dimanche 22 février 2015

Mt 17, 1-9 - la transfiguration

La Transfiguration - Mt 17, 1-9
Lecture biblique : Mt 16,27 – 17,13.
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 22/02/15

On est toujours un peu gêné avec ce récit extraordinaire de la transfiguration qui nous raconte une expérience visionnaire plus qu’étonnante.

* Qu’est-ce que la transfiguration ?
Un événement qui raconte une transformation, une métamorphose du visage de Jésus.

Trois disciples, Pierre, Jacques et Jean suivent Jésus pour se mettre à l’écart. Ils vont sur une montagne pour prier (cf. Lc 9,28). Là, ils vivent une expérience spirituelle inouïe.
Ils voient le visage de Jésus changer. « Son visage resplendit comme le soleil ». Ses vêtements semblent éblouissants.
Ils accèdent tout d’un coup à une autre dimension de la vie. Le ciel descend sur terre ou plutôt la terre s’ouvre devant eux à la présence du ciel. Une porte vers un ailleurs s’entrouvre à travers le visage de Jésus et c’est la lumière qui surgit.

Les trois disciples voient le visage de Jésus s’illuminer. Il change d’apparence. Il discerne même à travers ce visage d’autres visages : celui de Moïse, puis celui d’Elie. Enfin, a posteriori, ils diront qu’il s’agissait sans doute de ces deux prophètes, car, bien évidemment, ils n’ont jamais rencontré les deux hommes qui vivaient des siècles plus tôt.

On a du mal à imaginer le choc que représente une telle expérience spirituelle : Une personne que vous connaissez, dont la physionomie change brusquement, dont l’expression prend un nouvel éclat, permettant de discerner la présence d’autres visages, comme si, à travers Jésus, le monde spirituel s’était tout d’un coup ouvert et révélé, comme si des personnages – des prophètes morts il y a des siècles – étaient toujours vivants dans un ailleurs, un au-delà, une autre dimension de la vie… et qu’ils s’étaient laissés voir, empruntant le visage d’un autre.

Le terme de « trans-figuration » pour parler de cet événement dit bien qu’il s’agit d’une vision à travers une figure, à travers un visage, qui donne accès, par une autre apparence, à une réalité supérieure et nouvelle. En grec, le verbe metamorphoô, comme en latin, le mot transfiguratio, signifie « métamorphose, transformation, changement de forme ».

A priori, tout cela peut nous sembler plutôt étrange, même hallucinant. Mais si les évangiles synoptiques parlent de cette expérience spirituelle extraordinaire des trois disciples, Pierre, Jacques et Jean, il n’y a pas de raison d’en douter.
On imagine qu’ils devaient être suffisamment perturbés après cet événement et qu’ils ont dû garder cela secret dans leur cœur un bon bout de temps. C’est sans doute bien plus tard qu’ils ont dû en parler, après la mort et la résurrection de Jésus, après les apparitions du ressuscité, qui ont redonné une espérance aux disciples, qui avaient lâché leur maître.

En général, quand quelqu’un vit une expérience hors du commun, une expérience de ce genre, totalement irrationnelle – cela arrive encore de nos jours, au 21e siècle – il n’en parle pas. Car il a peur de passer pour un fou… ou il a peur, tout court, il est lui-même effrayé… surtout s’il s’agit de visions de personnes décédées.

Si cet événement est raconté dans les évangiles, il a toutes les chances d’être authentique, car personne ne se vante de choses aussi incroyables, au risque de passer pour un être perturbé et dérangé aux yeux des plus rationalistes.

Il faut donc – à mon avis – accorder du crédit à cette vision, à cette expérience spirituelle des disciples. Mais il ne faut s’arrêter là. D’une part, il faut chercher ce qu’elle nous apprend, ce qu’elle traduit de la réalité de Dieu et du monde… et, d’autre part, ce qu’elle signifie. Quel sens lui donner ? L’évangéliste Matthieu répond à cette dernière question.

* Premier point, que nous apprend ce récit ?

Si cette expérience vécue par les trois disciples est réelle – et je ne vois pas de raison d’en douter – elle nous rappelle que le Dieu auquel nous croyons n’est pas seulement le Dieu de notre réalité quotidienne, de notre existence présente, ici et maintenant sur terre, dans notre dimension matérielle et immédiate, mais aussi le Dieu d’autres dimensions auxquelles nous n’avons pas accès : le Dieu de toutes les dimensions de l’être et de l’univers.

Ce récit de la transfiguration nous donne donc une ouverture formidable, une espérance inouïe. Il nous révèle que la réalité dépasse ce que nos yeux peuvent voir, ce que nous mains peuvent toucher et appréhender. Il existe d’autres réalités auxquelles nous n’avons pas accès de façon habituelle, à l’exception d’expériences spirituelles hors du commun.

