Mt 25, 14-30 : la parabole des talents
Lecture biblique : Mt
25, 14-30
Prédication de Pascal LEFEBVRE
/ Tonneins, le 06/10/13, fête de rentrée de la paroisse.
(Analyse biblique inspirée de
Pierre Farron, « Dis, pourquoi tu travailles ? » et de Marie Balmary,
« Abel ou la traversée de l’Eden »)
Introduction :
Ce matin, je
vous propose que nous méditions ensemble le texte bien connu de « la
parabole des talents ».
Il y a quelques
semaines, j’ai rencontré une personne qui m’a fait part de sa totale incompréhension
et de sa réprobation face ce texte. A vrai dire, elle m’a même avoué être devenue
quasiment athée… en tout cas, athée de ce Dieu là, du Dieu de cette parabole… tant
cette histoire lui semblait scandaleuse.
Alors, pour voir
de quoi il en retourne, relisons ce passage de l’évangile.
Lecture de Mt 25, 14-30,
dans la Bible
Prédication :
Vous connaissez
sans doute ces paroles du magnificat :
« Le Seigneur
élève les humbles. Il comble de
biens les affamés, renvoie les riches
les mains vides. »
(Lc 1, 52-53)
Comment
comprendre que dans la parabole que nous venons de lire… le maître semble faire
strictement le contraire :
Il renvoie le
pauvre les mains vides, en lui retirant ce qu’il a… pour le donner au plus
riche… tout en promettant la surabondance à ceux qui possèdent.
Alors, où est la
vérité ? Dieu serait-il versatile, lunatique ou bipolaire ? Agirait-il
comme les traders de wall street qui n’ont de cesse que
d’enrichir leurs plus riches clients ?
Comment faut-il
comprendre la parabole ? Dieu, est-il bon et généreux, comme semble le
comprendre les deux premiers serviteurs ? ou, au contraire, est-il le
tyran qu’imagine le 3ème serviteur ?
Où est la Bonne
Nouvelle du Royaume dans cette histoire ?
* Avant de voir
ce que peut bien signifier cette parabole pour nous aujourd’hui… prenons
quelques instants pour nous plonger dans le texte et essayons de quitter nos présupposés
sur cette parabole, qui – il faut l’avouer
– a souvent été mal traduite et mal comprise par beaucoup de commentateurs.
- La parabole du
Royaume commence avec un homme qui, partant en voyage, appelle ses serviteurs
pour leur donner ses biens (v.14)
Notons que le
texte grec ne parle pas d’un prêt. Il ne dit pas « confier » ses biens,
mais « donner, livrer,
remettre ». Il s’agit d’un geste définitif, sans retour.
C’est le même
verbe qui est employé, par exemple, dans la situation d’un roi, qui au moment
de partir ou de mourir, va transmettre le pouvoir à son fils, en lui donnant la
souveraineté sur ses biens.
- On est tout de
suite frappé par l’importance des sommes données. Un talent (l’équivalent de 10
000 deniers) représentait à peu près 17
ans de salaire d’un ouvrier ! Le maître donne – 1, 2 ou 5 talents – à
chacun selon ses capacités, selon son « propre dynamisme », sa « propre
puissance », pour reprendre les mots grecs.
Ici, rien n’est
dit sur cette « capacité », cette « force » en question.
Mais, en s’en tenant au mot à mot du texte, on devine que cette force ne peut
être que la capacité à recevoir.
Ce qui semble a priori étonnant, comme s’il fallait
une force particulière pour recevoir un don (?)
La distribution
aux 3 serviteurs est donc inégale. Mais elle n’est pas, pour autant, injuste.
Il est donné « à chacun selon sa propre
force », c’est-à-dire selon son aptitude à rendre propre ce qui lui est donné… à digérer le don qui lui est fait
personnellement… comme une nourriture offerte, qu’on doit travailler, mâcher,
digérer, pour s’en approprier les nutriments… ce qui est bon pour soi.
- Aussitôt, le
maître part en voyage. A ce stade, on n’a aucune idée du moment où il
reviendra. On ne sait même pas s’il reviendra un jour, la parabole ne dit rien
à ce sujet.
