Lectures bibliques : Gn 2, 18-24 ; Gn 1, 24-31 ; Mc 10, 1-12 / Marmande, le 03/06/18
Thématique : Jésus… le sens du mariage, le divorce et la dignité de la femme
Prédication de Pascal LEFEBVRE (inspirée d’une méditation d’Anselm Grün)
Dans l’évangile de Marc, la péricope sur le mariage et le divorce suscite beaucoup de questions. En tout cas, elle a suscité l’inquiétude de beaucoup de gens mariés, surtout parmi les catholiques… à cause d’une lecture très littéraliste de ce texte, qui a souvent été faite.
Les divorcés et les remariés se sont sentis lésés par ce texte. L’Eglise catholique l’a souvent interprété de telle façon qu’ils se sentent exclus par Dieu… alors, qu’on le sait : Jésus n’a jamais exclu les gens. Il faisait tout, au contraire, pour les accueillir… au nom d’un Dieu qui est comme un Père bon, miséricordieux et compatissant.
Alors… comment comprendre les paroles de Jésus ? Que signifient-elles vraiment ?
Tout d’abord, Marc précise que les Pharisiens qui interrogent Jésus, veulent lui tendre un piège. C’est pourquoi leur question est de pure rhétorique.
Ils tentent de coincer Jésus, en se basant sur le plan de la Loi, de la Torah - ce qui est permis ou défendu -. Ils veulent voir si Jésus respecte la loi de Moïse.
Rappelons qu’en Israël, la possibilité pour un homme de répudier sa femme n’était pas contestée. Le débat portait seulement sur les raisons jugées « valables » pour le faire : Fallait-il qu’elle soit infidèle ? Ou impudique ? Ou suffisait-il seulement qu’elle laisse brûler le repas ?
La question posée est d’ailleurs différente dans ce passage selon l’évangéliste Matthieu ou selon Marc :
Chez Matthieu, les pharisiens demandent s’il est permis de répudier sa femme pour n’importe quel motif (Mt 19,3).
Chez Marc, la question concerne la possibilité même du divorce, en général (Mc 10,2).
Or, Jésus ne répond pas à la question de ses adversaires sur un plan juridique « permis / défendu ». Il ne s’engage pas sur leur terrain, mais leur pose une question en retour, qui les renvoie l’Ecriture : « Que vous a commandé Moïse ? » « Qu’a-t-il prescrit ? »(Mc 10,3).
Ils répondent à nouveau en terme de « permission » : Ce qui est symptomatique de leur manière d’interpréter les prescriptions de Moïse.
D’une part, la notion de « permis / défendu » les cantonnent dans un rôle d’enfants - et non pas d’adultes, à la fois, libres et responsables - ils se limitent à appliquer la loi, sans avoir à se poser de question.
D’autre part, le danger du « permis / défendu », c’est qu’on a tendance à vouloir tordre le commandement. Ce qui compte alors, c’est d’essayer de tirer le maximum d’avantage d’une situation donnée.
Ainsi, en posant cette question, les pharisiens cherchent à voir quels avantages ils pourraient tirer de leur interprétation de la loi : Ils voudraient tirer la loi à eux, à leur avantage, selon leur interprétation. Ils attendent de voir ce que Jésus va en dire.
En fait, ils aimeraient seulement que Jésus accrédite leur interprétation. Ils veulent simplement l’autorisation d’agir à leur guise. Au lieu de se remettre en question, ils cherchent à se justifier.
Jésus, pour sa part, n’entre pas dans leur jeu. Il ne parle pas en terme de « permission », mais en terme de volonté de Dieu, qui est au-delà du commandement.
En décalant les termes du débat, Jésus tente de faire revenir ses interlocuteurs sur la question de l’intentionnalité, sur l’objectif initial du mariage.
Il pose donc la question du dessein fondamental de Dieu quant au mariage, en fonction de la nature humaine.
Qu’est-ce qui est réellement bon pour l’être humain ?
Qu’est-ce qui fait que l’homme et la femme se fondent en un seul être ?
Jésus renvoie ses interlocuteurs à l’intention première de Dieu, telle qu’il la comprend dans le livre de la Genèse. Je cite :
« Dès l’origine de la création, Dieu les fit mâle et femelle. C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et restera uni à sa femme, et les deux deviendront une seule chair. En sorte qu’ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Donc ce que Dieu a attelé sous le même joug - ce que Dieu a uni - que l’homme ne le sépare pas » (Mc 10, 6-9).
Jésus n’énonce pas un commandement. Il ne se place pas sous un plan légal… comme a voulu le faire la grande église avec le droit canon.
Il montre seulement que Dieu a créé l’homme et la femme à son image et les a destinés l’un à l’autre, pour vivre ensemble, pour vivre une unité. C’est là le but de la Création qu’expose le livre de la Genèse : l’homme et la femme peuvent faire l’expérience de la vie dans l’unité du couple : unité, à la fois, affective, corporelle, spirituelle… existentielle.
