Incarnation (3/3) : adoption et incarnation / l’Esprit, le souffle de Dieu… et nous
Lectures bibliques : Mc 1, 1-11 ; Jn 14, 15-17. 23b-27 ; Ga 4, 1-7 ; Rm 8, 14-19
Thématique : « Il vous faut être renouvelés par la transformation spirituelle de votre intelligence et revêtir l'homme nouveau, créé à la ressemblance de Dieu (…) » (Ep 4, 23-24).
Prédication = voir plus bas, après les lectures
Avant la lecture
* Nous entamons ce matin le dernier volet d’une série de méditations sur le thème de l’incarnation.
Nous avons commencé à méditer sur la signification de l’incarnation le jour de Noël avec le prologue de l’évangile selon Jean.
Nous avons vu que Jean opère une identification entre Dieu le Fils, le Logos créateur, la Parole de Dieu… et Jésus.
Nous avons vu que l’incarnation répond à un projet de Dieu :
En Jésus, c’est le Logos, la Parole de Dieu qui vient se révéler, s’incarner, se concrétiser au cœur de notre humanité, pour nous offrir de devenir « enfants de Dieu » (cf. Jn 1, 12).
Ensuite, il y a quinze jours, nous avons médité sur les passages habituellement lus à Noël dans les évangiles de Matthieu et Luc (cf. Lc 1, 26-38 ; Mt 1, 18-25). Nous avons réfléchi à la signification de la conception virginale et spirituelle de Jésus.
A travers cette image de la fécondation spirituelle, nous avons vu qu’il s’agit, pour nous aussi, de nous laisser habiter, féconder et renouveler par l’Esprit de Dieu, pour devenir « enfants de Dieu », filles et « fils de lumière ».
Aujourd’hui, je vous propose de poursuivre notre réflexion sur le sujet, en nous appuyant sur plusieurs textes bibliques et en premier lieu sur ce récit du baptême de Jésus par Jean le Baptiste.
C’est au moment de ce baptême, au moment où l’Esprit de Dieu vient reposer sur Jésus, que celui-ci est proclamé « Fils bien aimé » de Dieu, élu de Dieu (cf. Mc 1, 9-11 ; voir aussi : Mt 3, 13-17 ; Lc 3, 21-22 ; Jn 1, 32-34). C’est à cet instant que Jésus est désigné comme celui qui a été adopté et choisi par Dieu, mis à part et consacré… pour remplir une mission particulière – une mission de salut – auprès des hommes.
Lectures : Mc 1, 1-11 ; Jn 14, 15-17. 23b-27 ; Ga 4, 1-7 ; Rm 8, 14-19
- Mc 1, 1-11
Commencement de l'Evangile de Jésus Christ Fils de Dieu : 2Ainsi qu'il est écrit dans le livre du prophète Esaïe,
Voici, j'envoie mon messager en avant de toi,
pour préparer ton chemin.
3Une voix crie dans le désert :
Préparez le chemin du Seigneur,
rendez droits ses sentiers.
4Jean le Baptiste parut dans le désert, proclamant un baptême de conversion en vue du pardon des péchés. 5Tout le pays de Judée et tous les habitants de Jérusalem se rendaient auprès de lui ; ils se faisaient baptiser par lui dans le Jourdain en confessant leurs péchés. 6Jean était vêtu de poil de chameau avec une ceinture de cuir autour des reins ; il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. 7Il proclamait : « Celui qui est plus fort que moi vient après moi, et je ne suis pas digne, en me courbant, de délier la lanière de ses sandales. 8Moi, je vous ai baptisés d'eau, mais lui vous baptisera d'Esprit Saint. »
9Or, en ces jours-là, Jésus vint de Nazareth en Galilée et se fit baptiser par Jean dans le Jourdain. 10A l'instant où il remontait de l'eau, il vit les cieux se déchirer et l'Esprit, comme une colombe, descendre sur lui. 11Et des cieux vint une voix : « Tu es mon Fils bien-aimé, il m'a plu de te choisir. »
- Jn 14, 15-17. 23b-27
« Si vous m'aimez, vous vous appliquerez à observer mes commandements ; 16moi, je prierai le Père : il vous donnera un autre Paraclet qui restera avec vous pour toujours. 17C'est lui l'Esprit de vérité, celui que le monde est incapable d'accueillir parce qu'il ne le voit pas et qu'il ne le connaît pas. Vous, vous le connaissez, car il demeure auprès de vous et il est en vous ». […]
« Si quelqu'un m'aime, il observera ma parole, et mon Père l'aimera ; nous viendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure. 24Celui qui ne m'aime pas n'observe pas mes paroles ; or, cette parole que vous entendez, elle n'est pas de moi mais du Père qui m'a envoyé. 25Je vous ai dit ces choses tandis que je demeurais auprès de vous ; 26le Paraclet, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit. 27Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Ce n'est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur cesse de se troubler et de craindre ».
