Mc 3, 7-19
Lectures
bibliques : Mc 1, 32-34 ; Mc 3, 1-19
Thématique : être envoyé pour
libérer et pour guérir, pour redonner les gens à eux-mêmes
Prédication de
Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 22/01/17.
(inspiré d’une
méditation de Jean-Marc Babut)
* Il est
question, aujourd’hui, de la mission que Jésus confie à ses disciples, et,
donc, de ce qui devrait être au centre des préoccupations des Églises, dans la
mesure où nous nous reconnaissons disciples du Christ : qu’est-ce que
Jésus attend de ses disciples ?
* Pour répondre
à cette question, observons d’abord son action à lui : Qu’est-ce que fait
Jésus depuis le début de l’évangile selon Marc ?
On pourrait le
résumer en quelques phrases : Jésus proclame la Bonne Nouvelle, la
proximité du Royaume, du règne de Dieu (on pourrait dire « du monde
nouveau de Dieu »), dans lequel on peut entrer. C’est un langage nouveau,
une révélation nouvelle : Dieu est accessible à tous. Chacun peut recevoir
son Esprit saint en lui. Dieu peut agir dans notre intériorité, pour nous
guérir, nous régénérer, nous transformer. C’est un enseignement nouveau qui
vient se confronter aux traditions religieuses.
Jésus opère des
guérisons – y compris le jour du sabbat – qui étonnent tout le monde, à
commencer par les Religieux de son temps. Il mange avec ceux qui sont
considérés comme « impurs » ou « indignes » : des
collecteurs d’impôts, des pécheurs. Ce qui choquent les Pharisiens qui
pensaient que Dieu et son action bienveillante étaient réservés aux croyants
purs et fidèles.
Jésus rappelle, à
sa manière, que chacun est « digne » sous le regard de Dieu, quel que
soit son chemin, car l’amour de Dieu est inconditionnel, ouvert et promis à
tous.
Le lecteur de
l’évangile de Marc ne peut pas ne pas être frappé de la bonté profonde et de la
disponibilité que Jésus manifeste à celles et ceux qu’il croise sur son chemin,
en particulier à tous ceux qui traînent avec eux diverses misères humaines.
C’est sa façon
de vivre le message dont il est porteur, c’est pour lui une manière d'affirmer
que le Royaume – le monde nouveau de Dieu – est devenu tout proche (cf. Mc 1,
15).
En effet, si ce
Règne de Dieu est devenu tout proche, il suffit d'un pas pour y entrer, et dans
ce Règne les malades doivent être guéris, ceux qui sont possédés de démons (ou
de quelques souffrances) doivent être délivrés, ceux qui sont en quarantaine
(considérés comme des parias) comme
les ramasseurs de taxes doivent être accueillis, ceux qui sont exclus comme les
lépreux doivent être purifiés et réintégrés à la société, ceux qui ont faim
comme les disciples qui arrachaient des épis un jour de sabbat doivent pouvoir
calmer leur faim sans que cela fasse scandale, car « le sabbat a été fait
pour l’homme » (cf. Mc 2,27), pour les êtres humains : voilà un des
secrets du Règne de Dieu.
Aujourd’hui,
dans un monde économique plus que religieux, on pourrait dire : parce que « l’économie
a été fait pour l’homme » et non l’homme pour l’économie. Mais, ce n’est
pas une parole facile à entendre, tant notre monde est galvanisé par l’argent.
En bref… Jésus
met en œuvre « l’amour du prochain » à chacune des rencontres qu'il
fait. Quelle que soit la misère particulière de l'un ou de l'autre, Jésus la
voit et il a le geste qu'il faut, ou le mot qu'il faut, pour que tout bascule
dans le Règne de Dieu. Voilà une des merveilleuses nouveautés de l'Évangile
qu'il apporte.
* Mais – nous
l’entendons avec notre passage d’aujourd’hui – les choses ne sont pas simple
pour Jésus et son message. Devant le succès populaire de ses paroles et ses
actes, Marc nous fait part de l’afflux incroyable de gens qui arrivent jusqu’à
lui, même de très loin, de pays païens voisins, en vue d’obtenir une guérison.
