Mt 2
Lectures
bibliques : Es 2, 2-3 ; Es 60, 1-6 ; Mt 2, 1-23
Thématique :
Jésus, lumière du monde / Être en quête de la vraie lumière, comme les mages
Prédication
de Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 03/01/15
(Inspirée
d’une méditation d’Anselm Grün)
* En ce
jour de fête de l’épiphanie, l’Eglise a pris l’habitude de lire ce passage
évangélique qui raconte le périple des mages jusqu’à Bethléem où se trouvait
l’enfant Jésus.
Le mot
« épiphanie » signifie « manifestation » ou
« apparition ».
A
l’image d’un nouvel astre lumineux apparu dans le ciel, il s’agit de rappeler
l’événement de la manifestation de la lumière qu’est, pour nous, la venue de Jésus,
le Christ, qui vient éclairer et illuminer notre route.
* Qui
sont ces mages venus d’Orient, guidés par une étoile ?
Ce sont
vraisemblablement des astrologues, des observateurs du ciel étoilé, dont les
signes ont toujours impressionné les hommes.
Leur
question « Où est le nouveau-né, roi
des Juifs ? » montre que ce sont des païens.
Des
Israélites auraient dit le « roi
d’Israël » et non le « roi
des Juifs ». Mais, ici, l’évangéliste Matthieu sait très bien à quoi
fait référence le titre de « roi des
Juifs ». C’est, en effet, une des causes du procès et de la
condamnation à mort de Jésus. Un titre qui aurait même figuré sur la Croix lors
de son supplice (cf. Mt 27, 11.29.37). Il s’agit donc d’un élément préfiguratif
qui inscrit, dans le récit de l’enfance, la Passion future de Jésus.
C’est
une manière de décliner son identité dès le début de l’évangile : Jésus
est le Messie tant attendu… pas seulement celui des Juifs… mais un sauveur pour
tous les humains, y compris les païens.
D’ailleurs,
il y a une certaine ironie dans notre passage. Ce sont, en effet, des mages,
des païens, qui indique à Hérode la naissance d’un nouveau roi pour Israël,
alors que le roi de Judée Hérode, est entouré de scribes, c’est-à-dire de
spécialistes qui gardent les Ecritures hébraïques et savent les interpréter.
Or, ces
spécialistes du Judaïsme n’ont visiblement pas été capables de reconnaître les
signes de la venue du Messie, ni de faire le moindre pas en direction de
Bethléem pour accueillir leur futur roi. Ce qui révèle un certain aveuglement
de leur part… peut-être même une lassitude ou un enfermement dans leurs
habitudes et leurs traditions… un manque de discernement et d’ouverture
d’esprit.
Cela
prouve – en tout cas – que la connaissance des Ecritures ne suffit pas, pour
que nous nous mettions en accord avec les évènements de Dieu.
Il faut,
d’une part, savoir être attentif aux signes des temps, de la création ou de la
société qui nous environnent – certains diraient être attentif aux coïncidences,
aux occasions de l’histoire et au langage silencieux des évènements – et,
d’autre part, savoir interpréter ces signes, ainsi que les Ecritures,
lorsqu’ils signifient et attestent la présence de l’Esprit Dieu, autour de
nous.
Les
Ecritures, ici, permettent de vérifier l’intuition des mages, de ces étrangers
païens ou peut-être zoroastriens, c’est-à-dire membres d’une autre religion venue
de Perse.
Il est
intéressant de noter que les mages ne montent pas directement jusqu’à Bethléem,
ils s’arrêtent à Jérusalem. Autrement dit, il leur faut la médiation d’Israël
qui a reçu la révélation de Dieu (cf. Es 2,3), pour vérifier leurs observations
(cf. Mt 2, 5 qui s’appuie sur Mi 5,1).
C’est
dans la conjonction entre l’étoile, apparue aux Gentils, et la Parole, gardée
par Israël, qu’il est possible de reconnaître l’événement du Messie.
* Les
mages – donc – ont vu son étoile se lever en Orient, quand elle commençait à
poindre.
