Mt 21, 33-46 (La parabole des vignerons révoltés)
Lectures bibliques : Lc 12, 22.23. 31-32 ;
Mt 21, 33-46
Thématique :
un Royaume donné… pour en partager les fruits
Prédication de
Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 08/11/15.
Cette parabole
se trouve dans un contexte particulier : celui d’un dialogue entre des
religieux juifs (grands prêtres et anciens du peuples, v.23) et Jésus.
La parabole nous
livre plusieurs informations :
1) En premier
lieu, comme dans toute parabole, il faut essayer de décrypter qui est qui (?)
Il faut tenter de comprendre ce qui se cache derrière l’image de la vigne.
Dans le livre
d’Esaïe (Es 5), la vigne symbolise la maison d’Israël (cf. Es 5,7),
c’est-à-dire le peule qui appartient à Dieu… qui est, d’une certaine manière,
son bien, sa propriété. On parle donc à propos d’Israël de « peuple
élu », choisi par Dieu pour manifester son alliance avec les humains.
Ici, Jésus
reprend du prophète Isaïe le thème de la vigne à la fois choyée par son
propriétaire mais décevante quant à ses fruits. Mais, il en change le sens et
ajoute des personnages : les vignerons.
La vigne ne
renvoie plus à un peuple, mais au bien qui est confié à ce peuple pour qu’il
produise des fruits. Ce bien, c’est le Royaume de Dieu (v.43).[1]
La parabole nous
apprend purement et simplement que Dieu confie aux Croyants – et non plus aux
seuls Juifs – son Royaume, son règne de justice et d’amour. C’est là la vigne,
l’héritage offert aux humains.
Bien évidemment,
il n’est pas facile en quelques mots de définir cette vigne, ce royaume de Dieu
qui est confié aux croyants.
Que peut-on dire
du royaume de Dieu ?
Les évangiles en
parlent de différentes façons :
Dans l’évangile
de Luc, par exemple, Jésus dit à ses disciples que le royaume est à leur
portée… parmi eux… en eux (cf. Lc 17, 21). Ce qui semble indiquer qu’il y a en
nous une réalité spirituelle qui appartient à Dieu.
Le royaume,
c’est le territoire privilégié qui appartient au roi : Il y aurait donc
quelque chose en nous qui relèverait du domaine spirituel, pour ne pas dire
« divin »… une réalité qui relèverait de Dieu, de la conscience
divine.
Bien souvent
dans les paraboles, le royaume n’est pas un lieu déterminé ou un paradis
post-mortem, c’est une réalité offerte… à accueillir dans le présent de notre
vie.
Le royaume de
Dieu est présent là où l’Esprit de Dieu est présent et accueilli, là où règne
la force de l’amour en nous et autour de nous.
Recevoir le
Royaume… Entrer dans le royaume, le monde nouveau de Dieu… c’est entrer dans la
nouvelle mentalité que Jésus nous invite à vivre : avant tout apprendre à
vivre dans la confiance et la gratuité… vivre toutes les relations, avec les
autres et avec nous-même, dans la justesse et la justice.
Prendre part au
royaume de Dieu, c’est d’abord laisser l’amour de Dieu régner en nous… c’est
ensuite essayer de vivre cette réalité au quotidien dans notre existence :
c’est vivre le partage, le pardon, la paix, la justice… c’est agir en aimant
les autres, comme Dieu aime les humains. C’est un éveil et une élévation de notre
conscience… imprégnée de la conscience divine.
On pourrait
dire, en reprenant les mots de l’apôtre Paul, que le Royaume est présent là où
l’on en voit les fruits. Les fruits de l’Esprit ce sont « l’amour, la
joie, la paix, la patience, la bonté, la bienveillance, la foi, la douceur, la
maîtrise de soi » (Ga 5,22). C’est tout ce qui est produit de bon, là où
le souffle de Dieu est accueilli… là où il vient transformer les personnes et
les situations.
Dans l’évangile
selon Luc, il y a aussi un passage où Jésus appelle ses disciples à ne pas
s’inquiéter pour la nourriture ou le vêtement, à lâcher les soucis matériels,
pour se concentrer sur la recherche du royaume de Dieu ici et maintenant… pour
vivre de la grâce de Dieu.
