Lectures
bibliques : 2 Co 5, 14-20 ; Lc 15, 11-32
Thématique :
appelés à devenir des ambassadeurs de réconciliation
Prédication de
Pascal LEFEBVRE / célébrations œcuméniques, Marmande (24/01/17) & Tonneins
(26/01/17)
Chers amis,
* La célébration
œcuménique de cette année est placée sous le signe de la réconciliation, avec
le 500ème anniversaire de la Réforme, en particulier du geste de
Martin Luther, qui clouait sur la porte de son église en 1517 un document
appelé les « 95 thèses », par lesquels il dénonçait le « commerce »
des indulgences. Ce fut le début de disputes théologiques, dogmatiques et ecclésiologiques,
et d’un schisme de l’Eglise entre Catholiques et Protestants.
Depuis 5
siècles, les choses ont heureusement beaucoup évolué. Et notamment depuis le 20ème
siècle, depuis la création du COE (Conseil Œcuménique des Eglises, annoncé en
1937 et crée en 1948) et depuis Vatican 2 (de 1962 à 1965).
En 1999,
Catholiques et Luthériens signaient ensemble un accord, appelé « consensus
dans les vérités fondamentales de la doctrine de la justification » ou «
Consensus différencié » adoptant
une position commune : « Nous confessons ensemble
que la personne humaine est, pour son salut, entièrement dépendante de la grâce
salvatrice de Dieu. ». Cet accord levait alors les condamnations réciproques qui avaient eu lieu depuis
le 16ème siècle.
Bien
heureusement, l’œcuménisme continue d’avancer. Malgré nos différences, nous
n’en sommes plus à nous déchirer, à nous batailler sur des questions de
doctrines, qui, somme toute, peuvent paraître secondaires par rapport aux vrais
défis qui nous attendent, et, en particulier, à deux éléments
déterminants :
Le premier,
c’est l’Évangile de Jésus Christ lui-même : l’Évangile du Royaume. Il me
semble que l’enseignement de Jésus dans le Sermon sur la Montagne devrait être
au cœur de nos préoccupations, ainsi que la mission qu’il confie à ses
disciples : prêcher (proclamer la Bonne Nouvelle de la proximité du règne
de Dieu) et libérer les humains de leurs maux (c’est-à-dire accueillir, guérir,
libérer, relever, chasser les démons, comme le dit Jésus, avec les mots de son
temps – Mc 3, 14-15 / Mt 10,8).
Et d’autre part,
le second élément qui est contextuel, c’est celui de notre réalité contemporaine
en France. Nous sommes dans une société où les Chrétiens sont devenus
minoritaires. Il n’est plus temps de nous tirer dans les pattes, mais de nous
serrer les coudes.
Il en va, à la
fois, de l’avenir du Christianisme et de la cohérence de notre témoignage. Nous
ne pouvons pas prêcher l’amour du prochain en paroles et faire le contraire
dans nos actes. C’est une question de cohérence et de crédibilité.
Notre avenir
mutuel se dessine donc – à mon avis – dans un horizon œcuménique.
Mais tout cela
n’est pas si simple. Nous parlons aujourd’hui de pardon mutuel, de
réconciliation. Personnellement, j’y crois tout à fait et j’adhère à cette
démarche. Et j’’espère que vous aussi. Mais, il faut dire qu’une telle démarche
implique aussi une remise en cause personnelle, une conversion.
Voyez vous, je
crois que ce n’est pas un hasard si le comité œcuménique, qui a choisi les
textes de cette année, nous propose les passages bibliques que nous venons
d’entendre :
* Prenons, par
exemple, le texte de l’Évangile de Luc.
Nous connaissons bien cette parabole qu’on appelle souvent, à tort, « la
parabole du fils prodigue », car c’est plutôt en fait une parabole qui
nous parle du Père.
Cette figure du père de famille,
bienveillant, compatissant, plein d’amour, c’est évidemment l’image de Dieu.
La parabole nous
montre l’immense patience de Dieu, qui accueille, de façon inconditionnelle,
son enfant parti au loin.