C’est alors que
pour les serviteurs s’ouvre un espace de liberté où ils peuvent faire quelque
chose avec ce qu’ils ont reçu.
On nous dit
qu’aussitôt les deux premiers vont en faire usage, littéralement qu’ils « œuvrent »,
qu’ils « travaillent » avec leurs talents.
On ne sait pas
ce qu’ils font, mais ils utilisent ce qu’ils ont reçu pour le développer, le
faire fructifier.
Ce qui
caractérise ainsi les deux premiers serviteurs, c’est leur confiance, leur
capacité à recevoir ce qui leur a été donné et leur faculté à en faire usage, à
s’en servir.
Au fond, peu
importe, la somme reçue (que l’un ait reçu 5 talents et l’autre 2), ce qui est
mis en avant c’est leur réponse au don : leur capacité de s’approprier ce
qui est donné, de le développer en œuvrant jusqu’à ce que le fruit du travail soit
égal au don reçu.
Tous les deux
parviennent a doublé le don. Ils obtiennent finalement autant par leur travail
que ce qui leur avait été donné au départ sans mérite, par pur don.
Ainsi, malgré
l’inégalité du don de départ, ils sont, d’une certaine manière, devenus
égaux : ils ont montré une même aptitude à mettre en œuvre et à faire
fructifier leurs talents.
- Par ailleurs,
on peut noter la confiance étonnante du maître… il ne reste pas pour surveiller
ses serviteurs… il leur fait un don, puis il s’efface. Il leur fait totalement
confiance.
- Pendant ce
temps, le 3ème serviteur, lui, semble être méfiant. Il est hésitant
et septique. On apprendra plus tard qu’il a peur de son maître (v.25).
Mû par le
soupçon et la défiance, il se dit la chose suivante : « Recevoir un cadeau pareil, ce n’est pas possible…
ce n’est pas normal. Il doit y avoir un piège là-dessous. Il ne faut pas me
faire croire qu’un patron puisse donner une somme pareille à son personnel. On
les connaît les patrons ! Il n’y a que le profit qui compte pour
eux ! »
Alors,
prudemment… ou plutôt, peureusement… il va cacher, il va enterrer ce cadeau… qui
pour lui n’en est pas un.
Et c’est bien là
le problème de ce 3ème serviteur : Il ne croit pas que son
talent lui a été donné. Il ne croit pas au don.
Toute l’histoire
montre que, contrairement à ses deux compagnons, il pense que cet argent est
encore « l’argent de son maître » (v. 18. & v. 25).
- Longtemps,
très longtemps après, le maître arrive, littéralement « il vient ».
La parabole ne dit pas qu’il « revient », mais qu’il
« vient »… comme une nouvelle venue inattendue.
Ensemble, avec
ses serviteurs, il échange des nouvelles. Le texte grec dit
littéralement : « il leva-ensemble avec eux une parole »,
autrement dit, « il soulève avec eux une parole ».
Contrairement à
ce que la plupart des traductions indiquent, il n’est pas question ici d’un
règlement de compte. Le maître ne vient pas régler « ses » comptes
avec eux… - le possessif est absent - … mais, bien plutôt, il les convie à un
compte-rendu, à un récit.
« Il fait
le point avec eux », parce qu’il s’intéresse à eux et souhaite avoir des
nouvelles.
- Les deux
premiers serviteurs, dans une formulation identique, disent : « Maître, tu m’avais donné cinq ou deux
talents ; voici cinq ou deux autres talents que j’ai gagné ».
Chose
intéressante ici : Ils ne présentent pas au maître les talents
initialement reçus. Ceux-là, ils ont été utilisés. Ils lui présentent d’autres talents, des talents
nouvellement gagnés, par eux-mêmes, par leur propre travail.
Aux deux
serviteurs, le maître dit exactement, mot pour mot, la même parole,
littéralement : « Bien,
serviteur bon et fidèle [confiant, fiable]. Sur peu, tu as été fidèle ;
sur beaucoup, je t’établirai. Entre dans la joie de ton maître. »
Les deux
premiers serviteurs ont égalé le don reçu. Ils se sont comportés comme de vrais
héritiers du maître et ils en sont félicités. Ceci les ouvre sur une
promesse : d’être établi sur beaucoup et de partager une proximité, une
communion de joie avec le maître.
