Mc 8,34 – 9,1
Lectures
bibliques : Mc 1, 14-15 ; Mc 8,31 – 9,1
Thématique :
sauver sa vie ou la risquer, la donner ?
Prédication de
Pascal Lefebvre, inspiré d’une méditation de Jean-Marc Babut
Tonneins, le
12/03/17
* Entrer dans le
règne de Dieu, c’est entrer dans une nouvelle mentalité. C’est se laisser
porter par l’Esprit saint, pour entrer dans la conscience de Dieu :
c’est-à-dire dans une manière de voir les choses toute différente… une nouvelle façon de voir la vie… où la
gratuité est possible… où le salut des uns est toujours lié au salut des
autres… où il n’est plus question d’un salut individualiste « chacun pour
soi » mais d’un salut universel et collectif : tous ensemble, tous
unis, car tous frères, tous enfants de Dieu.
Ce « tous
ensemble » a pris une résonance particulière cette semaine face à
l’actualité terrible de la famine qui sévit actuellement en Afrique, comme nous
l’a rappelée – par exemple – le journal d’Arte hier soir.
Plusieurs pays
sont touchés par cette famine : le Soudan, le Nigéria, le Yémen et la
Somalie, et les causes en sont multiples : conflits armés, pressions des milices
islamistes qui font fuir les gens, sécheresses et dérèglements climatiques… qui
concernent des millions de personnes.
Devant ce drame
humain, qui a lieu à des milliers de kilomètres de chez nous, nous nous sentons
à la fois solidaires et impuissants. Nous ne pouvons pas oublier que ce sont
des frères humains qui traversent cette situation terrible. Nous ne pouvons pas
fermer les yeux devant tant de souffrances… qui nous interrogent sur la
capacité et la volonté des hommes d’endiguer aussi bien la violence que la faim
dans le monde. Il semble que les velléités de puissance et de pouvoir d’une
minorité viennent écraser les vies de ceux qui constituent la grande majorité
silencieuse, de ceux qui subissent toute cette inhumanité.
Il est temps que le niveau de conscience
de l’humanité prenne un peu de hauteur : il est temps que des choses
changent enfin dans notre monde !
Nous sommes dans
cette période de l’année qu’on appelle le carême : temps de préparation et
de conversion avant Pâques, avant de faire mémoire de l’événement décisif de la
passion et la résurrection du Christ.
C’est une bonne
chose de relire certains textes difficiles (comme ceux d’aujourd’hui) pendant
ce temps d’introspection et de changement qui marque l’entrée en carême. Car
précisément Jésus nous appelle inlassablement à changer de mentalité, à adopter
un nouveau comportement fondé sur l’amour, le don de soi, le service, le
partage… pour découvrir ce que veut dire vraiment « sauver sa vie ».
Relevons
ensemble quelques phrases de l’Évangile de ce jour et essayons de
discerner les changements, les retournements, que Jésus nous appelle à opérer
dans notre vie :
* « Quel avantage y a-t-il à gagner le
monde entier, si c’est au prix de sa vie ? » : question
primordiale posée par Jésus !
« Gagner »
est toujours un mot très populaire de nos jours. Il décrit bien la mentalité
ambiante : tout le monde voudrait « gagner plus », avoir plus de
possessions, de prestige, de puissance. Mais la question à se poser, c’est de
se demander si cela ne se fait pas toujours au détriment de quelqu’un
d’autre ?
Dans une société
fondée sur la rivalité et la concurrence, qui dit « gagnants » dit
simultanément « perdants ».
Sur un sujet
plus léger… et qui pourrait nous porter à sourire, si on le prenait moins au
sérieux… nous avons eu une illustration de ce fait cette semaine, dans le monde
du sport et plus particulièrement dans le milieu du football, où nous avons pu
assister à la déroute catastrophique du PSG face au club de Barcelone.
Barcelone l’a emporté 6-1. C’est inédit !
Suite à ce
match, les joueurs du PSG ont été couverts de honte, insultés et même agressés
par certains supporters déçus.
De façon générale,
après un match, on voit les supporters de l’équipe sportive victorieuse se
déchaîner en scandant : « on a gagné ! » comme s’ils y
étaient vraiment pour quelque chose.
Le plaisir et la
qualité de jeu s’effacent contre cet impératif qui prime avant tout :
« gagner », et gagner contre les autres, évidemment.
Nous avons vu
cette semaine à quels excès cette mentalité naturelle peut conduire.
Mais tout ce
tient, ce n’est pas là un cas isolé.
On aurait pu
trouver d’autres exemples, car cette mentalité courante, cette soif de gagner
sur autrui est partout présente.
« Gagner »,
c’est aussi « avoir plus ». Chacun sait que tel est le but, l’idée
maîtresse de notre société dite « capitaliste » et
« libérale ».
