Mc 4, 30-33 ; le
royaume ou le monde nouveau de Dieu (II)
Lectures bibliques :
Mc 1, 14b.15 ; 4, 30-33 ; Lc 6, 27-38 ; 17, 20-21
Thématique :
la graine de moutarde et le monde nouveau de Dieu
Prédication de
Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 27/10/13, culte avec baptême de Maxence
* Pourquoi Jésus
utilise l’image de la petite graine de moutarde qui devient un arbre, pour
parler du royaume ? Que veut-il nous dire à travers cette parabole, cette
comparaison ?
On peut relever
3 points dans cette image :
- la disproportion
entre la taille de la graine et celle de la plante
- l’idée de
croissance et de transformation
- la capacité de
la plante à abriter les oiseaux du ciel
- La graine minuscule :
A proprement parler,
bien qu’elle soit une graine minuscule, la graine de sénevé n’est pas la plus
petite des graines. De même, la plante herbacée dont la taille varie entre 1m50
et 3m n’est pas véritablement un arbre. Mais, ce qui importe ici, c’est la
démesure entre la taille de la graine et celle de la plante qui en résulte.
Ce contraste
était proverbial à l’époque de Jésus. Et c’est la raison pour laquelle, Jésus
prend en exemple la graine de moutarde – la potentialité de développement de
cette petite graine, son pouvoir de croissance – pour parler de la foi :
-
Dans
l’évangile de Luc : « Si vraiment vous avez la foi, gros comme une
graine de moutarde – avec la potentialité
de croissance de cette petite graine – alors, certainement… vous diriez à
ce sycomore : déracine-toi et va te planter dans la mer, et il vous obéirait
(cf. Lc 17, 5-6) »
-
Ou
dans l’évangile de Matthieu « si un jour votre foi est semblable à une
graine de moutarde… alors, certainement… vous
direz à cette montagne : passe d’ici… là-bas, et elle y passera. Rien ne
vous sera impossible. (cf. Mt 17, 20).
- Une dynamique de croissance et de
transformation :
La comparaison
avec cette graine – qui a un pouvoir de croissance extraordinaire – transmet, à
la fois, l’idée de quelque chose de petit, de fragile, et de très grand, de
puissant. Il s’agit de 2 caractéristiques qui coexistent dans le Royaume.
Car le règne de
Dieu ne s’impose pas de l’extérieur, par la force. Il se développe à l’image
d’une semence qui pousse d’elle-même (cf. Mc 4, 26-29), là où elle trouve de la
bonne terre… c’est-à-dire, des oreilles attentives et un cœur ouvert (cf. Mc 4,
1-9. 13-20).
Ainsi, la parabole
communique l’idée d’un changement en devenir :
Au départ, la
graine est minuscule et encore cachée, mais le jour où elle va pousser, elle
sera capable de transformer la surface de la terre.
D’une certaine
manière, on peut dire que la croissance de l’Evangile dans le monde, nous
révèle bien cette dynamique :
Il s’agit, au
départ, de quelque chose de petit, d’apparemment insignifiant : un homme
seul – Jésus – qui vit, enseigne et guérit… Un homme qui lance un message des
plus déconcertants : l’Evangile du Royaume, la possibilité de vivre
autrement… de vivre debout, libre et réconcilié avec Dieu et avec les autres
hommes… et qui meurt pour sa foi, tant
son message est à contre-courant des traditions ancestrales, des discours habituels
de ceux qui tentent de maintenir le statu
quo ante, l’ordre politique et religieux, qui profite à ceux qui sont déjà
dans la place et qui ont les clefs du pouvoir.
Il s’agissait
apparemment d’un début dérisoire et sans espoir : un homme seul qui va au
bout du chemin de l’amour… jusqu’au bout de l’humanité dans sa relation avec
Dieu et les autres humains.
Et finalement,
aujourd’hui, 2000 ans plus tard, ce sont plus de 2 milliards d’hommes et de
femmes, de toutes conditions, de toutes langues, de tous les continents, qui
marchent à la suite de Jésus Christ.
- La grande plante accueillante :
L’image finale
que nous livre la parabole, c’est l’aboutissement de la croissance, c’est la
plante devenue un arbre capable d’abriter les oiseaux du ciel.
Dans l’Ancien
Testament, plusieurs passages bibliques (cf. Ez 17, 22-24 ; Dn 4, 9.11.18)
utilisent déjà la figure de l’arbre qui accueille et qui abrite une multitude
d’oiseaux.