Le passage se
conclut par les mots que nous avons entendus : « sois sans crainte, petit troupeau, car le Père a trouvé bon de
vous donner le Royaume » (Lc 12,32)
Cette
affirmation correspond exactement à ce que Jésus affirme en conclusion de la
parabole : « le royaume de Dieu
[qui vous avait été confié, à vous les prêtres, les anciens, les responsables
de la maison d’Israël] vous sera enlevé, et il sera donné à un peuple qui en
produira les fruits »… sous-entendu, il sera confié à d’autres, à la
génération nouvelle des croyants, à ceux qui sont susceptibles d’accueillir le
Royaume et de le partager avec d’autres.
Il faut se
méfier ici de la manière dont on comprend cette conclusion. Il ne s’agit surtout
pas de se faire l’écho d’une sorte d’anti-judaïsme primaire, mais d’observer
que cette parabole aboutit à une sorte de jugement à l’encontre des responsables
religieux de l’époque de Jésus (grands prêtres, [scribes] et anciens, qui
formaient l’assemblée du Sanhédrin, c’est-à-dire l’organe suprême de
l’institution religieuse d’Israël)[2]. La parabole
révèle leur incapacité à partager les fruits que Dieu leur a permis d’obtenir,
en leur confiant sa vigne, c’est-à-dire son royaume : sa présence, ses
dons, sa Parole, son Esprit.
A travers cette parabole,
Jésus explique pourquoi le royaume sera ainsi confié à d’autres, car les
premiers ont refusé de partager les fruits de l’héritage. C’est cela qui leur
est reproché : de garder pour eux les fruits de la vigne, sans en faire
profiter autrui.
Autrement dit,
Jésus s’en prend directement à l’institution religieuse de son temps qu’il
disqualifie. Il l’accuse de se comporter en propriétaire des choses de Dieu, de
son Royaume… de s’être arrogé un véritable monopole en ce domaine. Pour lui,
l’institution religieuse n’est plus vraiment là pour servir Dieu, mais pour se
servir elle-même de Dieu. Elle se comporte comme si elle se prenait pour Dieu
lui-même. Elle ne cherche en réalité qu’à défendre ses propres intérêts. Elle
agit comme un escroc… à la manière de ces vignerons.
* Pour y voir
plus clair… je vous propose de prendre quelques instants pour relire le
texte :
Le propriétaire
– sans doute une image de Dieu – fait confiance aux hommes et donne sa vigne,
son bien, son héritage, en gérance, en fermage, à des vignerons – qui
représentent vraisemblablement ici les responsables religieux juifs de l’époque
de Jésus.
Première
surprise du récit : au moment de la récolte, les vignerons refusent de
partager les fruits de la vigne. Ils s’accaparent, pour eux seuls, les biens
que le maître leur avait confiés. Ils ne se comportent pas en gérants, mais en
propriétaires. Ils entendent confisquer les fruits et se refusent à tout
partage.
Cette attitude
égocentrique de convoitise est mise en perspective par l’envoi des serviteurs
du maître – sans doute une image des prophètes envoyés par Dieu – qui non
seulement ne sont pas accueillis ni entendus par les métayers, mais qui, de
surcroit, sont maltraités et tués.
Après avoir
missionné, sans succès, plusieurs vagues de serviteurs (c’est-à-dire de
prophètes, de porte-parole de Dieu) le propriétaire continue – contre toute
espérance (Rm 4,18) – d’espérer encore, et de faire confiance aux hommes. Il se
résout même à envoyer son propre fils – sans doute une image du Christ – pour
faire entendre les vignerons et les appeler une dernière fois au partage des
fruits de la vigne. Mais, rien n’y fait. Loin de le respecter, ils décident de
tuer le fils, pour s’emparer définitivement de l’héritage (v.38).
Deuxième surprise :
S’ils agissent ainsi, c’est qu’ils pensent que le propriétaire – Dieu – est
loin, peut-être à l’étranger, ou carrément mort… Ils imaginent que leur geste
meurtrier aura non seulement des conséquences profitables en terme de transfert
de propriété, mais qu’il n’aura aucune conséquence pénale fâcheuse.
C’est, d’une
certaine manière, qu’ils se considèrent eux-mêmes comme les héritiers exclusifs
de la vigne. Ils s’autoproclament « propriétaires ». Ils se prennent
pour Dieu.
En effet, le
geste de tuer le fils n’est pas seulement symbolique. Il est historique si on
pense à la mort annoncée de Jésus, mais il est aussi juridique. Si les
vignerons pensent que le maître est mort, en tuant l’héritier, ils imaginent
que la vigne restera en leur possession.
Le droit
palestinien de cette époque stipulait que l'héritage dont on n'a pas pris
possession dans un certain laps de temps appartient au premier occupant. En
tuant le fils, ils prétendent donc prendre la place du père, du propriétaire…
donc de Dieu.
