Lecture
biblique : Mc 11, 12-25
Thématique : la montagne à déplacer
Prédication de
Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 19/03/17
(Inspiré d’une
méditation de Jean Marc Babut)
Comment
interpréter les paroles de ce jour ?
« Ayez confiance en Dieu »
(v.22) « Tout ce que vous demanderez en priant, croyez que vous l’avez
reçu et cela vous sera accordé » (v.24)
Il y a sans
doute plusieurs manières de les entendre :
* Premièrement,
si on écoute ces paroles dans un sens général, on comprend que Jésus affirme
ici la puissance de la prière, la force de l’intention, le pouvoir de la
parole, la puissance de la visualisation :
Ce que nous
désirons de tout notre cœur et que nous demandons avec confiance au Dieu
créateur se produira.
D’une certaine
manière, Jésus nous rappelle que nous sommes des co-créateurs de notre
réalité : Par la prière et la foi, par la pensée et la parole, nous avons
une influence sur notre vie et notre environnement, nous sommes des créateurs
de notre réalité.
C’est bien ce
qui se passe ici, puisque Jésus a adressé une parole négative – une sorte de
malédiction – au figuier et il le voit le lendemain entièrement desséché.
Les disciples
sont stupéfaits du résultat et Jésus leur fait prendre conscience, à
travers cet événement, de la puissance de la prière : prononcer des
paroles avec une réelle intention, les adresser à Dieu avec une confiance
certaine, cela aura assurément des conséquences (car la pensée et la parole
véhiculent une forme d’énergie).
Nous pouvons y
lire une sorte d’avertissement enseigné par Jésus : demander – avec la
force de l’intention et de la confiance – des choses positives, cela peut
entraîner des conséquences positives ; mais, a contrario, demander des choses négatives, cela risque de produire
des résultats négatifs : ici, la mort du figuier.
D’ailleurs,
l’épisode se conclut par le thème du pardon, où Jésus appelle ses disciples à
pardonner à ceux qui ont pu nous contrarier, nous blesser ou nous faire
souffrir, car le pardon est un lâcher-prise, une force de libération, permettant
d’obtenir la paix intérieure (aussi bien pour celui qui le reçoit que celui qui
le donne).
C’est également
en ce sens que Jésus – comme le fera aussi l’apôtre Paul – appellera ses
disciples à bénir et à ne jamais maudire.
Je cite : « Aimez [même] ceux qui vous traitent en
ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous
haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous
persécutent » (Mt 5,44, voir aussi Lc 6,28)
Ou encore dans l’épître aux Romains : « Bénissez
ceux qui vous persécutent, bénissez et ne maudissez pas. » (Rm
12,14)
Ces mots nous
rappellent que les intentions et les paroles sont des forces créatives. Il nous
appartient donc de les employer avec sagesse et discernement, pour faire
advenir du bien autour de nous.
* Deuxièmement,
il y a une autre manière d’interpréter les paroles de Jésus, en les resituant
dans le contexte où l’évangéliste Marc nous les présente.
Dans l’épisode
du figuier desséché (v.12-14. 20-25) est inséré un autre épisode beaucoup plus
central (v.15-19) : celui des vendeurs chassés du Temple. Marc a raconté
et lié ces deux épisodes dans une sorte de construction en sandwich.
Le récit des
marchands chassés du Temple marque une sorte de révolte de la part de Jésus à
l’égard de la Religion de son temps, une forte contestation de ce que les
Religieux ont fait de la relation des croyants à Dieu.
Pour Jésus, la
relation à Dieu, son Père – notre Père – est libre et gratuite. Elle est fondée
sur la confiance. L’amour de Dieu est gratuit et inconditionnel. Nous pouvons
adresser nos demandes vitales, comme nos demandes de pardon, à Dieu. Nous
sommes assurés d’avoir un Père bien-aimant et compatissant à notre écoute.
Or, la religion
a transformé cette relation filiale, faite de confiance et d’écoute, en une
relation commerciale « donnant-donnant » : il faudrait offrir
des sacrifices à Dieu, pour lui plaire, pour obtenir quelques faveurs. Les
sacrifices sont désormais une monnaie d’échange : on sacrifie un animal
sur l’autel, pour obtenir le pardon de Dieu. C’est une forme de marchandage, de
troc avec Dieu.