Ainsi, dans l’amour conjugal, ils ont part à l’unité divine. C’est un don que Dieu leur a fait.
Dans la réalité, nous savons que les choses ne sont pas toujours simples.
L’union des corps - le fait d’être ou de devenir une seule chair - dont parle Jésus, réclame une unification des esprits, une complémentarité qui mène à la complétude humaine.
Pour vivre cette union, il faut être sur la même longueur d’ondes, vibrer ensemble… s’écouter, se comprendre et s’aimer.
Face à ce but de la Création qu’expose la Genèse - vivre l’expérience de l’unité, de la communion - Jésus annonce - en conséquence - que l’homme ne doit pas diviser ce que Dieu a conjoint.
Encore une fois, Jésus ne parle pas ici d’un commandement, mais il tente de ramener ses interlocuteurs sur le sens initial et profond du mariage.
D’ailleurs, il ne dit pas que le but du mariage est la procréation, mais il affirme que c’est l’unité, l’expérience de l’union… la communion de deux êtres sur tous les plans.
Pour lui, fondamentalement, et autant que faire se peut : ce qui est devenu un, doit rester un.
Car, il s’agit là de l’aspiration la plus profonde de l’être humain : vivre l’amour et l’unité.
* Une fois posé ce fondement - l’unité du couple comme but de la création - nous savons que dans les faits, nous n’y parvenons pas toujours.
Dans la réalité de notre monde, cette unité ne peut pas toujours être vécue ni maintenue.
S’il y a autant de séparations ou de divorces, c’est un fait d’expérience qui se situe sur un autre plan, auquel Jésus ne se réfère pas… puisqu’il brosse ici un horizon, un idéal. Il pointe un but, il rappelle une direction fondamentale : l’amour total reste une visée.
Même quand ses disciples le questionnent (à différentes reprises), Jésus ne leur prescrit aucune loi. Car, fondamentalement, il ne défend jamais des idées, mais des gens.
Ce qu’il fait ici, c’est donc de rappeler un fondement - l’unité du couple comme but - et il essaie d’en tirer les conséquences qu’il expose sans concession :
Après avoir rappelé l’objectif d’unité du couple… Il en conclut : « un homme qui répudie sa femme et en épouse une autre trahit sa première femme. Et une femme qui répudie son mari et épouse un autre homme, commet aussi une trahison » (Mc 10, 11-12)… ils commettent une trahison (ou un adultère) par rapport à l’objectif initial d’unité du mariage.
Il faut bien comprendre que Jésus ne s’engage ni sur un plan juridique - dans un débat sur « le permis /et le défendu », ni sur le plan moral (ce qui serait bien ou mal).
Il expose le sens initial de l’union conjugale et constate que la répudiation vient contredire le sens premier du mariage.
* Bien sûr, cette parole est toujours valable de nos jours :
Quiconque a vécu l’échec de son mariage - pour quelque raison que ce soit - sait bien qu’on ne change pas de mariage comme on change de profession, de maison ou de voiture.
Quand quelque chose s’est cassé… on en est malheureux.
Cela signifie que l’objectif initial n’a pas pu être atteint.
Cet échec - quelles qu’en soient les raisons - ne signifie pas que les divorcés n’auraient pas le droit de se remarier, ni qu’ils se seraient aliénés la bienveillance divine.
Ils doivent seulement reconnaître que, pour eux, dans ce premier couple (dans cette première union), le sens du mariage (tel que Jésus le rappelle) ne s’est pas accompli.
Dans leur situation, le but n’a pas été atteint… l’objectif, la cible ont été ratés.
La plupart du temps, les intéressés sont malheureux de constater cet échec. Car cela fait souffrir tout le monde.
Bien sûr, cela peut nous arriver à tous - et en diverses circonstances - de manquer notre but.
Et heureusement, Jésus est venu nous rappeler que Dieu surmonte nos erreurs et nos fautes relationnelles… que tout cela peut être pardonné.
En relisant ce texte, il faut donc dire que les paroles de Jésus n’ont rien à voir avec la pratique de l’Eglise catholique, qui interdit le remariage des divorcés, en se plaçant sur un autre plan - le plan juridique du droit canon - que Jésus ne prend pas en considération.
Au contraire, le Christ s’était attaché à sortir de la logique du droit, de la règle ou du commandement… pour revenir au dessein de Dieu, à sa volonté créationnelle.
En rappelant le sens du mariage, Jésus n’entre pas dans des considérations juridiques ou techniques. C’est important de le souligner… pour se libérer de la façon dont ses paroles ont été comprises et interprétées, souvent de façon littéraliste.
* Dans la réponse qu’il adresse aux pharisiens, vous remarquerez également que Jésus met l’homme et la femme sur le même plan :
Dans la société juive du 1er siècle, c’est tout à fait nouveau. Car seul l’homme pouvait répudier son épouse, par une simple lettre … et non l’inverse : la femme n’en avait nullement la possibilité.