- Ga 4, 1-7
Telle est donc ma pensée : aussi longtemps que l'héritier est un enfant, il ne diffère en rien d'un esclave, lui qui est maître de tout ; 2mais il est soumis à des tuteurs et à des régisseurs jusqu'à la date fixée par son père. 3Et nous, de même, quand nous étions des enfants soumis aux éléments du monde, nous étions esclaves. 4Mais, quand est venu l'accomplissement du temps, Dieu a envoyé son Fils, né d'une femme et assujetti à la loi, 5pour payer la libération de ceux qui sont assujettis à la loi, pour qu'il nous soit donné d'être fils adoptifs. 6Fils, vous l'êtes bien : Dieu a envoyé dans nos cœurs l'Esprit de son Fils, qui crie : Abba — Père ! 7Tu n'es donc plus esclave, mais fils ; et, comme fils, tu es aussi héritier : c'est l'œuvre de Dieu.
- Rm 8, 14-19
En effet, ceux-là sont fils de Dieu qui sont conduits par l'Esprit de Dieu : 15vous n'avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions : Abba, Père. 16Cet Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. 17Enfants, et donc héritiers : héritiers de Dieu, cohéritiers de Christ, puisque, ayant part à ses souffrances, nous aurons part aussi à sa gloire.
18J'estime en effet que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit être révélée en nous. 19Car la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu […].
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 27/01/13
* Au premier abord, ça peut sembler un peu étonnant de réfléchir à l’incarnation à travers les passages bibliques que nous venons d’entendre, car justement ils n’y font pas référence.
Ils développent plutôt une autre notion qu’on appelle : l’adoption[1]… pour traduire l’élection (le choix de Dieu) et l’obéissance de Jésus en tant que Fils.
Dans le jargon théologique, il y a deux manières de penser et d’exprimer l’identité du Christ (ou la doctrine du Christ, qu’on appelle « la Christologie ») : il y a l’incarnation et l’adoption.
Pendant longtemps, ces deux façons d’exprimer l’identité du Christ ont subsisté – car elles sont toutes les deux fondées et présentes dans le Nouveau Testament – puis, peu à peu, et notamment à partir du VIIIe siècle, la grande Eglise a décidé qu’on ne devait plus penser la Christologie que par rapport à l’incarnation. Alors, un pape (Adrien 1er), un synode (le synode de Francfort) et un concile (Rome, en 799) ont déclaré que l’adoptianisme était une hérésie.
Alors… pour bien comprendre cette manière de parler du Christ… et voir qu’elle n’a, en réalité, rien d’hérétique … puisqu’elle s’enracine dans des textes qui appartiennent au canon biblique… essayons de voir ensemble ce que recouvrent ces deux notions d’incarnation et d’adoption (?)
- L’incarnation est appelée « Christologie du Logos ». Il s’agit de l’affirmation (dans le prologue de Jean) selon laquelle le Fils éternel, le Logos s’est incarné… s’est manifesté dans une existence historique, dans la personne de Jésus.
L’incarnation suppose la pré-existence du Christ, du Logos, identifié à la deuxième personne de la trinité. Il s’agit d’une christologie « de haut en bas » : C’est Dieu le Fils qui s’abaisse, qui entre dans l’humanité, qui se révèle en l’homme Jésus.
