Mt 25, 31-46
Lectures
bibliques : Jn 14, 10-12.23 ; 17, 20-23 ; Mt 25, 31-46
Thématique :
« Nous ne faisons tous qu’un » : notre unité fondamentale, sous
le regard de Dieu / Prédication de
Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 27/11/16.
Peu de gens
aiment cette parabole du jugement dernier. La raison en est simple. Elle parle
d’une sorte de jugement final qui séparera, d’un côté, les brebis à l’écoute du
bon berger, et, de l’autre, les chèvres rebelles, qui n’ont vécu que pour
elles-mêmes. Le résultat est sans appel : d’un côté, la bénédiction et la
promesse du royaume ; de l’autre, soi-disant, une malédiction et le feu
éternel.
Bien évidemment,
si on lit cette histoire à la lettre, on ne peut que la détester, car on n’est
jamais sûr d’être du bon côté, celui des justes. On ne sait jamais de quel côté
on se trouvera au moment où le Fils de l’homme, présenté comme un roi, rendra
son verdict final, pour nous conduire, soit au châtiment éternel, soit à la vie
éternelle.
Voyez-vous, pour
ma part, j’aime cette parabole, non pas parce que je crois être juste (pas du
tout !), mais, parce que je crois, en réalité, qu’elle ne raconte rien de
tout cela.
Je crois que
tout ce qu’on construit les artistes (les peintres et les sculpteurs), depuis
2000 ans, à partir de ce grand mythe du jugement dernier et les théologiens à
partir de l’imaginaire d’un dieu juge capable de punir – d’un dieu qui fait
peur – est en réalité complètement faux et contraire à ce que dit Jésus et à son Évangile du Royaume.
Jésus annonce la
Bonne Nouvelle d’un Dieu d’amour, d’un Dieu de grâce, compatissant et
miséricordieux.
Si nous lisons
ce passage biblique, en aboutissant à une conclusion contraire (celle d’un
dieu, qui, d’un côté, nous donnerait la liberté et, de l’autre, pourrait nous
punir sévèrement pour l’avoir mal utilisée et nous être trompés), c’est tout
simplement que nous l’avons mal lu, que nous sommes à côté de la plaque, parce
que nous n’avons pas su interpréter et décrypter le message central de cette
parabole (derrière les images et l’imaginaire mythique qu’elle déploie).
Pour le trouver,
il faut voir où se situe la surprise de cette histoire.
On la découvre à
travers l’affirmation qui est faite à ceux qui sont à droite (v.40) : A
chaque fois qu’ils ont agi en faveur d’autrui – en faveur des plus petits parmi
nos frères, en les recueillant, en les visitant, en les nourrissant – en
réalité, c’est au Fils de l’homme – au représentant de l’humanité, au Christ –
qu’ils l’ont fait.
De la même
manière (v.45), il est dit à ceux qui sont à gauche que lorsqu’ils n’ont rien
fait pour autrui, c’est comme s’ils n’avaient rien fait pour le Fils de l’homme,
c’est comme s’ils n’avaient rien compris de la volonté de Dieu.
La surprise
tient donc dans le fait que cette parabole établit un lien de communion, de
solidarité entre tous les humains – et notamment les plus petits, les plus
faibles, les plus démunis – et le Fils de l’homme, c’est-à-dire le Christ.
Autrement dit, Celui
qui représente Dieu, ici dans ce jugement, affirme une chose – et du coup, nous
livre un enseignement – : il existe un lien, une solidarité, une unité cachée
entre tous les humains et le Christ… en d’autres termes, entre les humains et
Dieu.
Cette unité, qui
jusqu’alors était inconnue, est maintenant dévoilée.
Le lecteur ou
l’auditeur en devient conscient. Maintenant, nous sommes prévenus.
Cette surprise
est d’autant plus stupéfiante et troublante qu’elle est mise en exergue par l’ignorance
même des protagonistes de l’histoire qui sont à gauche ou à droite.
Le texte met en
avant leur étonnement, leur surprise, au moment du jugement :
Par leurs
questions, ils révèlent leur ignorance. En agissant, comme ils l’ont fait, ils
ne savaient pas, ils ne connaissaient pas le lien indéfectible et sous-jacent
qui existait entre le Fils de l’homme et tous les humains, notamment les plus
petits.
Cependant, le
lecteur ou l’auditeur qui découvre la parabole en est maintenant averti :
Contrairement aux protagonistes de la parabole, comparés à des brebis ou des
chèvres, lui, est informé. Il sait désormais qu’un lien uni secrètement le
Christ et chaque humain, donc Dieu et tous les êtres humains.