Le début de
l’évangile semble nous montrer un Jésus qui est littéralement débordé de toute
part par une foule de malades, à cause de son action thérapeutique. Comme il
guérit les maux et les malheurs des humains : hommes possédés,
paralytiques, lépreux, etc., il est assailli de partout. Il n’a pas d’autre
solution que de se réfugier dans des lieux déserts ou d’aller dans la montagne
pour chercher un peu de repos et de paix, ou lorsqu’il est au bord d’un lac, de
prévoir une sorte d’« issue de secours » : une barque pour
pouvoir fuir la foule qui risque de l’écraser, nous explique l’évangéliste
Marc.
Bien sûr, nous
pouvons essayer d’imaginer ces événements et ces mouvements de foule que nous
raconte Marc. Mais, ils peuvent aussi nous interroger, car, pour nous, Jésus
n’est pas seulement un guérisseur. Il est le porteur de l’Esprit de Dieu, le
Christ.
Jésus est d’abord
celui qui annonce que le monde nouveau de Dieu est devenu tout proche, qu’il
faut changer de mentalité, de manière de considérer Dieu et les autres, que
nous sommes appelés à vivre unis, en communion les uns avec les autres.
Jésus est le
porteur d’un message de confiance – il nous appelle à croire à son message de
salut – et de transformation.
Il y a donc là
une sorte d’ambiguïté, dans le récit de l’évangile, pour tous ces gens qui
suivent Jésus et courent après un miracle :
Les guérisons
que Jésus opère ne sont que l’illustration de son message. Il me semble que
Jésus n’est pas seulement venu soulager les misères humaines – certes, il l’a
fait – mais, son message était plus vaste : toute véritable guérison ne
peut advenir sans confiance et sans un changement profond. Jésus appelait ses
auditeurs à changer enfin de mentalité, pour entrer dans la Conscience de Dieu,
dans la manière d’agir de Dieu, c’est-à-dire dans l’amour et la gratuité.
* Quoi qu’il en
soit de la façon dont son message a été reçu, ce que nous montre Marc, c’est la
résolution que Jésus a prise devant le succès de son action :
Jésus a compris,
à un moment ou un autre, qu’il ne pouvait plus faire face, seul, à cette
situation.
Devant la misère
des gens qui l’assaillent de toute part, et à laquelle il ne peut plus répondre
seul, il décide alors d’établir autour de lui – et avec lui – douze disciples à
qui il donne une mission et il transmet son autorité, sa capacité de guérir et
de libérer.
Je cite
l’évangéliste Marc : « il
établit les douze pour qu’ils soient avec lui, pour les envoyer proclamer,
prêcher, en leur donnant autorité pour jeter dehors les démons »
(v.15).
Évidemment, nous
ne dirions pas les choses de cette manière aujourd’hui. Derrière l’expression
« chasser les démons », il faut entendre « libérer les hommes de
leurs maux, de leurs malheurs ». Il s’agit de rendre à chacun son unité,
son intégrité, sa capacité d’être lui-même, d’accéder à son vrai Soi, et donc
de ne plus être divisé – car vous savez que ce qu’on met derrière les mots
« diable » ou « démon » désigne, en fait, une force capable
de nous diviser intérieurement, de nous asservir, de nous posséder, donc de
nous rendre esclave, d’une certaine manière.
La mission que
Jésus confie à ses disciples est celle de redonner les gens à eux-mêmes, de
leur rendre leur liberté, leur intégrité, l’accès à leur vrai Soi, en relation
avec Dieu.
Je crois, chers
amis, que c’est là la mission qui est confiée à tout disciple de Jésus. Quand
Jésus choisit les Douze, il les destine à faire, à leur tour, ce que lui-même
fait : proclamer l’Évangile et chasser les démons (c’est-à-dire, chasser
le mal, pour en libérer les humains et les guérir).
