Lc 18, 9-14
Lectures
bibliques : Mt 6, 5-8 ; Lc 18, 9-17
Thématiques : faire confiance à Dieu ou à ses oeuvres / lâcher son égo, pour accéder au divin.
Prédication de
Pascal LEFEBVRE (= voir après les lectures) / Tonneins, le 29/05/16 – Fête de paroisse
Lectures :
Mt 6, 5-8 :
Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites qui aiment faire
leurs prières debout dans les synagogues et les carrefours, afin d’être vus des
hommes. En vérité, je vous le déclare : ils ont reçu leur récompense. 6Pour toi, quand tu veux prier,
entre dans ta chambre la plus retirée, verrouille ta porte et adresse ta prière
à ton Père qui est là dans le secret. Et ton Père, qui voit dans le secret, te
le rendra. 7Quand
vous priez, ne rabâchez pas comme les païens ; ils s’imaginent que c’est à
force de paroles qu’ils se feront exaucer. 8Ne leur ressemblez donc pas, car votre Père sait ce dont
vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez.
Lc 18, 9-17 :
Il dit encore la parabole que voici à certains qui étaient convaincus
d’être justes et qui méprisaient tous les autres : 10« Deux hommes montèrent
au temple pour prier ; l’un était Pharisien et l’autre collecteur
d’impôts. 11Le
Pharisien, debout, priait ainsi en lui-même : “O Dieu, je te rends grâce
de ce que je ne suis pas comme les autres hommes, qui sont voleurs,
malfaisants, adultères, ou encore comme ce collecteur d’impôts. 12Je jeûne deux fois par
semaine, je paie la dîme de tout ce que je me procure.” 13Le collecteur d’impôts, se
tenant à distance, ne voulait même pas lever les yeux au ciel, mais il se
frappait la poitrine en disant : “O Dieu, sois réconcilié avec moi, le
pécheur [prends pitié du pécheur que je suis.]” 14Je
vous le déclare : celui-ci redescendit chez lui justifié, et non l’autre,
car tout homme qui s’élève sera abaissé, mais celui qui s’abaisse sera
élevé. »
15Des gens lui
amenaient même les bébés pour qu'il pose les mains sur eux. Voyant cela, les
disciples les rabrouaient. 16Mais
Jésus fit venir à lui les bébés en disant : « Laissez les enfants
venir à moi ; ne les empêchez pas, car le Royaume de Dieu est à ceux qui
sont comme eux. 17En
vérité, je vous le déclare, qui n’accueille pas le Royaume de Dieu comme un
enfant n’y entrera pas. »
Prédication :
Quand j’étais un
bambin (grand, comme nos jeunes de l’école biblique)… et que j’étais assis à
table pour déjeuner, il m’arrivait de lorgner dans l’assiette de mon frère, pour
voir s’il n’en avait pas eu un peu plus que moi. Ma grand mère me disait avec
le sourire : « on ne regarde pas
dans l’assiette de son voisin ! ». Ce qui voulait dire : inutile de comparer ! ça ne sert à
rien ! Ne sois pas inutilement jaloux !
Avec le temps,
j’ai compris qu’il y avait quelques vérités dans cette sagesse populaire : se
comparer aux autres, n’apporte jamais le bonheur : cela entraine soit de
la frustration ou de la jalousie, soit, a
contrario, un sentiment d’autosatisfaction, voire de supériorité.
C’est un peu ce
qui arrive à notre Pharisien...
Dans les
évangiles, nous avons ce récit qui met en perspective une comparaison entre
deux comportements.
Il est vrai
qu’habituellement, Jésus nous appelle à sortir de tout jugement vis-à-vis
d’autrui. Il nous invite à ne pas nous comparer aux autres (cf. par ex. Mt 20,
1-16), à ne pas les juger (Mt 7, 1-5), mais ici, il fait, d’une certaine
manière, une entorse à ce commandement, en vue de nous livrer un enseignement.
