Jn 20, 1-10. 19-31
Lectures bibliques : Jn 20, 1-10. 19-31
Thématique : Passer de la vue à la foi & de la Croix au pardon
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 21/04/13
Culte à l’issue d’un Week-end KT (thème : le temps de l’épreuve et du doute)
Le chemin proposé par l’évangile de Jean est une Pâque, un passage :
Il nous appelle à passer de la vue des signes (des miracles accomplis par Jésus, de la découverte du tombeau vide, des apparitions du Ressuscité) à la foi (c’est-à-dire à la transformation de notre relation à Dieu – au Dieu de Jésus Christ – à une foi vivante qui renouvelle notre existence).
Tout l’enjeu de ce passage est là :
A travers deux personnages – Jean (le disciple bien-aimé) et Thomas – l’évangile nous invite à passer de la vue à la foi.
Car il y a une grande différence entre « voir » et « croire » :
Le « Voir » n’implique pas forcément le témoin. Il peut rester sans conséquence.
« Voir », c’est encore rester neutre, à distance, comme un spectateur extérieur, un simple observateur.
« Croire », c’est autre chose : c’est accepter de se laisser questionner et interpeller… c’est interpréter un événement, un signe, pour accéder à son sens profond... c’est participer à un élan, à la vie qu’ouvre le Christ (v.31).
« Croire », c’est accepter d’être impliqué, de prendre part, de placer sa confiance. Cela implique de se laisser déplacer. Et cela conduit à répondre, à bouger, à se laisser transformer.
Le début du chapitre commence avec deux disciples, Simon Pierre et Jean, le disciple bien aimé. L’un et l’autre, tour-à-tour, constatent que le tombeau qui contenait le corps du Crucifié est vide. Ils voient les bandelettes et le suaire déposés là, disposés en bon ordre.
Ce détail – qui n’en est pas un – exclut l’hypothèse d’un vol précipité du cadavre de Jésus [comme le croit Marie de Magdala].
Mais, alors que ce signe reste muet pour Pierre – son « voir » reste stérile –, l’autre disciple – Jean – témoigne d’un autre voir : le voir de la foi… un « voir » qui devient « croire ».
« Il vit et il crut » (v.8) : c’est en cela qu’il est présenté comme un modèle de foi, comme le paradigme du croyant. Car, en réalité, qu’a-t-il vu ? Rien justement !… si ce n’est un tombeau vide et des bandelettes abandonnées ! qui signifient, pour lui, que le Crucifié n’est pas resté prisonnier de la mort, qu’il est vivant.
Autrement dit, le disciple bien-aimé nous est présenté ici comme faisant partie des « bienheureux »… de ceux qui ont cru, sans avoir vu (v.29). Car, il croit, sans avoir vu le Ressuscité. Il croit à la seule vue du tombeau vide… à la vue de la radicale absence du Christ : à une absence qu’il reçoit comme un message de vie, comme le signe d’une présence.
La suite du chapitre, nous présente un autre disciple : Thomas.
Alors que les disciples réunis viennent d’être au bénéfice d’une apparition du Ressuscité, Thomas n’était pas là. Il n’a été témoin ni du tombeau vide, ni d’une vision du Ressuscité. En ce sens, il personnifie le disciple des générations ultérieures, car, nous sommes, nous aussi, dans la même situation que Thomas : Contrairement aux apôtres de la première génération, nous n’avons pas vécu l’expérience d’une apparition pascale.
Néanmoins, nous avons reçu la même chose que Thomas, à savoir une parole de confiance : le témoignage des premiers disciples qui nous ont fait part de leur expérience de foi, qui nous ont transmis leur interprétation de l’événement… leur rencontre avec le Ressuscité.
Autrement dit, la question soulevée par Thomas peut aussi être la nôtre : peut-on se fier à la parole… au témoignage des disciples ? Acceptons-nous le risque de la foi… au regard de cette seule parole ?
Nous sommes réunis ce week-end avec les jeunes du « cathé ». Ensemble, nous avons relu les récits de Pâques, et nous avons constaté qu’il n’y a pas (à proprement parler) de « preuve » de la résurrection.
Que ce soit les récits du tombeau vide ou ceux des apparitions pascales, il ne s’agit pas de preuves directes, d’évidences objectives, au sens matériel. Il s’agit davantage de signes, de traces – les traces du passage du Vivant – qui ont dû être interprétés, au cours d’un travail de relecture, opéré par la foi.
Ce qui nous est donné – et ce que nous sommes appelés à recevoir – ce sont des témoignages de foi des disciples qui ont vécu une expérience spirituelle inouïe, une rencontre personnelle avec le Christ vivant.
Ce que Thomas demande, lui, c’est précisément autre chose : c’est une preuve qui viendrait valider et confirmer le témoignage des disciples.
Pour croire, il impose ses conditions. Il ne se contente pas de la parole des témoins, il veut pouvoir vérifier par lui-même… non seulement voir, mais aussi toucher, saisir.
