lundi 12 décembre 2016

Entrer dans la conscience de Dieu

Entrer dans la conscience de Dieu

Lectures bibliques : Mt 3, 1-6 ; Mt 5, 3-10 ; Mc 10, 17-23
Thématique : se convertir pour adopter une nouvelle conscience d’être
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 11/12/16

* Vous l’avez peut-être remarqué : le début de l’évangile est marqué par un appel à la « conversion ». Aussi bien Jean Baptiste que Jésus appellent leurs interlocuteurs à se convertir (cf. Mt 3,2 ; 4,17 ; Mc 1,1-15), à changer de chemin, à modifier leur façon de voir et leur comportement, pour emprunter une route nouvelle, pour marcher avec Dieu.

Le mot « conversion », en hébreu, désigne habituellement un retournement, un demi-tour, pour prendre une nouvelle direction. En grec, il signifie une transformation, une métamorphose à opérer.
Quoi qu’il en soit, c’est l’idée d’un changement profond qui reste à vivre, pour s’inscrire dans un nouveau chemin, dans une nouvelle manière de voir la vie.
L’objectif pour Jésus, c’est d’accueillir le Royaume de Dieu (Mc 10,15), d’entrer dans le règne de Dieu (Mc 10,23-24 ; voir aussi Mt 7,21 ; 18,3 ; 19,23).

Il est peut-être difficile pour nous, à 2000 ans de distance, de percevoir ce que Jésus veut dire exactement quand il appelle ses disciples à « entrer dans le royaume de Dieu » (ou royaume des cieux) : Qu’est-ce que ça signifie ?

Il me semble que nous pourrions essayer de le transcrire ou de le traduire en langage contemporain, en disant qu’il s’agit d’entrer dans une nouvelle mentalité, d’entrer dans la conscience de Dieu, c’est-à-dire dans la manière de voir, de penser et d’agir qui correspond à celle de Dieu.

Il s’agirait, en quelque sorte, de lâcher toutes nos habitudes humaines, toutes nos manières traditionnelles de voir la vie et les relations humaines, pour élever notre niveau de conscience, dans une vue plus large, jusqu’à une dimension spirituelle.
Il s’agirait d’adopter une nouvelle façon d’envisager l’existence, qui soit complétement différente. Car, voir la vie et les autres êtres humains, à la manière de Dieu, c’est les voir avec les lunettes de l’amour inconditionnel, c’est les regarder avec « Grâce », avec la grâce d’un Père ou d’une Mère, toujours bon, bienveillant et compatissant à l’égard de chacun de ses enfants.

La première chose à changer, pour entrer dans cette nouvelle conscience, concerne notre manière de considérer un certain nombre de questions existentielles : en premier lieu, nos désirs, nos motivations, ce qui nous fait avancer… donc, notre manière de penser le Bonheur et le Salut.

En effet, nous courons tous après le bonheur. Nous voulons tous être sauvés. Mais, qu’est-ce que ça veut dire pour nous « être heureux », quelle est notre vision, notre conception du bonheur ?

Dans notre société actuelle, très matérialiste, le bonheur est avant tout lié aux satisfactions terrestres, physiques et biologiques. Le bonheur, c’est d’abord prendre du plaisir, c’est vivre dans un certain bien-être, un confort, c’est profiter de tout ce qu’on peut obtenir grâce à notre pouvoir d’achat, grâce à notre travail, notre argent, nos biens ou notre capital.

Bien sûr, les plaisirs de la vie peuvent être nombreux et variés. Et ils sont réellement agréables. Mais ne confondons-nous pas « plaisir » et « bonheur » ?

De même, « le salut » au sens de ce qui peut nous sauver d’une situation difficile ou mortifère, de la pauvreté, de la misère, et surtout des nombreux soucis de la vie quotidienne, est aussi lié – dans notre esprit – à nos capacités et ressources matérielles :
C’est l’argent qui nous permet de nous sortir des situations difficiles et de pouvoir parer aux incertitudes de demain.
Ce sont les fruits de notre travail, de nos biens, de notre influence sociale, de tout ce que nous avons ou possédons, qui représentent pour nous une forme de sécurité pour envisager l’avenir sereinement.
Nous pensons donc le salut en termes d’avoir et de pouvoir : C’est ce après quoi nous courons durant une grande partie de notre vie (jusqu’à la retraite).

Le problème, c’est que, pour Jésus, tout cela n’est pas suffisant, et constitue même une forme d’illusion ou – disons-le – une forme d’esclavage… car, c’est souvent la peur (peur de manquer, peur de perdre, peur du lendemain) et la convoitise (la soif d’avoir et de posséder) qui guident nos désirs.