Les
Anciens croyaient qu’à la naissance d’un homme une étoile s’allumait dans le
ciel, d’autant plus s’il s’agissait d’un grand homme ou d’un roi, comme par
exemple Alexandre le Grand.
Les
Israelites eux-mêmes, selon l’oracle d’un prophète « étranger »,
attendaient le Messie comme un « astre » qui devrait surgir de Jacob.
La
prophétie de Balaam, dans le livre des Nombre (cf. Nb 24, 17 - TM) donne
ceci : « Une étoile point de
Jacob et un sceptre surgit d'Israël ». Mais, dans la traduction
grecque de la Septante (LXX), vraisemblablement connue de l’évangéliste
Matthieu, le mot « sceptre »
a été remplacé par le mot « homme ».
Ce qui révèle une attente messianique forte. Ce qu’attestent également les
targoumim araméens, qui offrent le reflet d’une interprétation rabbinique de la
Bible et qui traduisent : « Quand
le roi puissant de la maison de Jacob régnera, et quand le Messie, le sceptre
puissant d'Israël, sera oint… ».
Ces
questions de traduction et d’interprétation montrent que les scribes pouvaient
interpréter de façon dynastique et messianique un oracle qui autrefois visait
sans doute le roi David (vainqueur sur Moab / cf. 2 S 8,2). En tout cas,
l’attente du messie était très forte à l’époque de Jésus.
Il faut
se rappeler cet arrière-fond pour ne pas prendre trop à la lettre « l’étoile »
dont parle Matthieu. Il s’agit sans doute d’une figure messianique !
D’autant
qu’il est question ici d’un astre qui apparaît, qui se déplace et qui s’arrête
en un lieu précis. Ce qui semble plus qu’étonnant s’il est question d’une
étoile, mais moins surprenant si on parle d’une personne.
On peut
donc avoir une lecture symbolique de ce récit de l’épiphanie.
Il
préfigure, avant tout, l’histoire d’un messie, « roi des Juifs », en
qui, paradoxalement, croiront plus les Gentils que les Juifs qui l’attendaient
et à qui il était d’abord destiné.
D’autre
part, le récit met en avant la grande joie des mages à la vue de l’astre,
lorsqu’ils découvrent en Jésus celui qui sera la lumière du monde.
Pour
autant, certains pensent que ce récit n’est pas seulement légendaire, mais qu’il
a un ancrage historique.
Les
mages étaient vraisemblablement à l’origine des prêtres perses, qui étaient en
même temps des astrologues, des devins et des sages, qui auraient réellement
découvert une étoile.
Les
astronomes font état d’une conjonction de Jupiter et Saturne dans la
constellation des Poissons en l'an 7 avant notre ère. Jupiter étant l'astre de
la royauté et Saturne celui de la Palestine, les astrologues babyloniens
pouvaient très bien voir là le signe d'une naissance royale en Israël. Ils se
rendent alors à Jérusalem et demandent : «
Où est le nouveau-né, roi des Juifs ? ». Malheureusement, ils tombent
sur Hérode, un tyran cruel et sanguinaire, qui fit – paraît-il – exécuter ses
propres fils, soupçonnés de vouloir le trahir.
Alors
que Jérusalem attend avec espoir le roi qui doit venir la libérer, le puissant
Hérode a peur du nouveau-né, en qui il voit un rival, un futur concurrent.
Les
mages, chargés par Hérode de faire des recherches minutieuses au sujet de
l’enfant, se dispensent de l’avertir après l’avoir trouvé, ayant discerné le
projet criminel du tyran.
* Quoi
qu’il en soit, que ce récit soit légendaire ou historique, ce n’est pas là
l’essentiel. Ce qui est important, c’est de comprendre pourquoi Matthieu
raconte cette histoire.
Pour
lui, c’est évident : Jésus est le porteur de l’Esprit de Dieu, celui qui
sera lumière du monde (Jn 1, 9 ; Jn 8, 12), lumière pour éclairer les
nations (Lc 2, 32). Il invite ses lecteurs à le reconnaître avec lui.
L’évangile
nous appelle à reconnaître la vraie lumière : celle qui délivre de nos
ténèbres et nous apporte le salut… celle qui nourrit, qui guérit, qui donne
sens à notre existence et notre espérance.
