la femme pleine d’attention et de sollicitude… mais
aussi celle qui est remplie d’espérance et de foi.
- Au niveau
spirituel, Marie symbolise la Fille de Sion. Elle représente Jérusalem ou l’Israël
mystique, qui se plaint d’un manque.
En effet,
au-delà de ce qui ce joue à Cana, dans ce petit village perdu de Galilée, le contexte
nuptial a un sens plus profond :
Il fait
référence à l'Ancien Testament et à la grande métaphore développée depuis le
prophète Amos : Dieu a pris Israël pour
épouse.
C’est ce
qu’annonce aussi le Cantique des cantiques et ce que déclare le prophète Esaïe
: « ton créateur est ton époux, le
Seigneur des Armées est son nom » (Es 54, 5).
Dans ces noces
mystiques entre Dieu et son peuple, le vin joue un grand rôle : il est la
marque de l'abondance divine et de la nouvelle alliance qui se scelle dans le
grand banquet nuptial.
Mais, ici, un
événement inattendu est en train de se jouer : aux noces de Dieu avec son
peuple, le vin vient à manquer.
Si le vin est la
marque de l’alliance de Dieu avec son peuple… l’absence de vin signifie que
cette alliance s’épuise… que la joie de communion entre Dieu et son peuple
n’est plus au rendez-vous. Et donc qu’une nouvelle alliance doit être conclue.
Marie se plaint
au Fils de Dieu de ce manque de vin.
Jésus semble lui
répondre avec distance et dureté en l’appelant « femme ».
Mais ce terme
renvoie en réalité à ce que Marie représente ici : elle figure la fille de
Sion – Jérusalem – qui dans le livre d’Esaïe, se plaint auprès du Seigneur
d’avoir été oubliée (cf. Es 49,14).
La réponse de
Jésus « mon heure n’est pas encore
venue » suggère que le moment décisif du destin de Jésus n’est pas
encore advenu.
Dans l’évangile
selon Jean, « l’heure »
désigne le moment suprême de la révélation, l’heure de passer de ce monde à son
Père (cf. Jn 13, 1).
L’heure décisive
est celle de la croix, c’est-à-dire de la glorification et de l’élévation de
Jésus auprès de Dieu.
Cette précision
indique que c’est à la lumière de la croix qu’il faut interpréter le signe de
Cana.
L’évangile donne
alors des précisions qui appellent à une lecture symbolique du récit :
« il y avait là six jarre de pierre,
destinées au purifications des Juifs, contenant chacune deux ou trois
mesures » (v.6)
Cela représente
une contenance entre 480 et 720 litres. Ce qui révèle l’extraordinaire
surabondance du signe de Cana.
Ces jarres sont
en pierre, ce qui symbolise la stabilité du peuple façonné par les
prescriptions de la Loi.
Ces jarres sont normalement
destinées aux ablutions pour la purification. Cette indication les met
explicitement en relation avec la loi rituelle juive. Mais, contre toute
attente, elles sont vides. Ce qui traduit un manque… l’épuisement de l’ancienne
alliance.
Jean veut-il indiquer
ici que Jésus va réparer et transcender ce manque ?
Le signe de Cana
viendrait alors manifester le fait que Jésus apporte une nouvelle réalité,
appelée à dépasser l’Ancienne Alliance.
Le lecteur de
l’évangile se souvient, en effet, de ce qui a été dit dans le prologue (au
premier chapitre) : « la loi a
été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont advenues par Jésus
Christ » (Jn 1,17).
Il semble que le
signe opéré à Cana vienne corroborer cette affirmation.
Jésus ordonne
donc le remplissage des jarres.
A nouveau
remplies par l’eau, elles symbolisent l’eau baptismale, l’eau de l’esprit, l’eau
de la création nouvelle. Elles retrouvent leur fonction. Par Jésus Christ, Dieu
répand de nouveau sa grâce sur son peuple.
Jésus invite
alors les serviteurs à en puiser un échantillon pour le faire goûter au maître
du repas.
A cet instant
même, le miracle n’est pas décrit. Il y a un trou dans la narration qui révèle
que l’action de Dieu ne se laisse pas objectiver.
