Lectures
bibliques : Mt 5, 1-10 ; Mc 9, 33-37 ; Mc 10, 13-16
Thématique : accueillir le règne de
Dieu comme un enfant
Prédication de
Pascal LEFEBVRE[1]
/ Tonneins, le 12/06/16, culte avec baptême de Margot.
* Au 20e
siècle, le théologien et scientifique Teilhard de Chardin posait une question
essentielle : En tant qu’êtres humains, qui sommes-nous vraiment ?
Sommes-nous des êtres humains vivant une expérience spirituelle ou sommes-nous des
êtres spirituels vivant une expérience
humaine ?
Il répond par la deuxième affirmation. Et je crois que nous pouvons
partager cette conviction. Pour lui, nous sommes des êtres spirituels vivant
une expérience humaine. Ce qui signifie que ce que nous sommes véritablement ne
se limite pas à notre corps matériel et biologique. Notre réalité humaine
relève d’une autre dimension, au-delà de ce qui est seulement visible et
accessible par nos cinq sens.
Il importe de garder cette question en mémoire, car bien souvent la
dimension spirituelle de notre humanité passe au second plan ou est
complètement occultée dans notre monde matérialiste et scientiste. Pourtant, à
bien écouter les évangiles, on apprend que Jésus proclame la venue du règne de
Dieu. Il annonce que le
Royaume de Dieu s’approche (Mc 1, 15). Il nous parle de l’accès à une autre
réalité à laquelle nous pouvons prendre part.
* Aujourd’hui
dans nos lectures bibliques, il est justement question d’accueillir le royaume
de Dieu. De quoi s’agit-il ?
On peut répondre
simplement et logiquement qu’accueillir le règne de Dieu, c’est chercher la
présence de Dieu, c’est vouloir faire partie de son règne, c’est-à-dire de
l’espace où Dieu étend son royaume… du monde dont il est le Roi.
Toutefois, une
telle définition peut sembler très large… trop large, même. Car si Dieu est Créateur
(comme le dit la Bible), nous voyons bien, en réalité, que son règne est
partout : son règne, c’est l’univers tout entier… c’est le monde, le fruit
de sa création… et son règne, c’est aussi chacun d’entre nous, car, en tant que
créatures, nous appartenons au règne de Dieu, nous sommes des fruits de sa
création, ou plutôt des plants en croissance dans sa création.
Il semble que
Jésus parle d’autre chose quand il fait référence au règne de Dieu : il
parle d’une autre réalité… d’un endroit ou d’un temps où l’on a la possibilité
de développer des relations privilégiées avec Dieu… d’un espace ou d’un lieu où
l’on a une autre conscience de la réalité… où l’on peut sentir le règne de Dieu sur notre
vie… dans notre vie.
Certains ont
essayé de penser le Royaume en terme de lieu, de territoire, d’espace. Mais, ce
n’est pas si simple. De nombreuses questions surgissent : s’agit-il d’un
lieu post-mortem, d’un royaume auquel on pourrait avoir accès après la
mort ? ou d’une réalité accessible dès maintenant ?
Les propos de
Jésus peuvent nous faire pencher pour cette deuxième hypothèse, car Jésus
précise à ses disciples que ce « royaume » est accessible, à notre
portée, entre nos mains (Lc 17, 20-21).
Si on pense le
« Royaume » en termes géographiques, on se rend compte – en écoutant
Jésus – que ce « règne » n’est pas un lieu localisable – ici ou là – mais
un espace auquel nous pouvons accéder : un espace qui est en nous, à notre
portée.
C’est un lieu
auquel nous pouvons avoir accès… qui s’ouvre à nous… quand nous quittons
provisoirement l’espace du monde – ou plus précisément des préoccupations
mondaines – pour nous ouvrir à celui de notre intériorité, à notre monde
intérieur.
C’est le lieu où
nous pouvons rencontrer Dieu, en nous… accéder à notre vrai Soi en relation
avec l’Esprit divin.
Par la
méditation et la prière silencieuse, en lâchant-prise de nos soucis, de nos
préoccupations quotidiennes, de notre égo, nous accédons à un espace de
silence, de calme intérieur et de paix : un espace où Dieu règne en nous.
