L’ivraie et le
semeur
Lectures
bibliques : Mt 13, 24-30 ; Mc 4, 1-9
(Louange :
Psaume 23, choisi par la famille du baptisé)
Thématique :
Être des semeurs de conscience, d’altruisme et d’espérance
Prédication
de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 24/07/16 / Culte avec baptême de Josua
* En ce
jour de baptême, avec la famille de Josua, nous sommes dans la joie et la fête,
c’est bien normal : c’est une bonne et heureuse nouvelle d’accueillir une
famille et un enfant dans l’Eglise de Jésus Christ. Mais dans un petit coin de
notre cœur, nous sommes aussi solidaires et en communion d’esprit avec les
familles qui sont dans la tristesse et le deuil, à cause des évènements
terribles qui ont secoué notre actualité.
La
lecture de la parabole du bon grain et de l’ivraie prend une tournure
particulière cette semaine au regard des actualités dramatiques que nous
vivons : 3 attaques sanglantes en moins de 10 jours : - l’attentat du
camion-bélier à Nice le 14 juillet par un homme franco-tunisien, qui a fait 84
morts et de très nombreux blessés ; -
une attaque à la hache dans un train à Wurtzbourg, en Allemagne, par un
homme afghan, qui a fait plusieurs blessés graves ; - et un attentat
terroriste hier à Kaboul en Afghanistan, qui a fait plus de 80 morts et 230
blessés, lors d’une manifestation pacifiste de la minorité chiite.
Bien
entendu, ce sont surtout les évènements de Nice, les plus proches de nous
géographiquement, qui nous ont marqué.
Nous
restons sans voix, paralysés par la stupeur et l’incompréhension face à ces terribles
nouvelles. Comment des hommes, des êtres humains, normalement doués de
conscience et d’une certaine sensibilité et intelligence, ont-ils pu commettre
des actes aussi odieux et horribles ? Pour quelle raison, quel
motif ? Tout cela dépasse notre entendement.
Il
apparaît, selon toute vraisemblance, que ces personnes – pour en arriver là,
pour agir avec cette violence inouïe vis-à-vis de semblables, vis-à-vis
d’autres être humains – … ces personnes ont dû être complètement endoctrinées,
manipulées, peut-être droguées… mais assurément, elles ont dû recevoir une
sorte de lavage de cerveau… quelque chose a été semé dans le champ de leur
conscience : une mauvaise herbe, une ivraie redoutable, qui a ravagé cette
conscience, leur a fait perdre tout sens commun, jusqu’à occulter une part de
leur humanité… pour ne laisser place qu’à la violence et à la haine. Quand on
en vient à ne plus voir en autrui, un semblable, un autre être humain… quand on
n’éprouve plus aucun altruisme, aucune compassion … c’est d’une certaine
manière l’attestation de la perte d’une part d’humanité. L’humain laisse place
à une bête monstrueuse et sanguinaire, qui n’a plus aucune considération ni
pour autrui ni pour la vie.
* Au
regard de la parabole du bon grain et de l’ivraie, on peut naturellement se
demander : quel est l’homme ennemi qui a semé cette ivraie mortifère,
dangereux et ravageur dans la tête de ces gens… dans le champ de conscience de
ces personnes… qui sont devenues des assassins… qui ont ainsi semé la mort et
la terreur autour d’eux ?
Les
enquêteurs et les journalistes répondent qu’il s’agit de Daesh, une
organisation terroriste comportant un certain nombre de ramifications, dont le
commun des mortels ne sait finalement pas grand chose, à part le fait qu’elle
porte la revendication d’un Etat Islamique (donc une revendication d’ordre
politique) et colporte avec elle une idéologie de mort, au nom du Dieu de
l’Islam. Mais, la plupart des experts soulignent qu’il s’agit surtout d’une
conquête de pouvoir politique, derrière un masque religieux, car la plupart des
prétendus « soldats » de Daesh ne connait ni le Coran, ni les piliers
de cette religion.
En bref,
l’homme ennemi de la parabole … ou plutôt l’organisation ennemie de la
conscience humaine… a été identifié(e). C’est elle qui aurait semé de l’ivraie,
c’est-à-dire la zizanie (en grec) et la discorde dans la tête de tous ces
jeunes, devenus de dangereux fous
« fanatiques-terroristes-fondamentalistes », porteurs d’une idéologie
de mort pour l’ici-bas, avec la promesse paradoxale d’un paradis dans
l’au-delà, pour avoir éliminé des infidèles. Quelle absurdité ! Quelle
crédulité !
