Mc 11, 27-33
Lectures bibliques : [Mt 6,
5-8 ; 7, 7-12] Mc 11,15-19. 27-33
Thématique : De quel droit fais-tu
cela ?
Prédication de
Pascal Lefebvre / Marmande, le 02/04/17
(Largement inspirée
d’une méditation de Jean-Marc Babut)
* Nous entendons
aujourd’hui un récit de controverse :
Dans l’épisode
précédent, Jésus a chassé les marchands du Temple. Son geste a fait scandale
auprès des prêtres et des scribes. Après avoir quitté la ville, le revoici,
quelques temps plus tard, dans la cour du Temple de Jérusalem. Là, il se fait
aborder par un groupe de grands prêtres, de scribes et d’anciens – par une
sorte de délégation officielle du Grand Conseil, appelé le Sanhédrin – qui lui
demandent des comptes de son comportement passé :
« En vertu de quelle autorité – on pourrait traduire aussi « De quel
droit » – fais-tu
cela ? Qui t’a donné le droit de faire cela ? »
Évidemment, le
comportement de Jésus a fait grand bruit. En chassant les vendeurs de pigeons
et les changeurs de monnaie, Jésus est venu remettre en cause le commerce des
sacrifices. Ce faisant, il s’en est pris à quelque chose que tout le monde
considère comme « sacré ». Les hommes, qui viennent l’interroger,
pensent certainement qu’en agissant ainsi, il s’en est pris à Dieu lui-même.
Mais la démarche
de ces gens est pour le moins ambiguë : Est-ce vraiment les droits de Dieu
qu’ils défendent ou est-ce leur propre situation, c’est-à-dire en fin de compte
leur raison d’être, leurs avantages et leur pouvoir ?
Est-ce la
volonté de Dieu qu’ils défendent (Dieu a-t-il besoin de sacrifices, d’un
marchandage, pour offrir son pardon ?) ou est-ce leurs prérogatives et des
traditions purement humaines ?
Comme
responsables de l'institution religieuse d'Israël, ces hommes disposent d'un
pouvoir évident, le pouvoir de maintenir un certain ordre en matière religieuse
et de contraindre les uns et les autres à se soumettre à ce qui est déclaré
être la règle obligatoire pour tous.
Ce pouvoir leur
donne évidemment des avantages auxquels ils ne semblent pas du tout prêts à
renoncer. Après tout c'est aussi leur gagne-pain. On peut comprendre qu’ils
voient d’un mauvais œil – et peut-être avec une certaine incompréhension – le
geste Jésus à l’égard des marchands. Mais, dans leur esprit, ce sont bel et
bien les droits de Dieu qu'ils défendent.
Ce qui est
troublant, c’est que ces gens sont en réalité incapables de faire la différence
entre leurs propres droits et ceux de Dieu.
Dans la mesure où ils se sentent préposés à la défense des
droits de Dieu, tout ce qui porte atteinte à leurs droits porte également atteinte
à ceux de Dieu.
Comme membres de l’appareil ecclésiastique – de
l’institution religieuse – ils ne peuvent avoir aucun recul, puisqu’ils sont à
la fois juge et partie. Ils ne peuvent pas juger honnêtement d’un système dont
ils sont à la fois bénéficiaires et prisonniers.
En intervenant
comme il l’a fait, Jésus ne leur a demandé aucune autorisation. C’est ce qui
les inquiète. Cette autorité singulière remet la leur en question.
"D'où Jésus
prétend-il détenir le droit de faire ce qu'il a fait ? Est-ce « du ciel »,
comme il le dira un instant plus tard, ou est-ce « des hommes » ?
Si Jésus répond
« des hommes », ce ne pourra être qu'une façon de dire : « J'ai fait cela de ma
propre autorité. » A quoi il lui sera rétorqué qu'il a usurpé un droit qui ne
lui appartenait pas et que, ennemi du temple, il est de ce fait ennemi de Dieu
et doit donc être condamné comme sacrilège.
Et s'il répond :
« du ciel », c'est-à-dire « de Dieu », il lui sera rétorqué que ce qui concerne
Dieu est l'affaire des gardiens du temple et que personne n'est habilité à en
décider à leur place.
