Lectures bibliques : Mt 5,3 ; Mt 5, 43-45 ; Mt 6,33 ; Mt 7, 1-2 ; Mt 7, 13-14 ; Mt 16, 24-27 = voir texte en bas de cette page.
Thématique : Accéder à la porte étroite et au chemin resserré qui mène à la vie
Prédication de Pascal LEFEBVRE - Bordeaux, le 06/10/2024 (temple du Hâ)
L’Évangile est une « Bonne Nouvelle » : celle de l’amour de Dieu… cet amour qui nous est offert… et que Jésus-Christ est venu manifester.
Pour autant, nous l’entendons aujourd’hui… cette Bonne Nouvelle n’est pas seulement une information à entendre qui s’adresse à notre intellect… Elle est une Parole à recevoir au creux de notre existence… une Parole qui appelle un changement de mentalité, une ouverture du cœur, une transformation profonde de notre existence et de notre vie relationnelle (impliquant un nouveau rapport à soi-même, à Dieu et aux autres).
On entend aujourd’hui à travers les textes de ce jour - essentiellement un petit florilège de paroles du sermon sur la montagne - une certaine radicalité, dans cet appel à suivre le Christ.
Au chapitre 7 de l’évangile de Matthieu, Jésus semble présenter deux voies distinctes :
D’une part, une route large - une sorte d’autoroute facile d’accès - mais qui ne mène nulle part.
Et, d’autre part, un sentier étroit et resserré qui, lui, mène à la vie.
Comment comprendre cette image ? Quel est donc ce chemin qui conduit à la vie ?
Évidemment celui qui connait un peu la Bible, a envie de répondre : "Et bien ! C’est le Christ lui-même !"… puisqu’il a dit : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (cf. Jn 14,6).
C’est vrai ! Mais il serait bon de pouvoir en dire un peu plus…
Quel est donc ce chemin que propose Jésus ?
Bien sûr, c’est une question difficile… car pour y répondre, il faudrait relire ensemble tout l’évangile… et à minima les 3 chapitres du sermon sur la montagne (cf. Mt 5 à 7).
Je vous propose de nous arrêter sur quelques points susceptibles de nous éclairer un peu… en se souvenant que Jésus - en tant que Christ - est pour nous le modèle à suivre… puisqu’il a lui-même emprunté ce chemin qui l’a mené à la vie avec l’Eternel… et donc à la vie éternelle.
1) Je dirais, premièrement - en suivant aussi bien les paroles de Jésus que ce qu’il a vécu - cette porte étroite - ce chemin resserré, c’est d’abord le chemin du don de soi.
J’en veux pour preuve ce que Jésus exprime un peu plus loin - au chapitre 16 (v.24-25) dans l’évangile de Matthieu - je cite :
« Si quelqu'un veut me suivre, qu'il s'abandonne lui-même, qu'il prenne sa croix et me suive.
En effet, celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi la retrouvera. »
Que signifie s’abandonner / se renier soi-même ?
N’est-ce pas d’abord renoncer à l’image que l’on a de soi-même ?
Ne s’agit-il pas de lâcher ce « moi », cet « ego » qui prend tant de place ?… et parfois toute la place ?
Ne faut-il pas entendre ici la nécessité d’un lâcher-prise, d’entrer dans un forme de « déprise », une dé-préoccupation de soi-même ?
Il me semble que c’est ce que l’on fait dans le geste même de la prière - on se décentre de soi-même pour se tourner vers un Autre, vers Dieu - ou mieux encore dans la méditation : il s’agit d’accepter de lâcher son égo, son mental… ses soucis, ses préoccupations… de s’abandonner totalement… pour entrer dans une confiance… où le « moi » s’éteint… et laisse place à une part intérieure plus profonde : le vrai Soi qui est connecté au Divin.
Ce lâcher-prise du moi… cette dé-préoccupation de l’égo (avec ses soucis, ses ressassements, son mental, ses projections, ses jugements, …) a une vertu : c’est qu’il ouvre, en nous, un espace pour accueillir autre chose que soi-même : il permet d’une part, de se tourner vers Dieu - vers une altérité - qui nous ouvre à la nouveauté… et, d’autre part, de se tourner vers les autres, de s’intéresser à eux, de pouvoir les regarder, les aider et les aimer.
