Lecture biblique : Mt 22, 1-14 (Volonté de Dieu : Ep 4, 17-24) : voir texte en bas de cette page
Thématique : Appelés à se laisser transformer par l’amour de Dieu
Culte au temple du Hâ (Bordeaux) – le 22 mai 2022
Prédication de Pascal LEFEBVRE
Comme souvent, Jésus parle en paraboles, pour inviter ses auditeurs à une prise de conscience, un changement de mentalité, ou pour leur proposer d’adopter un nouveau comportement, un nouveau style de vie… qui se découvre dans la proximité de Dieu… et qu’il appelle le « règne de Dieu ».
Il invite ses disciples à entrer dans ce « monde nouveau de Dieu » et à y prendre part.
Pour ce faire, il nous propose de comparer le règne de Dieu auquel nous sommes invités, à l’appel d’un roi qui nous convie à un festin de noces.
La parabole commence bien : la vie avec Dieu, ce serait d’abord une fête, un festin : un repas de noces pour son fils. Les auditeurs de l’Evangile sont invités à la fête. C’est une bonne nouvelle !
Déjà une question émerge : avons-nous réellement conscience de cette invitation de Dieu, ici et maintenant ?... Nous sentons-nous concernés par cet appel ?
On apprend alors que beaucoup sont invités, mais que peu y répondent.
Chacun a autre chose à faire : il est vrai que les tâches de la vie quotidienne sont prenantes et monopolisent notre attention : il y a toujours à faire !
On n’a pas forcément le temps de s’arrêter… pour se joindre au repas de noces du fils de Dieu.
Les excuses semblent valables : l’un va à son champ… l’autre à son commerce… chacun est pris par le quotidien… il faut bien pouvoir subvenir à ses besoins matériels et ceux de sa famille.
C’est vrai ! Mais est-ce que l’évangile ne nous a pas déjà alerté à ce sujet ?
La vie – la vraie vie – n’est-elle pas plus que la préoccupation de la nourriture et du vêtement ?
Jésus avait déjà interpelé ses auditeurs à ce sujet dans son sermon sur la montagne :
« Ne vous amassez pas de trésors sur la terre, où les mites et les vers font tout disparaître, où les voleurs percent les murs et dérobent. Mais amassez-vous des trésors dans le ciel » (cf. Mt 6,19.20a)
« Ne vous inquiétez donc pas, en disant : “Qu’allons-nous manger ? qu’allons-nous boire ? de quoi allons-nous nous vêtir ?”
– tout cela, les païens le recherchent sans répit –, il sait bien, votre Père céleste, que vous avez besoin de toutes ces choses.
Cherchez d’abord le Royaume et la justice de Dieu, et tout cela vous sera donné par surcroît. »
Les auditeurs de l’Evangile devraient donc chercher ce monde nouveau de Dieu, auquel nous sommes conviés … mais voilà que l’inquiétude et les soucis du quotidien dominent… les réalités de ce monde prennent souvent toute la place… et comme les auditeurs de la parabole, parfois, nous différons notre réponse : nous remettons l’invitation à plus tard.
Pourtant si le Maître nous invite au festin, c’est d’abord pour un lâcher-prise : Il nous invite à élargir notre regard… à faire confiance à Dieu (dont la Providence est à l’œuvre) … à poser nos soucis et nos préoccupations… Et à passer du souci de soi à une autre réalité essentielle : la recherche du Royaume et de la justice de Dieu.
C’est un appel fondamental à la foi… pour retrouver le sens de la vie : sortir de la peur du manque, de l’inquiétude, ou du désir de posséder, d’avoir toujours plus… lâcher un peu le matériel… apprendre à faire des pauses dans notre quotidien… pour entrer dans la confiance de Dieu … pour chercher, en nous et dans notre vie, ce monde nouveau de Dieu.
Ce n’est pas seulement pour après… mais ça commence ici et maintenant !
Dans la parabole, les choses se compliquent… car d’autres invités, non seulement refusent l’invitation du maitre, mais maltraitent les serviteurs et les envoyés du roi.