D’une certaine manière, il va être exaucé, dans la mesure où le Ressuscité va lui apparaître… huit jour plus tard : un chiffre symbolique qui nous indique une création nouvelle… comme si la rencontre de Thomas avec le Ressuscité faisait de lui une créature nouvelle : un homme de foi, un ressuscité.
Le texte [« parce que tu m’as vu… » (v.29a)] nous laisse entendre que Thomas n’aura finalement pas eu besoin de toucher les stigmates du Ressuscité pour se convaincre de sa présence. Seule la vue lui aura suffit et elle débouche sur une véritable confession de foi.
Mais cette vision sera aussi pour lui l’occasion de recevoir une exhortation, une parole : « Cesse d’être incroyant, mais devient croyant »… devient un homme de foi ! (v.27)
La parole du Christ désormais ressuscité et élevé auprès de Dieu, montre que la requête de Thomas était néanmoins l’expression de son incrédulité et qu’elle était inadéquate.
Si le Christ est ressuscité et élevé auprès de Dieu (cf. Jn 20,17), il est désormais « hors de portée », insaisissable, fondamentalement autre.
« Croire » - contrairement au « voir » - c’est précisément renoncer à vouloir faire exister le Ressuscité dans l’ordre de l’empirique, comme un objet qui nous serait donné de saisir.
Bien qu’il se soit donné à voir immédiatement après sa mort, le Crucifié-Ressuscité n’appartient plus au monde historique, mais au monde divin. Il n’est pas un objet que l’on pourrait saisir avec les mains ou dont on pourrait disposer… physiquement ou par la foi.
En réalité, même la foi ne consiste par à « avoir » ou à « saisir » un objet de foi, mais à quitter la relation « sujet-objet »… pour une relation de « sujet » à « sujet »… pour se laisser toucher intérieurement dans la rencontre d’un Autre… pour se laisser saisir par l’Esprit du Christ.[1]
La question que pose ce chapitre de l’évangile concerne donc la « foi », le passage du « voir » au « croire ».
Finalement, acceptons-nous d’être des hommes et des femmes de foi : de croire sans avoir vu ? (v.29)
Acceptons-nous de placer notre confiance dans la seule parole des témoins du Ressuscité ? … de nous fier à la parole de l’Evangile, à cette Bonne Nouvelle de la résurrection, qui nous appelle à accueillir la présence du Ressuscité au cœur de son absence, et à ressusciter – nous aussi – avec lui ?
Car ce qui nous est donné à « voir », c’est fondamentalement un tombeau vide, un creux dans nos représentations : c’est une absence qui dit une présence… une présence qui est désormais spirituelle : celle du souffle de l’Esprit que le Ressuscité insuffle à ses disciples de génération en génération.
Je crois que c’est bien cette question que nous pose l’évangile à travers le doute de Thomas :
Acceptons-nous de fonder notre existence sur une parole de confiance, une parole de vie… qui annonce une présence au cœur de l’absence : la présence spirituelle du Christ à nos côtés ?
Parallèlement à cette question fondamentale… il y a deux autres points que j’aimerais évoquer avec vous ce matin, de façon plus rapide, mais qui me semblent importants :
- De cette question de la résurrection… débouche notre manière de penser Dieu.
Les récits de la résurrection viennent nous interroger sur Dieu… sur le Dieu en qui nous plaçons notre confiance.
En quel Dieu croyons-nous ? Est-ce que croire en la résurrection, c’est autre chose – quelque chose en plus – que de croire en Dieu ?
Croire à la résurrection, placer sa confiance dans une Parole, c’est croire au Ressuscité, mais c’est aussi – de façon logique – croire en un Dieu capable de résurrection, en un Dieu capable de nous relever, de nous ressusciter.
Croire en la résurrection, ce n’est pas croire à n’importe quelles bizarreries invérifiables. Cela n’oblige pas à croire quelque chose « de plus » que de croire en Dieu.
Croire en la résurrection, ce n’est pas un supplément à la foi en Dieu ; c’est très précisément la radicalisation de la foi en Dieu : C’est croire que Dieu est capable de tout… même de cet extrême… de la victoire sur la mort.
C’est croire en un Dieu créateur, qui peut aussi bien appeler du néant à l’être, que de la mort à la vie. C’est croire que Dieu, qui a le premier mot de la vie, a aussi le dernier… qu’il est le Dieu du début comme de la fin : l’Alpha et l’Omega.
En bref, croire en la résurrection, c’est croire en un Dieu animé par un projet, par un désir : celui de créer, de donner la vie en se donnant, de rendre vivant… de relever, de vivifier.
- Enfin, un dernier point que ce passage de l’évangile met en avant… c’est celui du don de l’Esprit.
Dans ce chapitre de l’évangile, il est question du pardon des péchés que les disciples pourront accorder au nom du Christ (v.23). Ce pouvoir… cette mission est donnée à ceux qui viennent d’être revêtus du souffle de l’Esprit saint.