Sans un reproche,
sans une parole de jugement, ni de condamnation, le père accueille son enfant, parce qu’il est ému aux entrailles, saisi
de compassion quand il le voit enfin revenir vers lui, quand il le retrouve.
Ce n’est pas le
péché du fils cadet qui domine, ce n’est même pas le repentir de l’enfant – qui
n’a pas le temps de dire tout ce qu’il avait préparé dans son cœur – c’est
l’amour du Père : amour sans limite, qui accueille son enfant, qui le
décharge de sa faute, qui le relève et l’invite à la joie et au festin partagé.
Très vite, donc,
la faute du cadet est oubliée, reléguée au passé.
Certes, ce fils
avait voulu vivre sa vie loin de son père, loin de Dieu (donc). Il s’était
laissé grisé – dans son libre arbitre – par sa volonté d’autonomie, sa soif d’indépendance
radicale et de toute-puissance. Mais, la dureté du monde et la vraie faim se
faisant sentir, il comprend son égarement, rentre en lui-même et fait
demi-tour.
Il est difficile
de dire si son retour vers le père est la conséquence d’un calcul un peu
intéressé (manger du pain, comme les ouvriers de son père) ou le fruit d’un
véritable repentir (d’une remise en question et d’une libre décision du cœur).
Mais, ce qui est certain, c’est que ce fils cadet a évolué et changé.
Et ce qui intéresse le père – ici, image de
Dieu, notre Père – ce n’est pas le passé, mais l’avenir. Cet avenir est
toujours devant nous.
A l’heure de
l’évolution de notre conscience, à l’heure de notre conversion, Dieu nous
attend et nous accueille. C’est la Bonne Nouvelle de l’Évangile !
Pour autant, il
ne faudrait pas s’arrêter en chemin sans examiner l’autre fils : le fils aîné.
Car, finalement,
dans cette histoire, c’est surtout lui qui pose problème.
Le problème du
fils aîné, c’est que, devant la miséricorde du père, il réalise inconsciemment qu’il
s’est complétement trompé à son sujet. En d’autres mots, qu’il s’est trompé de
Dieu. Et cela, en fait, il le refuse : il refuse de se l’avouer à lui-même
et d’en tirer les conséquences.
Il croyait que
son père était un personnage dur, exigeant, contraignant, pour qui il devait
travailler sans relâche, sans prendre un peu de bon temps avec ses amis.
Il s’était forgé
une fausse image de son père. Et tout d’un coup, lorsqu’il réalise que son père
n’est pas le personnage forgé par son surmoi ou son ego (ou par la religion) : ce Dieu exigeant, tyrannique et
moralisateur, capable de punir, mais qu’il est Tout Autre… il se retrouve
désemparé : il refuse de se réjouir avec son frère retrouvé… car, au fond,
ce frère est pour lui définitivement perdu.
En d’autres
termes, le problème du fils aîné, c’est
l’orgueil, l’orgueil spirituel qui l’empêche de se remettre en cause. Il
refuse de lâcher les convictions d’hier, les idées qu’il avait pu se forger au
sujet de son père. Il refuse d’entrer
dans la grâce, dans le mouvement de pardon et de miséricorde qui est celui de
son père. Il refuse de lâcher-prise, car cela impliquerait pour lui de tout
revoir au sujet de son Dieu et d’admettre, en fait, qu’il s’était trompé au
sujet de son père.
Si le fils aîné
a du mal à se réjouir, c’est tout simplement qu’il a du mal à se convertir, à
entrer dans la mentalité d’amour et de pardon inconditionnel qui est celle de
son père.
N’oublions pas
que c’est une parabole que Jésus adresse aux Religieux, aux Pharisiens de son
temps, sans doute pour leur faire comprendre qu’ils risquent aussi d’être comme
ce fils aîné, s’ils refusent d’accueillir les pécheurs.
Il me semble,
chers amis, que ce danger est toujours et encore celui de la religion. C’est
aussi celui qui guète l’œcuménisme, en tout cas, c’est celui qui a menacé nos
Églises par le passé : l’orgueil spirituel qui nous fait prétendre que
nous avons raison, et qui nous fait tomber dans l’autojustification.