Ces oiseaux de
toutes sortes qui demeurent à l’ombre des branches de l’arbre, représentent les
peuples païens… les peuples issus de tous les horizons… qui finalement connaîtront
Dieu comme leur Créateur, leur Sauveur et Seigneur.
Ce qui est mis
en avant avec cette image des oiseaux qui viennent nicher dans l’arbre, c’est
la large capacité d’accueil du Royaume de Dieu.
Ce royaume est
ouvert à tous… Une seule condition pour y accéder : accepter de faire
confiance à un Autre que soi-même… accepter de se décentrer de soi-même… pour
laisser à Dieu la 1ère place, pour nous en remettre à lui avec
confiance, pour le laisser régner sur notre vie.
* Cette image que
nous donne Jésus, nous révèle donc la potentialité de croissance du royaume de
Dieu. Mais, elle nous laisse encore avec de nombreuses questions : Que
peut-on savoir de plus au sujet de ce règne de Dieu ? Quelle réalité
recouvre-t-il ?
Les évangiles ne
le définissent pas avec précision (cf. Mc 1, 15 ; Lc 17, 20-21). Ils nous
disent simplement qu’il s’est approché avec Jésus… et qu’il s’approche à chaque
fois que l’Evangile est pleinement vécu.
Jésus ne nous
parle pas d’abord du royaume comme d’une réalité pour après … pour un au-delà,
dans un monde meilleur, après la mort.
Bien davantage,
il nous dit que ce Royaume est accessible ici et maintenant… qu’il est entre
nos mains, à notre portée (cf. Lc 17, 21).
Nous pouvons
d’ores et déjà y entrer, nous y engager… pour autant que nous nous mettions
réellement à l’écoute de l’Evangile… pour peu que nous marchions à la suite de
Jésus : le 1er citoyen de ce royaume… de ce monde nouveau de
Dieu.
Dans l’évangile
de Marc, Jésus nous présente le Royaume comme une réalité dynamique, à laquelle
nous avons accès.
Y entrer
signifie d’abord accepter de changer de regard et de mentalité sur la vie, sur
Dieu et sur le monde.
« Le monde nouveau de Dieu est devenu tout
proche – dit Jésus – Changez de mentalité, croyez le message de salut »
(Mc 1, 15).
Si nous lisons
les 3 premiers chapitres de l’évangile de Marc, voici déjà ce qu’on peut en
découvrir :
- Quand le monde
nouveau de Dieu est là, les barrières que les hommes ont dressées entre eux
tombent d’un coup. Il n’y a plus d’individus ou de catégories sociales qu’on
mette en quarantaine, comme le lépreux « impur » ou le péager
considéré comme traitre à sa communauté.
- Quand le monde
nouveau de Dieu est là, le passé cesse de faire peser sur les coupables le
poids écrasant des fautes accumulées, car les citoyens de ce monde ont, après
Jésus et avec lui, la liberté de prononcer un vrai pardon.
- Quand le monde
nouveau de Dieu est là, beaucoup de malades trouvent la guérison et beaucoup de
possédés la libération.
- Quand le monde
nouveau de Dieu est là, la liberté prend vraiment pied sur notre terre, car la
volonté de Dieu cesse d’être une loi qui asservit les humains, pour apparaître
enfin orientée toute entière vers le bien-être des humains.
La nouvelle
mentalité que Jésus sème sur notre terre se laisse deviner derrière ces
changements profonds qui marquent la vie de ceux qui ont croisé son chemin.
* Evidemment, ce
n’est pas simple de promouvoir ce royaume – ce monde nouveau – car, cela nous
oblige à vivre dans 2 réalités : le monde nouveau de Dieu et le monde
ancien, le monde tel qu’il est.
Il y a
inévitablement des tensions et des résistances entre ces deux mondes, car le
Royaume vient remettre en question les mécanismes, les pouvoirs et les
privilèges que les uns ont acquis sur les autres.
Et c’est
d’ailleurs – je crois – une des raisons pour lesquelles, il est si difficile de
faire des réformes dans la plupart des pays riches : Le changement fait
peur. Il implique des renoncements que tous ne sont prêts à faire… à commencer
par les plus puissants de ce monde.
Face à la
nouveauté, chacun préfère défendre son pré carré… chacun préfère voir « midi
à sa porte », en retenant son intérêt particulier, celui de sa corporation
ou de sa nation, plutôt que de penser à l’intérêt général.
