Lecture biblique : Lc 2, 1-18 ; Nb 22, 21-35
Thématique :
à l’image de l’âne, s’inscrire dans la patience, l’amour et l’humilité
Prédication
de P. Lefebvre / reprise et adaptée d’une méditation de Roland Revet
Veillée
de Noël 2015 à Marmande (le 24/12/15)
& veillée de Noël 2021 à Bordeaux (temple du Hâ)
* Pour
notre veillée de Noël… je vous propose de méditer – de façon un peu
inhabituelle – à travers un thème peu commun… plus exactement à travers un
personnage souvent oublié de nos récits bibliques : l’âne.
Il
paraît – selon des écrits apocryphes[1]
et certains pères de l’Eglise – qu’un bœuf et un âne étaient dans l’étable,
avec Marie et Joseph, au moment de la naissance de Jésus.
On voit aussi
souvent – dans les peintures et les tableaux de la nativité – la présence d’un
âne portant Marie sur son dos … alors qu’elle est enceinte, sans doute éprouvée
par le long voyage qui devait la conduire avec Joseph, de Nazareth à Bethléem,
à près de 150 kilomètres de là, sur des mauvaises routes, en vue du
recensement. … et cela alors qu’elle arrive au terme de sa grossesse.
Ou
encore – nous avons d’autres représentations picturales – qui font état du
second périple de Marie sur son âne… cette fois avec Jésus, après la
naissance… jusqu’en Egypte. Puisque
Hérode a décidé de faire périr tous les jeunes enfants, au cas où un rival, un
futur roi, se trouverait parmi eux.
L’âne
est un animal très présent dans les représentations picturales évoquant la
nativité ou la fuite en Egypte. Il est cet animal serviable, doux et humble…
sur qui on peut compter pour porter des charges ou des personnes, même sur des
chemins rocailleux et difficiles… même si on sait aussi qu’il a parfois une
tête de mule ou un caractère de cochon.
On dit
aussi de lui – à cause de son entêtement – qu’il est rebelle. « L’âne
sauvage » est réputé pour être indomptable. Il symbolise, par exemple,
dans certains récits bibliques, la personne ou le peuple obstiné qu’on ne peut
pas maîtriser (cf. Gn 16, 11-12). Celui qui n’est pas à l’écoute et qui n’en
fait qu’à sa tête... qu'on représente aussi parfois par le bouc ou la chèvre rebelle.
En
réalité, l’âne n’est pas explicitement nommé dans l’histoire de Noël racontée
par les évangiles canoniques. Il est tout de même bien présent dans la Bible.
Puisqu’il en est fait mention près de 90 fois.
Il sert,
par exemple, à Abraham et Isaac pour se rendre sur le lieu du sacrifice. Le
patriarche conduit son âne chargé de bois sur la montagne indiquée par le
Seigneur.
Nous
avons aussi l’ânesse de Balaam qui est la seule à être suffisamment sensible et
éveillée, pour reconnaître l’ange de Dieu qui lui barre la route, alors que Balaam,
lui, n’a rien vu et rien compris. A travers le comportement inhabituel de
l’animal, le prophète finit par percevoir la volonté du Seigneur. Là où l’homme
est souvent aveuglé, l’ânesse, elle, discerne l’invisible ; elle est
sensible à la présence de l’ange de l’Eternel.
On
retrouve encore l’animal au moment de la rencontre entre Samuel et Saül. Alors
que Saül est à la recherche de ses ânesses, Samuel reçoit l’ordre de l’Eternel
de oindre le jeune homme, pour faire de lui le chef du peuple d’Israël.
Dans le
Nouveau Testament, c’est encore sur un âne – cette modeste monture – que Jésus
a voulu entrer à Jérusalem, comme nous en faisons mémoire le jour des Rameaux.
Autrement
dit, on retrouve l’âne un peu partout dans la Bible, parce qu’il était très présent
au Moyen Orient.
Toute
une symbolique est attachée à cet animal. Contrairement au cheval qui symbolise
la force orgueilleuse, la puissance et la richesse – Il paraît d’ailleurs que Salomon avait un
nombre important de chevaux. Mais les prophètes Esaïe, Osée et Michée, par
exemple, contesteront les choix de vie marqués par l’égocentrisme et le luxe. Critiquer les privilèges des puissants ne date pas d'aujourd'hui. Ils diront que mettre sa confiance dans les chevaux, c’est un peu comme se
détourner de l’Eternel – l’âne, pour sa
part, animal humble mais solide, serait plutôt un signe d’attachement fidèle et
sûr.
Evidemment,
notre culture contemporaine et urbaine est éloignée des images bibliques d’antan.
L’âne représente davantage pour nous, aujourd’hui, un symbole de bêtise et
d’entêtement, à l’origine du bonnet d’âne infligé autrefois aux cancres. Ou
encore, dans le meilleur des cas, l’âne est un animal-jouet, un peu comme une
grosse peluche vivante, destinée à promener les enfants dans les jardins
publics ou sur les routes de montagne.