Et le paradoxe de
cette histoire, c’est que quand on compare les deux personnages et qu’on juge (avec
raison) que le Pharisien n’est pas très sympathique… on devient inévitablement
soi-même une sorte de Pharisien, car on s’estime supérieur à lui :
C’est terrible ! A moins de refuser
tout jugement, on ne peut pas ne pas être un Pharisien !
Notre passage
tente de répondre à une question : comment prier ?[1] Comment
se mettre en contact, en relation avec le Souffle de Dieu, avec Dieu qui est
Esprit (comme nous l’a rappelé récemment le récit de Pentecôte) ?
Indirectement,
ce passage éclaire aussi la question : Qui
est ce Dieu en qui on peut se confier ?
Pour nous
permettre de répondre à ces questions, Jésus part d’une comparaison entre deux
hommes, deux attitudes, qui invite chacun d’entre nous à réfléchir et à changer
de manière de voir.
* Je voudrais
partager avec vous deux manières d’envisager ce passage qui sont
complémentaires. La première est relativement classique, elle consiste à
s’appuyer sur les deux personnages de l’histoire, pour voir ce qui les
différencie et en quoi l’attitude du second est la seule juste.
- On apprend que
nos deux protagonistes montent à Jérusalem pour prier dans le Temple. Le
premier, nous dit-on, est un Pharisien.
Les Pharisiens
sont des croyants convaincus, très attachés à l’étude de la Loi et à son
application maximale, notamment la mise en pratique des règles liées au jeûne,
aux prescriptions alimentaires (sur le pur et l’impur), à l’aumône et à la
prière.
Certains
diraient que ce sont des religieux orthodoxes, voire ultra-orthodoxes, qui sont
plutôt bien vus, bien considérés, à cette époque.
Qu’apprend-on au sujet de ce
pharisien ?
D’abord, il se
croit irréprochable. Il est sûr de lui-même, plein d’autosatisfaction.
Il fait valoir ses
œuvres, ses mérites personnels : il est honnête et intègre. Il
« jeûne deux fois par semaine » et « paie la dime sur tout ce
qu’il acquiert ».
Et il fait
preuve d’une certaine arrogance, en se comparant aux autres, en se jugeant
supérieur à eux. Il considère certains autres autour de lui, comme « voleurs,
malfaisants ou adultères ».
Il s’élève, en
écrasant les autres, en s’estimant au-dessus de la mêlée.
Son attitude
révèle un certain orgueil. S’il croit en lui-même et en ses capacités (ce qui
n’est pas forcément un défaut), il n’est pas très charitable vis-à-vis
d’autrui. On ne peut pas dire qu’il éprouve de l’amitié ou de la sympathie pour
celui qui prie avec lui dans le Temple : ce collecteur d’impôt. En
réalité, il le méprise.
Les propos de ce
pharisien semblent montrer que cet homme est assez imbus de sa personne et de
sa condition : il est fier d’appartenir à la bonne classe, la bonne caste :
celle des bons croyants, des justes et fidèles religieux.
Mais même si
c’était vrai – même si cet homme était un bon pratiquant… après tout, on peut
le croire… – son attitude pose question :
D’une part,
parce qu’il se glorifie, il fait preuve d’un certain égocentrisme. En fait, il
ne parle que de lui dans sa prière.
D’autre part,
parce qu’il dénigre autrui. Il a une
attitude qui abaisse, qui méprise, qui exclut.
Le pharisien a
donc un problème, comme le souligne, dans un de ses sermons, Martin
Luther : son problème, c’est son cœur.
Il aurait beau
accomplir toutes les œuvres bonnes, ce qui ne l’est pas, c’est son cœur… comme le montre son manque d’empathie, de
compassion et d’altruisme.
Une telle
mentalité – encore courante dans notre monde d’aujourd’hui – pose
question : pourquoi l’être humain éprouve-t-il si souvent le besoin de se
comparer à autrui ? N’est-ce pas une manière de se rassurer ? ou de
se faire valoir ?
Pourquoi ne se
tourne-t-il pas vers Dieu, tout simplement, sans parler de lui (sans mettre en
avant ses mérites) et sans rabaisser autrui ?
