Lecture biblique : Jn 5, 1-16
Thématique :
« veux-tu guérir ? »
Prédication
de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 19/04/15 & Marmande, le 17/01/16
« Veux-tu guérir ? »[1]
C’est la
question directe – et presque incongrue – que Jésus ose poser à cet homme
asthénique[2],
couché au bord de la piscine de Bethzatha depuis 38 ans ?
C’est
peut-être une question qui nous est aussi adressée à nous, indirectement, deux
mille ans plus tard : Avons-nous besoin d’être guéri ? De quoi ? Et
le voulons-nous ?
Sommes-nous
en paix… libres et réconciliés avec nous-mêmes, sous le regard de Dieu ?
Comme la
foule de malades – aveugles, boiteux, impotents – qui trainent autour de cette
piscine de Jérusalem, l’asthénique de Bethzatha attend désespérément qu’une âme
charitable l’aide à plonger dans la piscine au moment où l’eau se met à
bouillonner. On croyait, en effet, à cette époque – selon une tradition
populaire, sans doute emprunt de superstition – que le premier malade qui
plongeait au moment où les eaux s’agitent, se trouvait totalement lavé et
purifié de sa maladie.
Il
s’agit donc pour chacun des malades, qui patientent autour de la piscine, de
plonger au moment favorable. Malheureusement, l’homme – sans doute ralenti et
atteint par sa maladie – n’arrive jamais en premier dans la piscine. Il est –
de ce fait – condamné à errer là, sans véritable espoir de guérison… puisqu’il
n’est jamais le premier, le meilleur, le plus rapide.
Il est
sans doute résigné et découragé. Il n’y croit plus vraiment… peut-être… plus du
tout !
C’est
alors que Jésus remarque cet homme. Il sent exactement ce dont il a besoin. Il
le regarde personnellement et le « sort du lot des malades ». Il
saisit en profondeur[3]
ce qui est en cause dans sa maladie… il discerne le problème de cet homme qui attend
depuis toutes ces années :
Il
comprend que l’homme s’est finalement accoutumé à son sort. Il n’a pas
simplement accepté sa maladie. Il s’y est résigné… peut-être s’y est-il laissé
enfermer.
Par sa
question provocatrice : « veux-tu
guérir ? », Jésus l’encourage à entrer en contact avec sa propre
volonté.
Il
arrive, en effet, que ce soit le désir qui soit malade… que ce soit notre
volonté qui ait d’abord besoin d’être guérie.
Certains
peuvent trouver la question de Jésus plutôt étrange : N’avons-nous pas
tous envie d’être en bonne santé ?
Mais les
choses ne sont pas si simples. Il arrive qu’on développe une maladie physique à
cause de blocages émotionnels ou psychiques refoulés. La maladie peut aussi
être un moyen inconscient ou détourné d’obtenir de l’attention ou de la
reconnaissance de la part de son entourage. Les psychologues parlent d’un
« gain de plaisir secondaire », dans le sens où il peut y avoir parfois
des avantages à être malade : On n’a pas besoin, par exemple, d’assumer la
responsabilité de sa vie… d’autres nous prennent en charge.
(Demandez
aux enfants… si parfois ils ne sont pas contents d’être malades et retenus à la
maison : c’est un bon moyen de louper l’école… et de se faire cajoler par
ses parents !)
On peut
parfois ne pas avoir envie de
recouvrer la santé pour différentes raisons. Bien sûr, ce n’est pas vrai dans
tous les cas. Le plus souvent, on subit sa maladie. Mais d’autres fois, on peut
aussi y prendre part. Certains disent même qu’on la construit, comme on peut
aussi bien la déconstruire et la dépasser, par la guérison.[4]
A la question
abrupte que Jésus lui pose, le malade répond de façon évasive : C’est de la faute à pas de chance ! Il
n’a personne pour l’aider, pour le porter et le plonger dans l’eau quand elle
commence à s’agiter. Il y a toujours quelqu’un qui passe avant lui ! Ce
sont les autres malades qui sont coupables !
Autrement
dit, l’homme ne se remet pas lui-même en question. Il n’analyse pas les causes de
ses symptômes, ni les moyens de surmonter ses difficultés. Par la plainte, il rejette
la responsabilité de sa situation sur autrui.
Mais
Jésus n’entre pas dans ces considérations. Il répond sans empathie, ni
compassion. Il ne laisse aucune place aux jérémiades. Il ordonne simplement au
malade de se lever, lui ôtant le prétexte fallacieux de la responsabilité
d’autrui.
« Lève-toi, emporte ton grabat et
marche ! »
Jésus confronte le malade avec sa propre force et lui enlève ses illusions.
L’homme
ne doit pas attendre que les autres le portent. Il doit se mettre lui-même
debout, dépasser son asthénie et ses faiblesses, surmonter sa paralysie.
« Il
ne doit pas se laisser plus longtemps attacher à sa civière, symbole de sa
maladie. Il doit se lever, prendre son brancard sous le bras et, pour ainsi
dire, aborder autrement ses blocages. Il doit se redresser avec ses faiblesses,
ses paralysies, ses insécurités, se réconcilier avec ses inhibitions, les
prendre à bras-le-corps. Ses peurs ne l’empêcheront plus de vivre et il sera
capable d’aller son propre chemin. »[5]
Bien
sûr, les paroles et la thérapie employées ici par Jésus sont strictement adaptées
à la situation particulière de cet homme. Elles ne sont pas transposables à
n’importe qui.