Les Douze
doivent, en quelque sorte, prendre le relais de Jésus, prolonger son action et
la multiplier. A leur tour, ils doivent rencontrer les misères humaines et y
remédier avec les moyens que Jésus leur donne. Tel est l’avenir immédiat qu’il
place devant eux.
Cela doit nous
instruire pour comprendre la mission de l’Eglise, aujourd’hui encore :
- En tant que
disciples de Jésus, nous ne sommes pas là pour faire de la religion. Parce que
Jésus n’a jamais proposé une religion, mais un Evangile libérateur, synonyme de
vie.
- Nous ne sommes
pas là non plus pour détenir un monopole : celui de l’Évangile et être les
gardiens de « l’orthodoxie » – c’est-à-dire de la foi
« correcte » – contre les « hérésies » ou tel ou tel
courant.
- Nous ne sommes
pas là non plus pour faire croire au gens que nous pouvons les sauver par des
rites que ce soit le baptême ou une cérémonie funèbre d’action de grâce.
Ce n’est pas l’Eglise qui apporte le salut, c’est l’Esprit de Dieu. Ce souffle
a pour nous été manifesté par Jésus et son message d’ouverture et de
transformation.
Jésus, lui-même,
d’ailleurs, ne revendiquait rien pour lui-même. Il n’avait aucune prétention. Il
disait qu’il ne pouvait rien faire, par lui-même, que c’est son Père – Dieu,
notre Père – qui agissait en lui et par lui (cf. Jn 5, 19. 30 ; Jn 14,10).
Autrement dit,
réduire le message de Jésus – l’Evangile – à une religion qui distribue des
sacrements pour sauver les pécheurs, c’est, à mon avis, tordre le coup au sens
et à la portée de l’enseignement de Jésus, qui s’est heurté aux gardiens de la
religion et des traditions de son temps.
La religion est
dans la répétition, le conservatisme et l’immobilisme de la tradition. Jésus ne
vient pas répéter, mais créer, innover, inventer : son message est
transformateur. C’est celui d’un changement de mentalité et de vie.
Vous connaissez
sans doute ces paroles : «
Personne ne met du vin nouveau dans de vieilles outres ; sinon, le vin
fera éclater les outres, et l’on perd à la fois le vin et les outres ;
mais à vin nouveau, outres neuves » (Mc 2,22).
Bien sûr, ce
n’est pas toujours évident de faire comprendre cela à beaucoup de nos contemporains
qui ne fréquentent des Églises que très occasionnellement, par exemple, pour
demander un acte pastoral, au moment du baptême d’un enfant, d’un mariage ou
d’un enterrement. Cela nécessiterait qu’ils revoient complétement leur manière
de penser la mission de l’Eglise, ainsi que le message de Jésus, qui n’a pas
grand chose à voir avec des rites ou des traditions.
Jésus est venu
pour faire du neuf, pour annoncer une Bonne Nouvelle qui nous déplace, nous bouscule,
nous guérit et nous transforme, pas pour enterrer nos morts ou baptiser nos
bambins, d’ailleurs, lui-même n’a jamais baptisé personne et nous a demandé de
laisser nos morts enterrer nos morts.
Si nous revenons
donc à la mission que Jésus confie au Douze : prêcher la Bonne Nouvelle de
l’Evangile et libérer les humains de leurs maux, je ne peux pas imaginer
aujourd’hui – face à des Eglises et des Temples à moitié vides – que l’Eglise
puisse envisager un autre avenir que celui-là, que ce que Jésus a lui-même initialement
proposé.
Voyez-vous, si
l’Eglise n’est plus attentive, comme son Maître, aux misères de ce monde pour y
porter remède, avec les moyens que son Seigneur lui a donnés, alors, demain,
elle ne représentera plus rien d'important.
Elle sera peut-être
une association religieuse plus ou moins solide, plus ou moins fragile, mais
elle ne sera plus l'Église de Jésus.
Dans le passé
les Églises, répondant à cette vocation de miséricorde pour les détresses
humaines, ont créé des écoles, des hôpitaux, des orphelinats, des centres
d'accueil, par exemple. Nous en avons ici encore à Tonneins des traces
concrètes avec l’APRES (autrefois l’orphelinat protestant), l’Entraide
Protestante ou d’autres associations.