Cette attitude
nous interroge : Sur quoi se fonde-t-elle ?
Est-ce que ce ne
sont pas, en réalité, des présupposés inculqués par la religion qui déterminent
son attitude ? Sa croyance en l’élection (la certitude de faire partie des
élus, de ceux qui ont été choisis par Dieu) et la fierté d’avoir respecté les
valeurs morales, inscrites dans la Loi ?
En d’autres
termes, son attitude présomptueuse n’est-elle pas le résultat d’un
conditionnement religieux ? La certitude d’avoir raison et de détenir la
vérité ?
N’y-a-t-il pas
un danger spirituel à se croire possesseur de la vérité, du seul chemin qui
conduit à Dieu ou à la justice ?
Ceci doit nous
interroger : n’avons-nous pas tendance, nous mêmes, à avoir la même
prétention, en tant que Chrétiens ?
Par ailleurs, cela
pose un autre question : en quel Dieu croit ce religieux ?
En un Dieu
comptable qui additionne ou soustrait les points ? en un Dieu-juge qui se
fonderait sur des critères moraux, pour distinguer parmi les humains ?
Faut-il croire
en un Dieu moral et moralisateur qui établira son jugement final à partir d’une
liste de vertus et de vices ?
Peut-on diviser
l’humanité en deux : les bons et les mauvais ?
Ne doit-on pas,
au contraire, se reconnaître « à la fois juste et pécheur » ?
Et plus
fondamentalement, doit-on croire en un Dieu exigeant qui compte les
points ?
Si Jésus remet
en question l’attitude de ce Pharisien, ce n’est pas un hasard. Pour lui, il
est à côté de la plaque. Il n’a pas compris Qui
est vraiment Dieu.
C’est
précisément ce que souligne le théologien Rudolf Bultmann. Pour lui, le
Pharisien représente l’humanité tout entière dans sa méconnaissance de
Dieu : le Dieu des œuvres, de Dieu-moral, le Dieu de la religion, plutôt
que le Dieu d’amour, le Dieu de grâce… qui inspire ceux qui s’ouvrent à lui.
Mais revenons à
notre passage : Ce que montre la manière de prier de cet homme, c’est son
égocentrisme, son orgueil spirituel et son manque de charité vis-à-vis de son
prochain.
On a finalement
l’impression que sa prière est un monologue. Elle n’est destinée qu’à lui-même.
Il s’écoute prier dans une sorte d’autosatisfaction.
Par sa manière
de penser et de faire, cet homme s’isole en lui-même. Il n’est pas dans une
attitude d’ouverture à autrui, ni au Transcendant.
Il établit une sorte
frontière : il y aurait d’un côté, les bons croyants, les Juifs pieux,
dont il fait partie : « le camp de Dieu » ; et de l’autre,
le reste des hommes, dont le collecteur d’impôt est un exemple : un
ramassis « de pécheurs et d’infidèles, promis à la colère divine ».
Cette vision manichéenne
et caricaturale peut nous paraître, avec le recul, tout à fait anti-évangélique :
en tout cas, contraire à ce que Jésus proclame.
Jésus
n’annonce-t-il pas un Dieu d’amour, accessible à tous les humains ? un
royaume ouvert à tous ceux qui acceptent de s’en remettre à Dieu, qui entrent
dans sa confiance et dans une nouvelle mentalité… c’est-à-dire dans son règne
de grâce ?
Mais, le
paradoxe (et le danger), c’est que l’Eglise, dans son histoire, a reproduit une
chose identique à la prière du Pharisien : dès qu’elle proclame une vérité
qu’elle prétend détenir exclusivement (« hors
de l’Eglise point de salut ») et qui exclut autrui (ceux qui ne
pensent pas pareil ou qui ne sont pas dans le bon chemin : les hérétiques,
les membres des autres religions), elle use en réalité du même orgueil
spirituel que ce pharisien.
