Qu’est-ce qu’on
fête à Noël ?
Lectures bibliques : Lc 1,
26-38 ; Lc 2, 1-7 ; Mc 1, 4-15
(Volonté
de Dieu : Ep 4, 17-18. 22-24 + 5. 8-9)
Thématique :
Noël, fête de l’incarnation ou fête de l’Esprit saint… pour nous
Prédication
de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 25/12/15, culte de Noël.
- Tous
les ans, pour préparer la fête de l’arbre de Noël[1],
je demande aux enfants de l’école biblique : « qu’est-ce qu’on fête à Noël ? »
Evidemment,
ce n’est pas la fête du père Noël qui apporte des cadeaux au pied du sapin –
bien que cela fasse briller les yeux des plus jeunes – mais, c’est avant tout l’heureux
anniversaire de la naissance de Jésus, le Christ, le sauveur, envoyé par Dieu,
pour éclairer l’humanité… à l’image de l’étoile posée au sommet du sapin… comme
l’étoile qui a peut-être guidé les mages dans la nuit, jusqu’au lieu où se
trouvait le nouveau-né… celui qui est venu manifester et incarner la Parole
vivante de Dieu…. la lumière de Dieu pour l’humanité.
- Mais,
plus fondamentalement, posons-nous la question, nous aussi les adultes : « qu’est-ce qu’on fête réellement à
Noël ? »
Noël,
c’est la fête de l’incarnation. L’incarnation, c’est ce qu’on appelle
traditionnellement un mystère chrétien.
Le terme
« in-carnatus » veut dire « (entrer)
dans la chair ». Il signifie la venue de Dieu – du Dieu Esprit, du Dieu
lumière, du Dieu Amour – dans notre humanité, en l’homme Jésus.
C’est là
le miracle – le scandale même – du christianisme par rapport aux autres
religions : affirmer que Dieu – l’Eternel, le Très Haut – s’est pleinement
révélé dans la figure d’un homme, du Jésus terrestre. C’est là la pierre
d’achoppement pour les autres religions monothéistes qui n’admettent pas cette
idée d’incarnation de Dieu.
Mais, en
fait de scandale, tout dépend de la manière dont on comprend cette notion
d’incarnation.
Evidemment,
si l’on dit – comme l’affirmait autrefois les pères de l’Eglise – que « Dieu
s’est fait homme », que « Dieu devient un homme », on ne risque
pas de pouvoir dialoguer avec les autres religions, qui n’admettent pas l’idée
que Dieu, qui est Saint, qui est transcendant et tout-puissant, puisse
s’abaisser jusqu’à venir communiquer et communier – disons même, s’unir – avec
notre humble et impure humanité.
Il faut
donc mieux expliquer autrement à nos contemporains ce que signifie
l’incarnation, pour éviter les malentendus.
- Le
premier point à préciser, c’est que l’incarnation signifie la manifestation
centrale de Dieu dans un homme. C’est le credo,
une des convictions majeures du christianisme : En l’homme Jésus, Dieu se
fait connaître. Il se donne à voir. C’est-à-dire que, par cet homme, il
manifeste son amour, sa volonté et son salut.
Mais, en
même temps, il faut chasser de notre compréhension, et même de notre langage,
l’idée sous-jacente de transformation : Dieu ne devient pas un homme, il
ne se transmute pas en homme, à la manière des dieux de la mythologie gréco-romaine
qui se métamorphose en humain, pour séduire une belle et charmante humaine.
Il ne se
transforme pas non plus en homme à la manière des séries de science-fiction
d’aujourd’hui, où les héros dotés de superpouvoirs peuvent aussi revêtir une
apparence humaine.
Ce genre
de croyance serait purement mythologique… pour ne pas dire
« païenne ».
Je me
permets d’insister sur ce point : l’incarnation ne veut pas dire que Dieu
devient un homme, au sens d’une transformation, mais au sens d’une révélation,
d’une manifestation.[2]
Pendant
que Dieu se révèle en Jésus, il continue à être Dieu, à soutenir l’univers, à
agir dans sa création et ses créatures.
En
réalité, il me semble que la seule manière d’exprimer clairement ce concept d’incarnation,
c’est de se référer à l’action de l’Esprit saint.
L’Esprit
saint, c’est Dieu lui-même, c’est le souffle de Dieu. L’évangile
l’affirme : « Dieu est Esprit »
(cf. Jn 4, 24).