Mais ce
qui peut nous interroger, c’est l’absence de pendant, de contrepartie à cette
ivraie : où est passé le bon grain dans la vie de ces gens ? Y en
a-t-il eu ? A-t-il aussi été semé ? Comment se fait-il que la moisson
n’ait laissé voir que l’ivraie dans la vie de ces personnes ? C’est la
question que la parabole nous permet de poser. Et c’est là précisément que se
situe notre responsabilité… d’une part, au niveau étatique et sociétal :
quel bon grain… quelles valeurs l’enseignement républicain et démocratique
aurait-il dû semer ? A-t-il réellement été semé ? Si non, il faut en
tirer les conséquences sur la manière dont l’enseignement et l’éducation
fonctionnent et opérer des réformes ? Et si oui, comment se fait-il que ce
bon grain ait été complètement étouffé ?
D’autre
part, notre responsabilité se situe au niveau personnel : quel bon grain,
quelles bonnes paroles semons-nous dans notre vie, dans notre entourage, pour
être des acteurs, des transmetteurs de conscience, de confiance et d’espérance
dans ce monde ?
En
effet, la parabole ne donne l’identité ni de l’homme qui sème le bon grain, ni
de celui qui sème l’ivraie : Si Daesh sème la zizanie dans le monde, il
appartient aussi bien à l’Etat, à l’Eglise, à la société civile et aux
associations de semer une bonne parole, une parole de concorde, de confiance et
d’espérance dans notre monde… et c’est aussi notre responsabilité
personnelle : nous sommes aussi, à titre individuel, cet homme de la
parabole qui a pour mission de semer du bon grain dans le champ de conscience
des autres… de ceux que nous rencontrons… afin de transmettre des valeurs
d’humanité, de respect, de tolérance et d’altruisme… afin de transmettre la
Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu et l’appel à l’amour du prochain que Jésus
nous invite à vivre.
Nous ne
pouvons pas seulement constater cette violence à la télévision, constater que
l’ivraie est là, sans agir, en restant passifs.
Certes,
dans la parabole, le maître de maison ne permet pas qu’on arrache l’ivraie. Ce
qui indique que la violence n’est jamais la solution. Car elle se nourrit d’elle-même ;
elle alimente l’engrenage de la vengeance.
En
revanche, il n’est pas dit que les serviteurs attendent les bras croisés, sans
rien faire. Leur mission est de contribuer à la semence et à la croissance du
bon grain. En d’autres termes, face à la présence de l’ivraie, il nous
appartient de semer la bonne Parole, celle de l’Evangile : d’un Dieu qui
est amour et lumière, un Dieu bon et compatissant, qui ne veut que la vie et le
bonheur de ses créatures… pas un Dieu de mort, de sacrifices, de vengeances et
de punitions.
Nous
avons nous aussi notre part de bon grain à semer, en propageant l’Evangile de
la confiance et de l’espérance, dans un monde qui ne croit plus qu’à la loi du
plus fort et du plus riche, à la peur du lendemain et à la rivalité (que ce
soit celle de la concurrence économique et financière ou celle de la guerre
pour le pouvoir).
* Ensuite,
nous avons entendu la parabole du semeur. Elle peut également nous éclairer
dans notre actualité. Elle nous invite à réfléchir à différents points :
-
Qui est le semeur de la
parabole ?
On ne le sait pas. Je dirais que le semeur se situe à différents niveaux :
Le semeur, c’est Dieu qui sème la vie et qui nous donne sa grâce et son Esprit.
Le semeur, c’est Jésus Christ qui sème la Bonne Nouvelle de l’Evangile de
l’amour de Dieu. Le semeur, c’est aussi chacun des disciples de Jésus qui propage
les valeurs de l’Evangile… c’est aussi l’auditeur et le récepteur de
l’Evangile, qui devient transmetteur de la bonne semence, qui devient passeur
de génération en génération d’une Parole de vie dans un monde qui vit dans la
nuit, qui a bien besoin d’une Bonne Nouvelle d’amour et de confiance.
C’est le rôle que nous avons à jouer avec nos jeunes… avec
Josua qui vient de recevoir le baptême… avec les enfants de l’école biblique et
les jeunes de la catéchèse… mais aussi dans nos familles, avec nos amis et nos
voisins : en tant que bénéficiaires d’une semence d’amour qui a été plantée
et s’est enracinée dans nos cœurs, nous avons la responsabilité de porter, de colporter
et de semer, à notre tour, la bonne semence (celle de la vie, de l’amour, de la
fraternité et la gratuité) que nous avons un jour reçue.