Il faut donc
décrypter à travers ce que Jésus dit de l’attitude du Pharisien, non pas seulement
une critique des Juifs pieux et orgueilleux (il ne faut surtout pas tomber dans
une lecture antisémite de ce passage), mais une critique radicale de la
religion, ou plus exactement du religieux, qui est à côté de la plaque quand il
se regarde le nombril, prétend détenir la vérité, en excluant ou méprisant les
autres. Ce danger guète tout croyant, y compris les bons protestants !
- De l’autre
côté, nous avons affaire à un péager : publicain ou collecteur d’impôt.
C’est quelqu’un
qui a reçu la charge de collecter des impôts pour l’occupant romain. Il
travaille donc pour des païens, des ennemis.
Les péagers
étaient considérés comme « impurs », car ils fréquentaient des païens
et manipulaient de l’argent touché par toute sorte de personnes.
Ils gagnaient
leur vie sur le dos de tous ceux qui payaient des taxes. Ils étaient souvent
mal vus ou exclus, car ils n’étaient pas toujours très « honnêtes ». Leur
moralité était douteuse ; leur réputation mauvaise. On s’en méfiait. Certains
les considéraient même comme des parias.
On peut penser au personnage de Zachée, dans les évangiles (cf. Lc 19).
Quelle est l’attitude de ce péager ?
Il est humble ;
il se tient à distance de l’espace le plus « sacré » du temple.
Il a les yeux
baissés. Il se frappe la poitrine en signe de repentance.
Pourquoi ? sans
doute par modestie ou par honte. Il a conscience de son péché. Il estime ne pas
être à la hauteur de la justice attendue par Dieu.
Notre passage
montre bien les différences entre les deux hommes :
- Le premier ne
parle que de lui. On pourrait dire qu’il ne place sa confiance qu’en ses
mérites, ses bonnes œuvres.
- Le second,
reconnaissant son péché, ne place sa confiance qu’en Dieu seul, qu’en sa grâce…
puisqu’il s’estime incapable en lui-même, par lui-même, de répondre aux
exigences de la Loi.
Le péager estime
n’avoir rien à faire valoir, aucune œuvre personnelle, aucun mérite à
revendiquer, pour son salut. Il espère tout de la seule miséricorde de Dieu.
Ce qu’il demande
à Dieu (v.13), c’est d’être réconcilié avec lui, c’est le rétablissement d’une
relation. C’est l’espérance qui l’anime, la foi en un Dieu compatissant.
Or, contre toute
attente, à l’opposé de ce que pensaient les gens autour de lui, Jésus va opérer
un retournement : il va donner raison au péager, au pécheur, et non au bon
croyant, au pharisien.
En quoi donne-t-il raison au second ?
Ce n’est pas à
cause de sa conduite morale, qui est sans doute moins bonne que celle du
Pharisien. Non. C’est à cause de sa foi, de sa confiance en Dieu.
Le premier croit
en lui-même. Il est plein de lui-même. Le second croit en l’amour et la
miséricorde de Dieu. Il a confiance en la grâce de Dieu.
Ainsi, Jésus
nous révèle que ce ne sont pas nos bonnes œuvres qui nous rendent justes, c’est
le fait de s’en remettre à Dieu et de lui demander son aide et son appui, pour
qu’il nous transforme, qu’il nous ouvre, nous libère, nous rende meilleurs et
plus aimants.
Cela n’est
possible que si nous lui faisons confiance, que si nous nous ouvrons à lui,
pour le laisser agir en nous.
Pour exprimer
cela, l’évangéliste Luc introduit une catégorie juridique : il nous dit
que le collecteur d’impôt est « justifié », c’est-à-dire « rendu
juste, déclaré juste », agréé par Dieu, du fait de son attitude.
Le thème de « la justification par grâce par le
moyen de la foi » sera largement développé par l’apôtre Paul. Comment pourrait-on traduire cette
idée en langage plus contemporain ?