Si Jésus
Christ, le porteur de l’Esprit de Dieu, est pour nous cette lumière, cela
signifie que nous sommes invités à nous approcher de lui, à nous laisser transformer
par l’Esprit de Dieu, afin de devenir, à notre tour, « enfants de lumière »
– comme le dira l’apôtre Paul (cf. Ep 5,8) – … afin que nous puissions,
nous aussi, rayonner et faire connaître aux autres la source de cette lumière
qui nous habite, lorsque Dieu règne en nous (cf. Mt 5, 14ss).
* Par
ailleurs, toute une légende est née autour des personnages des mages, de ces
trois étrangers et de leur biographie. Elle a identifié leur cheminement à notre
pèlerinage à travers l’existence :
Tout
comme eux, nous suivons, nous aussi, l’étoile de notre aspiration : elle
se lève à l’horizon de notre cœur, pour nous conduire au but, après maints
détours, jusqu’à la maison où nous serons vraiment chez nous.
La
question est de savoir quelle est pour nous cette étoile qui nous fait briller
les yeux ?
Aspirer
à plus d’avoir ou de pouvoir ? (comme la société nous y invite) ou
davantage, aspirer à une vrai connaissance ? ; à notre vrai
Soi ; à la connaissance de Dieu ; au fait d’avoir des relations
épanouie avec les autres ; parvenir à notre accomplissement ; à
l’illumination ; etc. ???
Quelle
est notre étoile ? Qu’est-ce qui nous guide ?
La
légende a changé les trois mages en rois, un jeune, un vieux et un noir. Peut-être
pour signifier que l’être humain doit se mettre tout entier en chemin – avec
tout ce qu’il est – pour trouver l’enfant dans la crèche et l’adorer… pour
accéder à son vrai Soi en communion avec Dieu…. pour découvrir la part humble
et lumineuse de soi même, libérée de la puissance de l’égo.
S’étant
prosternés devant l’enfant, les mages ont atteint le but de leur pèlerinage et
de leur vie. Ils ont atteint la joie véritable.
Serait-ce
un message pour nous rappeler que la véritable joie n’est accessible qu’aux
humbles ? N’est-ce pas d’ailleurs un enseignement que rappellera aussi
Jésus : « Heureux les pauvres
de cœur, les pauvres en eux-mêmes, le royaume des cieux est à eux » (Mt
5,3).
Les
trois rois ouvrent alors leurs cœurs et leurs « cassettes »
renfermant leurs trésors.
Ils
offrent au nouveau-né de l’or, de l’encens et de la myrrhe.
L’or et
l’encens correspondent aux dons mentionnés par Esaïe (cf. Es 60,6) ; ces
trois substances étaient offertes au dieu Soleil. En Jésus Christ, le vrai
Soleil s’est levé, la lumière du monde.
Les
Pères de l'Église ont donné une interprétation symbolique de ces cadeaux : l'or
est reconnaissance de l'enfant dans la crèche en tant que vrai roi, l'encens
est offert à sa divinité, et la myrrhe évoque sa mort sur la croix.
On peut
également dire que ces trois dons représentent ceux que nous devons faire à
Jésus, en tant que Christ.
L'or
représente notre amour, l'encens notre ardente aspiration, et la myrrhe nos
souffrances et nos blessures. Tout cela, nous le possédons, il nous suffit de
l'apporter à la crèche, c’est-à-dire de les confier et les abandonner au Christ.
La
myrrhe n'évoque pas seulement la souffrance mais aussi, en tant que plante
médicinale, la guérison de nos blessures.
Quand
nous nous présentons tels que nous sommes au Christ, nos blessures s’apaisent
et notre désir atteint son but.
Nous ne
sommes pas seuls à apporter l'amour : A travers l’enfant appelé
« Emmanuel » (Dieu avec nous), nous faisons l’expérience de l’amour
incarné de Dieu.
En ce
monde, où nous sommes des étrangers, pèlerins de passage sur cette terre, où
nous n’avons pas réellement de toit définitif, où nous connaissons la fragilité
et la précarité de toute chose, y compris de notre habitation corporelle et
terrestre, nous avons l’assurance d’être accueillis tels que nous sommes par le
Seigneur.