Pour
essayer de concevoir « l’incarnation » de Dieu, il faut simplement
penser – si j’ose dire – à l’incarnation spirituelle de Dieu, à l’incarnation
de son souffle qui est venu se réaliser, se révéler, habiter dans notre
humanité en un humain (cf. Jn 1,14), qui fut totalement transparent au souffle
lumineux de Dieu.
Et puisque
cet homme était pleinement animé par l’Esprit de Dieu – puisqu’il s’est trouvé
en totale ouverture et communion avec le Père – ses disciples ont reconnu en
lui l’expression de la Parole de Dieu. On a dit de lui qu’il était le Verbe, la
Parole vivante de Dieu (Jn 1, 14.18).
- On
peut donc dialoguer avec les autre religions – et c’est mon second point – pour
leur dire que notre conviction, en tant que Chrétiens, disciples du Christ, ce
n’est pas que Dieu devient un homme, mais notre différence porte sans doute sur
notre manière de penser Dieu.
Pour
nous, Dieu n’est pas un Être supérieur, totalement inaccessible et
transcendant… un Dieu-Juge qui règne du haut du ciel, sur son trône de gloire… mais
une réalité spirituelle et relationnelle, au fondement de l’être… une réalité dynamique,
énergétique, qui est comme un souffle, c’est-à-dire qui agit dans sa création
et ses créatures… et qui s’est manifestée de façon centrale en un être
humain : Jésus de Nazareth.
Autrement
dit, en pensant Dieu comme Esprit, comme souffle vivifiant, on peut exprimer,
de manière plus compréhensible pour nous, l’incarnation de Dieu en Jésus
Christ, comme la pleine manifestation du souffle de Dieu dans un être vivant,
pleinement ouvert à la présence du Père en lui.
Il faut
donc dire que Noël n’est pas simplement la fête de la naissance de Jésus, c’est-à-dire
un anniversaire. C’est en réalité – et plus fondamentalement – la fête de la
manifestation centrale de l’Esprit saint – une sorte de Pentecôte personnifiée
avant l’heure.
C’est la
révélation de l’Esprit de Dieu dans un être humain, qui – de ce fait – nous
dévoile le visage et l’intention de Dieu.
D’ailleurs,
c’est en ce sens que les récits évangéliques expriment l’identité de
Jésus : comme celui qui est marqué du sceau du saint Esprit, de l’Esprit
de Dieu.
- Dans
l’évangile selon Marc, il n’y a pas de récit de naissance miraculeuse de Jésus
(On ne sait rien de sa conception, de sa naissance, de sa jeunesse) : tout
commence avec le baptême de Jésus.
Au
moment de ce baptême par Jean baptiste dans le Jourdain, Jésus vit une
expérience spirituelle inouïe : Il reçoit l’Esprit de Dieu. Il est
bouleversé, irradié, illuminé par l’Esprit de Dieu. Ce que Marc symbolise par
l’ouverture des cieux, la descente d’une colombe – signe de paix – et la voix
qui retentit des cieux exprimant l’élection et l’adoption de Jésus comme « Fils
de Dieu », c’est-à-dire comme celui qui exprimera la volonté du Père.
Car
c’est bien là un des sens du terme « fils de Dieu » : le Fils
est celui qui vit une relation de proximité et de confiance avec le Père ;
il est l’héritier du Père, celui qui poursuit et accomplit son œuvre ; il
est aussi son mandataire, son représentant : celui qui incarne la présence
du Père, là où il se trouve.
Aussitôt
– selon Marc – l’Esprit pousse Jésus au désert, c’est-à-dire dans un moment de
solitude et d’intense communion avec Dieu. Et, plus tard, il conduit Jésus à
proclamer l’Evangile de Dieu, manifestant la proximité du règne de Dieu, qui
précisément se manifeste en Jésus lui-même, le porteur de l’Esprit.
- Dans
l’évangile selon Luc, la manifestation de l’Esprit est exprimée plus tôt – bien
avant le baptême de Jésus – dès la conception de l’enfant (Nous l’avons
entendu).
C’est
l’annonciation : l’annonce faite à Marie qu’elle enfantera un enfant qui
sera appelé « fils du Très-Haut », autrement Fils de Dieu, envoyé de
Dieu.
