Entrer dans la conscience
de Dieu
Lectures bibliques : Mt 3,
1-6 ; Mt 5, 3-10 ; Mc 10, 17-23
Thématique :
se convertir pour adopter une nouvelle conscience d’être
Prédication de
Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 11/12/16
* Vous l’avez
peut-être remarqué : le début de l’évangile est marqué par un appel à la « conversion ».
Aussi bien Jean Baptiste que Jésus appellent leurs interlocuteurs à se
convertir (cf. Mt 3,2 ; 4,17 ; Mc 1,1-15), à changer de chemin, à
modifier leur façon de voir et leur comportement, pour emprunter une route
nouvelle, pour marcher avec Dieu.
Le mot « conversion »,
en hébreu, désigne habituellement un retournement, un demi-tour, pour prendre
une nouvelle direction. En grec, il signifie une transformation, une
métamorphose à opérer.
Quoi qu’il en
soit, c’est l’idée d’un changement profond qui reste à vivre, pour s’inscrire
dans un nouveau chemin, dans une nouvelle manière de voir la vie.
L’objectif pour
Jésus, c’est d’accueillir le Royaume de Dieu (Mc 10,15), d’entrer dans le règne
de Dieu (Mc 10,23-24 ; voir aussi Mt 7,21 ; 18,3 ; 19,23).
Il est peut-être
difficile pour nous, à 2000 ans de distance, de percevoir ce que Jésus veut
dire exactement quand il appelle ses disciples à « entrer dans le
royaume de Dieu » (ou royaume des cieux) : Qu’est-ce que ça signifie ?
Il me semble que
nous pourrions essayer de le transcrire ou de le traduire en langage
contemporain, en disant qu’il s’agit d’entrer dans une nouvelle mentalité, d’entrer dans la conscience de Dieu, c’est-à-dire
dans la manière de voir, de penser et d’agir qui correspond à celle de Dieu.
Il s’agirait, en
quelque sorte, de lâcher toutes nos habitudes humaines, toutes nos manières
traditionnelles de voir la vie et les relations humaines, pour élever notre
niveau de conscience, dans une vue plus large, jusqu’à une dimension
spirituelle.
Il s’agirait d’adopter
une nouvelle façon d’envisager l’existence, qui soit complétement différente. Car,
voir la vie et les autres êtres humains, à la manière de Dieu, c’est les voir
avec les lunettes de l’amour inconditionnel, c’est les regarder avec « Grâce »,
avec la grâce d’un Père ou d’une Mère, toujours bon, bienveillant et
compatissant à l’égard de chacun de ses enfants.
La première
chose à changer, pour entrer dans cette nouvelle conscience, concerne notre
manière de considérer un certain nombre de questions existentielles : en
premier lieu, nos désirs, nos motivations, ce qui nous fait avancer… donc, notre
manière de penser le Bonheur et le Salut.
En effet, nous
courons tous après le bonheur. Nous voulons tous être sauvés. Mais, qu’est-ce
que ça veut dire pour nous « être heureux », quelle est notre vision,
notre conception du bonheur ?
Dans notre
société actuelle, très matérialiste, le bonheur est avant tout lié aux
satisfactions terrestres, physiques et biologiques. Le bonheur, c’est d’abord prendre
du plaisir, c’est vivre dans un certain bien-être, un confort, c’est profiter
de tout ce qu’on peut obtenir grâce à notre pouvoir d’achat, grâce à notre
travail, notre argent, nos biens ou notre capital.
Bien sûr, les
plaisirs de la vie peuvent être nombreux et variés. Et ils sont réellement
agréables. Mais ne confondons-nous pas « plaisir » et
« bonheur » ?
De même,
« le salut » au sens de ce qui peut nous sauver d’une situation
difficile ou mortifère, de la pauvreté, de la misère, et surtout des nombreux
soucis de la vie quotidienne, est aussi lié – dans notre esprit – à nos capacités
et ressources matérielles :
C’est l’argent
qui nous permet de nous sortir des situations difficiles et de pouvoir parer
aux incertitudes de demain.
Ce sont les
fruits de notre travail, de nos biens, de notre influence sociale, de tout ce
que nous avons ou possédons, qui représentent pour nous une forme de sécurité
pour envisager l’avenir sereinement.
Nous pensons
donc le salut en termes d’avoir et de pouvoir : C’est ce après quoi nous
courons durant une grande partie de notre vie (jusqu’à la retraite).
Le problème,
c’est que, pour Jésus, tout cela n’est pas suffisant, et constitue même une
forme d’illusion ou – disons-le – une forme d’esclavage… car, c’est souvent la
peur (peur de manquer, peur de perdre, peur du lendemain) et la convoitise (la
soif d’avoir et de posséder) qui guident nos désirs.