De nos jours, la
qualité d’une entreprise se juge moins (voire pas du tout) aux services qu’elle
rend, qu’aux profits qu’elle est susceptible de dégager pour ses actionnaires.
Le critère
quantitatif – la perspective de nouveaux profits – est le plus important pour
les agences de notation, puisqu’il s’agit de « gagner » toujours
davantage, dans la course au « toujours plus ».
Seulement un tel
raisonnement a, en réalité, ses limites, parce qu’il présuppose et voudrait
nous faire croire que ce qu’on peut gagner est illimité, qu’il n’y aurait qu’à
le prendre dans une sorte de fonds anonyme et inépuisable, où les plus malins
parviendraient à se servir avant et mieux que les autres, pour en avoir plus.
Mais, tel n’est
pas le cas. Nous le savons bien. Nous vivons dans un monde limité. Ce que nous
avons bien du mal à accepter.
Les problèmes
écologiques partout sur notre planète nous le rappellent désormais. Il ne peut
pas y avoir de croissance illimitée dans un monde limité… ni de gains exorbitants
pour les uns, sans pertes ou exploitation des autres.
D’une façon ou
d’une autre, dans un monde fondé sur le marché et la concurrence,
« gagner » se fait toujours aux dépens des autres, car ceux qui ont
des moyens financiers ou un quelconque pouvoir (du fait de leur influence ou
leur prédominance) peuvent exercer des moyens de pression sur les plus pauvres.
Il suffit pour
s’en convaincre de constater l’aggravation de la pauvreté et l’augmentation du
nombre des pauvres de toutes sortes dans les pays où règne l’idéologie du
profit.
(Et le pire,
c’est qu’on désigne souvent, parallèlement, de faux boucs-émissaires : les
étrangers et les migrants qui créeraient de l’insécurité et qui prendraient
notre travail ; les bénéficiaires du RSA qui coûteraient très chers à la
société ; etc. … alors que selon toute vraisemblance, c’est le système
lui-même fondé sur le « toujours plus », sur la
« convoitise » des plus puissants et des plus riches, qui est en
cause et crée indirectement – et sans doute involontairement – nombre de ces perturbations.
Il est
vraisemblable que ceux qui sont des les hautes sphères de la finance ne se
rendent absolument pas compte des conséquences de leurs actes sur autrui. Il
faudrait seulement parvenir à leur en donner conscience, d’une manière ou d’une
autre.)
Il est juste et
de bon ton de s’indigner de l’exclusion qui frappe un nombre grandissant
d’hommes et de femmes autour de nous. Mais, nous devons percevoir que tout ceci
est le résultat inévitable d’une mentalité que nous partageons aussi, car elle
nous a été « inculquée » par notre mode de vie : la mentalité
habituelle du « gain », l’appétit universel de « gagner ». Autrement
dit, un type de salut fondé sur « le chacun pour soi », où gagner implique de garder pour soi et
de ne pas trop partager, pour ne pas perdre.
Le mal est donc
beaucoup plus profond qu’on ne le dit. Il vient de nous-mêmes, il vient de
notre mentalité.
* Autre parole
de Jésus qui donne beaucoup à réfléchir elle aussi : « Qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause
de moi et de l'Évangile la sauvera. »
Qu'est-ce que sauver sa vie ?
Dans notre idée
c'est d’abord ne pas la perdre, car la vie est évidemment ce que l’être humain
a de plus précieux. Ce que Jésus confirme lui-même, en disant « Que pourrait-on donner en échange de
sa vie ? »
Mais, dans notre
esprit, « sauver sa vie » est souvent beaucoup plus que ne pas la
perdre.
C'est surtout
pouvoir la remplir de nos projets et de nos rêves réalisés ; avoir plus
d'aisance, plus de confort, plus de satisfactions, plus de pouvoir peut-être.
En tout cas, c’est vraisemblablement le rêve d’un certain nombre de candidats
aux élections présidentielles.
C’est toujours
« avoir plus », encore une fois. Mais, Jésus vient nous heurter. Il
vient contredire cette mentalité ancestrale, en nous avertissant que vouloir « sauver »
sa vie ainsi, c’est en réalité la perdre.
Pour lui, une
vie consacrée à avoir et à conserver n’a aucun sens. C’est, d’une certaine
manière, une vie perdue, une vie gâchée, parce que c’est une vie que l’on garde
pour soi… au lieu de la risquer, de la partager, de la donner.
Cela ne
correspond ni à notre vocation d’être humain en relation avec les autres, ni à
la vraie fraternité à laquelle Dieu nous appelle.
« Qui veut sauver sa vie, dit Jésus, la perdra ».
À force de
vouloir « l'avoir » on perd son « être ».
Cette
affirmation de Jésus nous dérange : reconnaissons-le !
Car, elle signifie
le refus d’un type de salut individualiste « chacun pour soi » que
notre société met en avant (c’est la loi du mérite personnel et du
« donnant-donnant »)… qui correspond à notre manière habituelle de
voir les choses.