L’Évangéliste Matthieu fait certainement allusion ici aux prophètes d’autrefois, aux porte-paroles que Dieu a envoyé régulièrement au peuple d’Israël et qui ont été rejetés, malmenés et même tués.
Car les prophètes sont des gens dérangeants qui viennent secouer les peuples et les rois : rappeler l’injustice du monde et appeler à agir pour y remédier.
Généralement, on préfère se débarrasser des gêneurs, des lanceurs d’alerte, de ceux qui dénoncent la corruption ou l’injustice des puissants… Car les écouter nous obligerait à sortir de notre zone de confort, à essayer de changer les choses… à remettre en cause le système… à dénoncer les privilèges et l’enrichissement des puissants… à réorganiser la société… à écouter enfin les « petites gens » et à prendre en considération les plus pauvres : ceux qui - il faut l’avouer - n’intéressent pas « grand monde ».
Les choses n’ont pas vraiment changé depuis le temps de Jésus… même en France, pays riche et industrialisé… la précarité est en augmentation depuis 15 ans :
Plus de 5 millions de personnes vivent avec moins de 920 euros par mois (soit 8% de la population) et plus de 9 millions de personnes vivent avec moins de 1100 euros (soit presque 15% de la population qui se trouve sous le seuil de pauvreté).
On se demande alors comment toutes ces personnes vont pouvoir faire face à la hausse de l’inflation… Et je ne parle pas de la situation des pays en voie de développement.
Alors, oui, bien des choses auraient besoin d’être changées… mais les prophètes ont toujours dérangé les souverains ou les tenants du pouvoir en place … et dans la parabole… ceux qui invitent à changer quelque chose, à quitter les habitudes mondaines ou quotidiennes, à adopter un nouveau comportement, pour entrer dans le monde nouveau de Dieu : ceux-là sont finalement maltraités et éliminés.
Pour autant, dans cette histoire, une chose est remarquable : le maître ne se décourage pas… il ne renonce pas !
Face au refus d’Israël de participer aux noces du « fils », et à la violence de certains, il revient à la charge, et décide d’élargir l’invitation à tous, sans distinction :
« Allez donc aux places d’où partent les chemins et convoquez à la noce tous ceux que vous trouverez » (Mt 22,9).
C’est ce que font les serviteurs du roi… et finalement ils rassemblent tous ceux qu’ils trouvent – mauvais et bons, justes ou injustes – dit la parabole.
Il n’y a pas critères dans l’invitation. Et la salle de noce est enfin remplie de convives.
C’est alors que la leçon de la parabole nous est donnée à travers la situation insolite et inattendue d’un homme qui ne portait pas de vêtements de noces.
“Mon ami - lui dit le roi - comment es-tu entré ici sans avoir de vêtement de noce ?” Celui-ci resta muet.
Alors le roi dit aux servants : “Jetez-le, pieds et poings liés, dans les ténèbres du dehors : là seront les pleurs et les grincements de dents.”
C’est le genre de réplique qui vient un peu gâcher l’ambiance de la fête !
Il faut pourtant relever que le critère d’exclusion de celui que le roi nomme « ami », n’est ni la méchanceté, ni l’injustice, mais « le vêtement de noce » que celui-ci n’a pas revêtu.
Concernant ce vêtement - qu’on avait coutume de mettre, pour se rendre à une fête de mariage - plusieurs lignes d’interprétation ont pu être proposées :
L’idée de revêtir un vêtement signifie une transformation de son identité, de son comportement, ou de son appartenance à un groupe social ou une communauté.
Si l’homme invité auquel le maitre s’adresse se retrouve sans vêtement de noces, c’est qu’il n’a rien changé à ses habitudes de vie… et c’est bien là le problème :
Tous sont appelés (c’est la conclusion de la parabole) … mais cet appel implique de changer quelque chose dans sa vie… de se laisser transformer… de revêtir une « nouvelle identité ».
L’apôtre Paul le formule en appelant à revêtir « Christ » ou à revêtir « l’homme nouveau » fruit d’une conversion, d’une transformation spirituelle (cf. Ga 3,23-29 ; Ep 4, 17-24).