En chassant les
marchands du Temple, Jésus vient contester ce business qui n’a rien à voir avec la prière authentique :
D’un côté, nous
avons le Dieu gratuit et miséricordieux de Jésus avec lequel on peut entrer
dans une relation de confiance ; de l’autre, le dieu des sacrifices
marchands institués par la religion des œuvres et des mérites.
D’un côté, nous
avons un salut universel promis à tous ceux qui se nourrissent de cette confiance
en Dieu ; de l’autre, nous avons un salut « chacun pour soi »
obtenu par l’achat d’animaux voués à être sacrifiés, en vue du pardon individuel
des péchés.
Il me semble que
c’est dans ce contexte d’opposition qu’on peut interpréter cet épisode du figuier
desséché :
Ce figuier
symbolise peut-être ce qu’est devenu le peuple d’Israël, conduit par la
religion instituée ou il symbolise peut-être le Temple, qui est ici
disqualifié par Jésus, dans la mesure où il ne produit plus aucun fruit.
Ce que Jésus annonce
alors, à travers cet épisode, c’est que ce figuier – qu’est le peuple des
croyants, rassemblé par l’intermédiaire du Temple ou la Religion – ne produit
plus de fruit. Car il n’est plus dans une relation véritable à Dieu. Il n’est
plus connecté à la Source.
C’est, en
substance, ce que Jésus dit à ceux qui officient dans le Temple : vous avez fait de cette maison de prière une
caverne de bandits ! Jésus annoncera un peu plus tard la ruine à venir
du Temple (cf. Mc 13)
Dans le premier
Testament, le figuier (comme la vigne) est une figure qui peut représenter la
vie nationale du peuple d’Israël.
Écoutons ces extraits
du livre du prophète Osée, où le prophète dénonce le fait que le peuple se soit
tourné vers des idoles. Ce faisant sa racine s’est desséchée et il ne porte
plus de fruits. Je cite :
" J'ai trouvé Israël comme des raisins dans le
désert, J' ai vu vos pères comme les premiers fruits d'un figuier ; Mais ils
sont allés vers Baal Peor, Ils se sont consacrés à l' infâme idole, Et ils sont
devenus abominables comme l' objet de leur amour. " (Osée 9, 10)
" Éphraïm est frappé, sa racine est devenue sèche
; Ils ne porteront plus de fruit ; Et s' ils ont des enfants, Je ferai périr
les objets de leur tendresse. " (Osée 9, 16)
Nous pouvons faire
un lien entre les deux épisodes : le figuier est desséché comme le Temple
s’est lui-même desséché. Il n’est plus nourrit d’une relation authentique de
prière et de confiance à l’égard de Dieu, mais il a sombré dans le troc des
sacrifices.
D’ailleurs, il
est intéressant de constater que Jésus conclut son intervention sur le thème du
pardon : Ils appellent ses disciples à pardonner gratuitement et
directement, alors que simultanément des croyants se rendent au Temple, pour
offrir des sacrifices à Dieu, en vue d’obtenir le pardon de Dieu.
Or, la conclusion
de Jésus est sans appel : plutôt que d’offrir des sacrifices inutiles, qui
n’alimentent que le business des
marchands et des prêtres, il s’agit d’entrer directement dans une relation de
prière confiante avec Dieu. Et Jésus rappelle que l’amour de Dieu et du
prochain sont intimement liés : « quand vous êtes debout en prière, si
vous avez quelque chose contre quelqu’un, pardonnez, pour que votre Père qui
est aux cieux vous pardonne aussi vos fautes » (v.25)
C’est un pardon gratuit.
Dans cette deuxième
façon de lire ce passage, du coup, ce n’est pas une malédiction que Jésus pose
sur le figuier, comme sur l’activité du Temple, mais c’est un constat (qui fait
part de sa déception) :
Pour lui, ce
système religieux n’est plus connecté à la Source, à Dieu. Il n’y a donc plus
rien à en attendre pour le salut du monde.
Non seulement ce
système religieux n’apporte aucun appui à l’Évangile du règne de Dieu, du monde
nouveau de Dieu proclamé par Jésus, mais encore il lui fait obstacle. Car il
n’est pas fondé sur une relation de confiance avec Dieu, mais sur une sorte de
commerce, de marchandage.