* Jésus quitte
alors quelques instants l’image développée par la parabole et interroge ses
auditeurs sur le comportement à adopter vis-à-vis de ces vignerons.
Les auditeurs se
révèlent sans pitié : ils préconisent la mort des métayers infidèles et
injustes, et proposent de confier le fermage à d’autres vignerons.
Par cette
parabole, Jésus prend ses auditeurs à témoin. Il dévoile la gravité de leur
faute. D’une certaine manière, les prêtres et les anciens annoncent – sans le
comprendre encore – leur propre jugement et le verdict, le châtiment qu’ils
devraient mériter pour s’être comportés comme ces vignerons escrocs et
assassins.
Mais la sentence
annoncée par Jésus est plus clémente que celle imaginée par ses interlocuteurs.
Il ne parle pas de punir les vignerons –
Dieu ne punit pas – mais il préconise de confier la vigne – le royaume – à
d’autres vignerons plus fidèles… d’autres croyants capables de partager les
fruits du royaume avec d’autres.
Les prêtres et
les pharisiens comprennent alors que Jésus vient de les comparer aux métayers
révoltés de la parabole. Il les a amené à condamner leur propre comportement.
Pour autant,
ici, les religieux ne se remettent pas en question. Il n’ont qu’une
intention : mettre la main sur le gêneur et faire périr celui qui vient
dévoiler la vérité.
2) La deuxième
information que cette parabole nous livre est donc capitale : Dieu confie
aux croyants sa vigne, son Royaume, mais il en attend « des fruits »…
il attend des gérants de son royaume… auxquels il fait confiance… qu’ils
sachent partager les fruits, sans les garder pour eux seuls.
Cette
information doit nous interpeller. Dans la perspective de l’évangéliste
Matthieu, il est clair que la vocation d’Israël était de produire de bons
fruits et de les partager avec d’autres, pour inviter les autres nations à se
tourner vers l’Eternel. Or, avec le temps, les responsables religieux Juifs se
sont accaparés la récolte à leur profit, au lieu de transmettre et de partager
l’héritage. Ils ont refusé d’entendre le maître de la vigne, c’est-à-dire Dieu,
et ont fini par se révolter contre lui, en maltraitant ses prophètes et son
Messie, son fils.
La conclusion de
Matthieu, c’est que cet héritage sera confié à d’autres, à la génération
nouvelle des croyants.
Dès lors que
nous entendons cette parabole, une question se pose à nous, qui sommes au
bénéfice de cette vigne. Si nous sommes cette génération nouvelle des croyants,
ceux qui souhaitent écouter son fils… sommes-nous plus fidèles que les premiers
vignerons ? Je veux dire par là, avons-nous réellement conscience que Dieu
nous confie son Royaume ?... et qu’il nous invite à en partager les
fruits ?... sans les garder pour nous.
Posons-nous
humblement la question : l’Eglise du Christ qui est lieu où l’enseignement
de Jésus est normalement reçu, où la possibilité du règne de Dieu – du monde
nouveau que Dieu propose à l’homme : d’amour, de paix, de justice – trouve
un certain écho… cette église, à laquelle nous participons, produit-elle des
fruits ? Si oui, lesquels ? Et
ces fruits les partage-t-elle avec d’autres ?
Il me semble que
cette parabole nous invite à une véritable prise de conscience : réaliser
à quel point Dieu nous aime et nous offre tous ses dons (son amour, sa grâce,
sa paix, sa volonté de justice, sa joie, sa confiance…) pour que son règne
devienne effectif en nous et dans notre monde.
Dire que Dieu
nous donne son royaume, nous confie ses biens, ce n’est pas rien : c’est
une bonne nouvelle. Nous sommes au bénéfice de la grâce, de l’amour de Dieu, de
la vie, de la lumière, de sa Parole, de son souffle. Tout cela nous est donné. Dès
lors, nous devenons les gérants de son royaume.
Cette bonne
nouvelle s’accompagne donc d’une prise de conscience de notre responsabilité.
Si toutes ces bonnes choses essentielles nous sont données, nous sommes
appelées à nous les approprier, à les cultiver, à en prendre soin et à les utiliser,
à les mettre en pratique, pour obtenir des fruits… pour, finalement, partager
ses fruits avec d’autres.
Il me semble que
ce que Jésus reproche avant tout à ses auditeurs à l’image des vignerons, c’est
leur égoïsme et leur convoitise, c’est d’avoir accaparé les fruits de la vigne,
les bénédictions de Dieu, pour leur seul usage.