Et le
dévoilement de cette réalité invisible appelle maintenant le lecteur/auditeur à
changer de manière de penser et de vivre. Il doit adapter sa mentalité et ses
comportements à la conscience de cette réalité. Il sait désormais que nous ne
faisons qu’un : que tous humains (des plus forts aux plus petits) ne font
qu’un ; que les humains et le Christ ne font qu’un ; que les humains
sont ainsi toujours unis à Dieu… et que de porter atteinte à la vie d’un humain
– par un manque de solidarité ou par indifférence – est, d’une certaine
manière, comparable au fait d’attenter à la vie de l’humanité dans son ensemble
ou à la vie même de Dieu.
On comprend, dès
lors, le résultat de cette révélation stupéfiante :
On apprend que
ceux qui, dans la parabole, n’ont rien fait pour leurs frères, se sont, en
réalité, éloignés – sans en avoir conscience – de leur propre humanité et donc
de Dieu uni aux humains.
A contrario, ceux qui ont agi en faveur d’autrui, se
sont rapprochés de leur vocation humaine en communion avec Dieu, ils sont
davantage entrés dans une proximité, dans une plus grande unité avec leur
dimension divine. Puisqu’il existait et il existe une unité fondamentale de
l’humanité avec Dieu.
Il n’est donc
pas question de « punition » ou de « récompense » dans
cette histoire – Jésus nous parle d’un dieu d’amour, pas d’un Dieu marchand, qui
compte les points – mais de la révélation, à travers un mythe, d’une vérité
extraordinaire :
La parabole
elle-même nous livre une information primordiale qui peut changer toute notre
manière de vivre : Nous ne faisons
qu’un.
Les humains ne
font qu’un et sont réellement tous frères.
Avec Dieu, nous
ne faisons qu’un.
Si cette
information est bien celle qui nous est transmise par la parabole, elle est
explosive ! Elle nous introduit dans une nouvelle conscience de la réalité
qu’on appelle la Vie.
Si ce concept
d’unité, de solidarité, est vrai entre les humains, s’il est vrai avec Dieu, il
est aussi vrai avec la création tout entière.
* Ainsi donc,
pour Jésus, nous appartenons à la création, à une création unifiée. Nous sommes
unis à elle, que nous en ayons conscience ou non.
Et cela a des
implications très concrètes, à la fois, en termes de partage et de solidarité
entre les humains – car nous sommes Un – mais aussi, par exemple, en matière d’écologie
et de responsabilité de ce qui nous est confié collectivement : que ce
soit les autres (nos frères) ou la terre elle-même.
Il est clair,
par exemple, que beaucoup de gens (peut-être une majorité) ne voient pas qu’ils
portent atteinte à leur intégrité – à leur propre humanité unie à Dieu – en
vivant égoïstement, en étant plus ou moins indifférents au sort d’autrui, des
plus faibles ou des plus misérables.
Il est clair,
également, que la plupart des gens ne se rendent pas compte qu’ils sont en
train d’abîmer la terre, la planète même qui leur a donné la vie, par leurs
actions qui ne visent qu’à améliorer leur confort et leur propre qualité de
vie, à court terme.
Curieusement,
ils ne voient pas assez loin pour observer que les gains à court terme peuvent
engendrer des pertes à long terme, comme c’est souvent le cas.
Bien souvent
nous n’avons pas conscience, dans notre vie quotidienne, de cette information
que nous livre cette parabole.
Nous ne
parvenons pas à élever notre conscience au point de ressentir et de comprendre que
nous vivons, en réalité, dans un monde unifié, où tout est lié, où Dieu – Force
de vie et d’amour – se trouve en union avec toute la création et toutes les
créatures.
Bien au
contraire, inconsciemment, nous nous sentons plutôt menacés par cette idée
générale d’un monde unique, d’un monde fraternel et unifié. Car, la plupart des
gens agissent par peur, au lieu d’agir par amour.
(La preuve en est, c’est que quand nous
utilisons, par exemple, un terme comme le mot « mondialisation »,
pour désigner le rapprochement des hommes et la libéralisation des échanges, la
plupart du temps, nous lui attribuons une connotation négative, qui traduit
notre crainte de devenir interdépendants les uns des autres. Nous prétendons
davantage garder la maîtrise des choses, garder notre pouvoir, plutôt que de le
partager.)
Le fait est que
nous sommes des êtres inquiets, des êtres angoissés. Parce que – il faut le
reconnaître – nous n’avons pas la foi, nous n’avons pas vraiment confiance en
la vie, confiance en Dieu.
Inlassablement,
nous avons peur de perdre : peur de nous faire avoir, peur de perdre notre
travail, peur de perdre notre argent ou notre capital, peur de perdre notre
système social, peur des étrangers et des migrants, peur de perdre notre
conjoint ou nos enfants, peur de la mort et peur de la vie, peur de vieillir,
peur de perdre notre intégrité, notre vie ou celle de ceux que nous aimons.
