dimanche 19 mars 2017

Mc 11, 12-25

Lecture biblique : Mc 11, 12-25
Thématique : la montagne à déplacer
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 19/03/17
(Inspiré d’une méditation de Jean Marc Babut)

Comment interpréter les paroles de ce jour ?
« Ayez confiance en Dieu » (v.22) « Tout ce que vous demanderez en priant, croyez que vous l’avez reçu et cela vous sera accordé » (v.24)
Il y a sans doute plusieurs manières de les entendre :

* Premièrement, si on écoute ces paroles dans un sens général, on comprend que Jésus affirme ici la puissance de la prière, la force de l’intention, le pouvoir de la parole, la puissance de la visualisation :
Ce que nous désirons de tout notre cœur et que nous demandons avec confiance au Dieu créateur se produira.
D’une certaine manière, Jésus nous rappelle que nous sommes des co-créateurs de notre réalité : Par la prière et la foi, par la pensée et la parole, nous avons une influence sur notre vie et notre environnement, nous sommes des créateurs de notre réalité.

C’est bien ce qui se passe ici, puisque Jésus a adressé une parole négative – une sorte de malédiction – au figuier et il le voit le lendemain entièrement desséché.
Les disciples sont stupéfaits du résultat et Jésus leur fait prendre conscience, à travers cet événement, de la puissance de la prière : prononcer des paroles avec une réelle intention, les adresser à Dieu avec une confiance certaine, cela aura assurément des conséquences (car la pensée et la parole véhiculent une forme d’énergie).

Nous pouvons y lire une sorte d’avertissement enseigné par Jésus : demander – avec la force de l’intention et de la confiance – des choses positives, cela peut entraîner des conséquences positives ; mais, a contrario, demander des choses négatives, cela risque de produire des résultats négatifs : ici, la mort du figuier.

D’ailleurs, l’épisode se conclut par le thème du pardon, où Jésus appelle ses disciples à pardonner à ceux qui ont pu nous contrarier, nous blesser ou nous faire souffrir, car le pardon est un lâcher-prise, une force de libération, permettant d’obtenir la paix intérieure (aussi bien pour celui qui le reçoit que celui qui le donne).

C’est également en ce sens que Jésus – comme le fera aussi l’apôtre Paul – appellera ses disciples à bénir et à ne jamais maudire.
Je cite : « Aimez [même] ceux qui vous traitent en ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent » (Mt 5,44, voir aussi Lc 6,28)
Ou encore dans l’épître aux Romains : « Bénissez ceux qui vous persécutent, bénissez et ne maudissez pas. » (Rm 12,14)

Ces mots nous rappellent que les intentions et les paroles sont des forces créatives. Il nous appartient donc de les employer avec sagesse et discernement, pour faire advenir du bien autour de nous.

* Deuxièmement, il y a une autre manière d’interpréter les paroles de Jésus, en les resituant dans le contexte où l’évangéliste Marc nous les présente.

Dans l’épisode du figuier desséché (v.12-14. 20-25) est inséré un autre épisode beaucoup plus central (v.15-19) : celui des vendeurs chassés du Temple. Marc a raconté et lié ces deux épisodes dans une sorte de construction en sandwich.
Le récit des marchands chassés du Temple marque une sorte de révolte de la part de Jésus à l’égard de la Religion de son temps, une forte contestation de ce que les Religieux ont fait de la relation des croyants à Dieu.

Pour Jésus, la relation à Dieu, son Père – notre Père – est libre et gratuite. Elle est fondée sur la confiance. L’amour de Dieu est gratuit et inconditionnel. Nous pouvons adresser nos demandes vitales, comme nos demandes de pardon, à Dieu. Nous sommes assurés d’avoir un Père bien-aimant et compatissant à notre écoute.

Or, la religion a transformé cette relation filiale, faite de confiance et d’écoute, en une relation commerciale « donnant-donnant » : il faudrait offrir des sacrifices à Dieu, pour lui plaire, pour obtenir quelques faveurs. Les sacrifices sont désormais une monnaie d’échange : on sacrifie un animal sur l’autel, pour obtenir le pardon de Dieu. C’est une forme de marchandage, de troc avec Dieu.