Ceci veut dire que le Dieu en qui nous plaçons notre foi, notre confiance, n’est pas seulement le Dieu de notre monde, mais aussi le Dieu d’autres formes-lieux-espaces de vie, d’autres dimensions de la vie.
Et, du coup, ce passage biblique vient éclairer un autre texte où Jésus parle de la résurrection (cf. Mt 22,23-33). Dans un récit du chapitre 22 de l’évangile selon Matthieu, Jésus est interrogé au sujet de l’espérance ou non d’une vie après la mort. Il répond la chose suivante : « A la résurrection… on est comme des anges dans le ciel » (Mt 22,30)… autrement dit, comme des messagers, des êtres spirituels, des êtres de lumière…
« Pour ce qui est de la résurrection des morts, n’avez-vous pas lu la parole que Dieu vous a dite : je suis le Dieu d’Abraham, de Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob ? Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants » (Mt 22, 31s).
Cette réponse laisse entendre – si Dieu est le Dieu des vivants – qu’Abraham, Isaac et Jacob ne sont plus les morts dont les corps ont été inhumés pour redevenir poussières, mais des vivants dans une autre dimension de la vie, une autre dimension appartenant à l’éternité divine.

Le récit de la transfiguration est une porte ouverte sur cette autre dimension : A travers, le visage de Jésus, les disciples ont accès à la présence d’une autre réalité : Celle-ci leur permet de distinguer, tour à tour, les visages de deux prophètes morts depuis longtemps, mais pourtant vivants dans cet ailleurs, sous une autre forme qu’on pourrait appeler « spirituelle » ou « céleste ».

En d’autres termes, la transfiguration est une expérience « révélatoire » d’une autre dimension de la vie et de la résurrection. Il y a un après, un autrement, un au-delà de notre existence et les disciples ont entrevu quelques instants cette réalité à travers le visage de Jésus.

Beaucoup d’exégètes relient ce récit à l’annonce de la mort et de la résurrection de Jésus qui précède de peu notre épisode (cf. Mt 16, 21-23). Il peut être interprété, d’une certaine façon, comme une anticipation, une annonce de la passion et de la glorification du Fils de l’homme.

Croire en la résurrection, c’est, d’une part, croire à l’action de Dieu dans le monde, dans notre vie de tous les jours. C’est croire que Dieu peut nous relever, nous apporter le salut, la libération, la guérison… qu’il peut nous délivrer de nos peurs et de nos enfermements, pour autant que nous lui fassions confiance. 
Mais, c’est aussi croire en l’action de Dieu au-delà de ce que nous pouvons voir, dans les dimensions de la vie que nous ne percevons pas. C’est croire que rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu – pas même la mort (cf. Rm 8, 38-39)– donc que Dieu est aussi le maître et le Seigneur de toutes les formes de vie. C’est une manière d’exprimer notre confiance et notre espérance dans la vie éternelle, en communion avec l’Esprit, le souffle de Dieu.

* Deuxième point, quel sens donner à cette expérience spirituelle ?

Les événements décrits dans l’évangile ne sont pas là par hasard ; ils ne sont pas racontés pour rien, de façon fortuite. La transfiguration de Jésus sur la montagne est sans doute un fait historique, mais au moment où il est transmis dans l’évangile, il est déjà interprété. Il est raconté à la façon d’un midrash, d’un commentaire biblique.

Les témoignages sont transmis en fonction de leur sens. Il faut donc se demander : pourquoi la lumière du visage ? Pourquoi Moïse et Elie ? Pourquoi la voix qui parle du milieu de la nuée ?
Les éléments symboliques permettent de faire un lien entre une expérience vécue dans le présent et les expériences des prophètes d’autrefois, racontées dans les Ecritures. Il faut donc décrypter les différents éléments du récit :

-  La brillance du visage et la lumière des vêtements :

Matthieu précise que le visage de Jésus devient radieux comme le soleil. Le parallèle avec Moïse, dont le visage rayonnait de la gloire du Seigneur, est évident.  Il s’agit de dire la présence de Dieu à l’œuvre à travers son envoyé, son Messie.

- L’identité des personnages :

Le texte reste ambigu sur le déroulement des évènements. Il semble parler de 3 personnages simultanément présents. Mais, la fin, où il n’y a plus qu’un seul visage – celui de Jésus (v.8) – nous laisse plutôt penser à des apparitions successives de Moïse et d’Elie sur le seul visage de Jésus.