Quoi qu'il
réponde, Jésus sera donc condamné de toute manière. Le piège tendu par
l'institution menacée devrait être imparable."[1]
* " Cette
première phase de l'affrontement entre Jésus et les gardiens du temple devrait
nous ouvrir les yeux sur un malentendu assez grave, mais que nous sommes mal
préparés à reconnaître : je veux parler de l'abîme qui sépare, d'une part, ce
que Jésus est venu apporter sur la terre (l’Evangile du monde nouveau de Dieu),
et d'autre part, la religion."
En tant que tel,
Jésus n’a créé aucune religion. Il est venu appeler les humains à la confiance
en un Dieu gratuit et à l’entrée dans une vie nouvelle.
Le
christianisme, défini comme ce qui relève du message de Jésus, n’est pas à
proprement parler une religion… dans la mesure où il remet fondamentalement en
question l’idée même de religion… dans la mesure où il propose un Dieu sans
religion.
Pour Paul, qui
écrit – comme les évangiles – après la mort de Jésus, la Croix révèle un Dieu
tout-Autre, incompatible avec la religion… un Dieu qui – au-delà de toute
sagesse humaine – renvoie chacun à sa liberté et sa responsabilité (cf. 1 Co 1,
18-25 & 1 Co 8)
Si on cherche
dans un dictionnaire, on lit que la « religion » est un ensemble de
croyances et de pratiques, qui vise à mettre les humains en rapport avec Dieu.
Un des signes
auxquels on peut reconnaître la religion, c'est qu'elle prétend faire respecter
des droits que l'on dit être « sacré », les droits de Dieu :
droit au culte, droit à l'offrande, voire au sacrifice, droit à une certaine
exigence morale, droit (ou même devoir) de respecter un certains nombres de lieux,
de règles et de rites jugés « sacrés », etc.
Dans ce cadre, "la
démarche des gardiens du temple apparaît ainsi comme une démarche éminemment
religieuse : en s'en prenant, même indirectement, au sacrifice et à l'impôt
pour le temple, Jésus a porté atteinte en effet à ce qui est considéré comme
droits sacrés de Dieu. C'est ce que prétendent les gardiens du temple.
Mais quand, sans
préjugé, on écoute Jésus et qu'on le regarde faire, on ne l'entend jamais
parler des droits de Dieu ou y faire allusion, même indirectement. Il ne
revendique jamais rien pour Dieu.
Simplement il
proclame un message de salut pour l'ensemble de l'humanité et il appelle celles
et ceux qui l'entendent à changer de mentalité pour entrer dans le monde
nouveau de Dieu, là où les uns et les autres trouveront enfin [la paix
intérieure], la guérison de leurs maux et la liberté face aux vieux démons qui
tiennent l'humanité en esclavage." Je parle de l’égoïsme et de la
convoitise, ou encore de la peur, qui conduit les humains à la violence, au
repli sur soi ou à l’exclusion.
La notion de
« religion » telle qu’on la définit habituellement est complétement
extérieure au message de Jésus. Il est, en effet, totalement inutile de
chercher à mettre les humains en relation avec Dieu, puisque Dieu s’est déjà
mis – et depuis toujours – en rapport avec eux (avec nous) en leur parlant par
des prophètes et par Jésus. Ceux-ci ont d’ailleurs, la plupart du temps, tout
sacrifié – jusqu’à leur propre vie – pour montrer aux humains le seul chemin
possible du salut : celui de la confiance en Dieu et de l’amour du
prochain… un chemin qui passe à la fois par la méditation personnelle (cf. Mt
6, 5-8), pour vivre en communion avec Dieu (pour rester « connecté »
à la Source), et le partage avec autrui, pour vivre en communion avec nos
frères.
Jésus ne s’est
pas mis en concurrence avec la religion juive.
Il a parfois
utilisé son cadre, profitant du culte du sabbat dans les synagogues, pour
apporter un enseignement ou guérir un infirme. Mais il apportait alors tout
autre chose que du religieux, que des rites, des règles ou des doctrines, il apportait
une confiance, une parole de libération ou un geste de salut pour ceux qu’il
rencontrait.
Bien entendu,
avec le temps, les disciples de Jésus se sont rassemblés dans des communautés.