Cette peur fondamentale,
peur de lâcher-prise, de faire confiance, peur de tout ce qui pourrait mener à
plus d’unification, à plus d’amour et de partage trouve son enracinement dans
un point central : nous avons fondamentalement peur de perdre. Nous n’arrivons
pas à assumer le risque de perdre quelque chose pour nous-mêmes. Nous
n’arrivons même pas à concevoir que quelqu’un puisse faire ce choix
volontairement, comme Jésus l’a fait.
Tout au
contraire, cette peur (qui, à mon avis,
n’a rien de « naturelle », mais qui est plutôt le résultat d’un
conditionnement de notre société) nous conduit à nous battre et à lutter
pour sauvegarder ce que nous avons ou pour en avoir davantage. Cela nous
conduit également à prôner des séparations et des divisions entre les
humains : il y a les français et les autres, les étrangers, les bien-portants et les malades, les jeunes
et les vieux, ceux qui travaillent et les chômeurs, nos amis et ceux que nous
connaissons pas, etc.
Nous ne voyons
pas que toutes les frontières et les séparations que nous construisons entre
les humains, entre différentes catégories, différents partis, différentes
religions, sont en fait artificielles et nous conduisent à reproduire sans
cesse les mêmes schémas et les mêmes erreurs qu’hier.
Nos
comportements génèrent toujours les mêmes divisions, les mêmes tensions et
conflits entre les humains, les peuples, les pays… parce que chacun court
égoïstement à plus d’avoir et de pouvoir, pour lui-même, sans se préoccuper du
voisin… sans se sentir responsable de la situation qui est la nôtre,
aujourd’hui.
La plupart des
malheurs qui ont lieu sur terre vient du fait que nous agissons par peur, au
lieu de nous laisser porter par l’amour.
La plupart des
malheurs qui se déroulent autour de nous – injustices, misères, pauvreté,
conflits, etc. – vient de notre incapacité à considérer chaque être humain
comme un frère, comme étant lié à nous, faisant partie d’une unité, du même
tout, qu’on appelle « la création ».
Notre manque d’altruisme
(au sens de considérer l’autre comme un autre moi-même, en communion avec moi
et avec Dieu), notre manque d’empathie et de compassion (au sens de notre
capacité à souffrir avec l’autre, à ressentir la souffrance d’un autre comme
étant la sienne propre)… tout cela permet à toutes les souffrances humaines de
perdurer.
Et je dois dire
qu’en rentrant d’un voyage de trois semaines à Madagascar : je suis encore
plus conscient qu’avant de la misère profonde et de l’injustice qui règnent
dans le monde que nous avons choisi et contribué à bâtir.
Le pire, c’est
que tout cela dépend de nous, de nos propres choix.
La séparation –
toutes les séparations, les catégorisations, les frontières que nous dressons
entre les individus – engendre l’indifférence, la fausse supériorité, donc
l’orgueil et l’égoïsme.
Au contraire,
l’unité appelle la compassion, l’égalité authentique et le partage.
Quand vous voyez
l’extrême pauvreté et la misère criante des individus et des enfants dans les
rues de Tananarive – et que vous voyez quelques gens, très riches (notamment
des hommes politiques corrompus), se construire des palais ou rouler dans des
voitures luxueuses, dans ces mêmes rues – non seulement ce contraste criant
vous révolte et vous éprouvez toute l’horreur de l’injustice humaine, mais
surtout vous comprenez que le niveau de conscience de bien des gens est
carrément primitif.
Quelle faillite
pour nos systèmes éducatifs… si nous ne sommes même pas capables d’initier des
sentiments d’altruisme ! Comment a-t-on pu éduquer des gens au point de les
rendre insensibles ou aveugles… au point qu’ils perdent tout sentiment de
compassion pour leurs frères ?... au point qu’ils ne voient même plus que
les enfants pauvres de la rue (leurs concitoyens) sont leurs frères ? …
Qu’apprend-on dans les écoles, partout dans le monde, à part des connaissances ?
Nous ne pouvons
pas nous satisfaire du monde tel qu’il est, avec toute cette pauvreté, cette
misère, ces injustices.
Notre seul moyen
d’action est d’élever notre niveau de conscience (par nos pensées, nos paroles,
nos actes), pour élever aussi celui des groupes auxquels nous appartenons :
des associations, des églises, des partis politiques, de notre pays, etc…. pour
qu’à leur tour ces groupes élèvent le niveau de conscience d’autres groupes et
d’autres individus… et que tout cela évolue, s’améliore et progresse peu à peu.