Il s’agit là d’une christologie dogmatique, d’une confession de foi… c’est-à-dire d’une manière d’exprimer directement sa foi : Jésus est le Christ ; il est identifié au Fils éternel de Dieu.
- De son côté, l’adoption est une « Christologie de l’Esprit ». Il s’agit (à travers le récit du baptême de Jésus… et même en amont, à travers la conception de Jésus par l’Esprit saint) de l’affirmation selon laquelle l’homme Jésus a été adopté par Dieu, pour manifester sa grâce et son salut.
L’évangéliste Marc voit dans le baptême de Jésus le moment clé de son adoption par Dieu ; Matthieu et Luc partagent la même conviction, mais ils ajoutent que Jésus a été adopté par Dieu dès le sein de sa mère.[2]
Quoi qu’il en soit… l’adoption est liée à l’action de l’Esprit de Dieu.
Pour les évangiles synoptiques, le don de l’Esprit marque l’adoption filiale par Dieu de celui qui le reçoit.
Il s’agit d’une christologie « d’en bas » et « de bas en haut » : Elle part de l’humanité de Jésus – qui (en tant que Christ) est une humanité mise à part, une humanité nouvelle née de l’Esprit – à sa glorification, en tant que Crucifié Ressuscité.
Il s’agit là d’une christologie herméneutique, qui interprète, qui explique. [3]
En effet, si l’incarnation affirme directement l’identité de Jésus Christ, en exprimant la perception immédiate du divin en Jésus – le Logos a pris chair – l’adoption essaie de comprendre rationnellement cette perception : l’Esprit saint est entré dans la chair, Dieu a adopté un homme et a habité en lui.
Autrement dit, l’adoption n’est pas du tout une doctrine concurrente de celle de l’incarnation, mais elle est complémentaire : Elle tente d’expliquer le comment de l’incarnation, du point de vue de l’homme, depuis l’en bas de nos vies.
Elle affirme que Dieu donne son Esprit… qu’il a placé son Esprit en un homme – Jésus – qui lui a fait totalement confiance, qui lui a répondu « oui »… que Dieu a ainsi pu habiter en cet homme, se révéler par lui.
L’adoption nous explique que c’est l’action de l’Esprit de Dieu en Jésus qui a créé le Christ en lui… qui a fait de Jésus : le Christ, le porteur de l’Esprit.
Enfin, elle soutient que c’est encore l’Esprit qui a confirmé Jésus le Crucifié comme « Fils de Dieu » par sa résurrection d’entre les morts (cf. Rm 1,4).
Le Nouveau Testament (avec ses quatre évangiles, les épîtres de Paul et de Jean) dispose donc de plusieurs façons d’affirmer l’identité de Jésus.
Jésus, en tant que Christ, est l’envoyé de Dieu… il est à la fois « Dieu le Fils » et « fils de Dieu »… il est un Être nouveau, le nouvel Adam… venu, à la fois, pour nous révéler le visage de Dieu et le visage véritable de l’homme : un homme pleinement humain et pleinement accompli, lorsqu’il vit en communion avec Dieu.
Je crois qu’il ne faut pas opposer ces deux façons de dire l’identité du Christ.
Il y a même un moyen de les concilier (ou de les réconcilier) en partant de l’Esprit saint, de l’action de l’Esprit de Dieu en l’homme[4] :
Pour les évangiles, la réalisation de cet Être nouveau qu’est Jésus Christ, n’est pas le résultat d’une volonté individuelle, mais la conséquence de l’interaction de la volonté de Dieu et de celle de l’homme.
Parce que Dieu a placé son Esprit en un homme… que cet homme lui a répondu positivement de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit … alors, en Jésus, s’est réalisé une pleine communion entre Dieu et l’homme[5]… alors, Dieu a adopté cet homme… son Esprit vivifiant a habité en Jésus… alors (comme dans le récit de la création) le souffle de Dieu s’est fait Parole : Parole de Dieu… alors, en Jésus, le visage et le projet de Dieu se sont pleinement révélés à l’humanité. [6]
* Tout ça… c’est très bien - me direz-vous - ça nous aide certainement à comprendre qui est Jésus Christ, le porteur de l’Esprit, la Parole de Dieu… mais en quoi cela nous concerne-t-il ?... en quoi cela est-il une « bonne nouvelle » pour nous, aujourd’hui, au 21e siècle ?
