Lectures bibliques : Lc 6, 36-38.
41-42 ; Jn 8, 1-12
Thématique :
le pardon pour les adultères et les idolâtres
Prédication de
Pascal LEFEBVRE, reprise en grande partie de Louis SIMON[1]
Tonneins, le
24/04/16
Quel titre pourrait-on donner à cet
épisode bien connu de l’évangile ?
Plutôt que
« la femme adultère », nous pourrions l’appeler « la femme
pardonnée » ou « les religieux idolâtres » ou encore « les accusateurs
déboutés » ou autrement « quand Jésus dessine sur le sable l’Evangile
du pardon ».
Nous nous
arrêtons souvent au sort de cette pauvre femme, sauvée in extremis de la mort par un Jésus bon et miséricordieux : ce
qui est tout à fait juste ! Mais ce récit est tout à la fois une remise en
cause radicale de l’image de Dieu véhiculée par des Religieux – donc une
critique de l’idolâtrie et, dans une certaine mesure, une interrogation au
sujet de la loi – ainsi qu’une leçon pratique du maître, révélant le bien fondé
de ses paroles : paroles qui appellent précisément à ne pas occuper la
place de juge de l’autre… place que Dieu lui-même refuse d’occuper.
« Votre Père est
miséricordieux ; devenez comme lui, miséricordieux. N’émettez pas de
jugement. De la sorte vous ne serez pas jugés vous-mêmes, car c’est de la
manière dont vous aurez jugé que vous serez jugés, et c’est avec la mesure dont
vous aurez mesuré qu’on mesurera pour vous. » (Q 6, 36-38)[2]
La
recommandation « n’émettez pas de
jugement » signifie : Ne vous permettez pas cela, parce que
votre Père lui-même ne le fait pas !
Mais visiblement
le dieu des scribes et des pharisiens n’est pas le Dieu miséricordieux – le
Dieu d’amour – annoncé par Jésus.
Le dieu des Religieux
est un dieu qui aurait décrété une loi immuable, qui entend punir tout
contrevenant… en supprimant le pécheur avec son péché : c’est plus simple et radical !
Voilà donc la
question que les Pharisiens posent à Jésus en lui amenant une femme surprise en
adultère : « Moïse nous
prescrit de lapider de telles femmes ; toi, qu’en penses-tu ? »
… en d’autres termes, reconnais-tu ou contestes-tu ce que dit Moïse ? Le
piège est tendu !
Jésus avait
peut-être bien envie de leur dire que la manière de voir de Moïse était
dépassée… mais il n’a pas osé… car alors ce serait lui qui aurait été lapidé
sur le champ ou qui aurait perdu son auditoire constitué de Juifs et de
Craignant-Dieu.
Sa critique
radicale de la religion, il la garde pour plus tard : il la manifestera
pleinement en chassant les marchands du Temple, en contestant les sacrifices et
l’idée de relation marchande avec Dieu.
En attendant, il
lui faut montrer que les Pharisiens sont à côté de la plaque avec l’idée d’un dieu
susceptible de punir.
De toute façon, en
regardant de plus près, on s’aperçoit vite que la requête des Religieux est malhonnête,
pour deux raisons :
- D’une part, parce
que pour commettre un adultère, il faut être deux : une femme et un homme. Il n’y a donc pas de raison
que ce flagrant délit d’adultère ne concerne qu’une femme seule.
- D’autre part,
parce qu’ils tordent le sens des paroles de Loi. Les religieux disent en
chœur : « Moïse nous a prescrit
de lapider de telles femmes ». Mais Moïse n’a jamais dit cela. Dans le
Deutéronome, on peut lire : « Si l’on
prend sur le fait un homme couchant avec une femme mariée, ils mourront tous
les deux, l’homme qui a couché avec la femme, et la femme elle-même. Tu ôteras
le mal d’Israël. »
(cf. Dt 22,22). Il n’est pas question de condamner seulement
la femme, mais les deux personnes.
Cela dit – sur
le fond – ce n’est pas tellement mieux ! On peut s’étonner, avec le recul
du temps, que des humains aient pu considérer – ou considèrent encore – ces
paroles comme révélant la volonté de Dieu… de façon pure et sans erreur… comme
si les auteurs bibliques n’avaient pas pu, eux-mêmes, être influencés par leurs
contextes culturels et religieux et leurs propres présupposés.
Quoi qu’il en
soit… cette histoire d’adultère ne concernait pas seulement les femmes… il y a
même des cas, où c’est l’homme seul qui devait être puni :
Comme le code
ancien ignorait tout de la miséricorde de Dieu, il prévoyait tous les détails.