Le
messager, qui vient annoncer cette bonne nouvelle à Marie, parle ici aussi de
la présence de l’Esprit saint. C’est évidemment une manière de dire la présence
et l’action de Dieu, non seulement au moment du baptême de Jésus en tant
qu’adulte, mais dès sa conception : « l’Esprit
saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son
ombre ; C’est pourquoi celui qui va naître sera saint et sera appelé Fils
de Dieu ».
Bien
entendu, il y a plusieurs manières d’interpréter ce message de l’ange.
L’annonce
qui est clairement faite : c’est la venue d’un enfant qui sera le Messie,
le Christ.
Pour le
reste, on est libre d’interpréter ou pas les détails de façon symbolique. Le
fait que Marie fut ou non vierge n’ajoute rien à l’histoire.
Aujourd’hui,
beaucoup de nos contemporains ne croient pas ou plus à la virginité de Marie,
ce qui ne les empêche pas de considérer Jésus comme le Fils de Dieu, le
révélateur de Dieu : celui qui apporte la Bonne Nouvelle de l’amour du
Père pour les humains … et de le recevoir comme leur sauveur, c’est-à-dire
comme celui qui apporte libération, guérison et réconciliation à l’humanité.[3]
- Mais,
du coup, ce temps de Noël qu’on fête tous les ans, doit nous interroger – et je
reviens à ma question initiale : « qu’est-ce qu’on fête à Noël ? »
Si on ne
fête pas seulement l’anniversaire de la naissance de Jésus, mais celle de
l’incarnation de l’Esprit de Dieu de façon centrale dans un être humain, en
Jésus… alors, on peut comprendre que cette fête nous concerne directement.
Elle
n’est pas un beau conte populaire de Noël – « il était une fois, est venu
l’enfant Jésus dans la crèche… » – c’est-à-dire, le pieux souvenir de la
venue il y a 2000 ans d’un enfant Christ-Jésus… mais la manifestation, pour
toute l’humanité, de la possibilité d’incarner l’Esprit de Dieu en l’homme.
Noël révèle
– à travers l’exemple et le prototype qu’est Jésus – la possibilité même pour
l’être humain d’incarner, d’accueillir dans la chair, de manifester concrètement
et existentiellement l’Esprit de Dieu.
Autrement
dit… se recevoir comme disciples du Christ, frères et sœurs de Jésus Christ,
c’est affirmer qu’à la suite de Jésus, nous sommes appelés à incarner, à notre
tour… à laisser habiter… l’Esprit de Dieu dans notre vie, dans notre personne,
dans notre chair.
Les
homme et les femmes – que nous sommes – ces êtres finis sont capables
d’infini : ils sont capables d’accueillir, de recevoir, de se laisser
inspirer… et donc de manifester… l’Esprit de Dieu.
Voilà,
ce que nous fêtons à Noël : la possibilité de suivre le Christ, de
devenir, à notre tour, porteur de Bonne Nouvelle, d’espérance, de lumière, pour
notre monde… car, si nous nous rendons disponibles au souffle de Dieu… il peut
nous guider, nous inspirer… il peut se manifester en nous, nous apporter la
paix et la joie… pour nous-mêmes et pour ceux qui nous entourent. C’est ça la merveilleuse bonne nouvelle de
Noël !
Dieu
peut agir en nous, comme il a fait en Jésus Christ… à condition que nous lui
fassions pleinement confiance, que nous nous ouvrions à Lui.
N’est-ce
pas exactement ce que Jésus affirmait lui-même ? Je cite :
« Croyez-moi – dit Jésus – je suis dans le Père, et le Père est en moi […] En vérité, en vérité,
je vous le dis, celui qui croit en moi fera aussi les œuvres que je fais, et il
en fera de plus grandes […] Le Père vous donnera quelqu'un d'autre pour vous
venir en aide, afin qu'il soit toujours avec vous : c'est l'Esprit de
vérité. [..] vous, vous le connaissez, parce qu'il demeure avec vous et qu'il
sera toujours en vous » (Jn 14, 11-17).
Jésus
disait encore à ses disciples : « Vous
êtes lumière du monde » (Mt 5, 14 ; voir aussi Ep 5, 8-9)… en
vous aussi la lumière de Dieu peut briller ! Faites lui confiance !
N’est-ce
pas l’annonce que le Père est présent et agissant en chacun de nous, pour
autant que nous lui laissions de la place… pour autant que nous le laissions
régner en nous ?