Je crois qu’en nous expliquant le comment de l’incarnation, l’adoption – la christologie de l’Esprit – a justement quelque chose à nous dire pour notre vie et notre monde.
D’abord, l’adoption nous rappelle que Dieu nous donne son Esprit.
Si ce don a été pleinement manifesté en Jésus, il ne lui est pas réservé.
Jean et Paul ne cessent de nous dire que Dieu nous fait un don inouï, un cadeau sans pareil (« l’objet de la promesse » selon Paul – cf. Ga 3, 14), en nous offrant son Esprit saint.
Ensuite, affirmer que Dieu nous donne son Esprit – cet Esprit qui fait de nous des « fils adoptifs » – c’est affirmer que Dieu vient habiter parmi nous, en nous… qu’il nous adopte, qu’il nous prend pour « ses enfants »… afin de faire naître, de faire émerger le meilleur de nous-mêmes.
Enfin, Si Dieu nous donne son Esprit, s’il nous adopte, s’il nous reçoit comme « ses enfants »... cela veut dire, d’une part, que Dieu nous considère comme ses héritiers… et donc que nous aurons part à sa gloire (cf. Ga 4,7 ; Rm 8, 17) – qu’il nous fait héritiers de son amour, de son salut, de sa vie éternelle (et cela de façon totalement gratuite, comme un cadeau immérité) – et, d’autre part, que nous sommes appelés à nous comporter comme tels, à vivre réellement en fils et filles de Dieu.
En d’autres termes, « être adoptés comme enfants de Dieu » cela signifie : être désormais inscrits dans une filiation divine, acquérir les droits (les privilèges), mais aussi les devoirs (devoirs de soumission, d’obéissance et de service) qui sont ceux d’un fils vis-à-vis de son père.
Et pour savoir véritablement ce que cela signifie et ce que cela implique, il faut nous tourner vers Jésus, puisque lui a déjà réalisé et vécu cette adoption.
Être adopté par Dieu… c’est vivre selon son Esprit, être animé par son souffle… c’est incarner concrètement par notre vie sa Parole d’amour pour le monde… c’est, en quelque sorte, révéler le visage de Dieu pour notre entourage.
Ce n’est pas vouloir être tout-puissant ou dieu – à la place de Dieu – mais c’est, au contraire, se faire serviteur, à la manière de Jésus.
C’est révéler son amour, par notre vie – par nos actes et nos paroles – à la suite de Jésus Christ.
Autrement dit, si Dieu veut nous adopter, c’est pour que soyons ses fils et ses filles, des frères et sœurs de Jésus Christ, que nous vivions et que nous agissions comme ses enfants, que nous concrétisions sa Parole (sa Parole d’amour, de justice et de paix) dans notre monde (un monde où règne encore, bien souvent, la convoitise, l’injustice et la violence).[7]
* En nous donnant son Esprit, la mission que Dieu nous assigne est de révéler sa gloire, de faire luire sa lumière pour nos frères et sœurs, de la faire briller pour tous ceux que nous rencontrons.
Ayant été adoptés par Dieu, vivant en « enfants de Dieu », nous sommes appelés à vivre selon sa ressemblance. Et – ressembler à Dieu, révéler le visage de Dieu – c’est précisément ce qu’a fait Jésus, lui, dont Paul dit qu’il a été, l’exemple même de la ressemblance à Dieu… l’image parfaite du Dieu invisible dans notre monde (cf. 2 Co 4, 4 ; Col 1, 15).
C’est en ce sens qu’on peut comprendre les versets de la Bible qui nous appelle à ressembler à Dieu.
On les trouve aussi bien dans le livre du Lévitique, dans le sermon sur la montagne (ou la plaine), que chez Paul.