La dé-préoccupation de soi, nous ouvre à l’amour.
En d’autres termes, ce lâcher-prise, cette dé-préoccupation de soi est un geste d’abandon de l’égo - Ce qui peut faire peur, bien évidemment ! Car notre égo, lui, veut exister et garder sa place -… C’est un geste de don de soi… Car il va créer en nous une ouverture… qui va élargir notre conscience vers Dieu et vers les autres.
Pour Jésus, il y a une promesse dans ce geste de déprise… de don de soi… c’est qu’en se donnant… en apprenant à lâcher son égo, pour s’ouvrir à Dieu et aux autres… on va trouver le chemin vers la vie… on va finalement se trouver soi-même… en trouvant « la perle précieuse », « le trésor caché dans le champ » (cf. Mt 13, 44-46), à savoir le vrai Soi connecté au Divin.
Aussi, je crois qu’on pourrait traduire librement ce passage de l’évangile de la façon suivante :
« Qui veut sauver sa vie (et la conserver pour lui-même) la perdra… mais qui osera la perde / qui osera la donner, la trouvera vraiment »
Ou pour le dire encore autrement : Qui reste dans l’égo perdra son temps, parce qu’il ne trouvera rien d’autre que lui-même (ou plutôt l’apparence ou le masque de lui-même)…
Qui osera lâcher son égo et risquer sa vie en la donnant - en entrant dans le don de soi - celui-là la trouvera véritablement.
Il faut se souvenir, en effet, dans quel contexte Jésus prononce ses paroles :
Alors qu’il annonce pour la première fois sa passion (sa mort et sa résurrection)… il prévient ses disciples qu’il va devoir entrer dans le don de soi le plus radical… il s’expose immédiatement à une réprimande de Pierre, qui lui dit : « Que Dieu t’en préserve ! ».
Jésus l’interpelle alors fortement en disant : « Arrière, Satan ! (Derrière moi Tentateur !) Tes vues ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes » (cf. Mt 16, 21-23).
Le premier point à retenir, peut-être - pour emprunter ce sentier étroit et resserré que Jésus propose à ses disciples - c’est l’acceptation d’entrer dans le don de soi !
2) Deuxième élément de ce chemin, c’est l’entrée dans la pleine confiance en Dieu. En fait, les deux choses sont liées…
On ne peut accepter de pleinement lâcher prise et de se donner… que parce qu’on sait que Dieu lui-même est don… qu’il se donne… en nous offrant son amour et sa confiance.
Ce chemin resserré dont parle Jésus, c’est donc le chemin de la confiance en Dieu… confiance en la Providence de Dieu.
Et, bien sûr, nous avons en mémoire le texte du sermon sur la montagne au chapitre 6, où Jésus appelle ses disciples à sortir des soucis matériels… à dépasser leurs préoccupations quotidiennes (centrés sur leurs besoins, sur la nourriture ou le vêtement)… pour « chercher le règne de Dieu et sa justice » (cf. Mt 6, 24-35).
Ce qui fonde cette élargissement de conscience, cette quête de Dieu et de la justice… parallèlement à cette dé-préoccupation du « moi »… C’est - nous dit Jésus - la foi en la Providence de Dieu.
Si effectivement Dieu connait nos besoins… si Dieu veille incognito… s’il agit de façon secrète et cachée… s’il nous soutient, d’une façon ou d’une autre… nous pouvons lui faire confiance et sortir du souci de nous-mêmes… pour prendre soin, à la fois, de notre relation à Dieu et de nos relations aux autres…
Sachant que Dieu veille… nous pouvons agir - et entrer dans la confiance et le don de soi - en offrant au monde et aux autres plus d’attention et de douceur, plus de compassion, de consolation, de paix… afin d’apporter de la justesse et de justice… et de la fraternité… là où il en manque… face aux misères, à l’égoïsme, aux violences ou aux injustices de toutes sortes.
3) On rejoint là, dans cette voie - et c’est le 3ème point - le chemin des Béatitudes - qu’on retrouve au début du sermon sur la montagne.
Et on se souvient que sur le chemin des béatitudes, le premier enseignement concerne l’humilité.