Mais, ce
qui nous intéresse ce soir, c’est de nous souvenir que cet animal peu glorieux,
patient, persévérant, dur au mal… et doté d’un cri assez désagréable… Dieu l’a
souvent choisi – d’après la Bible – pour accompagner le déroulement de certains
épisodes de l’histoire qu’il entreprend et tisse avec les être humains.
Bien
sûr, il est parfois nécessaire d’interpréter ces récits bibliques de façon
symbolique… L’histoire d’une ânesse
dotée de la parole, et qui entre en dialogue avec le prophète Balaam a de quoi
nous étonner… de même que l’histoire des
anges célestes qui se rassemblent en masse sur le lieu de la naissance de Jésus
pour chanter les louanges de Dieu : tout cela à de quoi nous questionner.
Mais la
Bible n’est-elle pas aussi là pour pousser notre raison dans ses derniers retranchements ?…
pour nous inviter à lâcher notre mental… et nous appeler à voir les choses autrement ?
En
faisant appel à tout un imaginaire et à des éléments symboliques, la Bible nous
permet d’aller au-delà des plans matériels et visibles, pour nous rappeler que
tout être vivant est mû par la vie, par une force qui le dépasse et
l’anime : le souffle de Dieu.
Par des
images merveilleuses, elle nous ouvre sur la présence de l’invisible. Elle nous
permet de comprendre que la présence de Dieu se manifeste parfois là où l’on ne
l’attend pas : dans sa création, dans ses créatures et même – de façon
centrale – dans cet enfant nouveau-né placé dans une mangeoire.
* Alors,
ce soir – une fois n’est pas coutume – nous pouvons lâcher notre raison… et
laisser libre cours à notre imagination…
Osons
imaginer de façon un peu décalée et extravagante cette scène de Noël :
« [Ce
jour-là] les anges ont chanté dans les cieux à la gloire de Dieu. On peut
supposer que les bergers ont chanté quelque chose sur la route en se rendant à
Bethléem. Il est évident que Marie a chanté une berceuse à son bébé. Alors,
imaginons que l'âne ait voulu chanter lui aussi. Quel concert ! Quelle cacophonie !
On aura
essayé de le faire taire – [ce pauvre animal] – mais je voudrais croire alors
que Dieu lui aura dit :
« Tant pis ! mon vieux, vas-y quand même,
brais de tout ton cœur, c'est le moment ou jamais de se réjouir ! ».
Et c'est
tant mieux pour nous [aussi] qui, bien souvent, [à notre manière, agissons
comme] des ânes.
Peu
importe que nous chantions juste ou faux, nous sommes des ânes parce que nous
n'arrivons pas à être les anges que nous aimerions être.
Nous
sommes venus ce [soir] avec nos préoccupations terre à terre, nos soucis de
santé, d'argent, de cadeaux […], nos querelles avec des voisins ou des proches,
nos regrets pour des choses que nous avons faites et qu'il aurait mieux valu
éviter, nos inquiétudes pour le climat [pour telle ou telle épidémie ou pour les attentats], notre crainte des
terroristes ou des extrémistes, et nous pensons à tout ça, même au milieu de [cette
veillée], et peut-être à tant d'autres choses qui détonnent, qui tranchent par
rapport à l'état d'esprit qu'il convient d'avoir quand on est au culte.
Et si
Dieu voulait nous dire, par exemple :
« Ne vous en faites pas, car c'est justement
à cause de tout cela qu'il y a ce temps de l’Avent [et de Noël], ce temps où je
prépare la venue parmi vous de celui qui prendra tout cela en charge à vos
côtés.
Le cadre que je prépare, c'est une
étable, et là, il y aura un âne, l'animal servile, l'animal du travail qui
symbolise toute la servitude, toute la misère du monde, que je veux partager
avec vous en cet enfant, en cet homme qu'il deviendra.
Tant mieux qu'il soit là, cet âne, et
vous avec lui, c'est pour cela que tout est en train de se mettre en place, à
Bethléem.
Alors, mes chers ânes, n'étouffez pas vos
soucis lorsque vous venez me rencontrer, c'est justement à cause d'eux que
toute cette histoire va se dérouler ! »
Oui,
l'âne reste un symbole fort.
On le
retrouve par exemple le jour des Rameaux (je l'ai dit), lorsque Jésus arrive sur un âne alors
que certains l’auraient plutôt attendu à cheval, pour libérer Jérusalem et
inaugurer le règne de Dieu. Quelle
déception !
Seulement,
nous voyons bien que cet âne n'est pas là par hasard, parce que Jésus n'aurait
rien trouvé d'autre. Il l'a voulu, il l'a envoyé chercher.
Jésus
n’est pas venu en s’imposant, en cherchant à se faire respecter à tout prix,
comme n'importe quel fils de dieu. Il est là pour les pauvres, les pécheurs,
les ânes que nous sommes parfois.
Il n'est
pas venu proposer la richesse, le succès, le triomphe, un bon truc pour réussir
en affaires. Il est venu nous parler du secret de Dieu, qui est l'amour et
l'humilité.
Donc,
l'âne, c'est bien.
Est-ce que c'est nous ?
Disons
que ça devrait être nous.