Cela signifie
que le fait que cet homme reconnaisse humblement sa pauvreté, sa faiblesse, son
insuffisance, c’est-à-dire le fait qu’il n’ait rien à revendiquer par lui-même,
en lui-même, lui permet de se tourner avec confiance vers Dieu, vers l’amour et
la grâce de Dieu : et cela est en fait une attitude juste.
Par ce
comportement vrai – malgré son péché et son injustice – il est reconnu juste et
acquitté, c’est-à-dire accepté, sauvé, pardonné par Dieu.
C’est en ce sens
que Jésus déclare dans la 1ère béatitude : « Heureux les pauvres de cœur - ceux qui se reconnaissent pauvres
en eux-mêmes – le royaume des cieux est à eux » (Mt 5,3).
Pour Jésus, Dieu
conforte celui qui reconnaît avoir besoin de lui. Cette attitude de pauvreté,
d’humilité, est la seule possible, pour entrer en relation avec Dieu.
Celui qui
prétend déjà être parfait (Jésus dira aussi celui qui est riche de lui-même, de
son savoir, de ses biens) n’a pas besoin de Dieu pour le sauver. Il est autosuffisant.
Il n’y a plus aucune place pour autre chose, pour quelqu’un d’autre, que
lui-même dans son existence.
Jésus opère donc
un renversement de perspective : Pour lui, l’accès à Dieu est, d’une
certaine manière, barré à celui qui montre un égo trop fort. (Il n’est pas barré à
cause de Dieu, d’une décision divine, mais à cause de l’attitude de l’homme.)
Au contraire,
l’humilité, la disponibilité de cœur et la confiance sont des conditions nécessaires
à la prière authentique, à une relation possible avec Dieu.
C’est parce
qu’il a lâché son égo, qu’il s’est ouvert à la confiance et l’amour de Dieu,
que le collecteur d’impôt va rentrer chez lui transformé, justifié, réconcilié
avec lui-même et avec Dieu.
* Je voudrais
vous livrer maintenant – pour conclure - une deuxième interprétation de ce
passage… qui n’est pas différente de ce que je viens de dire… mais qui va plus
loin.
Il me semble que
la question de fond, ici, n’est pas une question éthique ou morale, mais celle de
la prière et de l’accès à Dieu.
Notre passage
nous apprend qu’il est nécessaire de lâcher son mental, son égo, son
autosuffisance, ses mérites ou ses absences de mérites, pour entrer en relation
avec Dieu.
La confiance, la
disponibilité de cœur et l’ouverture d’esprit sont des dispositions nécessaires
à une relation authentique avec Dieu.
Cela Jésus
l’exprime dans notre passage à travers les notions de justification par grâce.
Dans le passage
suivant, avec les bébés qu’on lui présente (v. 15-17), Jésus le souligne à
travers les termes d’accueil et d’entrée dans le royaume de Dieu. Il le fait en
invitant ses auditeurs à adopter le même comportement de confiance et
d’ouverture de cœur que les enfants.
L’accès à Dieu
est ouvert à ceux qui sont comme eux, qui ont un cœur disponible et confiant,
comme des enfants.
Ce dont il est
question ici, ce n’est pas une leçon de morale. Ce n’est pas seulement un appel
à l’humilité, ou un appel à ne pas juger autrui et à ne pas se comparer aux
autres. Tout cela est juste. Mais ce passage nous parle de quelque chose de
plus fondamental encore.
La question
sous-jacente, c’est : En quel Dieu se confier et comment entrer en contact
avec lui ?
A mon avis,
notre texte va beaucoup plus loin que ce que la conclusion de Luc (v.14b) laisse
entendre.[2]
Le Dieu de Jésus
Christ est un Dieu d’amour, un Dieu tout Autre. En réalité, il ne correspond à
aucune de nos images, de nos projections humaines.
Il ne correspond
pas à Celui qu’imagine le Pharisien, qui est le Dieu sévère et exigeant de la Loi
et des œuvres, le Dieu-juge de la religion… ni même à Celui que prie humblement
le péager, qui, d’une certaine manière, est encore un Dieu moral, un Dieu qui
serait fâché par son péché et devant lequel, il faudrait s’abaisser pour être
pardonné, pour se réconcilier avec lui. Ce que laisse entendre la conclusion
qui a été rajoutée par l’évangéliste Luc (v.14b).