L’identification des personnages est vraisemblablement symbolique. Il s’agit d’une expérience spirituelle qui a été « théologisée ».
Beaucoup d’éléments évoquent la théophanie du Sinaï : la montagne, la gloire : le rayonnement du visage, la présence de Moïse – et d’Elie – la nuée lumineuse.

L’évocation des « six jours » au début du récit s’y réfère également. Ces « six jours » correspondent au temps pendant lequel, selon le livre de l’Exode (Ex 24,16), la gloire du seigneur, c’est-à-dire la nuée, a couvert le mont Sinaï. Le jour commémoratif de l’événement du Sinaï tombait justement le sixième jour du mois de Sivan (le jour de Pentecôte).

D’un point de vue symbolique, dire que le visage Jésus incarne celui de Moïse et d’Elie – Matthieu parle même d’un dialogue avec les deux figures les plus représentatives de l’Ancien Testament – c’est dire que Jésus entretient un dialogue avec toute la Loi et les Prophètes.
Il est d’ailleurs significatif que ces deux prophètes aient été tous les deux sur l’Horeb et aient bénéficié tous les deux d’une théophanie (Ex 24 ; 1 R 19). Leur mort est également significative : Moïse sur le mont Nébo, avant d’entrer dans la terre promise (Dt 34) et Elie enlevé sur un char de feu comme par un tourbillon (2R2).

- La suite du récit :

Matthieu raconte que Pierre intervient au cours de l’expérience visionnaire. Il prend la parole et propose de dresser des tentes… comme s’il voulait retenir ce qui se passe, comme s’il voulait fixer l’élévation, l’expérience spirituelle qu’il est en train de vivre, la communion avec le Seigneur.
Son attitude représente la tentation d’empêcher la redescente de la montagne. C’est la tentation d’un messianisme triomphant.

Son projet est interrompu par l’apparition d’une nuée lumineuse. De nouveau l’expérience est relue à la lumière des Ecritures :
Au temps de l’exode, la nuée de la gloire du Seigneur apparaissait aux yeux des fils d’Israël sur la cime de la montagne (Ex 24,17). Elle couvrait la tente de la rencontre (Ex 40, 34-35). Maintenant, elle recouvre les disciples.
N’est-ce pas une belle façon de dire qu’il n’y a plus besoin de tente, une fois que la révélation de la gloire du Seigneur[1] a été enclose dans le cœur des disciples ?

Puis, c’est une voix céleste qui résonne, presque identique à celle entendue lors du baptême de Jésus : « Celui-ci est mon fils bien-aimé, celui qui m’a plu de choisir. Ecoutez-le ! » (v.5) [2]
La mention « Ecoutez-le ! » s’adresse aux disciples et peut-être plus particulièrement à Pierre. N’oublions pas que dans l’épisode précédent (Mt 16, 21-23), l’apôtre résiste à l’annonce de la Passion par Jésus. Il demande à Jésus de refuser la Croix. Or, Pierre n’a pas à s’interposer. Il doit se plier au choix de Jésus – à Celui qui est en communion avec le Père –  d’assumer la Croix.

Ceux qui connaissent le chapitre 10 du livre de Daniel (à propos de la vison de l’homme vêtu de lin) trouveront de nombreuses similitudes avec ce qui se joue dans le récit de la transfiguration raconté par Matthieu. Les mêmes éléments apparaissent : la splendeur lumineuse du visage, la voix, la crainte de celui qui entend la voix et l’encouragement.
Ici, c’est Jésus qui touche les disciples de la main, les appelant à se relever (avec le mot de la résurrection) et à ne pas craindre.

Ce rapprochement avec le livre Daniel montre que les disciples, au cours de leur expérience spirituelle, sont témoins d’une véritable révélation (une apocalypse) dont il faut garder le secret encore un moment. Jésus leur demande explicitement de ne rien dire à personne concernant cette vision qu’ils viennent d’avoir.
Si l’évangéliste Matthieu raconte cet épisode en parlant de « vision », c’est bien que pour lui les disciples ont vécu une expérience visionnaire (apocalyptique) : la vision du Fils de l’homme dans sa gloire (comme dans le livre de Daniel : Dn 7, 13-14). Cette vision est une sorte d’anticipation de Pâques. Elle ne sera pleine et entière que lorsque le Fils de l’homme sera ressuscité des morts.

A travers toutes ces références bibliques, il est facile de comprendre que nous n’avons pas accès à un événement brut qui nous serait directement raconté. La vision dont les disciples ont bénéficié, a été réinterprétée de façon théologique à la lumière des Ecritures.[3] Et c’est tout à fait normal. Pour raconter ce qui s’est passé les contemporains de Jésus utilisent le langage disponible de leur temps, des références communes. Ils reprennent des expressions connues des croyants pour mettre des mots sur l’expérience spirituelle qu’ils ont vécue.