« Heureux les pauvres de coeur - les pauvres en eux-mêmes - le royaume des cieux est à eux » (Mt 5,3).
Là encore, Jésus nous fait comprendre que si nous vivons dans l’orgueil… si nous sommes plein de nous-mêmes… il n’y aura pas vraiment de place possible pour Dieu dans notre coeur et notre vie.
Le chemin avec le Christ commence donc par l’humilité : reconnaitre que nous ne sommes pas « auto-suffisants »… que nous ne pouvons pas compter sur nos seules forces… que nous avons besoin de Dieu, de sa confiance et de son amour, pour trouver le chemin de la vie véritable.
Cette route (ce sentier) avec Dieu - qui commence par l’humilité - nous permet d’accepter et de reconnaitre notre non-savoir et notre non-maitrise… et, par là-même, notre vulnérabilité, nos fragilités et nos failles… et donc de laisser Dieu agir, pour nous permettre de progresser dans le chemin de l’ouverture du coeur.
C’est ce que les réformateurs ont appelé la « Sanctification », comme processus de transformation sous l’effet de l’Esprit saint… qui sans cesse nous offre courage, inspiration et discernement… nous permettant ainsi de nous améliorer dans la voie de l’amour.
4) & 5) Ce chemin d’humilité - et ce sont les 4ème et 5 ème points - nous conduit à deux attitudes complémentaires : D’une part, à sortir du jugement. Et, d’autre part, à entrer dans la gratuité.
Effectivement, si nous sommes assez humbles et conscients de notre condition humaine (toujours faillible et imparfaite), nous savons que nous ne sommes pas meilleurs que les autres.
Et cela nous amène à faire preuve de bienveillance et d’indulgence à l’égard d’autrui. Car personne n’est à l’abri d’une chute, d’un déséquilibre, d’une faille ou d’une faiblesse…
Cela nous conduit à vivre ce que Jésus nous propose au début du chapitre 7 du sermon sur la Montagne, à savoir : à ne plus nous poser en juge vis-à-vis des autres… car nous ne sommes pas parfaits, et nous ne sommes pas à la place de Dieu (cf. Mt 7, 1-5).
Ce que propose Jésus est en réalité libérateur… libérateur pour soi-même et pour les autres… car sortir de son intransigeance et de ses exigences… pour entrer dans la bienveillance et l’indulgence… évite d’avoir des attentes démesurées vis-à-vis de soi-même, aussi bien que vis-à-vis des autres.
Enfin, l’humilité nous permet également de développer un nouveau regard sur la réalité : non pas sur ce qui manque ou ce qui fait défaut - mais sur ce qui est bon… y compris en nous-mêmes.
La voie de l’humilité nous permet d’envisager ce qui est « bon » sous un nouvel angle : La bonté relève de l’action de Dieu en nous.
Si nous comprenons que la spiritualité - la relation que nous entretenons avec le Divin - nous permet d’accéder à la meilleure part de nous-mêmes… nous comprenons que c’est Dieu qui réalise toute chose bonne en nous - par l’inspiration et l’énergie d’amour qu’il nous offre… et nous prenons conscience - par là-même - que ce que nous pouvons donner - en matière d’amour - vient en réalité de Dieu lui-même (qui est Amour).
Ainsi, si nous ouvrons notre coeur à Dieu… s’il nous fait croitre, s’il nous fait grandir… c’est grâce à lui que nous pouvons - dès lors - offrir le meilleur qui est en nous … et c’est grâce à lui que nous entrons dans une nouvelle dimension qui est celle de la gratuité.
Ce faisant… nous sortons du système courant - qui est la logique du monde - fondée sur la réciprocité.
La réciprocité, c’est le système marchand du « donnant-donnant » et des relations de miroir : je donne pour recevoir… je fais telle chose contre telle autre.
Dans ce système, il n’y a que l’échange et des relations « commerciales »… Rien ne se donne vraiment, tout doit se vendre ou se mériter… que ce soit avec Dieu ou avec le prochain.
En régime de gratuité, c’est différent !