Nous ne pouvons
pas nous satisfaire d’un monde qui crée et accepte tant d’inégalités… un monde
où la survie est réservée aux plus forts et aux plus riches, un monde où la
compétition est obligatoire et où « gagner » est considérer comme le
plus grand bien… au point qu’on passe sa vie à toujours vouloir gagner plus et
ne rien perdre… tout en oubliant que ce système produit des
« perdants » et des exclus… parce que rares sont ceux qui acceptent
de s’en mettre un peu moins dans les poches, par souci de justice, par souci de
remplir aussi celle des plus pauvres, des petits, des travailleurs de fortune.
En réalité, la
plupart des gens ne pensent qu’à eux, qu’à leurs propres besoins et à ceux de
leur famille : Il ne s’agit pas de leur reprocher – il n’y a rien de mal à
s’aimer soi-même et à vouloir le bien de sa famille, c’est même tout à fait légitime
– mais cela ne peut pas se faire à n’importe quel prix.
Nous devons
aussi développer une vision plus large de la vie et de l’humain, nous devons
élargir notre horizon, ouvrir notre conscience à l’échelle de l’humanité toute
entière, en commençant par ouvrir les yeux sur toutes les injustices et les
misères qui nous entourent.
Autrement dit,
il nous faut changer de mentalité, et apprendre à ne pas agir que pour soi, que
par intérêt personnel, en ayant conscience de cette unité fondamentale de
l’humanité avec Dieu, que cette parabole du jugement dernier nous révèle.
* Ce chemin de
la compassion et de l’altruisme, Jésus est venu l’ouvrir. Pour lui, c’est celui
de la gratuité : Oser ouvrir les mains, accepter de lâcher prise, quitte à
perdre… oser perdre pour donner, pour se donner… car on n’est pas là pour
thésauriser notre vie, pour la conserver égoïstement, mais pour s’en servir et
pour l’offrir.
Je réinterprète
ses paroles (cf. Mc 8,35) :
Qui veut gagner sa vie et la conserver
pour lui-même, la perdra.
Qui acceptera de la perdre, de la donner,
de l’offrir, en réalité la sauvera, et lui donnera du sens.
Ce chemin que
Jésus nous propose n’est pas du tout triste. C’est, au contraire, la vraie
vie : un chemin d’accomplissement et de joie.
Car cela rend
heureux d’aimer, de donner, d’être bon et généreux.
Cela rend
heureux de se savoir juste, en communion avec la volonté de Dieu : c’est
ce que nous révèlent les Béatitudes.
Par ailleurs, c’est
aussi ce que Jésus affirme, lorsqu’il appelle ses disciples à agir
gratuitement, à s’inscrire dans la gratuité, en n’agissant pas seulement en
faveur de ceux qui peuvent nous rendre la pareille, dans une forme de
réciprocité, de donnant-donnant, mais en ouvrant notre cœur même à ceux qui ne
peuvent pas nous rendre :
Si vous saluez seulement vos frères, que
faites vous d’extraordinaire ? Rien du tout ! Les païens en font de
même. Et si vous aimez ceux qui vous aiment, ou si vous invitez ceux qui vous
invitent, que faites vous d’exceptionnel ? Rien du tout ! Même les
collecteurs d’impôts en font autant. Agissez plutôt gratuitement, à la manière
de Dieu, alors vous serez vraiment fils et fille de Dieu… vous serez en
communion avec l’Esprit de Dieu (cf. Mt 5, 43-48 ; Lc 14, 12-14).
C’est en
substance ce qu’affirme Jésus : il nous appelle à ouvrir, à élargir nos
comportements altruiste à tout être humain, sans distinction, sans séparation.
* En conclusion,
chers amis, ce que nous redit notre passage biblique aujourd’hui, c’est qu’il
est possible pour chacun de nous, et pour notre église, pour les associations auxquelles
nous appartenons, pour notre pays et même pour l’humanité, d’élargir et
d’élever notre niveau de conscience, au point de comprendre que nous sommes
tous liés, tous unis comme frères et sœurs en humanité, comme créatures et enfants
de Dieu.
Tout commence
par nous… par notre conscience, notre manière de voir la vie, notre mentalité
et nos comportements.
Si nous voulons
que les choses changent, nous pouvons commencer par les changer dans notre
propre monde, à notre niveau, là où nous sommes, en nous mettant à l’écoute de
l’Évangile.
La conscience de
la séparation, de la distinction, de la ségrégation, de la supériorité, celle
du « nous » contre « les autres » : voilà ce qui crée
les tensions, les conflits et la misère.
Au contraire, la
conscience de la divine fraternité, de l’unité avec les autres et avec Dieu, la
conscience du Un, du « nous » plutôt que du « mien », voilà
ce qui crée l’expérience de la communion en Christ.
A chaque
instant, nous pouvons choisir l’amour, plutôt que l’indifférence ou la peur de
perdre.
Amen.
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