Depuis lors,
d'autres ont pris le relais et poursuivent la même action. Mais aujourd'hui,
dans le monde extraordinairement violent où nous vivons, les détresses humaines
ne se comptent plus. Il suffit d’ouvrir la télévision pour s’en rendre compte
ou une revue de l’ACAT.
On torture encore
dans de très nombreux pays. Dans presque tous les pays aussi on enferme,
parfois sans jugement des opposants, ceux qui pensent ou disent autrement que
le régime en place. Cela se passe même à aux portes de l’Europe, en Turquie ou en
Russie.
Ailleurs, on
supporte de plus en plus mal ceux qui sont différents par leur couleur, leur
religion, leur sexe, leur langue, leur culture.
Il y a de larges
zones du monde où l'on crève lentement de faim et de sous-développement. Il y a
des prisonniers libérés à réinsérer, des femmes qui attendent qu'une place
légitime leur soit enfin reconnue, etc.
Nous, les
disciples du Galiléen, qu'allons-nous faire au nom de Jésus ? Bien sûr, nous ne
pouvons tout faire. Mais nous ne pouvons pas non plus rien faire.
Nous pouvons toujours
œuvrer ici ou là, dans / et avec telle ou telle association, par nos moyens
physiques, intellectuels, financiers, etc.
Nous sommes
seulement appelés à agir dans le sens de l’action engagée par Jésus, avec nos faibles
moyens s’il le faut, avec nos forces modestes : nos « cinq pains et
nos deux poissons », comme au jour de la multiplication des pain (cf. Mc
6, 30-44).
C’est seulement
pas la cohérence entre nos paroles et nos actes que le message de Jésus peut
avoir un impact.
Par notre
« faire », par la diaconie et le service envers les plus petits parmi
nos frères, non seulement nous pouvons agir en synergie avec le message de l’Evangile,
mais nous pouvons aussi permettre à nos contemporains de prendre plus au
sérieux ce Jésus que beaucoup méconnaissent, ignorent ou fuient, car, ils en
sont restés à une vision de la religion des siècles passés.
Je voudrais
conclure en quelques mots :
Nous nous
inquiétons parfois pour notre avenir paroissial, de la fragilité de nos Eglises.
Je le comprends et c’est une saine inquiétude. Car, il y a beaucoup à faire et
les ouvriers sont peu nombreux. Mais, nous pouvons faire confiance à l’Esprit
saint. Il souffle partout et aussi au-delà des murs de nos temples et de nos
institutions : notamment dans toutes les associations qui s’engagent en
faveur de plus d’humanité et de dignité dans ce monde, qu’elles connaissent ou
non le nom de Jésus Christ. Nous n’avons pas l’apanage de la fraternité et de
la solidarité.
La vraie
question – bien que cela puisse nous chagriner – n’est pas de savoir s’il y
aura encore des cultes dans ce temple dans 20 ans, 50 ans ou 100 ans. Nous n’en
savons rien !
Quoi qu’il
arrive, soyons certains que l’Evangile continuera à être proclamé d’une manière
ou d’une autre, ici ou là. Car il en va du salut de tous – d’un salut universel
– et non pas d’un salut individualiste, du « chacun pour soi » que
met si souvent en avant notre société et notre mode de vie matérialiste.
La vraie
question – il me semble – c’est celui de l’engagement des Chrétiens – et en
particulier des Protestants – au nom de Jésus et derrière lui, avec les moyens
que Dieu nous donne, car l’Evangile ce n’est pas seulement des belles paroles –
proclamées le dimanche matin – cela implique aussi des actes : un
changement de mentalité, un engagement personnel à la suite de Jésus.
Être appelé à
entrer dans le Règne de Dieu, c’est franchir un pas à la suite de Jésus, c’est
accepter d’être à l’écoute des misères du monde autour de nous – comme Jésus le
faisait – pour y porter le remède de l’amour et de la libération qui viennent
de Dieu.
Amen.
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