En chassant les marchands du Temple, Jésus vient contester ce business qui n’a rien à voir avec la prière authentique :
D’un côté, nous avons le Dieu gratuit et miséricordieux de Jésus avec lequel on peut entrer dans une relation de confiance ; de l’autre, le dieu des sacrifices marchands institués par la religion des œuvres et des mérites.
D’un côté, nous avons un salut universel promis à tous ceux qui se nourrissent de cette confiance en Dieu ; de l’autre, nous avons un salut « chacun pour soi » obtenu par l’achat d’animaux voués à être sacrifiés, en vue du pardon individuel des péchés.

Il me semble que c’est dans ce contexte d’opposition qu’on peut interpréter cet épisode du figuier desséché :
Ce figuier symbolise peut-être ce qu’est devenu le peuple d’Israël, conduit par la religion instituée ou il symbolise peut-être le Temple, qui est ici disqualifié par Jésus, dans la mesure où il ne produit plus aucun fruit.

Ce que Jésus annonce alors, à travers cet épisode, c’est que ce figuier – qu’est le peuple des croyants, rassemblé par l’intermédiaire du Temple ou la Religion – ne produit plus de fruit. Car il n’est plus dans une relation véritable à Dieu. Il n’est plus connecté à la Source.

C’est, en substance, ce que Jésus dit à ceux qui officient dans le Temple : vous avez fait de cette maison de prière une caverne de bandits ! Jésus annoncera un peu plus tard la ruine à venir du Temple (cf. Mc 13)

Dans le premier Testament, le figuier (comme la vigne) est une figure qui peut représenter la vie nationale du peuple d’Israël.

Écoutons ces extraits du livre du prophète Osée, où le prophète dénonce le fait que le peuple se soit tourné vers des idoles. Ce faisant sa racine s’est desséchée et il ne porte plus de fruits. Je cite :

" J'ai trouvé Israël comme des raisins dans le désert, J' ai vu vos pères comme les premiers fruits d'un figuier ; Mais ils sont allés vers Baal Peor, Ils se sont consacrés à l' infâme idole, Et ils sont devenus abominables comme l' objet de leur amour. "  (Osée 9, 10)
"  Éphraïm est frappé, sa racine est devenue sèche ; Ils ne porteront plus de fruit ; Et s' ils ont des enfants, Je ferai périr les objets de leur tendresse. " (Osée 9, 16)
Nous pouvons faire un lien entre les deux épisodes : le figuier est desséché comme le Temple s’est lui-même desséché. Il n’est plus nourrit d’une relation authentique de prière et de confiance à l’égard de Dieu, mais il a sombré dans le troc des sacrifices.

D’ailleurs, il est intéressant de constater que Jésus conclut son intervention sur le thème du pardon : Ils appellent ses disciples à pardonner gratuitement et directement, alors que simultanément des croyants se rendent au Temple, pour offrir des sacrifices à Dieu, en vue d’obtenir le pardon de Dieu.

Or, la conclusion de Jésus est sans appel : plutôt que d’offrir des sacrifices inutiles, qui n’alimentent que le business des marchands et des prêtres, il s’agit d’entrer directement dans une relation de prière confiante avec Dieu. Et Jésus rappelle que l’amour de Dieu et du prochain sont intimement liés : « quand vous êtes debout en prière, si vous avez quelque chose contre quelqu’un, pardonnez, pour que votre Père qui est aux cieux vous pardonne aussi vos fautes » (v.25) C’est un pardon gratuit.

Dans cette deuxième façon de lire ce passage, du coup, ce n’est pas une malédiction que Jésus pose sur le figuier, comme sur l’activité du Temple, mais c’est un constat (qui fait part de sa déception) :
Pour lui, ce système religieux n’est plus connecté à la Source, à Dieu. Il n’y a donc plus rien à en attendre pour le salut du monde.

Non seulement ce système religieux n’apporte aucun appui à l’Évangile du règne de Dieu, du monde nouveau de Dieu proclamé par Jésus, mais encore il lui fait obstacle. Car il n’est pas fondé sur une relation de confiance avec Dieu, mais sur une sorte de commerce, de marchandage.