Autrement dit, la femme était, à tout instant, menacée par l’arbitraire du mari, par son humeur, sa violence ou ses caprices. Et elle ne pouvait rien faire pour se soustraire à l’autorité ou à la décision de son mari.
Dans le droit romain, au contraire, l’inverse était possible : une femme pouvait répudier son mari. C’est pourquoi l’évangéliste Marc évoque aussi cette situation.
Cela dit, dans les deux cas - répudiation par l’homme ou par la femme - Jésus rappelle que la répudiation est, selon lui, contraire à l’objectif initial du mariage.
Une chose doit, toutefois, éveiller notre attention : le fait que des hommes, des pharisiens, posent la question de la répudiation - parce que certainement cela les arrange - et le fait que Jésus répondent aussi bien sur le plan de l’homme que de la femme, montrent que le Christ pense certainement ici, également, à la question de la dignité de la femme.
En affirmant que l’homme n’a pas a répudier sa femme… il prend aussi la défense de la femme, dans une société inégalitaire et patriarcale, où les femmes n’avaient pas leur mot à dire.
La réponse de Jésus est donc aussi une manière de protéger les femmes des sautes d’humeur ou des décisions unilatérales de leur époux.
En rappelant que la répudiation est contraire au sens premier du mariage, Jésus protège les femmes d’un divorce arbitrairement décidé par leur mari. Il s’élève contre une loi masculine et rappelle que le mariage se fait et reste à deux.
En d’autres termes, l’enjeu des paroles de Jésus ne concerne pas seulement la question du mariage et du divorce. En arrière plan… il y a aussi la question du statut de la femme… dans les décisions de couple… à une époque où les mariages étaient souvent arrangés… et les femmes juives ne pouvaient pas répudier leur époux.
D’ailleurs, rappelons - peut-être de façon un peu caricaturale - que les femmes n’avaient pas vraiment le droit à Dieu, ni au salut. Du moins, elles n’avaient pas droit à un salut direct. Il ne pouvait leur parvenir que par l’intermédiaire des hommes, des prêtres ou des maris (qui eux-mêmes exerçaient indirectement une sorte de prêtrise à leur égard).
Ce statut inférieur de la femme était aussi une réalité dans le temple de Jérusalem, où il y avait un parvis des femmes, plus éloigné du temple que le parvis des hommes.
De même, dans les synagogues, les femmes devaient rester derrière des treillis. Leur galerie était séparée de la salle de prière des hommes par ces treillis.
Il est fort possible que l’instruction religieuse - et peut-être l’instruction tout court - était réservée aux garçons.
Quand Jésus s’adresse aux femmes… à Marie (dans l’épisode de Marthe et Marie) ou à la Samaritaine ou encore à la femme syrophénicienne … ou à d’autres… il quitte le rôle ordinaire du Rabbi… et oeuvre pour la reconnaissance des femmes et l’égalité des humains.
Nous devons donc voir que la réponse que Jésus adresse aux pharisiens… remet, en réalité, en cause les privilèges des hommes…
Par sa réponse, Jésus défend indirectement la dignité de la femme.
* Enfin - et pour conclure - il nous faut aussi relire la réponse de Jésus à la lumière de la Croix.
Souvenons-nous, en effet, que pour l’évangéliste Marc, Jésus est en Judée et se dirige vers Jérusalem au moment où il donne cette réponse.
Ce texte prend place entre la deuxième et la troisième annonce de sa passion. La réponse du maître oriente donc le lecteur vers la Croix.
Le projet de vie de Jésus et l’annonce de la proximité du règne de Dieu vont se trouver briser à la croix… à cause de l’incompréhension humaine, des remises en cause et de la peur que suscite le message de Jésus.
La vie de Jésus va se trouver brisée… comme se brisent aussi tant de mariage.
Mais, la Bonne Nouvelle de l’Evangile de Marc, c’est que Jésus et son message de salut, brisés sur la Croix, seront ressuscité par Dieu et par ses disciples. Ceux-ci seront les témoins du fait que Jésus a accédé à une vie nouvelle, par delà la mort.
Ainsi, en plaçant la péricope du mariage et du divorce, au coeur de l’enseignement de Jésus en marche vers la croix, Marc donne aux lecteurs l’espérance que même leurs échecs - y compris l’échec d’un mariage - recèlent la possibilité d’un nouveau départ.
Avec l’amour de Dieu… sa bonté… son grâce… tout est possible !
Car Dieu ne nous accable pas. Il veut nous relever, nous faire avancer, inlassablement.
Il est offert à chacun de renaître à une vie nouvelle … Chacun peut s’ouvrir à un nouvel amour, qui le rendra plus vivant… qui lui permettra de gouter l’unité divine … qu’on peut trouver aussi bien dans la vie de couple… que dans le coeur à coeur avec Dieu. Amen.
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