En précisant cela, l’évangile nous invite à comprendre que ce n’est pas l’homme par lui-même – l’homme divisé, traversé par des désirs ambigus – qui peut prétendre à lui seul vaincre le péché, mais que c’est l’action de l’Esprit saint en nous… que c’est – à proprement parler – un don / une grâce qui vient de Dieu… qui nous rend capable de surmonter le péché… qui nous rend capable de pardon.
Je crois qu’il est particulièrement signifiant d’envisager le pardon, à la lumière de la Croix et de la Résurrection :
Le pardon – la remise du péché – ne vient pas effacer le péché, comme la Résurrection ne vient pas effacer la Croix. Le pardon est un au-delà du péché, du mal-être relationnel, de la culpabilité, de la blessure.
A l’image du Crucifié-Ressuscité qui montre ses stigmates – les signes de sa souffrance passée – la trace du péché (le nôtre ou celui d’autrui) n’est pas effaçable, elle demeure visible. Mais le pardon, c’est une résurrection possible, c’est un au-delà du péché possible, à l’aide l’Esprit saint… de cet Esprit que Dieu nous donne et qui est capable de surmonter toutes nos morts… de relever, de ressusciter, de renouveler, de guérir… pour nous permettre de vivre une vie nouvelle.
Alors que bien souvent nous pouvons rencontrer des difficultés à pardonner – combien de familles autour de nous (les nôtres, peut-être ?) sont divisées à cause de non-dits, de malentendus, de questions devenues conflictuelles et difficilement pardonnables – le Christ Ressuscité, qui vient de subir l’horreur de la crucifixion, vient nous donner son Esprit, pour nous appeler à pardonner, à remettre la dette du péché à ceux qui nous entourent. Car précisément – comme Jésus n’a cessé de le montrer tout au long de son ministère en pardonnant les péchés – le pardon est un chemin de libération, de résurrection pour le « pardonné », comme pour le « pardonneur ».
C’est là la mission que le Ressuscité confie aux croyants : devenir porteurs de réconciliation… porteurs d’une parole de pardon, de libération… au nom du Christ.
Conclusion : Alors… pour conclure… chers amis, frères et sœurs… que pouvons-nous retenir de cette méditation ?[2]
Ce chapitre de l’évangile de Jean nous redit que « croire » ne relève pas d’une évidence, du domaine de la preuve, mais de la foi, d’un acte de réception, d’acceptation et de confiance.
La foi repose sur la Parole et sur l’Esprit saint. Elle advient à nous – en nous – à travers le langage, par le biais du témoignage soulevé par l’Esprit.
L’expérience de Pâques, de la rencontre avec le Ressuscité, n’est pas réservée à un groupe de disciples de la première génération. Elle advient, toujours à nouveau, dans l’aujourd’hui de la foi, fécondée par la parole de ceux qui nous ont précédés et par l’Esprit saint qui nous est donné.
Par ailleurs, l’évangile nous rappelle que les disciples sont au bénéfice d’une Bonne Nouvelle à transmettre : la résurrection du Christ qui témoigne de l’amour de Dieu, de sa capacité de relever et de pardonner.
La vocation des croyants, c’est d’être les porteurs de cette Bonne Nouvelle, de cette parole de pardon et de libération, qui était celle du Christ, et dont le monde à temps besoin aujourd’hui.
Lorsque nous nous sentons perdus, lorsque nous ne savons plus où aller, où donner de la tête, ni dans quelle direction avancer, rappelons-nous que l’Esprit, le souffle de Dieu, nous est offert, pour nous sortir de nos impasses, de notre culpabilité, de nos enfermements, de nos tombeaux.
Alors, mon frère, ma sœur, comme Thomas reçoit ce matin cette parole du Ressuscité :
« Cesse d’être incrédule… deviens croyant… deviens un homme de foi… une femme de foi » ! (v.27)
Amen.
[1] Le Christ est désormais auprès de Dieu (cf. Jn 1,1 ; 20,17) et il vient auprès des siens par le biais de l’Esprit (cf. discours d’adieu).
[2] Ce chapitre de l’évangile de Jean reconstitue les étapes du « possible » de la foi pour les croyants. Il met en récit la naissance de la foi pascale :
- Ce qui est en jeu pour les premiers disciples, c’est le passage du « voir » au « croire », de la vue à la foi.
- Ce qui concerne les croyants des générations suivantes, c’est la foi sans la vue, la foi fondée sur la parole d’un autre.
Contrairement à ce que nous pourrions penser, les croyants d’aujourd’hui ne sont pas défavorisés par rapport aux premiers disciples, aux témoins du Ressuscité. L’évangile nous rappelle, en plusieurs occasions, que la vue amène souvent les témoins à s’arrêter à ce niveau, qui est celui des apparences, et à ne pas le dépasser pour accéder à la foi. Or, l’évangile nous redit ce que promet et provoque la foi. La Parole, l’Evangile, le témoignage des disciples, sont donnés pour nous permettre de croire, pour nous appuyer sur une parole digne de confiance. Et pour qu’en croyant, nous ayons la vie, au nom du Christ… la vie telle que Dieu la veut… la vie dans sa plénitude et son accomplissement… la vie contre laquelle la mort ne saurait prévaloir.
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