La métaphore a été diversement interprétée :
Certains théologiens ont vu dans ce vêtements « les bonnes œuvres » du disciple ou encore « la justice supérieure » qu’il doit manifester, ou « les fruits » qu’il doit porter.
Ce serait, en quelque sorte, l’adoption d’un nouveau comportement éthique, le vêtement de la justice et de la bonté que le croyant est appelé à revêtir et à porter.
Car si Dieu est juste et bon : être invité au banquet de la noce organisé par le Roi, implique de se mettre à son école, d’écouter ses directives… Autrement dit, de se laisser transformer spirituellement… de revêtir la tunique de la justice et de l’amour, qui sont ses attributs.
D’autres théologiens ont vu dans l’image du vêtement une métaphore baptismale. L’habit de noce symboliserait l’appartenance à la communauté des sauvés.
Par le baptême, Dieu offre le vêtement de la grâce et de la foi qu’il s’agit de revêtir… vêtement du pardon reçu… que le croyant est aussi appelé à donner.
Le vêtement symboliserait l’appartenance à la communauté de ceux qui partage une confiance commune, qui appelle à la justice et l’amour du prochain. Le vêtement de noces reflèterait l’adoption d’un style de vie chrétien.
Mais ce qui est frappant dans la fin de la parabole, c’est le mutisme de l’homme interrogé sur son absence de vêtement adéquat.
Le maître vient à sa rencontre et essaie d’entrer en dialogue avec lui. Mais celui-ci ne répond pas un mot.
C’est cette absence de réponse qui semble provoquer son exclusion de la salle de noce.
C’est comme si l’homme n’avait pas conscience qu’il avait besoin d’être revêtu d’un autre vêtement que le sien propre… il ne semble pas reconnaitre ce besoin, cette nécessité d’une transformation, pour pouvoir participer pleinement à la fête de la vie éternelle.
Si l’homme est ainsi rejeté, c’est qu’il n’a rien changé :
L’appel qu’il avait reçu n’a finalement eu aucun effet sur lui.
Son identité ou sa vie n’ont pas été transformées.
Il n’a pas été touché par la Parole et la Grâce de Dieu.
Il n’a tiré aucune conséquence de cette invitation dans sa vie réelle.
A travers le focus pointé sur cette situation, la parabole appelle donc les auditeurs de Jésus à adopter une attitude différente : à prendre au sérieux le fait que la foi – en tant que confiance, en réponse à la grâce de Dieu – implique un changement de mentalité et de comportement de la part du croyant :
Chacun est appelé à se laisser transformer par l’amour de Dieu.
En ce sens, une troisième ligne d’interprétation est proposée par le théologien Anselm Grün. Je vous propose de l’écouter pour conclure cette méditation :
Celui-ci interprète cette parabole, à l’aide de la psychologie des profondeurs, comme une image du chemin de l’individu vers sa pleine humanité, vers son unification intérieure.
Pour lui, le but de l’Église, de la communauté, de la prière, est d’ouvrir un chemin pour que l’homme puisse rencontrer Dieu, pour que l’âme humaine puisse s’unir à l’Esprit divin, pour que nous puissions ainsi accéder à notre vrai Soi, à cette part de lumière qui est en nous et qui peut se connecter à Dieu, s’unir à Lui, pour nous transformer entièrement.
De sorte quetout notre être puisse revêtir la tunique de l’amour.
Je vous livre sa réflexion :
« La parabole décrit le cheminement intérieur vers l'humanité et vers l'union à Dieu. Chacun de nous est invité au festin de noce ; notre vocation de chrétien ne consiste pas simplement à respecter les commandements, mais à répondre à l'invitation. Le but de notre vie est l'humanisation, qui nous unit au noyau divin [qui est] en nous : le Soi.
Souvent, nous nous désintéressons de l'invitation ; la première fois, nous entendons à peine les appels légers de notre cœur. Nous soupçonnons bien que notre vraie vocation est de nous laisser plonger dans le sein de Dieu, mais la voix est si faible qu'elle ne parvient pas à notre conscience.
Ou bien - et c'est la deuxième invitation - nous avons en tête des préoccupations qui nous importent davantage : accroître nos biens, courir après le succès, vaquer aux affaires quotidiennes.