Le Royaume de
Dieu, c’est un lieu de paix : un lieu qui ne dépend pas des conditions de
vie extérieures – propices, favorables, ou au contraire, difficiles et pénibles
– C’est un lieu auquel chacun peut avoir accès, au-delà de la question des
bonheurs, des joies, ou, au contraire, des malheurs, des épreuves liées à notre
vie mondaine, qui, elle, dépend essentiellement des conditions extérieures :
de nos ressources, de notre mode de vie, de nos moyens, de notre contexte environnemental
(que nous habitions dans un pays riche ou pauvre, en paix ou en guerre… que
nous soyons au travail, au chômage, à la retraite… dans l’aisance ou la
précarité), etc.
Puisque ce
Royaume est une réalité intérieure – un monde heureux qui s’ouvre quand Dieu
règne en nous – il ne dépend pas de notre environnement extérieur, mais de
notre état d’esprit et de la disposition de notre cœur, de notre ouverture de
cœur.
C’est la raison
pour laquelle, dans les Béatitudes, Jésus affirme qu’un bonheur est à notre
portée, au-delà et malgré les épreuves extérieures de l’existence : il va
même jusqu’à dire que ceux qui pleurent (Mt 5, 5) ou qui éprouvent de la
tristesse, du chagrin, une douleur ou une blessure, par exemple, à cause d’un
deuil, peuvent trouver une voix de rétablissement, un chemin de relèvement, de
résurrection – pour ne pas dire de « bonheur » – car ils seront
consolés : ils sont accueillis, entendus et aimés dans l’espace intime de
la présence de Dieu, qu’on appelle le « règne de Dieu », dans ce lieu
de cœur à cœur, de communion avec l’Esprit de Dieu.
La première
béatitude nous livre le moyen d’accéder à ce règne de Dieu en nous : la
pauvreté de cœur ou la pauvreté en esprit.
Je cite : « Heureux les pauvres de cœurs / ou les
pauvres par l’esprit / le royaume des cieux est à eux » (Mt 5, 3).
Il ne faut pas
confondre la pauvreté et la misère. Ce dont il est question ici, c’est de la
pauvreté intérieure (et non de la misère sur le plan matériel).
Ce qui
caractérise ceux qui sont « pauvres » (dans le sens des Béatitudes),
c’est leur ouverture et leur disponibilité de cœur. Celui qui est plein de lui-même,
imbus de sa personne, de son égo, de son orgueil ou de ses possessions (de ses
biens ou de son savoir), n’a plus de place en lui pour Dieu.
C’est la raison
pour laquelle Jésus affirme qu’il est difficile aux riches d’entrer dans le
règne de Dieu (Mc 10, 23). C’est une manière d’affirmer que celui qui ne compte
que sur lui-même et sur ses richesses, risque du même coup d’oublier de faire
confiance à Dieu.
Au contraire, celui
qui se reconnaît « pauvre », en manque, assoiffé de la présence de
Dieu (Ps 63), va compter sur le secours du Père, et pas seulement sur ses
propres ressources ou ses seules forces.
En d’autres
termes, c’est l’ouverture du cœur, la disponibilité d’esprit et la confiance
qui caractérisent les « pauvres de cœur ».
En cela la
première béatitude rejoint l’épisode où Jésus appelle les disciples à prendre
exemple sur les enfants.
* Que veut-il
dire quand il nous exhorte à « accueillir le règne de Dieu comme un
enfant » ?
- On comprend
en général : « accueillir le
règne de Dieu comme un enfant l’accueille ». Cela correspond à une
parole de Jésus dans l’évangile selon Matthieu : « Si vous ne changez pas et ne devenez pas comme les enfants, vous
n’entrerez pas dans le règne des cieux » (Mt 18,3). Jésus exhorterait
ses disciples à être comme des enfants, à adopter le même comportement, la même
attitude qu’un enfant.
Il ne s’agit
pas ici de naïveté, ni d’innocence, mais de disponibilité et de confiance. Un
enfant fait confiance sans réfléchir. Il ne peut pas vivre sans faire confiance
à ceux qui l’entourent. Sa confiance n’a rien d’une vertu, elle est une réalité
vitale. Il ne peut pas faire autrement.
Pour
rencontrer Dieu, le meilleur moyen dont nous disposons, c’est notre cœur
d’enfant qui est spontanément ouvert, qui ose demander simplement, qui veut
être aimé, et accepte de suivre celui qui peut le guider (comme un enfant avec
un père ou un mère bienveillante).