C’est là
la seule véritable certitude qui nous donne courage et confiance : celle de
l’amour de Dieu… amour lumineux, manifesté en Jésus Christ.
* Le
récit de l’adoration des mages se poursuit par la fuite en Egypte et le
massacre des Innocents, ordonné par Hérode.
Cet
épisode n’est attesté nulle part ailleurs que dans l’évangile selon Matthieu. Selon
la plupart des exégètes et des historiens, il a peu de vraisemblance
historique.
Dans les
faits, Matthieu fait sans doute implicitement référence, ici, à un autre événement
plus tardif : à la destruction de Jérusalem en 70 après Jésus Christ…
destruction qui fut un vrai « massacre des innocents ».
Il
semble que Matthieu choisit volontairement de placer cet événement au début de
l’évangile en raison de son sens, comme une préfiguration de ce qui va arriver
aux enfants des Juifs qui ont refusé le Messie et participé à sa
crucifixion (cf. les paroles terribles de Mt 27,25), mais qui résulte, en
réalité, de le fin de la guerre, de l’écrasement de la révolte des Juifs zélotes
par les Romains, aboutissant à la destruction du temple, au massacre de la
population juive et à l’incendie de la ville de Jérusalem.
En
plaçant cet événement au début de son évangile, Matthieu peut présenter Jésus
comme le nouveau Moïse… tout en rappelant la barbarie du pouvoir politique.
D’une
certaine manière, l’enfance de Jésus est racontée ici en parallèle à celle de
Moïse :
Comme
Moïse avait été sauvé de la persécution de Pharaon, qui avait décidé de faire
mourir tous les enfants mâles des Hébreux, Joseph est averti en songe de
l’imminence d’un danger mortel concernant Jésus. Hérode, étant inquiet de la
prophétie des astrologues annonçant la naissance d'un libérateur d’Israël, il a
décidé de tuer tous les jeunes enfants.
Comme
Moïse, Jésus est obligé de fuir à l'étranger jusqu'à ce que Dieu le rappelle.
Certes, l'Égypte
était le refuge des Israélites, mais aussi un pays soumis à l’influence
d’autres religions, d’autres traditions et d’autres sagesses. Ce qui permettra
sans doute à Jésus de s’approprier sa propre tradition avec des yeux ouverts et
un Esprit novateur.
Autrement
dit, Jésus ne naît pas dans un monde intact ; autour de lui, il n’y a que
meurtres, violences, intrigues des puissants, bannissements et malheur.
Il est
obligé de fuir à l’étranger et d’y vivre en « réfugié » - nous dirions
aujourd'hui : en « demandeur d’asile », dans un monde qui fait penser
au nôtre.
C’est
pourtant au cœur de cette existence humaine, au milieu des épreuves, que Dieu a
choisi de révéler sa présence lumineuse, en Jésus Christ.
Dieu ne
choisit pas de se manifester à travers la voix des puissants de ce monde, mais
de manifester sa grâce dans ce qui est humble et faible : un enfant dans
une crèche, pour manifester son amour aux hommes et les appeler à naître à une
vie nouvelle, où se manifeste enfin la fraternité, la justice et la paix.
* En ce
début d’année, en ce temps de vœux… je vous souhaite à toutes et à tous une
année lumineuse, une année de transformation, d’accomplissement et
d’épanouissement, sous l’action de l’Esprit de Dieu.
Que
cette année fasse de vous… de nous… des mages en quête de la véritable étoile…
des mages en mouvement, animés du dynamisme du marcheur, du randonneur, en
quête de lumière, pour aller vers eux-mêmes et vers les autres… pour offrir à
ceux qui nous entourent nos dons les meilleurs : notre amour et notre
générosité.
Que la
joie des mages nous anime, et fasse vaciller nos soucis, nos inquiétudes et nos
peurs.
Guidés
par la lumière, portés par la foi du Christ, soyons, nous aussi, saisis et
rayonnants d’une grande joie !
Amen.
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