Mais nous
assistons directement à la réaction du maître : L’eau est devenu vin.
Joie,
surabondance et fête sont l’effet obtenu de cette transformation.
D’un point de
vue symbolique, cela signifie l’advenue du temps du salut et de la joie. En
Jésus Christ, le salut se manifeste en surabondance et devient événement (cf.
Jn 1,14).
Il faut
souligner que le maître du repas confirme la réalité du miracle sans pour
autant être en mesure de l’identifier comme tel.
Il ignore en
réalité l’origine réelle de ce vin. Mais il s’empresse de féliciter le marié
pour sa qualité insurpassable.
Seuls les
serviteurs savent que ce vin vient des jarres remplies d’eau. Le miracle
demeure donc caché et Jésus reste « incognito ».
Le constat fait
par le maître de maison donne toutefois sens à l’événement : l’eau qui est
transformée en vin est le symbole d’une nouvelle alliance. Et cette alliance
est qualifiée de bonne, d’excellente… à l’image du bon vin gardé jusqu’à la
fin.
Le narrateur du
récit apporte alors une lumière sur l’événement :
Pour lui, il ne
s’agit pas simplement d’un miracle, mais d’un signe, c’est-à-dire d’un
événement qui renvoie à une autre réalité : La surabondance du vin renvoie
à la révélation de la « gloire » de Jésus, c’est-à-dire à la présence
de l’Esprit de Dieu en lui.
Jean le précise : « Tel fut, à Cana de Galilée, le
commencement des signes de Jésus. Il manifesta sa gloire et ses disciples
crurent en lui » (v.11).
L’évangéliste
signale que le signe du vin abondant est un événement de révélation et de foi.
Par lui, Dieu
révèle sa présence en Jésus Christ.
Cette présence
est un don qui procure joie et fraternité.
* Conclusion : Alors, finalement,
chers amis, que peut-on conclure de tout cela ?
Par ce signe
symbolique – cette eau transformée en vin – Jésus est présenté ici comme le
révélateur du Père, celui qui dispense la vie en plénitude, la joie et la communion
fraternelle… car le vin est, par excellence, le signe de la fête et du partage.
Le signe des
noces de Cana dévoile le sens de la mission de Jésus :
Par son action,
Jésus est venu manifester la présence de l’Esprit de Dieu.
Le salut qu’il
apporte est synonyme de vie, de joie, de fraternité et de partage. Il nous
appelle à communier à la fête et à nous réjouir avec le marié… sans doute une
figure de Dieu.
L’évangéliste
Jean utilisera à plusieurs reprises l’image de la vigne et du vin : Celui qui transforme l’eau en vin est
« la vraie vigne ».
Au chapitre 15
de l’évangile, Jésus affirme : « Je
suis la vraie vigne et vous êtes les sarments : celui qui demeure en moi
et en qui je demeure, celui-là produira du fruit en abondance » (Jn 15,5).
Il est bon, en
ce début d’année, de nous souvenir que Jésus nous appelle à demeurer dans son
amour… qu’il nous appelle à nous aimer les uns les autres… et qu’il nous invite
à la joie.
Dans le passé,
certains ont parfois fait de la religion chrétienne un vieux truc poussiéreux
et moralisateur… mais ils étaient visiblement complètement à côté de la
plaque : en tout cas, ils auraient du relire le récit des noces de Cana.
Il peut nous arriver,
à nous aussi, quand nous sommes pris dans nos habitudes, dans la routine, dans
les soucis et les préoccupations de l’existence – ou quand la déprime menace – que
notre vie nous paraisse un peu insipide, sans saveur.
Dès lors, la
question se pose à nous : Comment
l’eau peut se changer en vin dans notre vie ? Comment retrouver le vrai
goût de la vie ?... le chemin du désir de la fraternité, de la
convivialité et de la joie ?
Peut-être en
nous tournant vers le Christ, la vraie vigne : Celui qui nous invite au
bonheur, qu’on trouve dans le don de soi, la fraternité et la gratuité.