Pour le salut si
urgent du monde, ce système religieux est devenu complétement stérile – aux
yeux de Jésus – et donc totalement inutile. Il en annonce la fin et la mort
prochaine.
Bien sûr, ce
récit peut nous interroger, car le Christianisme, à la suite du Judaïsme, est
lui aussi devenu une religion. Et il n’est pas certain qu’il n’ait pas aussi
perverti – par des rites et des traditions – l’Évangile du salut, ici et
maintenant, annoncé par Jésus.
C’est, en tout
cas, une question sensible que pose le théologien Jean Marc Babut, que je vous
livre. Je cite :
« Cette
redoutable parole de Jésus concernant le Judaïsme de son temps devrait nous
jeter non pas dans l'orgueilleuse satisfaction d'être hors de cause - parce que
nous sommes d'un autre bord - mais dans une juste inquiétude, car sommes-nous
sûrs de ne pas mériter nous aussi un jugement semblable : Que plus jamais personne ne mange de ton fruit ?
A quoi
servons-nous, nous Eglise dite de Jésus-Christ ? Que faisons-nous pour faire
entendre et progresser le message de salut que Jésus nous a confié ? En quoi
sommes-nous au service de cet Évangile ? En quoi sommes-nous utiles au salut
dont notre monde a un si urgent besoin ? Ou au contraire, en quoi faisons-nous
inconsciemment obstacle à celui-ci ?
Ne nous abritons
pas trop vite derrière le fait que nous ne sommes qu'une petite poignée
insignifiante au milieu de la foule humaine et face à tant de pouvoirs [(notamment
au pouvoir de l’argent)] infiniment trop puissants pour nos faibles moyens.
Jésus était seul, il ne pouvait pas même compter sur ses disciples. Seulement
il croyait vraiment au remède qu'il apportait pour guérir définitivement le
monde de ses [mauvais] démons.
Et nous, que faisons-nous
pour notre monde ?
Sommes-nous
membres d'une Église pour consommer de la sécurité en prévision de l'au-delà de
notre mort ? N' avons-nous pas encore compris que de cela c'est Dieu qui s'en
occupe pour nous et qu'il nous libère ainsi de ce souci pour que nous devenions
libres de servir l'Évangile du salut pour le monde [ici et maintenant] ?
Alors si nous
sommes décidés à faire enfin quelque chose dans la ligne de l'Evangile, qu'allons-nous
faire qui soit vraiment utile pour notre monde ?
Pour changer de
mentalité, de quoi notre monde a-t-il besoin ? Ce n'est pas une question
facile. Ne serait-il pas urgent qu'on en débatte enfin ? »[1]
Dans notre
passage, Jésus nous donne déjà un élément primordial de réponse : « Ayez foi en Dieu », ayez
confiance en Lui !
La foi, la
confiance, c’est le contraire de la peur, de la méfiance.
Dans un monde en
crise, traversé par l’incertitude, la crainte de l’avenir, la tentation du
repli sur soi, de la résignation ou du désespoir, Jésus nous appelle à une
seule chose : faire réellement confiance à Dieu, plutôt que de compter
seulement sur nous-mêmes, sur un salut par plus d’avoir et de pouvoir (comme
notre société matérialiste nous l’enseigne).
Jésus va même
plus loin, car il nous dit de quoi cette confiance est capable, ce qu’elle peut
réaliser. Il en parle pour un de ses disciples qui dirait à une montagne
(v.23) : Ôte-toi de là et jette-toi
dans la mer. S'il le dit sans hésiter, ajoute Jésus, et s'il a confiance en
Dieu que ce qu'il dit arrivera, eh bien cela lui sera accordé.
Il s’agit, bien
évidemment, d’une image : la montagne, c'est l'exemple type d'une chose
impossible à déplacer. Jésus fait allusion à une entreprise qui dépasserait infiniment
les moyens dont nous disposons habituellement.
Si nous n’avons
pas la force nécessaire de réaliser seul un tel exploit, Dieu, lui, en dispose.