Or, tout cela ne
répond pas pleinement à qui nous
sommes réellement, à notre véritable identité.
Nous devrions
prendre en compte toutes les dimensions de notre être et de notre vie : pas
seulement les besoins ou les désirs de notre corps.
L’être humain
est un être multidimensionnel, à la fois corps, esprit et âme.
Il est donc
inefficace et vain de ne courir qu’après des satisfactions matérielles et des
sécurités terrestres, car nous oublions – à tort – le reste, à savoir que nous
avons aussi un esprit à nourrir et une âme à écouter.
En réalité, si
toutes nos attentions et nos désirs ne sont concentrés que sur les
préoccupations matérielles, nous risquons d’être des éternels
insatisfaits :
Non seulement,
nous risquons de tout perdre un jour ou l’autre, car l’avoir et le pouvoir sont
des choses éphémères et périssables. Mais, nous risquons aussi de nous tromper
de quête, d’objectif, et même de devenir « égoïstes » (sans le
vouloir), car le salut par plus d’avoir et de pouvoir est un type de salut
fondé sur le « chacun pour soi ».
Dans cette façon
de penser ancestrale, chacun doit faire sa place, travailler pour lui-même et
mériter sa part. Ce n’est donc pas un salut universel, mais un salut
individualiste, fondé sur la concurrence et la rivalité. Et ce qui est absurde,
c’est de penser que cette lutte pour plus de gains s’achèvera de toute façon à
la tombe, car la mort y mettra un terme, avec la sortie de la matérialité.
On voit donc que
Jésus nous propose fondamentalement une toute autre manière de voir les choses.
Il nous invite à réorienter notre désir de façon différente.
Cela nous le
découvrons, par exemple, dans les
Béatitudes.
* De façon
paradoxale, Jésus y affirme que le véritable bonheur ne dépend pas des
conditions extérieures, mais de notre intériorité.
Il est lié à
notre communion avec Dieu, qui est Force d’amour, de paix et de lumière.
Pour Jésus, le
bonheur est lié à la paix intérieure qu’on trouve en Dieu… en essayant de vivre
selon Dieu, une vie juste et bonne.
Jésus va même
plus loin, en disant que les conditions extérieures ont peu d’importance…
qu’elles peuvent même être mauvaises… ou opposées au programme du bonheur couramment
admis par la société – qu’on peut se retrouver pauvre, attristé ou persécuté
pour la justice, donc qu’on peut connaître des situations éprouvantes,
défavorables ou malheureuses – mais ce qui compte c’est le bonheur qu’on trouve
dans la paix intérieure, car rien ne peut entamer le bonheur de vivre en
communion avec Dieu, de penser et d’agir à la manière de Dieu, dans la bonté,
le pardon, la paix et la justice.
Alors, peu
importe que nous soyons reconnus et considérés des gens (ou pas), que nous
soyons (ou non) dans le bien-être matériel, ce qui compte c’est ce qui
satisfait véritablement notre esprit, ce qui rend paisible notre âme, à savoir
une paix intérieure, obtenue par/dans la prise en compte de notre dimension
spirituelle et relationnelle, dans la communion avec Dieu et avec les autres.
Si nous essayons
d’intégrer cette manière de voir de Jésus – qui nous appelle à nous détacher
des préoccupations matérielles et biologiques, auxquelles nous consacrons la
plupart de notre énergie et de notre temps, pour réorienter notre désir vers
l’intériorité – nous devons aussi en comprendre les conséquences tout à fait
concrètes :
En effet, si le
vrai bonheur n’est pas lié au monde extérieur, mais à notre monde intérieur, du
coup, nous n’avons plus besoin – par nécessité – de courir sans cesse après
plus d’avoir et de pouvoir… du coup, nous n’avons plus besoin d’arracher pour
nous-mêmes le maximum de biens, puisque le bonheur n’est pas dans la possession
ni l’accumulation… du coup, nous ne sommes plus dans la rivalité ou la
concurrence avec autrui… du coup, nous pouvons plus facilement partager.
Nous pouvons
même découvrir le bonheur qu’il y a à partager plutôt qu’à posséder (cf. Ac
20,35).
Autrement dit,
la redéfinition du bonheur proposée par Jésus rend possible un bonheur et un
salut universels… pour tous. [1]
* Dès lors, nous
comprenons très bien la raison pour laquelle Jésus invite le jeune homme riche à vendre tout ce qu’il a, à le partager et à
le suivre :
Il l’appelle à
lâcher toutes ses fausses sécurités, ses illusions de bonheur qui l’empêche
d’ouvrir son esprit à autre chose et d’ouvrir les mains pour partager… Il
l’invite à ne plus passer tout son temps à gérer ses biens, à se préoccuper du
matériel… pour entrer enfin dans le monde de l’intériorité, pour apprendre à
faire confiance à Dieu, pour entrer dans une autre dimension de la vie.