Rappelez-vous : en allant chercher l'âne des Rameaux,
les disciples ont dit « le Seigneur
en a besoin ». S'il a eu besoin d'un âne, il peut bien avoir besoin de
nous.
Le
problème, c'est que si l'âne est symbole de patience et de persévérance, ces
qualités sont parfois celles qui nous manquent le plus.
Spontanément,
nous aurions plutôt envie d'être riches, forts, reconnus. Nous aimons mieux
qu'on nous écoute. Et nous ne nous laissons pas [forcément] marcher sur les
pieds. […]
Et c'est
sans doute parce qu'il y a, dans le monde, beaucoup d'ânes qui se prennent à
tort pour des chevaux que la lumière de l'évangile a bien du mal à percer.
[Bien
sûr] nous pouvons toujours déplorer la méchanceté du monde et nous inquiéter
parce que tout va si mal, [Mais] soyons d'abord des ânes qui acceptent d'être
ce qu'ils sont. L’âne qui fait son petit travail indispensable, mais si
modeste… que même l'évangéliste Luc n'en parle pas, en dépit de sa présence
évidente dans l'étable.
Donc, au
lieu de chercher à tout prix à nous faire remarquer, à laisser des traces de
notre passage, faisons, comme l'âne, notre petit boulot !
L'âne, à
petits pas, sous sa charge, il avance patiemment, avec obstination, avec
persévérance.
Qui sait ? C'est peut-être ça qui nous manque le
plus : la persévérance !
C’est
plus facile quand la vie chrétienne se concentre sur quelques feux de paille
saisonniers, Noël, Pâques, [Pentecôte] etc.
Il est
plus difficile de persister dans l'accomplissement des humbles tâches qui
manifestent la présence de l’évangile dans nos existences quotidiennes.
C'est
moins gratifiant, mais c'est ainsi que Jésus est présent dans le monde, puisque
nous, pauvres ânes que nous sommes, il nous invite à être son corps – le corps
du Christ – c'est-à-dire ses bras, ses jambes, sa bouche, ceux et celles qui
marchent et parlent pour lui !
Si ce
temps de Noël, et cette nouvelle année qui s'annonce pouvaient nous inciter
encore plus à changer quelque chose dans nos vies, à nous rapprocher les uns
des autres pour mettre en commun des idées et que notre Église fasse encore
mieux qu’elle ne fait aujourd’hui et que nous y puisions toujours plus de
forces pour vivre l'Évangile au quotidien !
Que nous
ayons pour cela la persévérance nécessaire...
En
repensant à [cette veillée], j’ai découvert un texte, un poème ou une chanson, (comme on voudra), qui date des années 60. […] C’est un texte du pasteur Alain
Burnand, de l’Eglise du Canton de Vaud […].
Puisque
de toute façon, la [médiation] d'aujourd'hui a pris une allure un peu
inhabituelle, je vais la terminer de façon inhabituelle, non pas en vous
chantant cette chanson, mais en vous en lisant les paroles et puis, si ça vous
a plu, vous pourrez emporter le texte. Ce sera un petit souvenir [de cette
veillée de Noël]. »[2]
« Le petit âne » d’Alain Burnand
* Sur le pont de l'arche, Noé le patriarche
Voit avec angoisse l'orage qui menace
Cherchant un refuge contre le déluge
Tous ses pensionnaires ont franchi la barrière
Mais soudain, quelle surprise, on devine tout
là-bas
Une étrange forme grise qui trottine à petits pas
C'est moi, le p'tit âne, pardon si je
flâne
Personne ne m'avait invité
Je ne sais que braire, j'ai sale
caractère,
Je suis sûr de vous irriter!
Mais non, petit âne, Noé te
réclame,
Il veut que tu viennes avec nous,
Ton humble patience, ta persévérance
Seront nécessaires entre nous !
* Dans la nuit si fraîche, priant devant la crèche
Joseph s'émerveille et l'enfant sommeille,
Bergers et rois-mages, mêlant leurs hommages
Ont rempli l'étable de leurs voix admirables.
Mais soudain, dans la chorale, un chanteur a déraillé,
Et sa clameur animale a failli les effrayer !
C'est moi, leur dit l'âne, pardon! j'ai fait l'âne,
J'ai cru que je pourrais chanter,
Mais je ne sais que braire, c'est mon caractère,
C'est bon, je m'en vais m'arrêter.
Mais non, petit âne, Joseph le réclame,
Il veut que tu chantes avec
nous,
Car Dieu notre Père connaît nos misères
Ce soir, il a pitié de nous.
* Ils sont près de mille, sortis de la ville,
Accourus en masse pour le roi qui passe.
Mais lui reste calme, au milieu des palmes
Qu'en signe de joie la foule déploie.
Mais quelle étrange monture pour ce prince original ?
Il aurait plus grande allure s'il était sur un cheval !
Allons, petit âne, mon bon
petit âne,
Tous ceux qui voudraient
critiquer
Il est bien probable qu'ils
sont incapables
De vivre dans la charité.
En toi, petit âne, Jésus le proclame,
Parmi toutes les qualités,
Celles qui dépassent de loin toute grâce
Sont l'amour et l'humilité !
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