Or, tout cela ne répond pas pleinement à qui nous sommes réellement, à notre véritable identité.
Nous devrions prendre en compte toutes les dimensions de notre être et de notre vie : pas seulement les besoins ou les désirs de notre corps.

L’être humain est un être multidimensionnel, à la fois corps, esprit et âme.
Il est donc inefficace et vain de ne courir qu’après des satisfactions matérielles et des sécurités terrestres, car nous oublions – à tort – le reste, à savoir que nous avons aussi un esprit à nourrir et une âme à écouter.

En réalité, si toutes nos attentions et nos désirs ne sont concentrés que sur les préoccupations matérielles, nous risquons d’être des éternels insatisfaits :
Non seulement, nous risquons de tout perdre un jour ou l’autre, car l’avoir et le pouvoir sont des choses éphémères et périssables. Mais, nous risquons aussi de nous tromper de quête, d’objectif, et même de devenir « égoïstes » (sans le vouloir), car le salut par plus d’avoir et de pouvoir est un type de salut fondé sur le « chacun pour soi ».

Dans cette façon de penser ancestrale, chacun doit faire sa place, travailler pour lui-même et mériter sa part. Ce n’est donc pas un salut universel, mais un salut individualiste, fondé sur la concurrence et la rivalité. Et ce qui est absurde, c’est de penser que cette lutte pour plus de gains s’achèvera de toute façon à la tombe, car la mort y mettra un terme, avec la sortie de la matérialité.

On voit donc que Jésus nous propose fondamentalement une toute autre manière de voir les choses. Il nous invite à réorienter notre désir de façon différente.
Cela nous le découvrons, par exemple, dans les Béatitudes.

* De façon paradoxale, Jésus y affirme que le véritable bonheur ne dépend pas des conditions extérieures, mais de notre intériorité.
Il est lié à notre communion avec Dieu, qui est Force d’amour, de paix et de lumière.
Pour Jésus, le bonheur est lié à la paix intérieure qu’on trouve en Dieu… en essayant de vivre selon Dieu, une vie juste et bonne.

Jésus va même plus loin, en disant que les conditions extérieures ont peu d’importance… qu’elles peuvent même être mauvaises… ou opposées au programme du bonheur couramment admis par la société – qu’on peut se retrouver pauvre, attristé ou persécuté pour la justice, donc qu’on peut connaître des situations éprouvantes, défavorables ou malheureuses – mais ce qui compte c’est le bonheur qu’on trouve dans la paix intérieure, car rien ne peut entamer le bonheur de vivre en communion avec Dieu, de penser et d’agir à la manière de Dieu, dans la bonté, le pardon, la paix et la justice.

Alors, peu importe que nous soyons reconnus et considérés des gens (ou pas), que nous soyons (ou non) dans le bien-être matériel, ce qui compte c’est ce qui satisfait véritablement notre esprit, ce qui rend paisible notre âme, à savoir une paix intérieure, obtenue par/dans la prise en compte de notre dimension spirituelle et relationnelle, dans la communion avec Dieu et avec les autres.

Si nous essayons d’intégrer cette manière de voir de Jésus – qui nous appelle à nous détacher des préoccupations matérielles et biologiques, auxquelles nous consacrons la plupart de notre énergie et de notre temps, pour réorienter notre désir vers l’intériorité – nous devons aussi en comprendre les conséquences tout à fait concrètes :

En effet, si le vrai bonheur n’est pas lié au monde extérieur, mais à notre monde intérieur, du coup, nous n’avons plus besoin – par nécessité – de courir sans cesse après plus d’avoir et de pouvoir… du coup, nous n’avons plus besoin d’arracher pour nous-mêmes le maximum de biens, puisque le bonheur n’est pas dans la possession ni l’accumulation… du coup, nous ne sommes plus dans la rivalité ou la concurrence avec autrui… du coup, nous pouvons plus facilement partager.
Nous pouvons même découvrir le bonheur qu’il y a à partager plutôt qu’à posséder (cf. Ac 20,35).

Autrement dit, la redéfinition du bonheur proposée par Jésus rend possible un bonheur et un salut universels… pour tous. [1]

* Dès lors, nous comprenons très bien la raison pour laquelle Jésus invite le jeune homme riche à vendre tout ce qu’il a, à le partager et à le suivre :

Il l’appelle à lâcher toutes ses fausses sécurités, ses illusions de bonheur qui l’empêche d’ouvrir son esprit à autre chose et d’ouvrir les mains pour partager… Il l’invite à ne plus passer tout son temps à gérer ses biens, à se préoccuper du matériel… pour entrer enfin dans le monde de l’intériorité, pour apprendre à faire confiance à Dieu, pour entrer dans une autre dimension de la vie.