Bien sûr, le
problème du jeune homme riche n’est pas la richesse en elle-même. Ce n’est pas
l’argent qui constitue un obstacle à l’entrée dans le royaume de Dieu. C’est le
fait d’être centré sur cette seule préoccupation.
Le riche doit
s’occuper de ses biens avec attention, gérer dans le temps son patrimoine. Du
coup, le matériel risque de prendre toute la place dans son existence : ce
qui devrait être un moyen peut devenir une finalité (un but). Sa richesse
risque de devenir son « dieu ». Et là où est son trésor, là aussi
sera son cœur (cf. Mt 6, 21. 24).
Je crois que
nous devrions envisager sérieusement les propos de Jésus, car il me semble que
le Christ, aussi bien dans le paradoxe des béatitudes, que dans son dialogue
avec le jeune homme riche, met à nu un certain nombre de nos illusions.
* Il faut
l’avouer : beaucoup de nos contemporains croient aujourd’hui encore que le
bonheur est lié à ce que nous possédons. C’est la raison pour laquelle les personnes
les plus riches ne veulent rien lâcher. Puisque leur bonheur en dépend, non
seulement, ils luttent pour ne rien perdre, mais, plus encore, ils en veulent
davantage.
Nous en avons
bien des exemples à travers des grands patrons, des opérateurs financiers ou
des sportifs de haut niveau, qui gagnent des sommes colossales et qui en
veulent toujours plus. C’est cette soif qui conduit parfois aussi des personnes
à sombrer dans la corruption, la dissimulation ou la fraude.
Mais les choses
se compliquent, car, de l’autre côté, les moins fortunés, les plus pauvres, eux
aussi, ne rêvent que d’une chose : devenir riche, pour être enfin heureux.
Et c’est la
raison pour laquelle – chacun voulant une part du gâteau – ce type de pensée
crée la rivalité, la concurrence, les conflits et les guerres entre les
humains, les peuples ou les nations, car chacun court après un bonheur
dépendant des conditions extérieures : de l’avoir ou du pouvoir.
Nous pouvons en
faire le constat autour de nous : cet état d’esprit habituel (et disons-le
primitif) fait que personne n’est prêt à abandonner ou céder quoi que ce soit,
puisque chacun croit que son bonheur en dépend personnellement.
La seule
solution qui existe pour sortir de ce modèle, qui montre toutes ses limites à
travers les misères, les injustices et les malheurs du monde actuel, c’est
d’emprunter une nouvelle voie. C’est ce que propose Jésus. Et il s’agit d’une solution spirituelle.
En définitive,
tous les problèmes – les problèmes personnels de rivalité entre concurrents,
avec son voisin ou avec sa famille, de même que les problèmes géopolitiques
entre nations – se réduisent à une question spirituelle, puisque la vie est
spirituelle.
Ils trouveront
leur solution dans un changement d’état
de conscience, avec des solutions spirituelles.
Si nous
analysons les tensions entre humains ou entre nations, nous voyons bien que des
conflits naissent, des guerres éclatent, parce que quelqu’un détient quelque
chose que quelqu’un d’autre désire (c’est ce qui se passe entre l’Ukraine et la
Russie ; entre Israël et ses voisins ; entre la Syrie et l’état
islamique… mais aussi dans les familles, à l’occasion d’un héritage.)
C’est ce qui
pousse quelqu’un à faire quelque chose que quelqu’un d’autre ne voudrait pas
qu’il fasse.
Tout conflit
surgit ainsi d’un désir mal placé.
La solution
proposée par Jésus, c’est de
reconfigurer notre désir :
Le vrai bonheur vient
de notre monde intérieur, de notre relation avec Dieu.
La seule paix au
monde qui soit nourrissante est la paix
intérieure.
Que chacun cherche
et trouve la paix en lui-même. Il découvrira peu à peu qu’il n’a pas besoin de
toutes les choses du monde extérieur pour goûter à la sérénité et au bonheur. Il
prendra conscience qu’un certain nombre de ses besoins étaient fictifs,
conditionnés par la société.
Dépourvus de ses
besoins illusoires, il accédera alors à une plus grande liberté.
C’est en cela
que la foi nous rend libres. La
confiance en Dieu nous ouvre les yeux et nous donne une conscience plus élevée
de la réalité. En fait, la foi nous délivre de la crainte, elle nous libère de
toutes nos peurs et met à nu toutes nos illusions.
* Pour conclure,
je voudrais vous confier les paroles d’un théologien qui parle de la paix
intérieure qu’on trouve en Dieu.