-
Une
autre question se pose à la lecture de la parabole du semeur : quel est donc ce grain qui doit être
semé ? Dans l’interprétation de la parabole qui nous a été transmise,
il est dit que ce grain qui est semé dans le cœur de l’homme, c’est la Parole
(cf. Mc 4, 15), la parole du royaume (cf. Mt 13, 19) ou la parole de Dieu (cf.
Lc 8,11). Quelle est donc cette
Parole ? Bien sûr, il faudrait relire les évangiles pour y répondre en
détail. Ce que nous n’allons pas faire ce matin. Notons simplement que dans la
Bible, la Parole désigne l’acte de Dieu. La Parole est créatrice : elle
est performative, elle fait ce qu’elle dit. En d’autres termes, semer la
Parole, c’est semer une Parole de vie, une Parole susceptible de produire de la
vie, de la nouveauté et du changement dans notre existence et notre monde. La
Parole est le vecteur de l’Esprit de Dieu. Elle contient une dynamique, une
puissance de transformation : c’est d’ailleurs, l’image de la plante qui
pousse toute seule, de la petite graine qui devient une grande plante potagère.
La Parole est donc à la fois une parole et un acte, c’est
une force qui peut produire la vie, faire croitre, faire grandir. Elle est
présentée – en Jésus Christ – comme active et agissante, comme positive et bénéfique :
c’est une Parole d’amour, de confiance, d’espérance, qui relève et qui guérit…
qui envoie et qui promet… qui participe à l’advenue du règne de Dieu dans notre
cœur et notre monde.
Face à une parole génératrice de destruction et de mort, une
parole de haine : celle de l’idéologie terroriste… nous voyons combien
notre monde a un besoin impérieux de cette Parole de vie.
-
Ensuite,
la parabole met en perspective deux aspects : La manière d’agir du semeur qui sème la Parole, et les différents
terrains sur lesquels tombe la Parole.
Concernant la manière d’agir du semeur, la parabole est
plutôt étonnante : elle nous présente un homme qui sème à tout vent. Il le
fait avec générosité, sans calcul. Il n’hésite pas à gaspiller, puisque du
grain va tomber partout, dans les pierres et les ronces et pas seulement dans
la bonne terre.
Autrement dit, le rôle du semeur est de semer : il ne
lui appartient pas de savoir dans quel terrain la Parole va tomber. Il n’a pas
à juger le terrain, mais à semer généreusement, sans calcul, sans en connaître
le résultat.
Cela doit être un enseignement pour nous. Si l’Evangile nous
appelle à être des semeurs d’espérance, c’est ainsi qu’il faut vivre cette
mission : semer la Parole modestement, en acceptant d’ignorer le résultat
qui surgira ou non. Ce qui se joue dans les cœurs reste caché et secret,
jusqu’à la récolte.
D’autre part, il y a la question des différents terrains…
c’est-à-dire des différents cœurs qui reçoivent la Parole. C’est souvent sur ce
point qu’on se penche quand on médite cette parabole. Mais, à vrai dire, on ne
peut en parler que pour soi-même. Nous n’avons à juger les circonstances qui
ont fait que tel ou tel être humain semble être devenu un bon terrain ou un
terrain de ronces ou de rocailles. D’abord, les choses ne sont jamais figées et
définitives. Des gens peuvent changer et s’endurcir, d’autres peuvent
s’améliorer et progresser. Ensuite, c’est à chacun, personnellement, de savoir
quel terrain il met à disposition du bon grain, de la Parole. A-t-il un cœur de
pierre ou de chair pour accueillir la Parole ? Est-il hermétique à
l’Esprit de Dieu ou accepte-t-il de l’accueillir et de se laisser transformer
par Dieu ?
* Ce qui semble constituer une menace tout à fait
d’actualité, ce sont les épines qui étouffent la Parole. Relisons ce verset
dans l’explication qui est donnée : « [Ceux]
qui sont ensemencés dans les épines : ce sont ceux qui ont entendu la
Parole, mais les soucis du monde, la séduction des richesses et les autres convoitises
s’introduisent et étouffent la Parole qui reste sans fruit. » (cf. Mc 4,
18-19).
Ce versets nous rappelle qu’il y a fondamentalement deux
problèmes à résoudre : - le premier – nous l’avons souligné – c’est qu’il
n’y a pas que du bon grain, il n’y pas que la bonne Parole, il y a aussi de
l’ivraie qui a été semée et qui agit dans les consciences.
- le deuxième, c’est que même quand le bon grain est semé,
il se trouve en concurrence avec d’autres réalités : les soucis du monde,
l’attrait des richesses et bien d’autres convoitises : les sirènes du
pouvoir, de l’accaparement, de la consommation, etc.
Autrement dit, il ne suffit pas de semer l’Evangile, il est
nécessaire de lutter contre l’idolâtrie, de désacraliser le Dieu Mammon (le
Dieu argent), pour donner un autre but à nos contemporains, pour élargir
l’horizon des humains.
Un des problèmes, à mon avis, est de voir ce qu’on promet à
la jeunesse d’aujourd’hui : d’un côté, la promesse d’une vie de labeurs et
de plaisirs, fondée sur le matérialisme et la consumérisme. L’enjeu est de
faire partie du système, de devenir un acteur économique performant et de
réussir dans le monde capitaliste.
De l’autre, à tous ceux qui ne se satisfont pas de ce modèle
ou qui y ont échoué, la promesse d’un paradis pour l’au-delà, un paradis pour
les terroristes, à condition qu’ils sacrifient leur vie pour un Dieu absolu et
tyrannique, un Dieu de mort, qui réclamerait le meurtre des infidèles.
Mais, quelle place reste-t-il pour une autre alternative,
pour une autre voie : par exemple, celle de Jésus Christ, pour lequel la
vie ne se résume ni à gagner sa vie, pour être un bon consommateur, ni à la
perdre, en la sacrifiant à un Dieu qui n’est qu’une idole sanguinaire.
Le but de la vie pour Jésus Christ est bien différent :
nous sommes là, dans cette existence terrestre, pour aimer, pour apprendre à
aimer… nous sommes là pour nous laisser transformer par un Dieu d’amour, qui
nous appelle à aimer notre prochain comme nous-mêmes. Pas à vouloir concurrencer
l’autre et le dominer, pas à vouloir non plus l’écraser et le réduire au
silence dans l’esclavage de la religion.
Il me semble que la devise de la République française, qui
nous a été rappelée pour la fête nationale, le 14 juillet dernier : « liberté, égalité, fraternité »
reprend, en fait, une bonne partie des valeurs évangéliques. Mais, quelle place
donnons-nous réellement à ces paroles et ces valeurs dans le monde
d’aujourd’hui ?
Quelle « liberté » notre société offre-t-elle à la
jeunesse ? Je ne parle pas de la liberté de participer à des fêtes
populaires ou celle de s’éclater en boite de nuit. Je parle de la vraie
liberté… de liberté dans nos choix de vie : par exemple, la liberté
d’entreprendre dans toutes les dimensions de sa vie (professionnelle,
personnelle, spirituelle, etc.) sans se conformer aux modèles existants. Quelle
place laisse-t-on à nos jeunes pour innover ? pour inventer un avenir
nouveau ? Quelles perspectives leur offre-t-on dans une société endettée
jusqu’au coup, imposée à outrance, dans un marché du travail étroit et
saturé ?... sinon la répétition d’un modèle à bout de souffle. Quelle
espérance et quelle liberté leur promet-on ?
La question pourrait aussi se poser pour la
« fraternité » : quelle fraternité notre société actuelle
construit-elle dans un monde où la concurrence, la rivalité et le chacun pour
soi sont devenus « paroles d’évangile ».
* En bref – et pour conclure – ce que je veux souligner,
c’est qu’un des problèmes de notre monde vient du fait qu’il n’y a plus de
place pour d’autres discours que ceux de la « toute-puissance » :
toute-puissance du Dieu Mammon, du Dieu argent et de la convoitise, d’un côté,
ou toute-puissance de l’idéologie et de l’idolâtrie des fanatiques de la
religion, de l’autre.
Notre mission – il me semble – face à ce constat, est de
redonner de la place à une autre Parole : une parole de vie, d’ouverture,
de confiance et d’espérance… une Parole où l’autre, le prochain, le service du
prochain devient la préoccupation essentielle, plutôt que le service de son
égo.
C’est cette Parole d’amour que Jésus Christ est venu
incarner dans le monde. C’est cette Parole qu’il nous appelle à habiter et à
semer. C’est un programme pour chacun de nous et pour notre Eglise : semer
la Parole de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain, dans un monde fondé sur
l’égo, sur « la toute-puissance de l’égo ».
En ce jour où nous accueillons Josua dans l’Eglise de Jésus
Christ, ayons à cœur pour tous les enfants, pour cette génération qui arrive, d’être
des semeurs d’altruisme et d’espérance, pour donner de la place au règne de
Dieu dans notre monde.
Amen.
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