Bien sûr, le problème du jeune homme riche n’est pas la richesse en elle-même. Ce n’est pas l’argent qui constitue un obstacle à l’entrée dans le royaume de Dieu. C’est le fait d’être centré sur cette seule préoccupation.
Le riche doit s’occuper de ses biens avec attention, gérer dans le temps son patrimoine. Du coup, le matériel risque de prendre toute la place dans son existence : ce qui devrait être un moyen peut devenir une finalité (un but). Sa richesse risque de devenir son « dieu ». Et là où est son trésor, là aussi sera son cœur (cf. Mt 6, 21. 24).

Je crois que nous devrions envisager sérieusement les propos de Jésus, car il me semble que le Christ, aussi bien dans le paradoxe des béatitudes, que dans son dialogue avec le jeune homme riche, met à nu un certain nombre de nos illusions.

* Il faut l’avouer : beaucoup de nos contemporains croient aujourd’hui encore que le bonheur est lié à ce que nous possédons. C’est la raison pour laquelle les personnes les plus riches ne veulent rien lâcher. Puisque leur bonheur en dépend, non seulement, ils luttent pour ne rien perdre, mais, plus encore, ils en veulent davantage.
Nous en avons bien des exemples à travers des grands patrons, des opérateurs financiers ou des sportifs de haut niveau, qui gagnent des sommes colossales et qui en veulent toujours plus. C’est cette soif qui conduit parfois aussi des personnes à sombrer dans la corruption, la dissimulation ou la fraude.

Mais les choses se compliquent, car, de l’autre côté, les moins fortunés, les plus pauvres, eux aussi, ne rêvent que d’une chose : devenir riche, pour être enfin heureux.
Et c’est la raison pour laquelle – chacun voulant une part du gâteau – ce type de pensée crée la rivalité, la concurrence, les conflits et les guerres entre les humains, les peuples ou les nations, car chacun court après un bonheur dépendant des conditions extérieures : de l’avoir ou du pouvoir.

Nous pouvons en faire le constat autour de nous : cet état d’esprit habituel (et disons-le primitif) fait que personne n’est prêt à abandonner ou céder quoi que ce soit, puisque chacun croit que son bonheur en dépend personnellement.

La seule solution qui existe pour sortir de ce modèle, qui montre toutes ses limites à travers les misères, les injustices et les malheurs du monde actuel, c’est d’emprunter une nouvelle voie. C’est ce que propose Jésus. Et il s’agit d’une solution spirituelle.

En définitive, tous les problèmes – les problèmes personnels de rivalité entre concurrents, avec son voisin ou avec sa famille, de même que les problèmes géopolitiques entre nations – se réduisent à une question spirituelle, puisque la vie est spirituelle.
Ils trouveront leur solution dans un changement d’état de conscience, avec des solutions spirituelles.

Si nous analysons les tensions entre humains ou entre nations, nous voyons bien que des conflits naissent, des guerres éclatent, parce que quelqu’un détient quelque chose que quelqu’un d’autre désire (c’est ce qui se passe entre l’Ukraine et la Russie ; entre Israël et ses voisins ; entre la Syrie et l’état islamique… mais aussi dans les familles, à l’occasion d’un héritage.)
C’est ce qui pousse quelqu’un à faire quelque chose que quelqu’un d’autre ne voudrait pas qu’il fasse.

Tout conflit surgit ainsi d’un désir mal placé.

La solution proposée par Jésus, c’est de reconfigurer notre désir :

Le vrai bonheur vient de notre monde intérieur, de notre relation avec Dieu. 
La seule paix au monde qui soit nourrissante est la paix intérieure.
Que chacun cherche et trouve la paix en lui-même. Il découvrira peu à peu qu’il n’a pas besoin de toutes les choses du monde extérieur pour goûter à la sérénité et au bonheur. Il prendra conscience qu’un certain nombre de ses besoins étaient fictifs, conditionnés par la société.
Dépourvus de ses besoins illusoires, il accédera alors à une plus grande liberté.

C’est en cela que la foi nous rend libres. La confiance en Dieu nous ouvre les yeux et nous donne une conscience plus élevée de la réalité. En fait, la foi nous délivre de la crainte, elle nous libère de toutes nos peurs et met à nu toutes nos illusions.