Parfois, nous allons même jusqu'à étouffer en nous ces appels ; ils nous sont désagréables, ils ne nous laissent pas de repos, et nous les masquons par nos activités, ou nous les empêchons tout simplement de nous parler.
Celui qui tue les serviteurs envoyés par le roi, c'est l'ego.
Il ne veut pas se laisser perturber dans ses entreprises égocentriques.
Mais le roi envoie encore une fois ses serviteurs ; tout, en nous, est invité.
Ceux qui sont là au bord des chemins, ce sont les pauvres.
La pauvreté en nous est plus ouverte à Dieu que le succès [cf. Mt 5,3].
Les serviteurs sont chargés d'aller partout dans le royaume, jusqu'au bout des routes. Toutes les régions de notre âme, toute l’histoire de notre vie, même les zones marginales de notre inconscient : tout en nous est appelé à s'unir à Dieu, rien n'est exclu, pas même le mal.
C'est là un message réconfortant.
La seule condition que Dieu nous pose, c'est de faire honneur à son invitation, de lui ouvrir tout ce qui est en nous.
Le vêtement de noces signifie pour moi que je respecte le roi qui m'invite, que je traite avec soin tout ce que j'ai, si pauvre et si abîmé que ce soit, et que je l'associe à la fête.
Il s'agit d'être attentif et prudent.
Je n'ai pas à extirper le mal en moi, mais à le percevoir et à le revêtir de la tunique de l'amour.
Je dois poser sur tout ce qui est en moi un regard aimant et le présenter ainsi à Dieu ;
alors il m'est permis de participer au banquet nuptial et, tel quel, de m'unir au Père.
Mais [si je reste inconscient, insouciant ou étranger à tout cela,] si je me traite moi-même avec légèreté, dans mon être et mon avoir, je serai rejeté, chassé de mon centre, plongé dans les ténèbres intérieures et déchiré par ce que je n'aurai pas voulu voir :
C’est ce que signifient les pleurs et les grincements de dents.
Si je ne suis pas prêt à regarder ma vérité en face et à l'offrir à Dieu, elle me brisera, et ma vie ne sera plus qu'une plainte. Le mal en moi deviendra source d'affliction, de désespoir et de non-sens.
[…] [Tout en mettant l’accent sur la prépondérance de la grâce], Matthieu exhorte l’homme à répondre à l’appel [de Dieu], […] à se faire disponible en réformant ses actes et son état d’esprit. […]
L’individu est ambivalent, rempli d’oppositions [de toutes sortes] : bien et mal, lumière et ombres, disponibilité et refus.
Matthieu nous exhorte à prendre conscience de ce qu'il y a en nous et de le revêtir de la tunique que Dieu nous offre : un amour inconditionnel qui nous accepte tels que nous sommes.
Si, le refusant, nous continuons à vivre dans l'inconscience, alors nous refusons la vie […] », nous refusons l’amour que Dieu nous offre pour nous aider à nous accepter vraiment, pour élever notre conscience et nous permettre de nous transformer, en revêtant la tunique de son amour
(Cf. Anselm Grün, Jésus, le maître du salut, ed. Bayard, 2003, p.97-99.).
* C’est donc là, frères et sœurs, ce que fait cette parabole de l’Evangile : elle nous met en mouvement ; elle nous invite à répondre à la grâce de Dieu qui nous appelle à revêtir son Esprit d’amour dans toutes les dimensions de notre vie.
Tout peut accéder, en nous, à l’unité avec Dieu… y compris les dimensions obscures ou disgracieuses de notre être… y compris tout ce qui est vulnérable : les faiblesses qui sont les nôtres, ou les difficultés qui ont marqué notre histoire… Tout doit être intégré dans notre relation à Dieu, en vue d’être purifié et transformé.
Alors… ce matin… comme chaque jour… en toute confiance… acceptons de nous placer devant notre Père céleste… et laissons-nous pleinement transformer par son Souffle, son Esprit d’amour, pour advenir à notre véritable humanité unie à Celui qui nous apporte la paix, le pardon, la lumière et la réconciliation.
Amen.
Lecture biblique : Mt 22, 1-14
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