- Mais on peut
aussi bien comprendre : « accueillir
le règne de Dieu comme on accueille un enfant ». Car le verbe
« accueillir » a en général le sens concret d’« accueillir
quelqu’un », comme on peut le constater quelques versets plus tôt où Jésus
parle d’« accueillir un enfant » (Mc 9,37). Dans ce cas, c’est à
l’accueil d’un enfant que Jésus compare l’accueil de la présence de Dieu. Il y
a une connivence secrète entre le règne de Dieu et un enfant.
Accueillir un
enfant, c’est accueillir une promesse. Un enfant croît et se développe. C’est
ainsi que le règne de Dieu n’est pas sur terre une réalité achevée, mais une
promesse, une dynamique et une croissance inachevée.
Quand on
accueille un enfant, on accueille une personne, une réalité en devenir…
quelqu’un qui va grandir, se développer, s’épanouir. Il en est de même du règne
de Dieu : c’est une réalité en croissance, qui peut grandir en nous, pour
nous ouvrir et nous transformer.
Jésus donnera
l’image de la petite graine de moutarde qui contient en elle une potentialité
de vie et de croissance extraordinaire, pour devenir une grande plante potagère
(cf. Mt 13, 31-32).
Ainsi, Jésus
nous rappellerait une promesse de croissance dans l’accueil du règne de Dieu en
nous et il nous appellerait à la patience et à la persévérance pour peu à peu
lâcher-prise dans la confiance et apprendre à laisser de la place à l’Esprit de
Dieu, à son règne, dans notre intériorité.
- Par ailleurs,
outre la disponibilité de cœur et la confiance qui caractérisent les enfants, il
faut ajouter aussi qu’ils sont imprévisibles :
Dans le récit
des évangiles, ils arrivent quand ils arrivent, ils débarquent sans prévenir, et
de toute évidence ce n’est pas le bon moment pour les disciples. C’est la
raison pour laquelle, ils se font rabrouer ou sont écartés. Mais Jésus
insiste : il faut les accueillir puisqu’ils sont là. C’est ainsi qu’il
nous faut accueillir la présence de Dieu quand elle se présente à nous, que ce
soit au bon ou au mauvais moment. Il faut jouer le jeu de l’accueil des
évènements, des personnes et des coïncidences autour de nous.
Accueillir le
règne de Dieu comme on accueille un enfant, c’est veiller et prier pour
l’accueillir quand il vient, toujours à l’improviste, à temps ou à contretemps.
C’est rester vigilants et ouverts aux instants de grâce et de paix qui peuvent
survenir.
- Ainsi, quelle
que soit l’interprétation – qu’il s’agisse d’être comme un enfant pour
accueillir le règne de Dieu, ou d’accueillir le règne de Dieu comme on
accueille un enfant – on voit bien qu’il y a des points communs et complémentaires
entre ces différentes manières de comprendre les paroles de Jésus.
Pour le Christ, le
« règne de Dieu » est une réalité accessible, à notre portée, ici et
maintenant (Lc 17, 21 ; Mc 1,15). Pour accéder à ce monde heureux, de paix
et de communion avec Dieu, il faut consentir à un abandon, à une perte :
Accepter d’être comme un enfant, c’est-à-dire accepter d’ouvrir son cœur, de se
rendre disponible à ce qui vient, d’avoir confiance à ce qui se présente à
nous. Le royaume est ce monde nouveau qui s’approche, qui vient à nous, en
Jésus Christ.
* Ce n’est pas
facile, pour nous, de comprendre et surtout d’accepter ce que Jésus nous
propose. Car, dans notre monde, d’une part, on veut tout contrôler, tout
maitriser. Et, d’autre part, le salut est souvent pensé de manière
individuelle : c’est un salut « chacun pour soi », un salut par
plus d’avoir et de pouvoir. Mais, Jésus lui nous parle d’un salut universel, un
salut pour tous, qui implique de quitter la préoccupation de son égo (Mc
8,34-35).
L’évangile nous
dit que le Royaume (le monde nouveau de Dieu) s’approche quand on accepte de
mourir à soi-même et de ressusciter à une vie nouvelle.
Pour accueillir
cette réalité au creux de nous-mêmes et pour l’exporter dans le monde, dans la
société autour de nous – car la paix qui vient de Dieu est faite pour être
partagée avec les autres – il importe que chacun oublie un peu son égoïsme et
ses soucis personnels et ouvre son esprit, d’une part, à Dieu qui agit dans
notre intériorité et, d’autre part, aux autres, qui vivent autour de nous. Car
nous sommes tous inter-dépendants, reliés les uns aux autres.