Nous pouvons offrir le meilleur de nous-mêmes sans attendre de retour…
Bien sûr, nous pouvons peut-être espérer intérieurement que les actes gratuits que nous offrons par amour, par bonté, par gentillesse, par ouverture du coeur trouveront peut-être un peu d’échos… et, pourquoi pas, un peu de reconnaissance ou de gratitude… - Après tout, peut-être que Dieu espère, lui aussi, un peu de gratitude de notre part - … mais ce n’est pas là l’objet du don.
Nous entrons dans le régime nouveau de la gratuité, car c’est ainsi que Dieu agit, par amour… lui qui est pure Grâce… Lui qui « fait lever son soleil sur les bons et les méchants… et pleuvoir sur les justes et les injustes » … gratuitement (cf. Mt 5, 43-48).
Nous entrons alors - comme Dieu - dans la joie… le joie de donner, la joie de la gratuité…
Et de ce fait, nous revenons au premier point évoqué au début de cette méditation : nous sommes dans le don de soi : tout simplement ! Car vivre, c’est aimer, c’est donner, c’est pardonner !
Quelques mots pour conclure… Nous avons donc cheminé à travers quelques clefs du sermon sur la montagne… qui nous ouvrent la porte étroite… permettant d’emprunter le sentier resserré… qui conduit à la vie.
D’un côté… dit le Christ…vous pouvez choisir l’autoroute facile d’accès qui ne mène nulle part… et qui conduit même à se perdre.… Il suffit, pour cela, de rester dans la satisfaction de son égo, dans l’orgueil et le système de la réciprocité.
Ou, d’un autre côté, vous pouvez oser… vous risquer à vous dessaisir de vous-mêmes… laisser déployer le lâcher-prise, pour entrer dans la pleine confiance en Dieu et le don de soi… en ayant conscience que tout vient de Dieu… en restant humble… sans jugement à l’égard d’autrui… et donnant tout simplement le meilleur de vous-mêmes…
Et alors… si tel est le cas… vous marchez déjà à la suite de Jésus-Christ… sur ce chemin resserré - mais prometteur… qui mène à la vie.
Je vous propose de conclure par une prière inspirée de FRANÇOIS D’ASSISE
Ô Maître (Seigneur, Dieu de tout amour)
c’est en mourant (à soi-même, à son égo) qu’on ressuscite à l’éternelle vie (dans le vrai Soi lié à ta divine présence).
Amen.
Lectures bibliques : Mt 5,3 ; Mt 5, 43-45 ; Mt 6,33 ; Mt 7, 1-2 ; Mt 7, 13-14 ; Mt 16, 24-27
Mt 5,3
3« Heureux ceux qui sont humbles de cœur, car le royaume des cieux est à eux !
Mt 5, 43-45
43Vous avez entendu qu'il a été dit : “Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.” 44Eh bien, moi je vous dis : aimez même ceux qui vous traitent en ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent. 45Ainsi vous deviendrez les enfants de votre Père qui est dans les cieux. Car il fait lever son soleil aussi bien sur les méchants que sur les bons, et il fait pleuvoir sur ceux qui font sa volonté (les justes) et ceux qui ne la font pas (les injustes).
Mt 6,33
33Cherchez d'abord le règne de Dieu, cherchez à faire sa volonté (sa justice), et Dieu vous accordera tout le reste.
Mt 7, 1-2
1Ne portez pas de jugement afin que Dieu ne vous juge pas non plus. 2Car de la manière dont vous jugez, vous serez jugés. La mesure que vous employez pour mesurer sera aussi utilisée pour vous.
Mt 7, 13-14
13Entrez par la porte étroite ! Car large est la porte, facile est le chemin qui mène à sa propre perte (la perdition) et nombreux sont ceux qui s'y engagent. 14Mais combien étroite est la porte et difficile (resserré) le chemin qui mènent à la vie ; peu nombreux sont ceux qui les trouvent.
Mt 16, 24-27
24Puis Jésus dit à ses disciples : « Si quelqu'un veut me suivre, qu'il s'abandonne lui-même, qu'il prenne sa croix et me suive. 25En effet, celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi la retrouvera. 26À quoi bon gagner le monde entier, si c'est au prix de sa vie ? Que donnerait-on en échange de sa vie ?
27En effet, le Fils de l'homme va venir dans la gloire de son Père avec ses anges, et alors il rendra à chacun selon la façon dont il aura agi.
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