* La fin de notre passage se termine par une conversation des disciples sur le retour d’Elie. En effet, selon le prophète Malachie, le prophète Elie doit venir avant le jour du Seigneur, pour tout réconcilier et éviter une fin tragique (cf. Ml 3, 23-24). C’est pour cela que les disciples attendent le retour d’Elie avant le jugement, afin qu’il mette de l’ordre et « arrange tout ».
Elie est attendu comme le précurseur du Messie, comme celui qui doit préparer le peuple à la rencontre du Messie, bien que ce ne soit pas explicite selon la prophétie de Malachie.

Or, Jésus répond à cette idée, en affirmant qu’Elie est déjà venu. Et il identifie Elie à Jean le baptiste. Il ajoute toutefois, que ce nouvel Elie, ce Jean Baptiste, n’a rien arrangé du tout, car personne ne l’a écouté. Et cela va également se produire avec le « fils de l’homme », donc avec lui-même, qui va être rejeté.
En ce sens, les scribes sont inexcusables, car ils n’ont pas reconnu Jean le Baptiste comme le précurseur du Messie et n’ont pas écouté son enseignement.

Ainsi donc, le récit de la transfiguration vient confirmer aux disciples l’identité de Jésus comme Messie de Dieu. La lumière de son visage et la clarté de son vêtement le désignent comme appartenant au monde de Dieu. 
C’est bien lui qui est dans le droit-fil de la volonté de Dieu, même quand il annonce sa mort et sa résurrection prochaines… même s’il n’est pas le Messie triomphant que Pierre espère. C’est lui qu’il faut écouter, comme vient de le révéler la voix céleste.

* Conclusion : Un dernier mot pour conclure notre méditation. Quelles conclusions pouvons-tirer de ce récit étonnant ?

- La vision qu’on vécue les disciples nous enseigne que nous sommes loin de tout connaître. Notre niveau de connaissance de la réalité est relativement faible. Notre vision de la vie est limitée. Nous devons rester humble.

Nous vivons dans un monde matérialiste et rationnel. Pourtant ce type récit nous rappelle qu’il y a des plans de la réalité auxquels nous n’avons pas accès. Certains ont du mal à y croire. Mais d’autres vivent ou témoignent d’expériences personnelles que nous ne pouvons pas simplement écarter, parce que nous ne les comprenons pas.
Quoi qu’il en soit, le fait que nous soyons loin de tout connaître, ne doit pas nous empêcher d’offrir notre foi au Seigneur, d’avoir confiance en Lui pour aujourd’hui et pour demain. Si Dieu est amour, nous pouvons pleinement nous fier à Lui.

- Ce récit nous livre aussi un enseignement sur le dessein de Dieu. Son projet, c’est de nous offrir sa lumière, comme Jésus l’a manifestée.

Être en communion avec Dieu – ainsi que Jésus l’a vécu – c’est accepter de nous mettre à son écoute, c’est accepter de rentrer dans son projet, sa volonté de salut pour les humains.
Cela implique – comme Jésus a su le vivre – de lâcher son égo, pour devenir pleinement transparent à la lumière de Dieu.
Car c’est bien ce que nous révèle ce récit : Jésus a vécu une pleine communion d’amour avec Dieu, au point de devenir transparent, sans obstacle, à sa lumière.

C’est à cela que nous sommes appelés : à accueillir la lumière de Dieu dans notre cœur et notre vie… à être des porteurs de lumière pour les personnes que nous croisons.

Amen.




[1] C’est-à-dire la Shekinah
[2] Les références vétérotestamentaire sont nombreuses : En un verset, la voix céleste unit le destin messianique (du Fils, en Ps 2) a celui d'Isaac (Ie fils «unique», «préféré », en Gn 22) et a celui du Serviteur (en qui le Père se complait, en Es 42). Un concentré de réflexion messianique est projeté sur le personnage de Jésus : le messie (Ps 2,7), nouvel Issac (Gn22,2) et serviteur du Seigneur (Es 42,1).
[3] Comme J. Harrington l’a souligné, « le récit de la transfiguration mêle des éléments de la théophanie du Sinaï (Ex 24) aux visons apocalyptiques du livre de Daniel ». Par ailleurs, certains textes de la littérature intertestamentaire présentent aussi des similitudes troublantes avec notre texte, comme ce passage du quatrième livre d’Esdras, qui dit : « lorsqu’il leur sera montré comment leur visage se mettra à briller comme le soleil et comment ils vont ressembler à la lumière des étoiles, étant incorruptibles », ou comme le deuxième livre des Maccabées, qui promet que la gloire du Seigneur apparaîtra de nouveau avec la nuée, comme au temps de Moïse.

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