Auditeurs de
cette parole, 2000 ans plus tard, cela nous place face à la même
question : Laissons-nous réellement Dieu régner dans nos cœurs et dans nos
vies ? et que faisons-nous des bénédictions reçues ? Savons-nous et osons-nous
les partager ?
Je vous laisse
avec ces questions qui concernent chacun d’entre nous.
* Pour conclure
cette méditation, je voudrais m’arrêter avec vous un instant sur l’image de la
vigne, développée à plusieurs reprises dans la Bible.
On a dit que « la
vigne » symbolise ici « le royaume de Dieu »… c’est-à-dire le
don que Dieu nous offre… le « lieu », le « territoire » où
son amour et sa justice sont présents et agissants.
Toutefois, ce
qui est mis en avant dans cette parabole, ce n’est pas la vigne en elle-même, mais
ce sont « les fruits » de la vigne (le mot revient 4 fois). Si Dieu
nous confie sa vigne, c’est pour produire des fruits et les partager. C’est
d’ailleurs bien ce qui donne sens à notre vie : utiliser nos talents,
cultiver la vigne, produire du fruit, pour en profiter et pour les donner aux
autres, pour les offrir et les transmettre.
Je dirai que
c’est là notre vocation d’enfants de Dieu : accepter les dons que nous
avons reçus dans la vie, savoir les utiliser et les développer, pour
transmettre la vie autour de nous, pour donner aux autres et au monde le meilleur
de nous-mêmes, notamment en terme de réalités humaines, relationnelles et spirituelles.
Car, là, en ce domaine – quelle que soit notre situation matérielle – nous
pouvons toujours apporter de la fraternité, de l’amitié, de la paix, de la joie
autour de nous. Quelle que soit notre situation financière ou économique (dont
on parle tant… et dont on se préoccupe si souvent), nous pouvons toujours
donner de nous-mêmes, de notre cœur, de notre amour aux autres… que ce
soit dans notre famille, au travail, dans les associations dans lesquelles nous
agissons, dans notre maison de retraite (si tel est le cas) ou même à notre
voisin et à tous ceux que nous rencontrons.
Et puisqu’il
s’agit ici d’une vigne, il s’agit de cultiver du raisin, pour produire du vin.
Or le vin dans
la Bible, c’est le symbole de la joie et de la fête… un peu comme le champagne
aujourd’hui !
Voilà donc ce
que Dieu attend de nous : que nous apportions dans notre monde de pleines
grappes de joie, de bonheur et de bien-être. Cela, pour nous, bien sûr, mais
aussi pour l’offrir à d’autres… car le vrai bonheur n’est pas égocentrique ;
il se conjugue toujours au pluriel.
C’est là, au
fond, une vocation merveilleuse. C’est le sens que nous devons donner à notre
vie : être des porteurs de joie.
Cet idéal a
l’avantage d’être très concret : Apporter
de la joie au monde, faire plaisir, donner du bonheur, c’est un programme
tout à fait facile à comprendre, et sans doute essentiel, pour mener une vie
heureuse et épanouie.
C’était d’une
certaine manière la préoccupation d’une petite femme appelée mère Térésa. Elle
avait pour dicton : « que
personne ne vienne à vous sans repartir meilleur et plus joyeux ».
Cela pourrait
bien être un programme pour chacun d’entre nous… pour notre église, bien sûr…
mais aussi pour notre vie personnelle, à travers toutes les relations que nous
entretenons avec les autres :
« Sachez partagez les fruits de la
vigne que Dieu vous offre »
« Soyez bons et miséricordieux – disait Mère Térésa – Que personne ne vienne à vous sans repartir
meilleur et plus joyeux. Soyez la vivante expression de la bonté de Dieu. Bonté
sur votre visage, bonté dans vos yeux, bonté dans votre sourire, bonté dans
votre accueil plein de chaleur. »
[1] Au v.41, la
« vigne » est enlevée de ceux qui ne rapportent pas de fruit, puis
confiée à ceux qui en produiront. Au v.43, le « royaume de Dieu » est
retiré de ceux qui ne produisent pas de fruit pour être donné à ceux qui en
rapporteront. Le mot « vigne » au v. 41 qui est remplacé par
l'expression « royaume de Dieu » au v. 43. Les mots
« vignes » et « royaume de Dieu » semblent synonymes. La
vigne que le propriétaire a plantée est donc le royaume de Dieu.
[2] cf. v.23 / Matthieu
rajoute les Pharisiens v.45.
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