En même temps,
à travers elles, nous pouvons entendre un appel qui s’adresse à chacun d’entre
nous… un appel à assumer la responsabilité de sa propre vie… à prendre sa vie
en mains.
Les mots
de Jésus sont déterminants : chaque fois que nous pouvons nous sentir
paralysés par telle ou telle situation, quand nous avons peur de nous
ridiculiser aux yeux des autres, ou de leur montrer nos limites et nos
insécurités, nous pouvons penser à ces paroles : se lever tout simplement, avec ses fragilités et ses vulnérabilités,
voilà le chemin salutaire proposé par Jésus ; accepter ses peurs au lieu
de les refouler, les intégrer pour les dépasser ; ne pas attendre jusqu’à
être guéri de ses angoisses ou de ses blessures, mais se redresser avec elles
et poursuivre sa route.
En
aidant l’homme à exprimer son désir, en restaurant sa volonté, en l’appelant à
se lever, Jésus fait entrer cet homme dans une dynamique verticale de
résurrection : Il remet l’homme debout et en marche !
A un
moment ou à un autre de notre vie, nous pouvons nous laisser submerger par des
blocages, des inhibitions ou des symptômes désagréables. Face à cela, face à ce
qui risque de nous enfermer, de restreindre notre vie ou notre désir de vivre, Jésus
nous invite à éveiller notre conscience et développer notre confiance (en
nous-mêmes, bien sûr, mais aussi en Dieu, qui peut agir dans notre intériorité et
transformer notre cœur et notre esprit… et donc aussi sur notre corps).
Il
s’agit de ne pas se laisser enchaîner
par son passé, par ses peurs ou ses fragilités… « de les aborder
différemment… de les prendre à bras-le-corps et de vivre avec elles au milieux
des autres hommes ».[6]
Jésus
nous rappelle qu’un Autre nous aime et nous attend… La confiance que Dieu nous
offre – et que nous pouvons accueillir – a le pouvoir de nous relever.
Dans la
suite du récit biblique, Jésus rencontre à nouveau l’homme et lui dit cette
fois : « ne pèche plus, de peur
qu'il ne t'arrive quelque chose de pire ».
Cette
affirmation est bien étonnante. Que pourrait-il arriver à cet homme de pire que
ce qu’il a vécu depuis 38 ans ?
La pire,
c'est d'être malade de cette maladie-à-la-mort que la Bible nomme « le péché »,
parce qu’elle nous paralyse au plus profond du cœur. C'est de cette maladie
dont Jésus est venu nous relever, en restaurant notre relation avec notre
Source intérieure, avec notre Père céleste.
« Le
péché » - pour faire bref -
c’est le refus du projet de Dieu pour nous. C’est un rendez-vous manqué avec
Dieu, avec nous-mêmes – avec notre vocation d’enfants de Dieu – et avec les
autres. Ici, c’est peut-être le fait que l’homme se soit résigné à réduire sa
personne et sa vie à sa seule maladie.
Dieu
nous veut en marche et nous sommes parfois arrêtés sur nos sentiments (nos
ressentiments) ou notre passé – sur nos manques ou nos regrets – sur nos refus
ou nos replis. Dieu nous veut libres, confiants et réconciliés avec nous-mêmes.
Ce n’est pas en restant figés et prostrés sur nos difficultés ou nos
ressassements que nous pouvons accéder à cette paix intérieure, mais c’est en
marchant… en essayant d’aller de l’avant, malgré tout.
« Lève-toi, prends ton grabat et
marche ! » L’Evangile
c'est cela : une Bonne Nouvelle qui nous remet en marche et nous dynamise… qui
nous permet de surmonter nos blessures, nos failles et nos découragements.
C’est une Parole d’envoi qui nous permet d'assumer notre passé, pour nous
tourner résolument vers l’avenir et vers les autres.
Amen.
[1] Littéralement : « Veux-tu
devenir sain, bien-portant, sensé ? »
[2] Le malade est
« asthénique ». Le mot grec « astheneia » (qui
signifie sans force, sans vigueur) désigne un état de faiblesse ou
de maladie. C’est un état de fatigue généralisé dont la cause peut-être
physique ou psychique.
[3] On
trouve ici le mot grec « gnosis »,
qui désigne la connaissance, une connaissance subtile.
[4] Nous savons qu’il y a des
situations dans la vie qui provoquent des inhibitions profondes, qu’il y a des
blocages qui détruisent notre volonté, notre personnalité, et conduisent à des
dépressions si graves qu’elles provoquent des troubles psychiques et
physiologiques : sentiment de lassitude, d’usure, d’isolement,
dévalorisation totale, perte du langage, anorexie mentale, et même paralysie
des membres. Le malade ressasse ses malheurs, s’enferme dans le passé, sombre
dans la dépression. Cloîtré dans l’isolement, il ne parvient pas à se libérer
de son mal intérieur. Alors la maladie physique se mêle à la maladie
spirituelle, la paralysie du corps se fait aussi paralysie de l’âme [psyché].
Le repli sur soi, le découragement, la perte de volonté, l’enfermement dans la
peur ou la culpabilité, l’absence de discernement, l’immobilisation dans
l’indécision et la dépendance vis-à-vis des autres, la perte de sa liberté de
décision en sont des caractéristiques bien connues.
[5] Cf. Anselm Grün, Jésus Thérapeute, p.119
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