Le premier signe que Jésus accomplit ici : c’est de permettre aux humains de se réjouir ensemble, pour fêter une nouvelle alliance avec Dieu et les inviter à vivre la communion entre frères.
Souvenons-nous
en à chaque fois que nous ouvrons la Bible… à chaque fois que nous venons au
culte… ou que nous partageons la Ste Cène : le message de Jésus est
joyeux !
Il nous annonce
et nous révèle la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu.
Plus besoin des
jarres de purification… plus besoin des sacrifices pour plaire à Dieu ou
marchander son pardon. Tout est offert par grâce !
En Jésus Christ,
Dieu appelle les humains à une alliance nouvelle, fondée sur la communion
fraternelle… symbolisée par le vin des noces.
Ouvrons-nous
pleinement à la joie du salut que Dieu nous offre !
Amen.[1]
[1] Ce récit des noces de Cana nous appelle
à relire et à réinterpréter le dernier repas de Jésus… auquel nous avons donné
une importance particulière en remémorant son geste dans le partage de la Ste
Cène.
Au cours du
dernier repas avec ses disciples, Jésus va donner un sens à sa mort
prochaine :
Le pain rompu
préfigure sa mort violente et lui donne son sens. Le pain distribué est comme
la vie du Christ donnée pour que la communion plénière avec les hommes
advienne.
La coupe de vin
– à l’image de son sang versé – sera le signe d’une nouvelle alliance.
Le sang du
Christ n'est pas le prix exigé pour apaiser la colère de Dieu. Ce sang n’est
pas versé comme un sacrifice pour obtenir le pardon de Dieu… mais c’est un don
pour la multitude, en signe de la rémission des péchés offerte gratuitement par
Dieu.
Par sa mort en
croix, par sa vie offerte non pas comme un sacrifice mais comme un don, Jésus
rappelle que la grâce de Dieu est toujours offerte, que rien ne peut briser
l'union entre Dieu et les humains. Pas même la mort (cf. Rm 8,38-39).
Le récit qui
suit les noces de Cana dans l’évangile selon Jean, c’est l’épisode où Jésus
chasse les marchands du temple, ceux qui vendaient des animaux pour les
sacrifices (cf. Jn 2, 13-22).
Par son geste,
Jésus vient contester la notion de sacrifice et toute idée de
« trafic » ou de relation marchande avec Dieu.
La grâce de
Dieu, son amour, son pardon sont offerts gratuitement. Pas besoin de
donnant-donnant, de commerce ou de marchandage. Jésus chasse le religieux pour
ouvrir les hommes à la spiritualité, à une relation directe avec le Père.
Tout comme Jésus
avait dénoncé le sang des sacrifices d’animaux, en chassant les marchands du
temple, il subvertira toute notion de sacrifice, lors de son dernier
repas :
Là, il
remplacera le sang versé – soi-disant pour plaire à Dieu ou le satisfaire – par
le vin de la fête, signe d’une nouvelle alliance, fondée sur le partage et la
fraternité.
Par ce geste,
Jésus fait comprendre à tous les hommes que ce que Dieu demande ce ne sont pas
des sacrifices pour obtenir son pardon – ce ne sont pas des rites de mort qui
seraient susceptibles de donner la vie –
mais ce qu’il attend, c’est l’amour du prochain, la communion
fraternelle et la joie des humains, symbolisée par le vin de la fête.
Ainsi la Croix –
qui désigne l’heure décisive où Jésus rejoint le Père – est à la fois symbole
de mort et de vie nouvelle : mort à la notion de sacrifice ou de
marchandage avec Dieu ; et vie nouvelle, marquée par le vin de la
fraternité, du partage et de la joie… signe de la grâce et de la liberté que
Dieu offre à ses enfants.
Le vin du
dernier repas de Jésus, comme celui des noces de Cana, est le signe d’une
nouvelle alliance. Désormais, plus besoin des jarres pour la purification, plus
besoin des sacrifices pour plaire à Dieu ou marchander son pardon. Désormais,
En Jésus Christ, Dieu appelle les hommes à une alliance nouvelle, fondée sur la
gratuité et la communion fraternelle. (voir aussi Mt 22, 34-40)
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