Pour le salut si urgent du monde, ce système religieux est devenu complétement stérile – aux yeux de Jésus – et donc totalement inutile. Il en annonce la fin et la mort prochaine.

Bien sûr, ce récit peut nous interroger, car le Christianisme, à la suite du Judaïsme, est lui aussi devenu une religion. Et il n’est pas certain qu’il n’ait pas aussi perverti – par des rites et des traditions – l’Évangile du salut, ici et maintenant, annoncé par Jésus.

C’est, en tout cas, une question sensible que pose le théologien Jean Marc Babut, que je vous livre. Je cite :

« Cette redoutable parole de Jésus concernant le Judaïsme de son temps devrait nous jeter non pas dans l'orgueilleuse satisfaction d'être hors de cause - parce que nous sommes d'un autre bord - mais dans une juste inquiétude, car sommes-nous sûrs de ne pas mériter nous aussi un jugement semblable : Que plus jamais personne ne mange de ton fruit ?

A quoi servons-nous, nous Eglise dite de Jésus-Christ ? Que faisons-nous pour faire entendre et progresser le message de salut que Jésus nous a confié ? En quoi sommes-nous au service de cet Évangile ? En quoi sommes-nous utiles au salut dont notre monde a un si urgent besoin ? Ou au contraire, en quoi faisons-nous inconsciemment obstacle à celui-ci ?

Ne nous abritons pas trop vite derrière le fait que nous ne sommes qu'une petite poignée insignifiante au milieu de la foule humaine et face à tant de pouvoirs [(notamment au pouvoir de l’argent)] infiniment trop puissants pour nos faibles moyens. Jésus était seul, il ne pouvait pas même compter sur ses disciples. Seulement il croyait vraiment au remède qu'il apportait pour guérir définitivement le monde de ses [mauvais] démons.

Et nous, que f­aisons-nous pour notre monde ?
Sommes-nous membres d'une Église pour consommer de la sécurité en prévision de l'au-delà de notre mort ? N' avons-nous pas encore compris que de cela c'est Dieu qui s'en occupe pour nous et qu'il nous libère ainsi de ce souci pour que nous devenions libres de servir l'Évangile du salut pour le monde [ici et maintenant] ?

Alors si nous sommes décidés à faire enfin quelque chose ­dans la ligne de l'Evangile, qu'allons-nous faire qui soit vraiment utile pour notre monde ?
Pour changer de mentalité, de quoi notre monde a-t-il besoin ? Ce n'est pas une question facile. Ne serait-il pas urgent qu'on en débatte enfin ? »[1]

Dans notre passage, Jésus nous donne déjà un élément primordial de réponse : « Ayez foi en Dieu », ayez confiance en Lui !

La foi, la confiance, c’est le contraire de la peur, de la méfiance.
Dans un monde en crise, traversé par l’incertitude, la crainte de l’avenir, la tentation du repli sur soi, de la résignation ou du désespoir, Jésus nous appelle à une seule chose : faire réellement confiance à Dieu, plutôt que de compter seulement sur nous-mêmes, sur un salut par plus d’avoir et de pouvoir (comme notre société matérialiste nous l’enseigne).

Jésus va même plus loin, car il nous dit de quoi cette confiance est capable, ce qu’elle peut réaliser. Il en parle pour un de ses disciples qui dirait à une montagne (v.23) : ­Ôte-toi de là et jette-toi dans la mer. S'il le dit sans hésiter, ajoute Jésus, et s'il a confiance en Dieu que ce qu'il dit arrivera, eh bien cela lui sera accordé.

Il s’agit, bien évidemment, d’une image : la montagne, c'est l'exemple type d'une chose impossible à déplacer. Jésus fait allusion à une entreprise qui dépasserait infiniment les moyens dont nous disposons habituellement.

Si nous n’avons pas la force nécessaire de réaliser seul un tel exploit, Dieu, lui, en dispose. Nous pouvons nous appuyer sur lui, lui demander, lui faire confiance. Nous pouvons trouver en lui le courage et la confiance pour nous aider à dépasser tous les obstacles qui se dresseraient contre le salut du monde, auquel Dieu veut aboutir.