Je cite :
« Soyez saints, car je suis saint, moi, le Seigneur, votre Dieu » (Lv 19, 2)
Soyez « parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5, 48)
« Soyez miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux » (Lc 6, 33)
« Imitez Dieu, puisque vous êtes des enfants qu’il aime » (Ep 5, 1)
Je crois qu’il ne faut pas envisager cette ressemblance, dans le sens d’une perfection morale à atteindre – la « sainteté » n’est pas à comprendre en tant que vertu, impeccabilité ou absence de faute – mais il s’agit bien plutôt d’une ressemblance en tant qu’appel, en tant que « vocation » : celle d’être « sanctifié », c’est-à-dire d’être « mis à part », « réservé », « consacré » pour le service de Dieu, pour mettre en pratique les valeurs de l’Evangile : l’amour inconditionnel, le don, la gratuité, la justice, la miséricorde, l’humilité… toute ces valeurs qui appartiennent à Dieu.
On peut penser, par exemple, à ce passage du sermon sur la montagne où Jésus nous appelle à « aimer nos ennemis, à prier pour ceux qui nous persécutent… pour être vraiment les fils de notre Père qui est au cieux… [lui qui donne tout gratuitement et sans condition]… qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons… qui fait tomber sa pluie sur les justes et les injustes » (cf. Mt 5, 43-48).
Bien évidemment, ce n’est pas par nos propres forces que nous pouvons vivre et incarner ces valeurs… et parvenir à la ressemblance de Dieu, mais c’est grâce à l’Esprit de Dieu.
C’est en nous laissant habiter et ressourcer par son Esprit… en nous laissant conduire et transformer par Dieu (cf. Rm 8, 14 ; Ga 5, 16ss).
En ce sens, les sœurs de Pomerol ont repris une très belle prière, tirée d’une sagesse hindoue : « Ne cherche pas à faire le bien. Sois en Dieu. Et le bien tombera de ta vie, comme le fruit tombe de l’arbre ».
Ces quelques mots signifient simplement que c’est l’Esprit de Dieu – l’action de cet Esprit en nous… et notre aptitude à l’accueillir – qui nous permet de ressembler à Dieu… d’être des fils, des images… des collaborateurs de Dieu.
* Comme le disent Paul et Jean, cet Esprit nous rend confiant. Il nous donne courage et audace. Il nous relève et nous permet de recommencer, malgré nos fausses routes, malgré nos échecs.
Ce n’est pas un esprit qui nous ramène à la peur, mais un Esprit qui nous entraîne sur le chemin de la confiance et de l’espérance.
Je cite : « Que votre cœur cesse de se troubler et de craindre » (Jn 14, 27 ; voir aussi 1 Jn 4, 18).
« Vous n’avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs » (Rm 8, 15).
C’est un Esprit qui nous libère, qui nous transforme… qui nous transfigure (même !)… nous permettant de refléter la gloire du Seigneur.
Précisément, Paul affirme que l’action de l’Esprit de Dieu en nous vise à manifester la gloire de Dieu, à la rendre manifeste dans notre monde… à faire briller sa lumière – la lumière de l’Evangile – autour de nous.
Je cite : « Car le Seigneur est l’Esprit, et là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. Et nous tous qui, le visage dévoilé, reflétons la gloire du Seigneur, nous sommes transfigurés en cette même image, avec une gloire toujours plus grande, par le Seigneur, qui est Esprit » (2 Co 3, 17-18).
« J’estime en effet que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit être révélée en nous.
Car la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu » (Rm 8, 18-19).
* Pour parvenir à la ressemblance de Dieu… pour faire briller sa lumière et sa gloire… pour suivre le Christ… il ne nous reste donc plus qu’à réaliser pleinement cette adoption… à laisser l’Esprit de Dieu habiter en nous… afin de rendre manifeste, d’incarner l’amour de Dieu dans notre monde.[8]
Pour ce faire… une seule question se pose à nous… car l’adoption n’est jamais une relation à sens unique, mais à double sens :
Si Dieu nous adopte… qu’en est-il de nous ?