C’est bien là le
problème de l’aîné : il ne veut rien faire pour aller vers son frère. Il
ne le considère même plus comme son frère : il l’appelle « ton
fils ».
Après tout, c’est
son cadet qui a péché. C’est lui qui avait pris ses distances.
L’aîné, quant à
lui, est sûr d’être du bon coté – d’être dans le giron de son père. Il est
droit dans ses bottes, car il prétend implicitement avoir raison, avoir son
père, Dieu (ou les dogmes), avec lui.
C’est l’orgueil
du fils aîné qui l’empêche d’entrer dans l’altruisme et la compassion du père.
Il manque donc
une chose à ce fils aîné. Ce qu’il doit
apprendre : c’est de se laisser émouvoir, saisir aux entrailles, comme son
père.
Il a besoin de
se convertir, de changer, d’évoluer, pour une simple raison : parce que
l’amour Dieu, son père, est plus grand que tout.
Autrement dit,
si nous ne voulons pas tomber dans les travers d’autrefois – de ceux de nos coreligionnaires
qui prétendaient avoir raison et qui jugeaient sévèrement les autres pour leurs
soi-disant fausses doctrines, erreurs ou hérésies – … si nous ne voulons pas en
rester à une compression morale, rigide ou légaliste de l’Évangile et de Dieu,
il nous faut, nous aussi, nous laisser émouvoir comme le Père :
Dieu est le modèle que
Jésus nous invite à suivre : rien de plus, rien de
moins.
Entrer dans le
règne de Dieu, c’est entrer dans cette nouvelle mentalité, dans cette
conscience et cet amour qui sont ceux de Dieu.
Cette parabole de
l’Évangile nous appelle donc à entrer dans un mouvement de changement,
d’évolution, de conversion, pour entrer dans un espace de réconciliation, qui
est celui du père, mais qui n’est pas encore celui adopté par le fils aîné.
* Pour nous
Chrétiens, le Christ est la figure
concrète de ce message de réconciliation. Par sa vie, son œuvre, ses
paroles et ses guérisons, par sa mort et sa résurrection, il est pour nous le
modèle d’une humanité réconciliée, avec elle-même, avec les autres et avec Dieu.
Paul, dans la 2ème
épître aux Corinthiens, nous invite à prendre part à cette vie nouvelle, à la
vie même du Christ.
Il nous appelle
– je cite – « à ne plus connaître personne à la manière humaine »,
c’est-à-dire avec nos préjugés, notre égocentrisme, notre orgueil, nos manques
d’amour et de compassion – mais, désormais à entrer dans une nouvelle réalité,
à prendre vie en Christ, dans la foi, la raison, la conscience, la mentalité
qui était celle du Christ : désormais, « uni à Jésus Christ, en Lui,
nous sommes de nouvelles créatures ».
Chacun,
personnellement, et solidairement, communautairement, tous ensemble, nous
devenons ses disciples, membres de son corps, pour faire advenir le règne de
Dieu.
Cet Esprit de
réconciliation nous dit l’apôtre Paul vient de Dieu.
Je cite : « tout
vient de Dieu, qui nous a réconcilié avec lui par le Christ et nous a confié le
ministère de réconciliation ».
C’est là, chers
amis, une magnifique mission que nous confie Jésus aussi bien que Paul.
« Nous
réconcilier. L’amour du Christ nous y presse » disait aussi le pape
François.
Vivre en Christ, c’est accepter de se
laisser réconcilier en soi-même, avec Dieu et avec ses frères. C’est entrer
dans un mouvement d’amour et de réconciliation qui vient de Dieu lui-même, de son
Esprit, de son Souffle.
Pour Jésus, tout
les domaines de notre vie sont appelés à se laisser toucher et guider par
ce Esprit de réconciliation qui vient de Dieu : tous les aspects de notre
être et de notre vie sont concomitants :
Il n’y a pas soi,
d’un côté ; Dieu, de l’autre ; et nos frères et sœurs, d’un troisième
côté. La réconciliation avec Dieu et avec nous-mêmes a forcément un impact dans
nos relations avec les autres… et inversement… mutuellement.