- D’un côté,
nous avons un monde orienté par l’avoir et le pouvoir, un monde fondé sur les
rapports de force, le donnant-donnant, la réciprocité, le mérite, … un monde où
règne, bien souvent, l’égoïsme et la convoitise, la volonté d’accaparer, de
jouir, de consommer, de ramener toute chose à soi.
- De l’autre, un
monde fondé sur la grâce, la gratuité… sur l’amour, le don et le pardon…. Un
monde qui ne s’impose pas par la force, mais par la confiance et l’espérance…
celle du changement, de la justice… le désir de voir enfin l’homme vivre
pleinement son humanité devant Dieu.
* Aujourd’hui,
je crois que de plus en plus de personnes se rendent compte que ce monde ancien
ne peut pas continuer comme ça… qu’un changement de mentalité s’impose.
Avec la crise, l’idée
de croissance … d’une croissance uniquement fondée sur des critères économiques
– comme s’il était possible d’avoir une croissance infinie dans un monde fini –
… montre ses limites et révèle que le modèle de base de notre société est
fondamentalement dans l’impasse. Il est impossible à tenir aussi bien pour
l’humanité que pour la planète.
En même temps,
cette prise de conscience ne semble pas trouver d’échos… de réponses à la
hauteur des enjeux… chez les gouvernants de ce monde, les dirigeants du G20.
Auraient-ils
peur de remettre en cause leur manière de penser et surtout leurs pouvoirs et
leurs privilèges ?
Qui,
aujourd’hui, malgré les signaux d’alarme tirés à droite ou à gauche par des
spécialistes (scientifiques, économistes ou sociologues)… qui semble vraiment
se soucier des difficultés qu’engendre notre mode de vie, fondée sur la
domination économique et l’accaparement des richesses ?
Qui se préoccupe
de savoir comment nous parviendrons demain à nourrir plus de 7,2 milliards
d’individus dans le monde, en faisant face à des problèmes écologiques
considérables ?
Nous, pays
occidentaux, démocratiques et capitalistes, prétendons encore exporter notre
modèle de vie partout sur la planète…. sans se soucier réellement des
conséquences à moyen et long termes.
Pourtant… en
ouvrant les yeux, on se rend vite compte que l’idéologie matérialiste et
consumériste… l’idéologie traditionnelle du salut par plus d’avoir et plus de
pouvoir… mène inexorablement l’humanité à la catastrophe.
[[Bien sûr… comme
nous sommes nous-mêmes immergés dans cette réalité… il est difficile de reconnaître
qu’il s’agit là d’une idéologie. Mais, c’est pourtant le cas ! Ce qui est
sous-jacent à notre modèle, c’est l’idée selon laquelle l’avoir et le pouvoir
sont capables nous sauver et de procurer, à eux seuls, le vrai bonheur.
Mais, Jésus,
avec ses Béatitudes, vient nous dire autre chose : Pour lui, il n’y a pas
de salut possible sans les autres… pas de bonheur réellement possible sans
justice. Et c’est la raison pour laquelle, il nous appelle à adopter une
nouvelle manière de regarder la vie.]]
* De cette
tension face au changement… de cette résistance face à la nouveauté… il faut, à
mon avis, tirer un enseignement très simple qui d’ailleurs se trouve dans
la règle d’or : « comme vous
voulez que les autres agissent envers vous, agissez de même… agissez
d’abord… envers eux » (cf. Lc 6,
31).
Je crois qu’il
ne faut pas d’abord compter sur les autres – notamment sur ceux qui ont des
responsabilités d’envergure – pour changer le monde… pour faire advenir ce
monde nouveau de Dieu.
Rappelons-nous
que les prophètes, à commencer par Jésus, ont toujours été méprisés et écrasés
par les tenants du pouvoir-en-place. Ils avaient trop à perdre, pour accepter
ces changements.
Ainsi, si nous
avons conscience que notre monde ne tourne plus rond… si nous réalisons qu’il y
aurait bien des choses à changer dans nos modes de relations aux autres… notre
mode de vie consumériste, égocentrique et anti-écologique… il faut, nous mêmes,
en tirer les conséquences nécessaires et concrètes dans notre manière de vivre.
Nous ne pouvons
pas simplement attendre cela des autres ou de nos dirigeants.
Chacun d’entre
nous est un acteur économique, chacun d’entre nous peut aussi être un acteur du
monde nouveau de Dieu…
Toute la
question est de savoir jusqu’où nous sommes prêts à aller ? A quel
renoncement sommes-nous prêts à consentir ? Jusqu’où acceptons-nous de
suivre Jésus ?
C’est, en effet,
une question très sérieuse : Déjà, Jésus nous prévenait de l’urgence à
changer, à entrer dans cette nouveauté de vie… mais il indiquait aussi
l’exigence de cette voie :
« Si quelqu’un veut venir à ma suite – dit
Jésus – qu’il renonce à lui-même et prenne sa croix chaque jour, et qu’il me
suive » (cf. Lc 9, 23)
« Quiconque met la main à la charrue, puis
regarde en arrière, n’est pas fait pour le Royaume de Dieu » (cf. Lc
9, 62).
S’engager dans
cette voie du royaume implique de ne pas regarder en arrière vers le monde
ancien, vers ce qui a déjà été fait…
Cela signifie,
au contraire, renoncer à l’ancien et regarder en avant, pour construire quelque
chose de neuf.
Cela veut dire,
en particulier, renoncer à la course à l’avoir et au pouvoir, à tout ce qui,
jusque là, constituait les références implicites, les critères de réussite, de
notre société.
* Conclusion : Alors… chers amis,
frères et sœurs… que peut-on conclure de cette méditation ?
Tout d’abord, la
parabole de la graine de moutarde vient résonner à nous comme une
promesse : celle d’un devenir, d’un épanouissement à venir.
Malgré les
échecs qu’il a pu rencontrer, malgré les refus et malgré la croix, Jésus
croyait au succès du monde nouveau de Dieu qu’il est venu semer sur notre
terre… et après lui les disciples y ont cru, eux aussi.
Il me semble,
aujourd’hui, que nous pouvons nous enraciner dans la même espérance… la même
confiance.
Car, à bien y
regarder, quelle autre alternative crédible pourrions-nous bien trouver (cf. Jn
6, 68) ?
Je crois
fermement qu’il n’y a pas d’autre salut possible pour l’humanité que cet
Evangile du Royaume, qui met au 1er rang – avant toute
préoccupation – la confiance en Dieu et l’amour du prochain.
C’est ce message
de liberté et de fraternité que nous sommes appelés à vivre. Non pas seulement
de manière républicaine, comme citoyens français et citoyens du monde… mais
comme citoyens du Royaume – du monde nouveau – que Jésus nous propose.
Vivre une telle
citoyenneté, fondée sur l’amour du prochain,[1] implique
de nous laisser transformer de l’intérieur par Jésus Christ, par la Parole de
Dieu et l’Esprit saint.
Et, du coup,
cette même Parole vient nous interroger quant à notre manière de vivre, de
penser et d’agir.
En effet, être
citoyen du monde nouveau de Dieu, c’est adhérer – non seulement
intellectuellement – mais existentiellement à l’Evangile, c’est prendre à bras
le corps les paroles de Jésus, pour les faire siennes, les vivre et les mettre
en pratique.
Et, bien sûr,
cela conduit à nous interroger sur nous-mêmes, sur notre propre cohérence entre
ce que nous pensons, ce que nous disons et ce que nous faisons.
Il s’agit
finalement d’essayer de vivre en accord avec ce que nous sommes vraiment :
des enfants de Dieu… des artisans de son royaume.
Je finirai mon
propos par une question qui s’adresse à chacun d’entre nous. Il s’agit d’une
question délicate qui constitue, d’une certaine manière, un test quand à notre
propre cohérence.
Posons-nous
humblement cette question :
Est-ce que ma manière de vivre, mon
action et mon mode de relation aux autres transforment positivement ce
monde ?... en tout cas, mon monde : celui de mon entourage… de ceux
que je rencontre ?
Chacun pourra
répondre pour lui-même et voir le chemin qui lui reste à parcourir, avec l’aide
du Seigneur.
Je ne pense pas
qu’il y ait de réponse entièrement positive ou entièrement négative.
Ce genre de
question n’a qu’un seul but : nous inviter à nous approprier toujours
davantage l’Evangile du royaume… car c’est, en définitive, ce à quoi nous
sommes appelés : à transformer positivement le monde… à le saler au goût
de l’Evangile.
« Vous êtes le sel de la terre !… vous
êtes lumière du monde ! » Voilà ce que dit Jésus à ses
disciples (cf. Mt 5, 13-16).
Soyons
convaincus, frères et sœurs, que c’est à nous qu’il s’adresse !... qu’il
nous fait confiance pour prendre part à ce monde nouveau !
Amen.
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