Lecture
biblique : Mc 12, 28-34
Thématique :
aimer son prochain à partir de la version la plus élevée de ce que nous sommes.
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Verteuil
d’Agenais, le 04/09/16 : fête de paroisse de Marmande / culte dans un
jardin
Nous connaissons
tous ces fameuses paroles de Jésus, qui nous instruisent sur l’importance de la
vie relationnelle avec Dieu et avec les autres.
On a souvent
considéré le « commandement d’amour du prochain » comme le résumé de
l’enseignement – pour ne pas dire de l’Evangile – proclamé par Jésus Christ.
Et c’est vrai,
dans une certaine mesure, tant Jésus insiste sur l’amour de Dieu et du
prochain. Mais, il faut dire aussi qu’on a souvent mal interprété ses
paroles : d’une part, en considérant qu’il s’agit là d’un commandement, d’une
loi, d’une obligation ou d’un ordre. Au lieu d’entendre cette parole comme un
conseil de vie, destiné à nous permettre de mener une existence accomplie.
Et d’autre part,
parce qu’à partir de ces paroles, on a pu justifier n’importe quoi : sous
prétexte qu’il faut aimer son prochain, on pourrait supporter n’importe quelle
situation difficile ou douloureuse : on pourrait se sacrifier pour
l’autre, on pourrait être malmené, oppressé, battu, et endurer je ne sais
quelle comportement odieux ou inhumain, sans rien dire ou presque, parce que –
vous comprenez – il faut aimer son prochain.
Tout cela est
faux… et ne correspond pas à ce que dit Jésus.
Je crois même
qu’il dit, d’une certaine manière, le contraire : en affirmant « tu aimeras ton prochain, comme
toi-même ».
Cela ne veut pas
seulement dire : considère ton prochain comme un semblable, comme un
frère… traite-le comme toi-même, c’est-à-dire bien. Cela est vrai, bien sûr. Mais
Jésus va plus loin et veut dire – je crois – davantage : aime-toi toi-même, et alors tu pourras aimer
ton prochain… aime toi toi-même, fais ce qui est bon pour toi, et alors, ton
prochain en tirera lui aussi du bien et de l’amour.
Le paradoxe que
Jésus soulève, c’est que pour aimer son prochain, il faut, en réalité, d’abord
commencer par s’aimer soi-même. Or, s’aimer, ce n’est pas se renier, ni se
sacrifier : s’aimer, c’est d’abord pouvoir exprimer notre vrai Soi, ce
qu’il y a de meilleur en nous.
D’un point de
vue fondamental, on peut se demander : A
quoi servent les relations personnelles avec les autres individus ? Dans
quel but développons-nous ou entretenons-nous des relations personnelles ?
On pourrait
répondre de façon juste : parce que nous en avons besoin, parce qu’on ne
peut pas vivre tout seul… ou encore, pour être heureux, parce que cela nous nourrit
intérieurement et nous épanouit de rencontrer d’autres personnes, de dialoguer
avec elles, de les aimer, de pouvoir nous exprimer et de les écouter. Cela nous
permet d’évoluer et cela nous fait du bien : C’est certain !
Du coup, pour
être objectif et honnête… et éviter les malentendu ou les hypocrisies… il est
peut-être bon de considérer les relations personnelles vis-à-vis de Soi, de
l’épanouissement de notre propre Soi, plutôt que de les envisager sous l’angle
d’une obligation vis-à-vis d’autrui, d’une sorte de contrainte qui nous serait
imposer de l’extérieur : « tu dois aimer ton prochain ! »
Si nous
considérons l’enseignement de Jésus comme une loi – comme ce qui est permis ou
interdit – c’est que nous n’avons pas bien entendu, ni compris ce qu’il nous
dit : il s’agit d’une Bonne Nouvelle, de quelque chose qui nous libère.
D’ailleurs,
c’est ce qui distingue l’enseignement de Jésus de celui des Pharisiens. Le
Christ nous appelle à « être » (par exemple, à être un bon arbre, pour
produire de bons fruits (Mt 7, 17-18)), les autres nous appellent à « faire »
(à faire ceci ou ne pas faire cela, pour être sauvé). Comme si Dieu attendait
de nous telle ou telle chose, tel ou tel comportement irréprochable.
Or, il me semble
qu’en écoutant l’Evangile, ce qu’on peut dire, c’est que Dieu, en réalité,
n’attend rien de nous, à part que nous soyons nous-mêmes, des enfants de Dieu.
Il nous aime et nous a créé libres. Ce qu’il veut, c’est notre bonheur, c’est
l’accroissement, le développement de notre « être », et pas seulement
de notre « faire », pas simplement de bonnes actions.