Noël, la
fête de l’incarnation, nous invite à nous souvenir, année après année, de cette
possibilité de laisser Dieu habiter et agir en nous… comme Jésus l’a laissé
agir en lui, en se mettant à son écoute, en lâchant son égo, en s’abandonnant corps
et âme à Dieu, en se laissant habiter par le souffle divin.
L’apôtre
Paul l’affirme également dans ses lettres : « vous êtes le temple du saint Esprit » (1 Co 3,16 ; 6,
19). Et il annonce à ses disciples qu’ils sont « le corps du Christ » (cf. Rm 12, 4-5 ; 1 Co 12, 12-13. 27).
Quand
nous écoutons l’Evangile, quand nous participons à la Ste Cène, nous entrons
dans une communion spirituelle avec Jésus et nous souvenons que nous sommes
membres du corps du Christ :
Nous sommes
appelés à prendre part, à participer à l’œuvre du Christ… en laissant l’Esprit
de Dieu agir en nous… en laissant le Christ naître en nous (cf. Ep 4,23-24 ;
Col 3,10-11 ; Ga 3,26-27 ; Rm 13,14).
« Être
le corps du Christ », cela veut dire être ses bras, ses jambes, sa bouche…
être celles et ceux qui marchent et parlent pour lui, dans notre monde
d’aujourd’hui.
C’est
cela le message de Noël : pas seulement la naissance historique de Jésus
il y a 2000 ans – comme un fait révolu – mais la naissance existentielle du
Christ dans notre vie d’aujourd’hui.
Le
miracle de Noël, il y a 20 siècles, c’est que l’Esprit de Dieu s’est pleinement
manifesté dans la vie et la personne de Jésus… le miracle de Noël, aujourd’hui,
c’est que cette histoire continue et ouvre notre propre histoire.
Aujourd’hui
encore le Père est présent et agissant : il peut souffler en nous, dans
notre intériorité, pour nous influencer, nous guider, nous guérir… pour nous
offrir tout ce dont nous avons besoin et nous tourner vers les autres.
- Au
fond, nous n’avons qu’une seule chose à faire pour accueillir le Christ en
nous : faire comme Marie : lâcher notre raison, notre égo, nos
préoccupations, pour nous mettre à l’écoute de l’Esprit… pour nous rendre
disponibles à Dieu.
Dieu ne
demande pas notre soumission, mais notre consentement… notre ouverture et notre
participation.
Qu’a-t-elle
répondu Marie au messager qui lui annonçait l’action du souffle de Dieu dans sa
vie ?
« Je suis la servante du Seigneur.
Que tout se passe pour moi comme tu l’as dit ! » (Lc 1, 38)
Voilà ce
qu’est la foi, la confiance !
Oser
dire à Dieu :
Je sais que tu m’aimes et que tu veux mon
bien et mon bonheur : qu’il soit fait, Seigneur, selon ta volonté. Je veux
lâcher prise, lâcher toutes résistances et m’ouvrir à toi. Que tout se passe
selon ton Esprit !
Alors, certainement, nous serons sauvés !
C’est ce
qu’annonce la venue de Jésus, dont le prénom signifie « Dieu sauve ».
Oui…
Dieu vient nous sauver, nous libérer, nous guérir, nous réconcilier.
En ce
jour de Noël et tous les jours suivants, ouvrons-nous à son Esprit pour
accueillir son salut.
Amen.
[1] Fête annuelle
de l’église protestante de Tonneins qui a lieu le 1er samedi soir
des vacances scolaires de décembre.
[2] « L’incarnation
du Logos n’est pas une métamorphose, mais sa totale
manifestation dans une personne vivante » (cf. Tillich).
[3] Cette question
de virginité de Marie est tout à fait secondaire. Ce qui importe pour
l’évangéliste Luc, c’est de rappeler l’oracle d’Esaïe qui voulait que le Messie
naquît dans d’une femme récemment marié : « voici la jeune femme est enceinte, elle va enfanter un
fils » (Es 7,14), et d’annoncer qui sera Jésus : Déjà, dire qu’il
s’appellera « Jésus », ce qui signifie « Dieu sauve » est
en soi un programme. Ensuite, il recevra un titre
messianique, « Fils du Très-Haut ». Luc emploie ici un titre du judaïsme
hellénistique, « Très-Haut », qui est appliqué à Dieu : il révèle que
Jésus sera le Messie dont l'un des titres est bien « Fils de Dieu ».
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