Nous laissons-nous adopter par Dieu ? et acceptons-nous d’adopter Dieu comme « notre Père », de le reconnaître comme tel ?
L’Evangile – et c’est là la « bonne nouvelle » – nous rappelle que Dieu nous aime et nous adopte sans condition… qu’il veut faire de nous « ses enfants ».
Il nous appelle à vivre dans la confiance…. à répondre à son amour dans la foi.
Alors… acceptons-nous de nous présenter les mains vides devant Dieu… de déposer toutes nos réussites et tous nos échecs d’amour devant lui… pour recevoir Son amour à Lui ? … pour laisser son Esprit féconder notre vie ?
Acceptons-nous d’être ses enfants… les témoins de sa confiance et de son amour ? [9]
Amen.
[1] Le mot « adoption » vient du latin « ad-optare » = à choisir. Il signifie « donner à quelqu'un le rang et les droits de fils ou de fille ».
[2] L’élection (adoption) dès le sein maternel est un thème biblique classique (cf. 1 S 1 ; Jr 1, 4 ; Es 44, 24 ; 49, 1 ; Ga 1, 15). A ce thème s’ajoute ici celui de la naissance virginale qui remonte à Es 7, 14 (version grecque : LXX). Cette dernière affirmation a pour portée de désigner Jésus comme l’Unique, celui qui dépasse les prophètes qui ont été élus dès le sein de leur mère. Mais il s’agit ici de l’homme Jésus : c’est lui qui est conçu par l’Esprit de Dieu. Par cette conception par l’Esprit Saint, c’est un homme qui devient Fils de Dieu, et cette qualité de Fils de Dieu est liée à la fonction salvifique qui est la sienne. Ce n’est pas ici le Fils éternel ou le Logos qui s’incarne (comme dans le prologue de Jean). Il s’agit bien, dans la christologie de l’adoption, d’une christologie en soi différente de celle de l’incarnation. La conception du Fils de Dieu par l’Esprit Saint et l’incarnation du Fils éternel, ce sont deux affirmations différentes, bien qu’elles ne soient pas incompatibles, mais, au contraire, complémentaires (voir suite du développement).
[3] La christologie de l’adoption voit dans le Christ Jésus le « chiffre » de l’homme véritable. En ce sens, on peut dire qu’il s’agit d’une « anthropologie christologique ».
[4] Autrement dit, au moyen d’une christologie pneumatologique. On peut également parler d’une autre notion théologique : celle d’inhabitation de l’Esprit. L’« in-habitation » signifie que Dieu « habite », « fait sa demeure » en l’âme humaine, selon une formule de l’évangile de Jean (14, 23) : « Si quelqu’un m’aime, il observera ma Parole et mon Père l’aimera ; nous viendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure ».
Certains théologiens (comme Maître Eckhart) pensent « l’inhabitation » comme la conséquence ultime de « l’incarnation ». On peut aussi penser les choses dans le sens inverse et voir « l’incarnation » (la manifestation du Logos dans l’humanité) comme la résultante de « l’inhabitation » (de la présence de Dieu, de l’Esprit de Dieu, en l’homme Jésus). Ces deux manières de penser ne s’excluent pas ; elles renvoient, au contraire, l’une à l’autre.
[5] C’est en ce sens qu’on dit que Jésus est sans péché. Il a toujours vécu en relation, en communion avec Dieu, dans les conditions de l’existence (malgré « l’aliénation existentielle », pour reprendre une expression de Paul Tillich). En d’autres termes, parce qu’il s’est laissé conduire par Dieu, Jésus a surmonté l’aliénation existentielle et ses conséquences (la séparation d’avec Dieu, qui est un fait de l’existence).
[6] On voit bien que les concepts d’adoption, d’inhabitation et d’incarnation sont liés et complémentaires : Là où souffle le vent de Dieu, là où son Esprit demeure… là sa Parole créatrice advient et se fait Parole concrète… elle se fait présence de Dieu pour les hommes.