Dans la vie,
nous nous demandons souvent : comment agir pour faire au mieux ? Que
faire pour mieux faire ? Comment faire pour bien faire ? Mais
peut-être devrions-nous mettre cette question de côté, et nous poser une autre
question, plus fondamentale : Qui sommes-nous ? Qui décidons-nous
d’être ? Qui choisissons-nous d’être ?
Si Jésus nous
appelle à prendre appui sur nous-mêmes, sur qui
nous sommes pour aimer les autres… s’il nous appelle à nous aimer d’abord,
c’est, en réalité, qu’il nous invite en premier lieu à vivre notre existence à partir
de notre « être véritable ». Il nous appelle à agir à partir de ce
que nous sommes vraiment, à partir de ce qui a de plus élevé, de plus beau, en
nous-mêmes (donc de ce que nous décidons d’être et d’exprimer).
Et c’est
peut-être là, en réalité, le but des relations humaines : elles existent
et nous sont données, pour nous permettre d’exprimer qui nous sommes.
Il est dit dans
la Bible que Dieu a créé l’humain (homme et femme) à son image et à sa
ressemblance (Gn 1, 27). Cela veut dire – je crois – qu’il fait de nous des co-créateurs,
qu’il nous donne – comme lui – la possibilité de créer notre réalité : A
chaque instant, dans chaque situation, nous pouvons choisir qui nous sommes, qui nous voulons être (le bon ou le méchant, le généreux ou le
radin, celui qui pardonne ou celui qui garde rancune, etc.).
Il me semble que
si Dieu nous fait cette confiance inouïe et nous donne cette liberté totale, en
nous laissant « carte blanche », en mettant entre nos mains les rênes
de notre vie : c’est que c’est,
d’une certaine manière, notre but – son
but – dans cette existence terrestre : Nous sommes là, pour décider,
pour créer et exprimer, pour faire l’expérience de qui nous sommes vraiment.
A chaque moment,
dans chaque relation humaine, j’ai la possibilité soit de faire entendre une
version amoindrie de moins même, par exemple, en étant ronchon, boudeur,
mesquin, voleur, violent ou tout autre chose… soit d’exprimer la plus belle
version de qui je suis… c’est-à-dire
de me créer à nouveau, selon la version la plus grandiose, la plus magnifique
de ce que je suis… en choisissant la version la plus élevée, la plus grande de
moi-même.
Je crois que
c’est là notre but en devenant humain : Dieu et notre âme ont choisi, d’un
commun accord, cette existence comme moyen d’exprimer ce qu’il y a de plus
élevé en nous, en tant qu’enfant de Dieu, fils (ou fille) de Dieu, créé(e) à
l’image de Dieu.
Bien entendu,
cela soulève une question, à savoir… dans telle ou telle situation, dans telle
ou telle relation… quel est le choix le plus élevé ? Qui est-ce que je décide d’être ?
Il faut se
rendre à la raison, c’est une question que peu de gens se posent consciemment.
La plupart du temps, nous nous demandons plutôt : qu’est-ce que cette
personne attend de moi ? que dois-je faire ? comment agir ? ou
encore, quel est mon intérêt ? Quel est le plus rentable ? ou encore,
comment puis-je perdre le moins ?
Mais, lorsqu’on
vit seulement en essayant de limiter les dégâts ou d’obtenir un avantage
optimal en chaque situation, on perd en réalité le véritable bénéfice de la
vie. On perd une occasion, une chance d’évoluer, car on vit à partir de la
peur, au lieu d’exprimer notre Soi dans l’amour.
C’est en ce sens
qu’on peut comprendre cette parole énigmatique de Jésus : « qui veut sauver sa vie, la perdra… mais
qui perdra sa vie, la sauvera ». (Mc 8, 35-36) Jésus nous appelle à
sortir de la question des attentes, de la rentabilité ou du « faire »
dans les relations humaines. Il n’y a qu’à « être »… être vraiment
Soi… être qui nous choisissons d’être.
Jésus voit les
choses différemment. Le critère n’est pas de gagner – ni même de perdre – mais
seulement d’être notre âme, d’exprimer
notre âme, c’est-à-dire le choix le plus élevé… et seulement d’aimer… ou d’échouer à aimer : ce qui peut aussi
arriver.
En d’autres
termes, les questions à se poser dans les relations humaines sont
peut-être : qui suis-je ? qui est-ce que je choisis d’être dans cette
relation ? Et, d’autre part, que ferait l’amour, à présent ?