Ces communautés ont formé des églises. Et ces églises se sont muées en système
religieux. Mais cette mutation n’est pas sans poser de questions :
Nos églises
sont-elles encore fidèles au message de salut proclamé par Jésus ? Où est
l’appel fondamental à la confiance au Dieu-Père et à la transformation de nos
mentalités qui est au cœur de l’Evangile ?
Témoignons-nous
toujours d’un Dieu gratuit et accessible, source de tout amour, grâce,
bénédiction et abondance, dans notre vie ? Y croyons-nous vraiment ?
Je veux dire : faisons-nous vraiment confiance à la Providence de ce Dieu
d’amour dans notre existence ?
Au cours de leur
histoire, les églises chrétiennes ont peu à peu établi une orthodoxie, des
doctrines et des rites, qui n’ont pas grand chose à voir avec le cœur de
l’Evangile. Elles ont parfois exclu et persécuté des hommes à cause de leurs
croyances, jugées hérétiques. Elles se sont positionnées, en tant
qu’institution, en rival des autres religions. Ce qui, du même coup, a fermé à
tous leurs adeptes la porte de l’Evangile : la bonne nouvelle de la
libération et de la guérison offerte gratuitement dans la confiance en Dieu.
C’est
vraisemblablement cette mutation qui est aujourd’hui à l’origine de la désaffection
de nos églises. Celles-ci sont ressenties par la plupart des gens comme n'ayant
rien d'intéressant ou de nouveau à apporter, en tout cas rien qui puisse aider
le monde à sortir de sa course à l'abîme… rien qui puisse réellement le sauver.
Les gens voient
les religions comme des lieux où l’on peut s’approcher de Dieu par des rites
traditionnels… et même au moment de la mort, c’est un rite de passage qu’on
vient chercher pour s’assurer du salut de ses proches ou recevoir une parole de
consolation.
Il faut l’avouer
– même si c’est un constat cruel à faire – "en versant du côté de la
religion, nos églises sont devenues [pour beaucoup] quelque chose de
profondément décevant.
Privilégier,
comme elles le font, toutes sortes de croyances et de pratiques sans rapport
réel avec le message proclamé par Jésus, cela n'a pu se faire qu'aux dépens de
l'Evangile tel que Jésus le proclamait. On se demande si la lampe n'a pas été
mise sous le boisseau, si le sel n'a pas perdu sa saveur.,." (cf. Mt 5,
13-16).
Bien sûr, ce
constat est plutôt sévère. Mais, rien n’est définitif.
Comme Jésus a
utilisé le cadre religieux, pour propager sa foi, sa confiance au Dieu-Père,
nous pouvons toujours utiliser le cadre des églises pour retrouver et annoncer
l’Evangile : le message de Jésus. C’est un travail que nous avons chacun à
accomplir : dépasser la religion, pour trouver la confiance et la liberté
offertes par Dieu… et s’engager dans une vie nouvelle.
Nos églises
chrétiennes sont porteuses de quelque chose d’essentiel qui les dépasse : le
trésor de l’Evangile, qu’il nous faut retrouver, pour construire notre foi. C’est
possible ! Personnellement, c’est là que je l’ai trouvé… et vous aussi,
sans doute !
S’appuyer sur le
Nouveau Testament, c’est la chance et le moyen qui restent aux églises, de se
laisser réformer, comme le proclame la devise officielle (Ecclésia semper reformanda).
La question est
de savoir : Jusqu’où acceptons-nous
de nous laisser réformer dans notre église et dans notre cœur,
intérieurement ?
* « De quel droit as-tu fait cela ? demande-t-on à Jésus. Qui t'a donné le droit de le faire ? »
L'intention de
cette question était malveillante. Jésus s’est refusé d’y répondre directement.
Il l’a fait en retournant la question, en obligeant ses interlocuteurs à
s’engager personnellement :
Ceux qui réclament
des comptes à Jésus prétendent détenir le monopole de Dieu. Soit ! Mais, dans ce cas, ils
doivent savoir se positionner vis-à-vis de Jean le Baptiste. Sont-ils prêts,
eux-mêmes, à rendre des comptes, en vertu des pouvoirs ou des connaissances
qu’ils prétendent détenir ?