Les Chrétiens des premiers siècles ont essayé de dire leur foi, en utilisant les concepts qui étaient à leur disposition : adoption, inhabitation, incarnation. Ils ont ainsi voulu témoigner de la nouveauté que constitue l’événement « Jésus Christ ». Car véritablement, pour eux, Jésus inaugure une ère nouvelle, une humanité nouvelle : celle de l’homme pleinement uni à Dieu.
[7] Incarner la Parole de Dieu dans notre monde, donner naissance au Verbe signifie devenir soi-même Verbe, devenir Fils (être de « petits christs » comme le disait Luther). Ce thème de la naissance du Fils – du Verbe – dans le coeur des croyants a été développé par Maître Eckhart, mais on en trouve des traces dans les écrits des Pères grecs dès le IIe siècle. Ainsi, à la fin de la Lettre à Diognète, il est dit, par exemple, que le Verbe « renaît sans cesse dans le coeur des saints ». Si le Verbe doit ainsi naître dans le coeur des croyants, c'est donc qu'il n'est pas né une fois pour toutes, mais qu'il est toujours en train de naître. Par conséquent, l'incarnation n'a pas eu lieu une fois pour toutes, mais elle doit, pour ainsi dire, se produire dans la vie de chaque homme. Voilà pourquoi Maître Eckhart peut dire que « le Fils est né en tout temps et est toujours en voie de naître » (cf. Sermon 76). Le Verbe n'a pas pris chair une fois pour toutes, mais chaque homme est, en quelque sorte, appelé à lui prêter son humanité pour qu'il prenne chair en lui. Voilà ce qu'exprime Maxime le Confesseur : « [c'est] toujours et en tout homme que le Verbe de Dieu veut réaliser le mystère de son incarnation » (cf. Ambiguorum Liber). Ce mystère se réalise en nous lorsque nous devenons Fils de Dieu, c'est-à-dire lorsque se trouve réalisée en nous-mêmes l'adéquation entre ce nous sommes et la Parole de Dieu. Lorsqu'il n'y a plus d'écart entre ce que nous sommes et ce que la Parole veut que nous soyons, alors nous sommes à la juste place… alors le Verbe se fait chair aussi en nous… il naît, il fait sa demeure dans notre âme (pour le dire à la suite des Pères de l’Eglise).
En d’autres termes, nous sommes appelés à revêtir l’homme nouveau, le Christ (cf. Ep 4,24 ; Col 3,10-11 ; Ga 3,26-27 ; Rm 13,14), en laissant l’Esprit de Dieu habiter en nous.
[8] Cf. Ep 4, 23-24 : « Il vous faut être renouvelés par la transformation spirituelle de votre intelligence et revêtir l'homme nouveau, créé à la ressemblance de Dieu dans la justice et la sainteté qui viennent de la vérité ».
[9] Autrement dit… et finalement… que peut-on conclure de cette série de méditations sur le thème de l’incarnation ?
En premier lieu, l’incarnation signifie qu’en Jésus, c’est Dieu lui-même – son Esprit et sa Parole – qui nous appelle à prendre le large… à faire route avec lui.
Il s’agit avant tout de l’incarnation d’une promesse : la promesse de la proximité de Dieu… la promesse tenue pas Dieu d’être toujours avec les hommes et les femmes de tous les temps et de tous les lieux… et avec chacun d’entre nous (cf. Mt 28, 20).
En Jésus Christ, chaque homme est au profit d’une promesse, d’une parole de vie qui nous ouvre et nous appelle… pour nous éveiller à la vie avec Dieu, à la vie en relation avec Dieu.
Dieu vient habiter dans notre humanité et se révéler à nous en Jésus Christ… par le don de son Esprit, il nous offre de venir habiter en nous… de faire de nous son temple saint (cf. 1 Co 3, 16.17b).
Les notions d’ « incarnation » et d’ « adoption » viennent nous rappeler que le visage de Dieu peut luire en chacun de nous et par chacun de nous, pour autant que nous accueillons son souffle vivifiant… pour autant que nous lui laissons de la place dans notre existence… pour autant que nous laissons Dieu être Dieu en nous.
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