Mais, Jésus
ajoute : « Qui perdra sa vie à
cause de moi et de l’Évangile la sauvera ».
C'est justement
parce que la vie est ce que l'être humain a de plus précieux qu'elle ne prend
son vrai sens qu'en étant donnée.
Or, donner
quelque chose qui ne vous coûte rien, ce n'est pas vraiment donner. Donner sa
vie, vivre dans le don de soi, c’est autre chose !
Cela peut nous
effrayer, n'est-ce pas ? Parce que cela remet profondément en cause nos croyances
et nos comportements.
En tout cas,
cela ne correspond pas du tout, à notre mentalité. Cela peut même nous paraître
fou.
Mais, à bien y
regarder, c'est peut-être beaucoup plus raisonnable que nous ne le pensons.
En effet, réfléchissons
un instant…
Lorsque – un
jour ou l’autre – nous quitterons cette existence terrestre, pour d’autres
cieux plus lumineux, nous perdrons tout ce qui est matériel, tout notre avoir,
même notre corps.
Si nous avons
passé notre vie à vouloir la sauver, en l’économisant, en la conservant
précieusement et jalousement, en collectionnant nos gains et notre avoir, d’une
certaine manière, nous perdrons tout.
Mais, le
paradoxe de l’existence – inscrite dans la finitude – c’est que la seule chose
qui restera de notre passage sur cette terre… la seule chose qui subsistera… c’est
l’amour que nous aurons donné et reçu. Ce qui demeure est ce qui est immatériel,
insaisissable ; ce qui est d’ordre spirituel et relationnel.
C’est là un
paradoxe, car nous résumons souvent notre existence à la matérialité, alors que
cette matérialité n’est qu’un moyen, un instrument de la vie.
Jésus, à sa
façon, nous rappelle cette chose essentielle, que nous ne devrions pas perdre
de vue : ne confondons pas la fin et les moyens !
Ce que nous
croyons capable de « sauver », en réalité « nous le perdrons »
et cela nous « perd » et peut nous faire perdre notre vie.
A contrario, ce que nous acceptons de perdre,
c’est-à-dire de risquer, de donner… c’est cela qui nous apporte le vrai salut,
qui nous conduit sur le chemin d’une libération, d’une guérison :
Encore une fois,
il ne s’agit pas d’un salut individualiste, mais d’un salut, d’une guérison
collective, car – pour Jésus – nous sommes tous liés, tous unis.
Pour sa part,
Jésus s'est délibérément engagé sur cette voie et l'a suivie jusqu'au bout,
préférant perdre sa vie plutôt que la sauver en s'enfuyant, ce qui, selon les
récits évangéliques, était parfaitement possible au jardin de Gethsémani.
Mais s'il
s'était enfui, Jésus aurait montré qu'il ne croyait plus l'Évangile dont il
était porteur : une Bonne Nouvelle – la Bonne Nouvelle – seule capable de
sauver le monde et l’humanité de ses errements et de ses enfermements.
La vie est ce
qu'un être humain a de plus précieux. Mais voilà que, venant d'ailleurs, venant
de Dieu, quelque chose de plus précieux encore lui est offert, à savoir
l'Évangile, qui donne enfin un sens à la vie. Un sens, c’est-à-dire une
direction.
Éclairée par
l'Évangile, la vie ne va plus n'importe où, n'importe comment, elle ne vas plus
en fin de compte nulle part.
Elle va vers un
but que Jésus lui propose de la part de Dieu, et qui n'est rien moins que le
salut de l'humanité.
Donnée ainsi à
ce but proposé par Jésus, la vie trouve enfin son vrai sens, elle est sauvée.
Elle est sauvée,
parce habitée par l’amour de Dieu et du prochain.
Elle rend de
plus le bonheur à l’humanité, parce qu’elle l’ouvre à une vie nouvelle fondée
sur la fraternité.
* Pour conclure,
il nous revient, chers amis, frères et sœurs, de nous mettre à l’écoute de
Jésus et d’essayer de nous inscrire dans cette nouvelle mentalité du règne de
Dieu :
Sauver sa vie,
ce n’est pas la garder pour soi, c’est bien davantage la risquer. Et il n’y a
pas d’âge pour cela. Il n’est jamais trop tard pour s’y engager.
Oser risquer sa
vie, c’est oser aller vers les autres, oser l’accueil, le pardon et l’amour du
prochain.
Oser perdre sa
vie, c’est assumer le risque de perdre un peu de nos fausses sécurités, de
notre avoir ou de notre pouvoir, pour gagner en fraternité… c’est finalement
oser franchir le pas de la confiance.
En un mot, Jésus
nous appelle à abandonner toutes nos peurs… et à oser faire enfin confiance à
Dieu… à son amour, à sa bienveillance et à sa providence.
Amen.
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