Bien sûr, cette confiance à laquelle Jésus nous appelle, elle n’est pas seulement pour nous, pour demander à Dieu d’obtenir ceci ou cela.
Ce qui est en jeu, ici, pour Jésus, c’est le salut du monde : c’est de demander à Dieu sa force pour surmonter les obstacles dans notre mission de disciples du monde nouveau de Dieu, du Royaume, à la suite de Jésus.

La confiance en Dieu à laquelle le maître appelle ses auditeurs n’est pas un moyen de se servir de Dieu pour leurs propres convenances ou leurs désirs personnels, mais un moyen de s’ouvrir à lui, pour le servir, pour servir son projet de salut pour le monde, pour tous les humains.
Car, pour Jésus, le salut des uns est lié au salut des autres. Il n’y a pas plus de salut religieux « chacun pour soi » que de salut matérialiste individualiste.

Compter sur Dieu pour déplacer les montagnes, c’est lui faire confiance pour surmonter tous les obstacles – si hauts, si lourds, si épais, soient-ils – qui se dressent contre le salut du monde.
Nous pouvons être sûrs du succès de Dieu, car nous savons qu’il en a les moyens. Ce ne sera certainement pas une victoire violente, mais la victoire de l’amour. Car, on le sait, « l’amour est plus fort que la mort » (Ct 8,6).

Cette confiance en Dieu, Jésus n’a cessé de la colporter autour de lui : « Tout est possible à celui qui croit » (Mc 9,23) disait-il au père de l’enfant épileptique.

Il a lui-même montré toutes les potentialités de cette confiance chaque fois qu’il a guéri un malade ou un infirme ou nourri une quantité de gens avec ce que les disciples ont accepté de partager.

Cette confiance en Dieu, elle est réellement efficace, contrairement aux sacrifices stériles offerts à la divinité dans le Temple. Elle fait pleinement partie de la nouvelle mentalité du règne de Dieu, à laquelle Jésus ne cesse d’appeler depuis qu’il s’est mis à parcourir les chemins de Galilée.

Cette confiance, Jésus en est lui-même un exemple vivant. C’est elle qui n’a cessé de l’animer depuis qu’il s’est offert à proclamer, en paroles et en actes, la proximité du règne de Dieu, le message du salut de Dieu pour notre monde.

Si Jésus appelle ainsi ses auditeurs à la prière, c’est qu’il sait que ses disciples, comme lui-même, se heurteront inévitablement à des montagnes qu’il faudra déplacer, dans leur mission d’annoncer la Bonne Nouvelle d’un Dieu accessible et gratuit, miséricordieux et compatissant.
(Jésus lui-même s’est heurté à une montagne : la religion instituée).

La prière et la confiance auxquelles Jésus invite ses disciples, c’est avant tout la prière pour le succès de l’Évangile. Et l’assurance que l’on peut avoir, c’est que Dieu est cohérent avec lui-même. S’il donne aux disciples du Christ une mission, un objectif à atteindre, il leur donnera aussi les moyens d’y parvenir.
Au moment où l’on demande quelque chose pour l’Évangile, on peut vraiment croire que Dieu nous accompagne et qu’on est en train de le recevoir.

Pour autant, soyons bien clair : n’attendons pas que Dieu exauce nos prières pour l’Évangile comme le voudrions, c’est-à-dire directement, (pour ainsi dire) tout cuit du haut du ciel. L’exaucement de cette prière, c’est de recevoir le courage et la confiance pour agir nous-mêmes, c’est que les moyens de déplacer la montagne, qui fait obstacle à la progression de l’Evangile, nous soient donnés.

« Tout ce que vous demanderez en priant, croyez que vous l’avez reçu et cela vous sera accordé » (v.24) : Cette Bonne Nouvelle est pour toutes celles et ceux qui sont engagés au service de l’Évangile, à la promotion du monde nouveau de Dieu.  

Amen.



[1] J-M BABUT, Actualité de Marc, Cerf, p. 242-247.

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