Je ne vais pas
lire le texte maintenant, mais je vous laisse le lire plus tard, comme une
méditation qui peut nous faire avancer et qui nous aide à comprendre le sens profond
des Béatitudes proclamées par Jésus [= voir texte, ci-dessous]
Pour conclure,
donc, on peut essayer de définir ce que signifie l’expression « entrer
dans le Royaume de Dieu » :
Cela veut dire entrer
dans une nouvelle manière d’envisager la réalité, entrer dans la conscience de Dieu, c’est-à-dire dans un espace de
paix, où Dieu règne en nous et où nous adoptons une nouvelle mentalité, une
nouvelle manière de voir la vie et les autres, telle que Dieu la voit et nous
voit : dans l’amour.
C’est cela se
convertir : c’est changer de regard… pour regarder chaque personne et
chaque situation avec amour.
Amen.
Texte
proposé à la méditation :
« La seule paix au monde qui soit
nourrissante est la paix intérieure. […]
[Lorsque vous la trouverez en vous-mêmes,
vous découvrirez que vous n’avez pas besoin de toutes les choses du monde
extérieur. Cela vous procurera une grande liberté.]
Cela vous libère d'abord de
la peur, celle de ne pas avoir quelque chose, de perdre quelque chose, et de ne
pas être heureux sans telle chose en particulier.
Puis, cela vous libre de la
colère. La colère est l'annonce de la
peur. Lorsque vous n'avez rien à craindre, vous n'avez rien contre quoi
vous mettre en colère.
Vous n'êtes pas en colère
lorsque vous n'obtenez pas ce que vous voulez, puisque le fait de le vouloir
n'était qu'une préférence [un choix possible, une option], non une nécessité.
Par conséquent, vos n'avez aucune crainte associée à la possibilité de ne pas
l'obtenir. Vous ne ressentez aucune colère lorsque vous voyez d'autres
individus faire ce que vous ne voulez pas qu'ils fassent, car vous n'avez pas besoin qu'ils fassent ou non une chose
en particulier.
Vous n'êtes pas en colère
lorsque quelqu'un manque de gentillesse, car vous n'avez pas besoin qu'il soit gentil. Vous n'avez
aucune colère lorsque quelqu'un est peu affectueux, car vous n'avez pas besoin qu'il vous aime. Vous n'avez
aucune colère lorsque quelqu'un est cruel ou blessant, ou qu'il cherche à vous
nuire, car vous n'avez pas besoin
qu'il se comporte d'une autre façon et vous êtes certain de ne pas subir de
tort.
Vous n'êtes même pas en
colère si quelqu'un cherche à s'en prendre à votre vie, car vous ne craignez
pas la mort. Lorsque la peur vous est enlevée, tout le reste peut l'être et
vous ne serez pas en colère.
Vous savez intérieurement,
intuitivement que tout ce que vous avez créé peut l'être de nouveau ou, mieux
encore, que c'est sans importance.
Lorsque vous trouvez la paix
intérieure, ni la présence, ou l'absence, de quelque personne, chose,
circonstance ou situation, de quelque endroit ou état que ce soit ne peut être
le Créateur de votre état d'esprit ou la cause de votre expérience d'être.
Cela ne veut pas dire que
vous rejetez toutes les choses du corps. Loin de là. Plus que jamais, vous
faites l'expérience d'être pleinement dans votre corps, de goûter les délices de cet état.
Mais votre préoccupation pour
les choses du corps sera volontaire, et non obligatoire. Vous éprouverez des
sensations corporelles par choix, non parce que vous serez obligé de le faire afin d'être heureux ou de justifier votre
tristesse.
Ce simple et unique
changement, chercher et trouver la paix en soi [avec Dieu], pourrait, s'il
était entrepris par chacun, mettre fin à toutes les guerres, éliminer les
conflits, prévenir l'injustice et conduire le monde vers une paix durable.
Aucune autre formule n'est
nécessaire, ou possible. La paix
mondiale est une chose personnelle! Ce qu'il faut, ce n'est pas un changement
de circonstances, mais un changement de conscience. »
[1] Là où la promesse du bonheur occidental
et capitaliste était fondée sur le « chacun pour soi », la rivalité
et le confit entre les hommes ou les peuples, pour arracher les conditions du
bien-être, le bonheur proposé par Jésus ne dépend plus du matériel, mais de ce
qui se joue dans les dimensions relationnelles et spirituelles de notre être.
C’est un nouvel état d’esprit qui rend possible et même souhaitable le partage,
puisque le bonheur en soi et avec Dieu
est lié à l’amour et à la justice.
« Entrer
dans le royaume de Dieu », c’est donc, pour Jésus, entrer dans un nouvel
état d’esprit, une nouvelle mentalité. C’est entrer dans le monde intérieur de
la relation avec Dieu, entrer dans un nouvel état de conscience quant à la vie,
aux choses et aux êtres, à commencer par notre définition du bonheur et du
salut.
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