Jésus leur demande
ainsi de répondre sur ce qu’ils ont discerné eux-mêmes derrière l’appel au
baptême lancé un peu plus tôt par Jean le Baptiste.
Dans cet appel
du Baptiste, ont-ils reconnu un appel de Dieu ? ou l’ont-ils, au
contraire, considéré comme la fantaisie toute humaine d’un illuminé ?
"De toute façon,
il fallait prendre position, il fallait s'engager, se compromettre. On ne
pouvait rester neutre face à un tel appel [à la conversion]. Quelle a donc été
leur réponse ?
Ils se
prétendent capables de juger si l'autorité de Jésus vient de Dieu. Comment
ont-ils jugé eux-mêmes l'autorité de Jean-Baptiste ?
Or une telle
question les jette dans le plus grand embarras. Elle les oblige en effet à se
démasquer, à reconnaître en public qu'ils sont des gens qui laissent les autres
s'engager, mais qui ne s'engagent pas eux-mêmes. « Nous ne savons pas », répondent-ils à Jésus, après avoir pesé le
pour et le contre ; « nous ne savons pas
si Jean-Baptiste était ou non un envoyé de Dieu ».
Comme si la
vérité dépendait de ce qui nous convient ! « Si c'est contraire à nos intérêts,
c'est faux. Mais si nous y trouvons notre avantage, c'est juste. » Telle est la
logique de tous les pouvoirs absolus, qui est aussi la logique des propagandes
et souvent celle de la publicité. Jésus ne s'y laisse pas prendre.
La vérité n'est
pas quelque chose que nous pourrions détenir et façonner au gré de nos
convenances.
La vérité est
quelque chose à quoi on ne peut que se soumettre.
L'ennui, dans le
cas présent, c'est que les termes du choix à faire (Jean-Baptiste est-il, oui
ou non, un envoyé de Dieu ?) sont tous deux contraires aux intérêts des
interlocuteurs de Jésus. Alors, la vérité ne se montrant avantageuse pour eux
ni d'un côté ni de l'autre, ils déclarent ne pas savoir."
Mais alors dans
quelle situation ne se mettent-ils pas !
Car figurez-vous
que des petites gens, sans aucune formation théologique, ont spontanément
reconnu que Jean-Baptiste était un envoyé de Dieu.
En ne prétendant
pas savoir, les spécialistes des choses de Dieu se disqualifient eux-mêmes.
" Dans de
telles conditions il n'y a évidemment pas de dialogue possible. On ne
s'étonnera donc pas de la réponse de Jésus, qui met fin à un entretien aussi
mal engagé : « Moi non plus je ne
vous dirai pas de quel droit j'ai fait cela »."
* Pour conclure…
au moment où nous achevons le récit de cette rencontre si tendue entre Jésus et
les maîtres de la religion… on se demande où peut bien se cacher
l'Évangile : la Bonne Nouvelle, le message de salut apporté par Jésus,
dans cet épisode (?)
On peut
peut-être le reconnaître dans le comportement exemplaire adopté par Jésus face
à des gens hostiles, qui détiennent une position solidement établie et le
pouvoir de lui nuire.
Jésus évite le
piège qu’on lui tend, tout en restant parfaitement droit. Il ne transige pas
avec la vérité et, du coup, il oblige ses interlocuteurs à faire preuve de la
même droiture, faute de quoi, c’est eux qui se mettent dans leur tort.
"Ainsi,
même en grand danger d'y laisser la vie, Jésus reste parfaitement libre face à
ses adversaires.
Il me semble que
cette façon d'être – à savoir respect de l'autre, même quand celui-ci n'a rien
d'aimable, et exigence totale de vérité pour soi-même comme pour l'autre –
témoigne bien de ce monde nouveau que Jésus appelle le Règne de Dieu".
Jésus est
l'ambassadeur de ce monde nouveau et il nous presse d'y entrer nous-mêmes –
d’entrer dans une nouvelle mentalité de vérité – pour le salut de tous.
Aujourd'hui la
façon d'être de Jésus nous a montré un petit coin du Règne de Dieu. A nous de
le suivre et d’y entrer à notre tour.
Amen.
[1] Cf. Jean Marc Babut, Actualité de Marc, Cerf, 2002,
p.248-253.
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