Je cite le cas d’un adultère à l’extérieur de la ville : « Si c’est dans les champs que l’homme rencontre la jeune
fiancée, la saisit et couche avec elle, l’homme qui a couché avec elle sera le
seul à mourir ; la jeune fille, tu ne lui feras rien, elle n’a pas
commis de péché qui mérite la mort. » (cf. Dt 22,25-26). En
effet, étant dans les champs, personne ne pouvait l’entendre même s’il elle
criait au secours… donc la loi la considère comme non-coupable dans ce cas.
On voit bien à
travers cet exemple que les Pharisiens attribuent ici tous les torts à cette
femme, en occultant complètement le rôle nécessaire d’un partenaire masculin.
Je vous livre le
commentaire pétillant du pasteur Louis Simon à ce sujet :
« Religieux pleins de suffisance et de
fourberie. Vengeances de mâles qui se rassemblent nombreux pour abattre
leur proie femelle. Il n'y a ici que simulacre blasphématoire de justice,
tyrannie masculine habillée de religion.
[…] « Que celui qui est sans péché lui jette
la première pierre !... » Un par un, les forts vont devoir reculer devant
l'Évangile. Rien que des hommes ? Oui, quand il s'agit de condamner. Mais un
par un [en commençant par les plus âgés], ils doivent reculer, piteusement
reculer devant une femme ! Et Jésus prend tout son temps. Son dessin sur le
sable se précise. Et les derniers à leur tour perdent la face et reculent
devant une femme. Et bien sûr devant Jésus, devant le Pardon qu'est Jésus.
Toute
la société supermasculine est par terre : «
Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre ! » […] Avec deux
gouttes d'amour et de pardon, tous les privilèges masculins s'effritent. « Femme – dit Jésus – où
sont-ils ? » « Ils », ce glorieux masculin pluriel
a-t-il disparu ?... « Personne », répond
la femme. On souffle sur le dessin et tout s'efface. »
A coté de
l’orgueil et de la misogynie des Pharisiens, qui se permettent de juger leur
prochain, Jésus discerne un autre péché que celui de la femme : il
discerne l’idolâtrie des Religieux qui livrent une fausse image de Dieu :
Le Dieu
miséricordieux et compatissant que Jésus veut leur présenter, ils ne le
connaissent pas encore… ou peut-être ne veulent-ils rien en savoir, car alors,
il faudrait tout changer : abandonner la rigidité de la Loi et renoncer
aux sacrifices, pour un évangile d’amour, de compassion et de pardon : quel travail ! Quelle remise en
cause !
Ils ne
connaissent qu’une idole : un dieu qui se réjouit de voir puni le pécheur.
Mais précisément
la Loi ne condamne-t-elle pas l’idolâtrie ?
Jésus a trouvé
la parade : il va jouer Moïse contre Moïse, l’idolâtrie contre l’adultère.
Les pierres qui condamnent et qui tuent, il faudra bien qu’ils les lâchent ou
qu’ils les retournent contre eux, puisqu’ils sont aussi pécheurs.
Je vous lis la
suite du commentaire de Louis Simon :
« Sous
leurs yeux, [Jésus] va tellement embrouiller les Écritures qu'on ne verra plus
où sont les bourreaux et où se trouve l'adultère. C'est qu'en matière de
péchés, on ne peut parler que des siens propres.
Où
sont les pierres ? demande Jésus. Allez ! Que l'on commence ! Que soit
constitué un flagrant délit ! Vous voulez du Moïse, eh bien, en voilà ! Voilà
un beau flagrant délit ! Pas celui qu'on pense, mais un flagrant délit
d'idolâtrie. Vous parlez d'adultère et vous avez raison. Car l'Écriture appelle
adultère l'idolâtre qui sert un autre
Dieu que le vrai Dieu. Et c'est ce que vous faites en vous mettant au
service d'un Dieu qui m'est étranger, le Dieu des punitions, des violences et
du sang versé.
Vous
avez bien dit : adultère ? Eh bien, qu'on avance les pierres ! La lapidation, c'est le cérémonial des
idolâtres ! Le vrai péché a été démasqué. Sous le masque des juges
religieux, rien que des bourreaux, et des adultères ! Car ils servent un
autre Dieu que le Dieu d'amour. Ils ont choisi un Dieu meurtrier. Faux dieu que
ce Dieu des tueurs de pécheurs.