Nous pouvons nous appuyer sur lui, lui demander, lui faire confiance. Nous
pouvons trouver en lui le courage et la confiance pour nous aider à dépasser
tous les obstacles qui se dresseraient contre le salut du monde, auquel Dieu
veut aboutir.
Bien sûr, cette
confiance à laquelle Jésus nous appelle, elle n’est pas seulement pour nous,
pour demander à Dieu d’obtenir ceci ou cela.
Ce qui est en
jeu, ici, pour Jésus, c’est le salut du monde : c’est de demander à Dieu
sa force pour surmonter les obstacles dans notre mission de disciples du monde
nouveau de Dieu, du Royaume, à la suite de Jésus.
La confiance en
Dieu à laquelle le maître appelle ses auditeurs n’est pas un moyen de se servir
de Dieu pour leurs propres convenances ou leurs désirs personnels, mais un
moyen de s’ouvrir à lui, pour le servir, pour servir son projet de salut pour
le monde, pour tous les humains.
Car, pour Jésus,
le salut des uns est lié au salut des autres. Il n’y a pas plus de salut
religieux « chacun pour soi » que de salut matérialiste
individualiste.
Compter sur Dieu
pour déplacer les montagnes, c’est lui faire confiance pour surmonter tous les
obstacles – si hauts, si lourds, si épais, soient-ils – qui se dressent contre
le salut du monde.
Nous pouvons
être sûrs du succès de Dieu, car nous savons qu’il en a les moyens. Ce ne sera certainement
pas une victoire violente, mais la victoire de l’amour. Car, on le sait, « l’amour est plus fort que la
mort » (Ct 8,6).
Cette confiance
en Dieu, Jésus n’a cessé de la colporter autour de lui : « Tout est possible à celui qui
croit » (Mc 9,23) disait-il au père de l’enfant épileptique.
Il a lui-même
montré toutes les potentialités de cette confiance chaque fois qu’il a guéri un
malade ou un infirme ou nourri une quantité de gens avec ce que les disciples
ont accepté de partager.
Cette confiance
en Dieu, elle est réellement efficace, contrairement aux sacrifices stériles
offerts à la divinité dans le Temple. Elle fait pleinement partie de la
nouvelle mentalité du règne de Dieu, à laquelle Jésus ne cesse d’appeler depuis
qu’il s’est mis à parcourir les chemins de Galilée.
Cette confiance,
Jésus en est lui-même un exemple vivant. C’est elle qui n’a cessé de l’animer depuis
qu’il s’est offert à proclamer, en paroles et en actes, la proximité du règne
de Dieu, le message du salut de Dieu pour notre monde.
Si Jésus appelle
ainsi ses auditeurs à la prière, c’est qu’il sait que ses disciples, comme
lui-même, se heurteront inévitablement à des montagnes qu’il faudra déplacer, dans
leur mission d’annoncer la Bonne Nouvelle d’un Dieu accessible et gratuit,
miséricordieux et compatissant.
(Jésus lui-même
s’est heurté à une montagne : la religion instituée).
La prière et la
confiance auxquelles Jésus invite ses disciples, c’est avant tout la prière
pour le succès de l’Évangile. Et l’assurance que l’on peut avoir, c’est que
Dieu est cohérent avec lui-même. S’il donne aux disciples du Christ une
mission, un objectif à atteindre, il leur donnera aussi les moyens d’y
parvenir.
Au moment où
l’on demande quelque chose pour l’Évangile, on peut vraiment croire que Dieu
nous accompagne et qu’on est en train de le recevoir.
Pour autant,
soyons bien clair : n’attendons pas que Dieu exauce nos prières pour l’Évangile
comme le voudrions, c’est-à-dire directement, (pour ainsi dire) tout cuit du
haut du ciel. L’exaucement de cette prière, c’est de recevoir le courage et la
confiance pour agir nous-mêmes, c’est que les moyens de déplacer la montagne,
qui fait obstacle à la progression de l’Evangile, nous soient donnés.
« Tout ce que vous demanderez en
priant, croyez que vous l’avez reçu et cela vous sera accordé »
(v.24) : Cette
Bonne Nouvelle est pour toutes celles et ceux qui sont engagés au service de
l’Évangile, à la promotion du monde nouveau de Dieu.
Amen.
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