Il importe de
trouver cet espace de paix que Dieu peut ouvrir en nous et il importe aussi de
le partager, de chercher la conciliation ou la réconciliation, pour construire
quelque chose ensemble, plutôt que de se détruire mutuellement… comme nous le montrent
les actualités et les images télévisées terribles de guerres et d’attentas en
bien des points de notre planète.
Nous devons
prendre conscience que ce que Jésus nous invite à vivre, c’est un retournement,
un changement radical de nos mentalités, de nos manières habituelles de voir
les choses.
Adopter ce
nouveau comportement n’a rien de naturel. C’est un apprentissage… quelque chose
de totalement nouveau.
Jésus nous
appelle à nous inscrire dans cette nouvelle mentalité du règne de Dieu, qui
nous apprend la gratuité plutôt que le calcul, la préoccupation d’autrui plutôt
que le souci de l’intérêt personnel, le partage plutôt que la rivalité.
C’est tout le
contraire de ce que nous avons tendance à faire ou ce que la société nous
montre, en mettant en avant le règne de l’individualisme et de la concurrence.
Cette
affirmation rejoint aussi notre actualité en France et en Europe : En
dehors de toute considération politique… nous voyons bien, par exemple, que les
messages des syndicats et des manifestants qui mettent sous tension le
gouvernement pour obtenir l’abandon de réformes (par exemple, de la loi
‘travail’) – tout comme, par ailleurs, les avis contraires des grands patrons
du CAC 40 – sont inaudibles… car, ici ou là, chacun se soucie, en réalité et
avant tout, de son pré carré, de son pouvoir, de ses privilèges à préserver.
C’est exactement
la même question avec le Royaume Uni qui s’apprête à voter le ‘Brexit’, la
sortie de l’Union Européenne, pour des raisons de défense d’intérêts nationaux.
Tout cela révèle
un manque de confiance !
Certes, certains
prétendront agir au nom de l’intérêt collectif ou général. Mais, le soi-disant « intérêt
général » ne les empêchent pas, par exemple, d’oublier les êtres humains qui
meurent de faim à l’autre bout de la planète, ou tous les migrants et les
exilés qui sont refoulés loin de nos frontières, dans l’indifférence générale.
Le discours est différent quand il s’agit de défendre notre confort, notre
niveau de vie, notre sécurité et nos intérêts. Pourtant, fondamentalement, la
vie d’un Français voudrait-elle plus chère – serait-elle plus précieuse – que
celle d’un Ethiopien ou d’un Syrien ? Quel intérêt général prétendent-ils
défendre tous ces gens ?… Quelle
confiance ont-ils en l’avenir ?... Ne serait-ce pas surtout leur
conservatisme, leur volonté de ne rien perdre de leurs acquis personnels, qui
motivent leurs comportements ? Ou simplement – et de façon irrationnelle – la
peur du lendemain ?
Sans faire de
politique, car ce n’est pas ici le lieu… on voit, à travers notre actualité, combien
il est difficile d’entendre le message de Jésus quand il s’agit concrètement
d’oser quitter son égocentrisme, d’abandonner la préoccupation de ses intérêts
particuliers… pour s’engager dans la confiance et le partage.
* Pour conclure,
il faut encore préciser que ce que Jésus nous invite à vivre, pour entrer dans
cette dynamique du règne de Dieu, dans cette nouvelle mentalité, n’a pas seulement
pour objectif (vous l’aurez compris) de trouver une nouvelle voix
d’épanouissement personnel. Il est certain que cet accomplissement individuel advient
avec la découverte du règne de Dieu en nous, mais plus fondamentalement, et
plus largement, l’accès au monde nouveau de Dieu nous inscrit dans une vie
nouvelle au niveau relationnel.
Désormais, la
paix que Dieu nous donne – lorsque nous le laissons régner en nous, lorsque
nous mettons à l’écoute de son Esprit – … cette paix… nous ouvre à la recherche
de la justesse et à la justice dans les relations que nous pouvons avoir avec
nos frères humains (dans notre famille, notre travail, les associations que
nous fréquentons, les lieux où nous sommes engagés).
Nous devons
garder à l’esprit que la paix offerte par Dieu est indissociable de la
recherche de la justice. Je citerai pour terminer deux brefs versets qui
peuvent nous inspirer dans notre action quotidienne :
« Heureux ceux qui ont faim et soif
de la justice : ils seront rassasiés » (Mt 5, 6)
« Cherchez d’abord le règne de Dieu
et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît » (Mt 6,33).
Amen.
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