Idolâtres,
dit Jésus. Avec votre goût de sang versé pour l'honneur de Dieu, vous trahissez
Moïse et surtout Dieu lui-même. Vous dressez un autre Dieu en Israël. Idolâtres
et donc – dit Moïse – adultères.
Nouvelle
lecture de Moïse. Idolâtres, tous ceux qui n'invoquent leur Dieu que pour mieux
dénoncer le péché des autres et si possible, les mettre à mort ! Idolâtres
meurtriers, les serviteurs d'un Dieu de mise à mort !
En
chaque religieux qui se veut impeccable sommeille un meurtrier. Pour qui la lapidation ? Pour la femme
et son complice, parce que l'adultère est un mal redoutable ? [ou] pour les
accusateurs qui ont changé Dieu en Idole, et tourné le dos au Dieu
miséricordieux pour le remplacer par un Dieu sanguinaire qui aimerait voir
couler le sang des pécheurs ? Tous sont adultères. C'est clair aussi bien pour
Moïse que pour Jésus : il ne faut pas d'adultère, il ne faut pas d'idolâtrie et
il ne faut pas se tromper de Dieu. Dieu est amour, rien qu'amour ».
Quelle
actualité dans ces paroles !
Quand on pense qu’il y a encore aujourd’hui – au XXIe siècle
– des Religieux dans le monde qui affirment vouloir éliminer les infidèles au
nom de Dieu : l’idolâtrie est encore et toujours une réalité… un danger pour toute religion. Mais derrière
de tels propos ou de telles intentions, quel Dieu prétendent-ils adorer ? Quels
intérêts servent-ils en réalité ?
Malheureusement, la question de l’adultère n’est pas non
plus réglée. En France, l’adultère n’est plus une faute pénale depuis la loi du
11 juillet 1975, mais demeure une faute civile… et relationnelle.
A l’autre bout du monde, les choses sont bien
différentes : des femmes meurent encore par lapidation, parce que des hommes
disent appliquer une loi divine, la
charia : quelle cruauté ! Quel manque de compassion !
On voit à quel point les mentalités évoluent lentement et
combien nous avons – encore et toujours – besoin du message de l’Evangile pour
élever notre niveau de conscience.
Mais, revenons à notre épisode avec la femme libérée de ses
accusateurs, pardonnée par Jésus :
« Moi
non plus, je ne te condamne pas. Va, et ne pèche plus ! »
Un avenir est encore possible ! Le Christ ouvre un
avenir nouveau à cette femme qui n’en avait plus.
Le pasteur Louis Simon termine sur l’image du sourire plein
de larmes de la femme. Je le cite :
« Elle était morte, et la voilà au seuil de sa résurrection.
Jésus
s'est levé. Il parle, et tout l'évangile de la liberté et du pardon éclate
comme un matin de Pâques. Et ce grand projet de résurrection ne vaut pas
seulement pour la femme, cela vaut aussi pour les autres. Sinon, rien n'a lieu.
Aux bourreaux aussi grâce doit être faite. Il faut toujours libérer et la victime et les bourreaux.
[« Va » dit-il.] Ce « va ! » est un singulier qui se
veut personnel, pour toute personne.
Le
texte d'ailleurs le montre, par une incorrection voulue et organisée. Une fois
que tout le monde est parti, une fois que tous les religieux idolâtres ont quitté
la cour, alors il est écrit ceci : « La femme était toujours là, au milieu. » Au milieu de quoi ? au
milieu de qui ?
Justement,
elle est maintenant milieu exemplaire,
centre exact, et chacun est là, comme elle, en elle, idolâtre ou adultère. Oui,
elle est seule, mais elle représente chacun. Elle est ce que tous sont : pas
grande chose, petite chose, idolâtre ou adultère. Mais elle entend ce qui vaut
pour tous : la promesse. « Va et ne
pèche plus ! »
C'est
simple comme un matin de Pâques. Jésus nous recommence.
La
vraie justice ne s'occupe pas d'hier (elle n'accuse ni n'excuse), mais promet
un nouveau demain. Va! Marche! Ne pèche plus. Ne meurs plus! Va! Je ne te
lapide pas. Je te ressuscite.
Quelqu'un
était venu pour mourir. Quelqu'un était venu pour faire mourir. Mais sur eux
l'Évangile est prononcé : […] cela s’appelle pardon. »
… le
pardon que nous recevons… le pardon que nous pouvons donner… au nom de Celui
qui n’est rien qu’amour.
Amen.
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