J’imagine, pour
ma part, en m’appuyant sur d’autres passages des évangiles, que le propos de
Jésus devait aller plus loin.
Le Dieu de Jésus
Christ n’est pas le Dieu-juge, ni le Dieu de la morale. Ce n’est pas un Dieu
comptable, dont il faudrait mériter l’amour. Cela, il nous l’offre par grâce.
Dans une de ses
paraboles, Jésus compare Dieu au père du fils prodigue, qui attend le retour de
son fils et qui l’accueille sans condition (cf. Lc 15). Il nous dit dans son
sermon sur la montagne qu’il est au-delà du bien et du mal, du juste et de
l’injuste, puisqu’il est un Dieu gratuit et créateur, un Dieu offert par grâce,
qui fait lever son soleil et pleuvoir sa pluie sur les justes et les injustes
(cf. Mt 5, 45). En d’autres termes… un Dieu qui est au-delà de nos catégories
humaines.
Si on cherche à
rencontrer Dieu, à travers sa moralité, sa religiosité ou ses œuvres, ou, a contrario, à travers son manque de
moralité, la reconnaissance de son péché, de ses insuffisances ou de sa
culpabilité, cela ne suffira pas encore à le rencontrer véritablement, car on
en reste à une compréhension morale de Dieu et une préoccupation égocentrique
et narcissique de soi-même.
Ce qui est juste
dans l’attitude du péager, ce n’est pas seulement son humilité ou la
reconnaissance de son péché, tout cela est vrai et sans doute nécessaire… mais
un détail supplémentaire nous est donné :
« Il se
tient à distance » nous dit-on… à
distance de quoi ? De l’espace le plus « sacré » du temple,
sans doute… mais aussi et surtout, à distance de lui-même, de son égo.
Ce n’est pas
parce qu’il reconnaît son péché en se frappant la poitrine qu’il adopte une
attitude juste, c’est parce qu’il s’adresse à Dieu en comptant sur lui… en sortant
de lui-même… pour s’appuyer sur Dieu : A ce moment là, il n’est plus
centré sur ses mérites ou ses insuffisances, sur ses réussites ou ses échecs… à
ce moment-là, il s’ouvre à Dieu… il accède à la foi, il entre dans la confiance
en Dieu.
Autrement dit, le
Dieu Père et Esprit que Jésus Christ est venu révéler ne peut se rencontrer
qu’en lâchant son égo, la préoccupation de soi-même…pour le laisser agir en soi.
Car si on
demande à Dieu d’agir dans notre intériorité, pour nous transformer et nous
rendre meilleur, pour nous ouvrir à une dimension spirituelle de la vie et à
l’amour du prochain, il est nécessaire de ne pas prendre toute la place en
nous-mêmes… de lâcher le souci de soi-même, pour laisser à Dieu la place d’agir
en nous, pour nous transformer.
Et c’est bien
l’objet de la méditation et de la prière : non pas rabâcher des demandes à
Dieu (cf. Mt 6, 5-8)… mais faire silence en soi, pour se mettre à l’écoute de
Dieu.
Je crois donc
que ce que Jésus nous invite à vivre, c’est oser lâcher tout jugement aussi
bien sur autrui que sur nous-mêmes, pour nous tourner vers Dieu en toute
confiance.
Car le Dieu de
Jésus Christ est un Dieu qui appelle l’humanité à se mettre à son écoute, à se
relever et à se réveiller… pour avancer et progresser… pour se libérer de ses
esclavages... de ses idoles (quelles que soient leurs noms : religion,
perfection… argent, rentabilité… technologie, nouveauté… science ou politique)…
pour vivre l’amour, la justice et la paix. Pour
cela, Jésus nous invite à lâcher-prise et à faire enfin confiance à Dieu !
Amen.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire