lundi 20 avril 2015

Jn 5, 1-18

Lecture biblique : Jn 5, 1-16
Thématique : « veux-tu guérir ? »
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 19/04/15 & Marmande, le 17/01/16

« Veux-tu guérir ? »[1]

C’est la question directe – et presque incongrue – que Jésus ose poser à cet homme asthénique[2], couché au bord de la piscine de Bethzatha depuis 38 ans ?

C’est peut-être une question qui nous est aussi adressée à nous, indirectement, deux mille ans plus tard : Avons-nous besoin d’être guéri ? De quoi ? Et le voulons-nous ?
Sommes-nous en paix… libres et réconciliés avec nous-mêmes, sous le regard de Dieu ?

Comme la foule de malades – aveugles, boiteux, impotents – qui trainent autour de cette piscine de Jérusalem, l’asthénique de Bethzatha attend désespérément qu’une âme charitable l’aide à plonger dans la piscine au moment où l’eau se met à bouillonner. On croyait, en effet, à cette époque – selon une tradition populaire, sans doute emprunt de superstition – que le premier malade qui plongeait au moment où les eaux s’agitent, se trouvait totalement lavé et purifié de sa maladie.

Il s’agit donc pour chacun des malades, qui patientent autour de la piscine, de plonger au moment favorable. Malheureusement, l’homme – sans doute ralenti et atteint par sa maladie – n’arrive jamais en premier dans la piscine. Il est – de ce fait – condamné à errer là, sans véritable espoir de guérison… puisqu’il n’est jamais le premier, le meilleur, le plus rapide.
Il est sans doute résigné et découragé. Il n’y croit plus vraiment… peut-être… plus du tout !

C’est alors que Jésus remarque cet homme. Il sent exactement ce dont il a besoin. Il le regarde personnellement et le « sort du lot des malades ». Il saisit en profondeur[3] ce qui est en cause dans sa maladie… il discerne le problème de cet homme qui attend depuis toutes ces années :
Il comprend que l’homme s’est finalement accoutumé à son sort. Il n’a pas simplement accepté sa maladie. Il s’y est résigné… peut-être s’y est-il laissé enfermer.

Par sa question provocatrice : « veux-tu guérir ? », Jésus l’encourage à entrer en contact avec sa propre volonté.

Il arrive, en effet, que ce soit le désir qui soit malade… que ce soit notre volonté qui ait d’abord besoin d’être guérie.

Certains peuvent trouver la question de Jésus plutôt étrange : N’avons-nous pas tous envie d’être en bonne santé ?
Mais les choses ne sont pas si simples. Il arrive qu’on développe une maladie physique à cause de blocages émotionnels ou psychiques refoulés. La maladie peut aussi être un moyen inconscient ou détourné d’obtenir de l’attention ou de la reconnaissance de la part de son entourage. Les psychologues parlent d’un « gain de plaisir secondaire », dans le sens où il peut y avoir parfois des avantages à être malade : On n’a pas besoin, par exemple, d’assumer la responsabilité de sa vie… d’autres nous prennent en charge.
(Demandez aux enfants… si parfois ils ne sont pas contents d’être malades et retenus à la maison : c’est un bon moyen de louper l’école… et de se faire cajoler par ses parents !)

On peut parfois ne pas avoir envie de recouvrer la santé pour différentes raisons. Bien sûr, ce n’est pas vrai dans tous les cas. Le plus souvent, on subit sa maladie. Mais d’autres fois, on peut aussi y prendre part. Certains disent même qu’on la construit, comme on peut aussi bien la déconstruire et la dépasser, par la guérison.[4]

A la question abrupte que Jésus lui pose, le malade répond de façon évasive : C’est de la faute à pas de chance ! Il n’a personne pour l’aider, pour le porter et le plonger dans l’eau quand elle commence à s’agiter. Il y a toujours quelqu’un qui passe avant lui ! Ce sont les autres malades qui sont coupables !
Autrement dit, l’homme ne se remet pas lui-même en question. Il n’analyse pas les causes de ses symptômes, ni les moyens de surmonter ses difficultés. Par la plainte, il rejette la responsabilité de sa situation sur autrui.

Mais Jésus n’entre pas dans ces considérations. Il répond sans empathie, ni compassion. Il ne laisse aucune place aux jérémiades. Il ordonne simplement au malade de se lever, lui ôtant le prétexte fallacieux de la responsabilité d’autrui.  

« Lève-toi, emporte ton grabat et marche ! » Jésus confronte le malade avec sa propre force et lui enlève ses illusions.

L’homme ne doit pas attendre que les autres le portent. Il doit se mettre lui-même debout, dépasser son asthénie et ses faiblesses, surmonter sa paralysie.
« Il ne doit pas se laisser plus longtemps attacher à sa civière, symbole de sa maladie. Il doit se lever, prendre son brancard sous le bras et, pour ainsi dire, aborder autrement ses blocages. Il doit se redresser avec ses faiblesses, ses paralysies, ses insécurités, se réconcilier avec ses inhibitions, les prendre à bras-le-corps. Ses peurs ne l’empêcheront plus de vivre et il sera capable d’aller son propre chemin. »[5]

Bien sûr, les paroles et la thérapie employées ici par Jésus sont strictement adaptées à la situation particulière de cet homme. Elles ne sont pas transposables à n’importe qui.  
En même temps, à travers elles, nous pouvons entendre un appel qui s’adresse à chacun d’entre nous… un appel à assumer la responsabilité de sa propre vie… à prendre sa vie en mains.

Les mots de Jésus sont déterminants : chaque fois que nous pouvons nous sentir paralysés par telle ou telle situation, quand nous avons peur de nous ridiculiser aux yeux des autres, ou de leur montrer nos limites et nos insécurités, nous pouvons penser à ces paroles : se lever tout simplement, avec ses fragilités et ses vulnérabilités, voilà le chemin salutaire proposé par Jésus ; accepter ses peurs au lieu de les refouler, les intégrer pour les dépasser ; ne pas attendre jusqu’à être guéri de ses angoisses ou de ses blessures, mais se redresser avec elles et poursuivre sa route.

En aidant l’homme à exprimer son désir, en restaurant sa volonté, en l’appelant à se lever, Jésus fait entrer cet homme dans une dynamique verticale de résurrection : Il remet l’homme debout et en marche !

A un moment ou à un autre de notre vie, nous pouvons nous laisser submerger par des blocages, des inhibitions ou des symptômes désagréables. Face à cela, face à ce qui risque de nous enfermer, de restreindre notre vie ou notre désir de vivre, Jésus nous invite à éveiller notre conscience et développer notre confiance (en nous-mêmes, bien sûr, mais aussi en Dieu, qui peut agir dans notre intériorité et transformer notre cœur et notre esprit… et donc aussi sur notre corps).
Il s’agit de ne pas se laisser enchaîner par son passé, par ses peurs ou ses fragilités… « de les aborder différemment… de les prendre à bras-le-corps et de vivre avec elles au milieux des autres hommes ».[6]

Jésus nous rappelle qu’un Autre nous aime et nous attend… La confiance que Dieu nous offre – et que nous pouvons accueillir – a le pouvoir de nous relever.

Dans la suite du récit biblique, Jésus rencontre à nouveau l’homme et lui dit cette fois : « ne pèche plus, de peur qu'il ne t'arrive quelque chose de pire ».
Cette affirmation est bien étonnante. Que pourrait-il arriver à cet homme de pire que ce qu’il a vécu depuis 38 ans ?

La pire, c'est d'être malade de cette maladie-à-la-mort que la Bible nomme « le péché », parce qu’elle nous paralyse au plus profond du cœur. C'est de cette maladie dont Jésus est venu nous relever, en restaurant notre relation avec notre Source intérieure, avec notre Père céleste.

« Le péché » - pour faire bref - c’est le refus du projet de Dieu pour nous. C’est un rendez-vous manqué avec Dieu, avec nous-mêmes – avec notre vocation d’enfants de Dieu – et avec les autres. Ici, c’est peut-être le fait que l’homme se soit résigné à réduire sa personne et sa vie à sa seule maladie.

Dieu nous veut en marche et nous sommes parfois arrêtés sur nos sentiments (nos ressentiments) ou notre passé – sur nos manques ou nos regrets – sur nos refus ou nos replis. Dieu nous veut libres, confiants et réconciliés avec nous-mêmes. Ce n’est pas en restant figés et prostrés sur nos difficultés ou nos ressassements que nous pouvons accéder à cette paix intérieure, mais c’est en marchant… en essayant d’aller de l’avant, malgré tout.

« Lève-toi, prends ton grabat et marche ! » L’Evangile c'est cela : une Bonne Nouvelle qui nous remet en marche et nous dynamise… qui nous permet de surmonter nos blessures, nos failles et nos découragements. C’est une Parole d’envoi qui nous permet d'assumer notre passé, pour nous tourner résolument vers l’avenir et vers les autres.

Amen.




[1] Littéralement : « Veux-tu devenir sain, bien-portant, sensé ? »
[2] Le malade est « asthénique ». Le mot grec « astheneia » (qui signifie sans force, sans vigueur) désigne un état de faiblesse ou de maladie. C’est un état de fatigue généralisé dont la cause peut-être physique ou psychique.
[3] On trouve ici le mot grec « gnosis », qui désigne la connaissance, une connaissance subtile.
[4] Nous savons qu’il y a des situations dans la vie qui provoquent des inhibitions profondes, qu’il y a des blocages qui détruisent notre volonté, notre personnalité, et conduisent à des dépressions si graves qu’elles provoquent des troubles psychiques et physiologiques : sentiment de lassitude, d’usure, d’isolement, dévalorisation totale, perte du langage, anorexie mentale, et même paralysie des membres. Le malade ressasse ses malheurs, s’enferme dans le passé, sombre dans la dépression. Cloîtré dans l’isolement, il ne parvient pas à se libérer de son mal intérieur. Alors la maladie physique se mêle à la maladie spirituelle, la paralysie du corps se fait aussi paralysie de l’âme [psyché]. Le repli sur soi, le découragement, la perte de volonté, l’enfermement dans la peur ou la culpabilité, l’absence de discernement, l’immobilisation dans l’indécision et la dépendance vis-à-vis des autres, la perte de sa liberté de décision en sont des caractéristiques bien connues.
[5] Cf. Anselm Grün, Jésus Thérapeute, p.119
[6] Cf. Anselm Grün, Jésus Thérapeute, p.120.

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