Ressentir cette
réconciliation au fond de soi implique d’essayer de la vivre avec nos
contemporains, dans notre travail, dans les associations où nous sommes
engagés, dans l’Eglise, dans nos loisirs… et même dans notre famille.
Partout !
Je vous cite ces
paroles de Jésus dans le sermon sur la montagne :
« Quand donc tu vas présenter ton offrande à l’autel, si là tu te
souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande,
devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; viens alors
présenter ton offrande » (Mt 5, 23-24)
Ou encore ces paroles de la 1ère épître de Jean :
« Si
quelqu’un dit : "J’aime Dieu", et qu’il haïsse son frère, c’est
un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne peut pas
aimer Dieu, qu’il ne voit pas. Voici le commandement que nous tenons de
lui : celui qui aime Dieu, qu’il aime aussi son frère ».
(1 Jn 4, 20-21)
Voilà
le mouvement du cœur dans lequel le Christ nous appelle à entrer :
abandonner tout jugement, quitter tout critère moral, pour entrer dans
l’accueil inconditionnel, pour devenir des hommes et des femmes libres, car la
réconciliation nous libère du poids du passé.
C’est ce que le Christ a vécu et a fait jusqu’au bout. Lui, qui
sur la Croix a osé dire à son Père : « Pardonne-leur,
car il se savent pas ce qu’ils font » (cf. Lc 24, 34). Il nous appelle
à vivre la force et la libération que constitue le pardon.
* Je voudrais conclure par une citation d’un théologien que
le vous lis simplement :
« La vie et les pensées à son sujet appartiennent à un
processus, un mouvement en continuelle évolution. […] Même les idées à propos
du "bien" et du "mal" changent en plusieurs générations.
Car, nous vivons dans le monde de la relativité, comme l’a découvert Albert
Einstein [...].
Si vous pensez parfois que les choses ont été "bonnes",
n’oubliez pas qu’elles peuvent toujours être meilleures. Même si vous pensez
que vos théologies, vos idéologies, vos cosmologies sont merveilleuses, elles
peuvent se remplir de merveilles encore plus grandes. Car, comme le disait William
Shakespeare, il y a "plus de choses dans le ciel et sur la terre que n’en
ont rêvé vos philosophes".
Par conséquent, soyez ouverts. N’enfermez pas la possibilité d’une
vérité nouvelle parce que jusqu’ici vous avez été à l’aise avec une vérité
ancienne. La vie commence à la limite de votre zone de confort.
Ne vous empressez pas de juger les autres. Cherchez plutôt à
éviter les jugements, car ce qui est "mal" pour un autre correspond
peut-être à ce qui était "bien" pour vous hier ou pour les
générations précédentes. Les erreurs d’un autre individu correspondent
peut-être à vos propres gestes passés, aujourd’hui corrigés.
Les choix et les décisions d’un autre sont aussi blessants et
nuisibles, aussi égoïstes et impardonnables que l’ont été un grand nombre des
vôtres. […] Et pourtant Dieu vous les a pardonné. Dieu vous en a déchargé. Relisez
la parabole du fils prodigue ou celle du débiteur impitoyable.
Et à ceux d’entre vous qui se croient parfois indignes, l’Évangile
affirme ceci : aucun d’entre vous n’est perdu à jamais et aucun ne le sera
jamais, car vous êtes tous dans le processus du devenir. Vous êtes tous en
train de traverser l’expérience de l’évolution.
Ainsi,
ne fondez pas votre sentiment de dignité sur le passé, quand Dieu le fonde sur
l’avenir. Fondez-le plutôt sur la grâce de Dieu et sur son amour
inconditionnel, dont vous êtes les bénéficiaires et dont vous êtes appelés à
devenir des témoins et des relais avec vos frères.
Devenez,
par le don de vous-mêmes et de vos charismes, ambassadeurs du Souffle de réconciliation
qui vient de Dieu ».
Amen.
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