C’est peut-être
la question la plus importante pour parvenir à exprimer notre âme, qui nous sommes vraiment.
A la lumière de
cette parole de Jésus – celle que l’Evangile nous rappelle ce matin – il nous
faut donc revoir notre manière de penser les relations humaines… et ne pas
oublier le « comme toi-même »
sur lequel toute relation et tout amour prennent appui, selon le Christ.
Jésus nous
demande de nous inclure parmi ceux que nous aimons, et même, d’une certaine
manière, de nous octroyer la première place… au sens de choisir, d’exprimer et
de donner ce qui est le plus élevé en nous-mêmes, le plus grand et le plus beau
de notre Soi.
Car le choix le
plus élevé est celui qui nous fait le
plus grand bien… et qui fera aussi le plus grand bien à autrui.
Pour Jésus, les
relations personnelles sont sacrées (c’est ce qu’il dit, par exemple, du
mariage), car elles fournissent l’occasion de donner ce qu’il y a de meilleur
en nous… l’occasion de créer et de produire l’expérience de l’idée la plus
élevée que nous nous faisons de notre Soi. Et c’est bien là le but de notre
existence terrestre, le but de notre âme liée à notre corps dans cette
incarnation : c’est la joie de créer le Soi, de connaître le Soi, de devenir
consciemment ce que nous voulons et décidons d’être.
Il faut déduire
de tout cela une chose, pour notre quotidien. A savoir, que dans les relations
humaines, paradoxalement, nous devrions peut-être davantage nous préoccuper du
Soi et moins de l’autre : car, en fait, en étant Soi-même et en donnant le
meilleur de Soi, on risque inévitablement de faire surgir le meilleur de
l’autre.
Il n’y a pas
besoin de faire ceci ou cela, ou de modifier son comportement, de penser à agir
de telle ou telle façon, mais simplement – si j’ose dire – de choisir de livrer
le plus élevé, de donner le plus beau de notre Soi.
Beaucoup de gens
pensent qu’il faut ou qu’il suffit d’aimer les autres, pour qu’ils nous aiment
en retour. Ils cherchent l’amour du Soi dans l’amour d’un autre. Certains
s’épuisent dans cette tâche : ils donnent beaucoup à l’autre, aux autres
en général, mais ils ont aussi de grandes attentes – parfois démesurées – et un
fort besoin de reconnaissance.
Nous pouvons interroger
cette manière de penser. Car, si on envisage ainsi les relations humaines, ne s’agit-il
pas, en fait, plus d’un échange, d’une relation « donnant-donnant »,
que d’une relation d’amitié ou d’amour ?
Si on prend au
sérieux ce que dit Jésus, il faut penser les choses d’une tout autre manière, dans
un autre sens : « s’aimer
soi-même, pour aimer les autres ».
Il ne s’agit assurément
pas d’égoïsme, ou d’une forme d’égocentrisme, mais du fait d’exprimer son vrai
Soi, de donner la meilleure part de soi-même, pour entrer authentiquement en
relation avec l’autre.
Cela nécessite
de partir de notre être, du désir de notre âme… plutôt que d’une attente
hypothétique, fictive ou imaginée concernant les autres.
(En fait, on
n’est pas dans la tête des autres. On ne sait jamais s’ils attendent quelque
chose de nous et ce qu’ils attendent précisément. Plutôt que d’essayer de le
deviner et d’y répondre, en se trompant la plupart du temps, il est en réalité
beaucoup aisé et adéquat d’être Soi-même. L’amour est normalement quelque chose
de gratuit : on aime quelqu’un pour ce qu’il est… et pas / en tout cas,
pas seulement / pour ce qu’il fait : ça ce serait de l’intérêt ou du
calcul, mais plus de l’amour.)
Soyons donc les
créateurs de notre Soi le plus élevé… donnons le meilleur de nous-même :
et assurément, c’est comme cela que nous aimerons et aiderons vraiment les
autres à être eux-mêmes. Et nous entrerons vraiment en communion avec autrui. Car,
fondamentalement, nous ne sommes qu’Un, nous sommes tous solidaires, puisque
nous sommes tous « enfants de Dieu ».
La fameuse
maxime de Jésus : « Tu aimeras
ton prochain, comme toi-même » pourrait ainsi trouver un éclairage
avec l’affirmation suivante :
« Ce que tu feras en exprimant ton
vrai Soi, tu le feras aussi pour un autre, et ce que tu feras pour un autre, te
permettra aussi de créer ton Soi ».
Ainsi donc, aimons-nous
les uns les autres sans nous renier, en révélant l’amour qui est dans notre âme
et qui vient de Dieu.
Amen.
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