Par cette joie
offerte, ils ne sont plus des serviteurs… ils sont traités comme des fils, comme
les enfants du maître.
- Quand au 3ème
serviteur, c’est le seul qui ramène ce qu’il a reçu… comme s’il avait refusé le
don qui lui était fait.
Par crainte du
maître, il n’a pas osé faire usage du don offert.
En réalité, il
n’a jamais reconnu la générosité gratuite de son maître.
Lorsqu’il se
retrouve devant lui, il s’empresse de lui restituer le talent reçu à
l’identique, sans l’avoir utilisé, ni transformé… comme si ce talent ne lui
avait jamais appartenu en propre, comme s’il avait toujours été la propriété de
son maître :
« Maître, je savais que tu es un homme
dur : tu moissonnes où tu n’as pas semé, tu ramasses où tu n’as pas
répandu ; par peur, je suis allé cacher ton talent dans la terre : le voici, tu as ton bien. »
A cette phrase
du serviteur, le maître répond en reprenant exactement ses mots, mais en
omettant le début « je savais que tu
es un homme dur ».
Visiblement, si
le maître admet qu’il est exigeant, il refuse cette dureté qui lui est attribuée.
Car c’est à cause de cette fausse image – celle d’un homme dur et sévère – que
le 3ème serviteur a vécu dans la peur… qu’il est resté passif, comme
paralysé par la crainte du jugement.
- En écoutant attentivement
ce dernier serviteur, on se demande s’il parle du même maître … du même Dieu… que
les deux premiers.
D’où vient ce
malentendu au sujet du maître ?
Dans cette
parabole – contrairement à ce que laisse entendre beaucoup d’interprétations –
Dieu ne vient pas demander des comptes à ses serviteurs et les récompenser dans
une logique du mérite personnel, une sorte de logique capitaliste.
Mais, ayant
encore d’autres dons à donner, à distribuer… - comme le laisse entendre la
sentence finale de l’histoire (v. 21b. 23b. 29) - … il vient prendre des
nouvelles, échanger une parole ensemble…. pour voir si ses serviteurs ont pu faire
bon usage des premiers dons reçus.
Cela montre qu’à
ce stade, le maître n’est pas omniscient ou tout-puissant… il ne sait pas
encore ce qu’il en est de ses serviteurs.
Il a certes donné
à chacun selon ses capacités, mais chaque serviteur est mis face à sa liberté :
Chacun est libre d’accepter ou de refuser le don offert.
II semble donc que
ce maître « dur » imaginé par le 3ème serviteur soit, bien
plutôt, le fruit de sa propre projection.
Ce maître
tyrannique que lui-même imagine, n’est autre que ce tyran qui se trouve à
l’intérieur de lui-même… ce Surmoi persécuteur (diraient les psychanalystes)…
cette figure sévère et toute-puissante qui l’empêche d’entendre et de voir.
- La conclusion
laisse entendre que le dernier serviteur s’est lui-même placé dans les
ténèbres. Sans s’en rendre compte, il s’est puni lui-même… en refusant
d’accepter le don qui lui était offert.
En le refusant,
il s’est privé de ce qu’il avait.
En effet, quand
le maître vient, il s’aperçoit qu’un de ses serviteurs a totalement refusé son
cadeau.
Dès lors, que
doit-il faire ? … Pourquoi lui ferait-il d’autres dons, alors que celui-ci
n’a même pas voulu recevoir le premier ?
Ce cadeau sera
logiquement offert à un autre serviteur capable de l’accepter (v.29).
Cette conclusion
nous permet de comprendre ce qui est véritablement reproché au 3ème serviteur :
Ce n’est pas
d’abord de ne pas avoir ramené un autre talent, de ne rien avoir fait fructifié…
- nous ne sommes pas dans le cas d’un serviteur qui aurait simplement gâché son
talent, par erreur ou négligence – Non !… plus fondamentalement, ce qui
lui est reproché, c’est de s’être complètement trompé sur l’intention profonde de
son maître, de s’être laissé guider par la peur et la méfiance, et, ainsi, de
ne pas avoir accepté le don qui lui était fait et donc de ne même pas en avoir
fait usage.
Autrement dit… ce
que nous montre cette parabole, c’est qu’il y a un véritable risque à ne rien
risquer.
Au lieu de
spéculer, de prétendre connaître son maître – Dieu – comme « un homme
dur », ce serviteur aurait mieux fait de se renseigner… (en venant au culte !)…. Il aurait
mieux fait d’oser la confiance… en acceptant de recevoir le cadeau qui lui
était offert.
* Alors…. Chers
amis, frères et sœurs… tout cela doit nous interroger … pour notre vie
d’aujourd’hui :
Est-ce qu’il n’y
a pas des dons que, nous aussi, dans notre existence, nous refusons… ou dont
nous nous sentons indignes ?
Avant de savoir
si nous employons – ou non – les talents que Dieu nous donne, si nous les
faisons fructifier, posons nous d’abord la question de savoir si nous les
acceptons (?)
- Le 1er
don auquel nous pouvons penser est celui de la vie.
Il me semble que
cette parabole nous interroge sur notre capacité à recevoir la vie comme un
don, comme un cadeau, non pas à garder et à enterrer pour la rendre à Dieu à l’identique,
mais comme un don à investir et à travailler, pour advenir comme sujet, comme
enfant de Dieu… pour produire davantage de vie en nous et autour de nous.
C’est une
évidence… mais ce don que nous avons à nous approprier,
c’est, en premier lieu, notre propre vie :
Cette vie que Dieu
nous donne, nous sommes appelés à la faire nôtre, à la recevoir et à la
travailler, pour qu’à son tour elle produise du fruit – de la vie – pour soi et
pour les autres.
- Ensuite, dans
la liste des talents que Dieu nous donne, il y en a un autre de 1ère
importance… un autre qui nous permet de nous approprier encore davantage la
vie : c’est le pardon.
Posons-nous la
question : acceptons-nous réellement de nous approprier le pardon de
Dieu ? … le pardon dans toutes les facettes et tous les domaines de notre
vie ?... ou le refusons-nous, car il nous semble immérité ?
Lorsque nous
voyons autour de nous tant de personnes écrasées par le poids d’une
culpabilité, par un passé enfermant et sclérosant dont elles ne parviennent pas
à sortir – et peut-être sommes, nous aussi, de ceux-là – acceptons-nous de
recevoir le pardon que Dieu nous donne, par amour, par don, par pure grâce ?
Acceptons-nous
de nous approprier ce pardon qui libère, pour le laisser transformer notre vie
et notre histoire… et acceptons-nous, nous aussi, de donner ce pardon à
d’autres, de leur offrir ?
En bref…
acceptons-nous de nous laisser travailler et réconcilier par ce don de Dieu
qu’est le pardon ?
- Enfin, il
existe encore bien d’autres cadeaux, bien d’autres talents, que Dieu nous
offre… et dont nous devons nous poser la question de savoir si nous les
acceptons, si nous nous les approprions et si nous les faisons
fructifier : l’amour capable de nous ouvrir et de nous guérir ; l’Esprit
saint capable de nous transformer ; l’intelligence pour en faire profiter
autrui ; la création toute entière pour en prendre soin, pour l’admirer et
la transmettre à nos enfants ; la richesse offerte à certains pour qu’ils
puissent la partager… etc.
Acceptons-nous
tous ces dons de Dieu dans notre vie, pour nous les approprier, pour les
transformer et en faire quelque chose, au service des autres ?
Nous voyons bien
que cette parabole vient interroger notre liberté et notre responsabilité :
notre capacité de recevoir et de « risquer » les dons que Dieu nous
offre.
Loin de la peur
et de l’immobilisme, elle nous invite à la confiance et à la fidélité dans les
petites choses.
N’oublions pas
cette parole : « Serviteur bon
et fidèle. Sur peu, tu as été fidèle ; sur beaucoup, je t’établirai. Entre
dans la joie de ton maître. »
Jésus nous
rappelle ainsi qu’il y a une promesse… il y a de la joie en perspective… une fête
encore plus festive que nos fêtes de paroisse : la fête du royaume.
Un banquet nous
attend avec le Seigneur, pour peu que nous prenions le risque de la confiance avec
Celui qui nous offre tous ses dons… pour nous faire de nous ses héritiers.
Amen.
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