* Pour conclure, je voudrais vous confier les paroles d’un théologien qui parle de la paix intérieure qu’on trouve en Dieu.
Je ne vais pas lire le texte maintenant, mais je vous laisse le lire plus tard, comme une méditation qui peut nous faire avancer et qui nous aide à comprendre le sens profond des Béatitudes proclamées par Jésus [= voir texte, ci-dessous]

Pour conclure, donc, on peut essayer de définir ce que signifie l’expression « entrer dans le Royaume de Dieu » :
Cela veut dire entrer dans une nouvelle manière d’envisager la réalité, entrer dans la conscience de Dieu, c’est-à-dire dans un espace de paix, où Dieu règne en nous et où nous adoptons une nouvelle mentalité, une nouvelle manière de voir la vie et les autres, telle que Dieu la voit et nous voit : dans l’amour.

C’est cela se convertir : c’est changer de regard… pour regarder chaque personne et chaque situation avec amour.

Amen.


Texte proposé à la méditation :

« La seule paix au monde qui soit nourrissante est la paix intérieure. […]
[Lorsque vous la trouverez en vous-mêmes, vous découvrirez que vous n’avez pas besoin de toutes les choses du monde extérieur. Cela vous procurera une grande liberté.]

Cela vous libère d'abord de la peur, celle de ne pas avoir quelque chose, de perdre quelque chose, et de ne pas être heureux sans telle chose en particulier.
Puis, cela vous lib­re de la colère. La colère est l'annonce de la peur. Lorsque vous n'avez rien à craindre, vous n'avez rien contre quoi vous mettre en colère.
Vous n'êtes pas en colère lorsque vous n'obtenez pas ce que vous voulez, puisque le fait de le vouloir n'était qu'une préférence [un choix possible, une option], non une nécessité. Par conséquent, vo­s n'avez aucune crainte associée à la possibilité de ne pas l'obt­enir. Vous ne ressentez aucune colère lors­que vous voyez d'autres individus faire ce que vous ne voulez pas qu'ils fassent, car vous n'avez pas besoin qu'ils fassent ou non une chose en particulier.
Vous n'êtes pas en colère lorsque quelqu'un manque de gentille­sse, car vous n'avez pas besoin qu'il soit gentil. Vous n'avez aucune colère lorsque quelqu'un est peu affectueux, car vous n'avez pas besoin qu'il vous aime. Vous n'avez aucune colère lorsque quelqu'un est cruel ou blessant, ou qu'il cherche à vous nuire, car vous n'avez pas besoin qu'il se comporte d'une autre façon et vous êtes certain de ne pas subir de tort.
Vous n'êtes même pas en colère si quelqu'un cherche à s'en prendre à votre vie, car vous ne craignez pas la mort. Lorsque la peur vous est enlevée, tout le reste peut l'être et vous ne serez pas en colère.
Vous savez intérieurement, intuitivement que tout ce que vous avez créé peut l'être de nouveau ou, mieux encore, que c'est sans importance.
Lorsque vous trouvez la paix intérieure, ni la présence, ou l'absence, de quelque personne, chose, circonstance ou situation, de quelque endroit ou état que ce soit ne peut être le Créateur de votre état d'esprit ou la cause de votre expérience d'être.
Cela ne veut pas dire que vous rejetez toutes les choses du corps. Loin de là. Plus que jamais, vous faites l'expérience d'être pleinement dans votre corps, de goûter les délices de cet état.
Mais votre préoccupation pour les choses du corps sera volontaire, et non obligatoire. Vous éprouverez des sensations corporelles par choix, non parce que vous serez obligé de le faire afin d'être heureux ou de justifier votre tristesse.

Ce simple et unique changement, chercher et trouver la paix en soi [avec Dieu], pourrait, s'il était entrepris par chacun, mettre fin à toutes les guerres, éliminer les conflits, prévenir l'injustice et conduire le monde vers une paix durable.
Aucune autre formule n'est nécessaire, ou possible. La paix mondiale est une chose personnelle! Ce qu'il faut, ce n'est pas un changement de circonstances, mais un changement de conscience. »




[1] Là où la promesse du bonheur occidental et capitaliste était fondée sur le « chacun pour soi », la rivalité et le confit entre les hommes ou les peuples, pour arracher les conditions du bien-être, le bonheur proposé par Jésus ne dépend plus du matériel, mais de ce qui se joue dans les dimensions relationnelles et spirituelles de notre être. C’est un nouvel état d’esprit qui rend possible et même souhaitable le partage, puisque le bonheur en soi et avec Dieu  est lié à l’amour et à la justice.
« Entrer dans le royaume de Dieu », c’est donc, pour Jésus, entrer dans un nouvel état d’esprit, une nouvelle mentalité. C’est entrer dans le monde intérieur de la relation avec Dieu, entrer dans un nouvel état de conscience quant à la vie, aux choses et aux êtres, à commencer par notre définition du bonheur et du salut.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire