Mt 13, 24-30 / Lc 13, 6-9
Lectures
bibliques : Mt 7, 15-20 ; Mt 13, 24-30 ; Lc 13, 6-9
Thématique :
produire ce qui est bon, sans arracher ce qui est mauvais / sortir de la
dualité
Prédication de Pascal
LEFEBVRE [1] / Marmande,
18/10/15
* On trouve,
dans le chapitre 13 de l’évangile selon Matthieu, toute une série de paraboles
dites « paraboles du Royaume ». A travers des récits imagés tirés du
monde agricole, par des comparaisons, Jésus montre que les hommes n’ont pas à
chercher le Royaume dans l’avenir ou dans un au-delà ; il est déjà là,
accessible, à leur portée… à notre portée, pour autant que nous nous ouvrions à
la dimension spirituelle de la vie, présente en nous et dans le monde… pour
autant que nous prenions conscience et accueillons la présence du souffle de
Dieu, l’Un, le Vivant, la source de l’Etre, à la fois dans notre intériorité et
dans les êtres que nous rencontrons.
Puisque Dieu est
amour, Jésus nous appelle à discerner cette force de vie, de bonté et d’amour
en nous et autour de nous, et à la laisser croître.
Ces paraboles
sont très riches en métaphores, car évidemment on ne peut parler du Royaume des
cieux, du règne de Dieu, qu’avec des images propres à toucher les cœurs et à
les faire bouger.
Je vous propose
d’en examiner une, ce matin… dont nous approfondirons l’interprétation grâce à
une autre parabole de l’évangile de Luc.
* La parabole de
l’ivraie peut recevoir différentes interprétations :
- La première
concerne la communauté ou même plus largement le monde. C’est le champ de Dieu.
Le monde est une réalité plurielle, comme on le sait tous. On y trouve du bon
grain comme du mauvais. Face à cette réalité, le maître nous invite à la
patience et à l’humilité.
D’une part, on
ne peut pas arracher le mauvais, sous peine d’arracher également le bon. Il
faut attendre que la semence vienne à maturité pour en distinguer les fruits et
les récolter.
D’autre part,
nous n’avons pas à occuper le rôle de juge de l’autre. Le tri se fera de
lui-même au moment de la moisson.
Si effectivement
« l’homme récolte ce qu’il sème » comme l’affirme, par exemple, Paul
dans son épître aux Galates (cf. Ga 6, 7-9), on finira par reconnaître l’arbre
à ses fruits, comme le souligne également Jésus, dans son sermon sur la
montagne (Mt 7, 16-20).
Il est donc tout
à fait possible que Jésus adresse, avec cette parabole, un message aux
rigoristes ou aux Pharisiens de son temps. Il y avait, parmi les Juifs pieux, des
croyants très attachés aux règles de pureté. Tous les pécheurs devaient être
écartés ou expulsés de la communauté. Or, Jésus – on le sait – s’oppose à cette
rigueur. Toute communauté sera toujours composée de bons grains et de mauvaises
herbes mêlées. Il faut laisser à chacun la possibilité de se convertir et de croitre
selon l’orientation de son cœur.
Jésus mentionne
l’ivraie qui ressemble beaucoup au blé, sauf que ses grains sont noirs. Le
terme grec – zizania – (qui a donner
zizanie / semer la zizanie) dérive de l’hébreu rabbinique zun-zunim qui est vient de la racine du verbe (znh) : se prostituer. Cela reflète peut-être l’idée que
l’ivraie est comme du blé dégénéré, abâtardi.
Quoi qu’il en
soit, la réponse du maitre fait comprendre aux serviteurs que celui qui sarcle
ou extirpe trop tôt l’ivraie arrache souvent, en même temps, le bon grain,
parce que leurs racines sont entremêlées.
Quand on attend
le temps de la récolte, on peut mieux les distinguer. « C’est pourquoi, en
Palestine [à l’époque de Jésus], on laissait une partie l’ivraie pousser
jusqu’à la moisson ; c’est le moissonneur qui, en coupant les épis,
laissait tomber l’ivraie pour qu’elle ne soit pas mise dans la gerbe » (cf. Meinrad Limbeck).
Ainsi, tout
comme le moissonneur, la communauté doit laisser grandir ensemble les bons et
les méchants, qu’il n’est pas de sont ressort d’extirper.
En réalité, le
tri se fera tout seul, à la fin, au moment de la récolte. Ce n’est pas aux hommes
qu’il revient de juger.
- La deuxième
interprétation possible de cette parabole revient à considérer le champ comme
une image de ce qui se joue en nous-mêmes, dans notre intériorité.
Nous sommes le
champ dans lequel le Christ sème du bon grain, sa Parole et son Esprit, mais
aussi où d’autres peuvent semer, à notre insu, de mauvaises herbes.
Dans cette
lecture possible, le champ c’est l’esprit humain. La nuit, pendant que nous
sommes plongés dans l’inconscience du sommeil, c’est-à-dire indépendamment de
notre volonté, un homme ennemi sème la mauvaise herbe. Cet ennemi n’est pas
identifié : Dans la réalité, nous savons bien que nous subissons beaucoup
d’influences différentes et parfois contradictoires : notre entourage, notre
famille, nos collègues, nos voisins, les médias, la télévision, les
informations, Internet, etc…. il y a peut-être là quelques pensées – pas
toujours bonnes – qui s’instillent inconsciemment en nous.
Revenu à la conscience,
dans un moment de lucidité, de discernement, nous constatons que, dans notre
champ, l’ivraie pousse mêlée au blé.
Si nous voulions
arracher l’ivraie, nous arracherions aussi le bon grain, et plus rien ne
pousserait. Ce qui signifie que nous ne devons pas nous fixer sur une
impossible perfection, car le prix du perfectionnisme, c’est la
stérilité : il n’y a plus rien à récolter.
Il est vrai que
nous ne devons pas non plus laisser libre cours à nos mauvais penchants et laisser
foisonner la mauvaise herbe ; il faut l’observer, éventuellement la couper,
mais nous ne pouvons pas l’arracher totalement.
Nous voudrions
être intégralement bons, et éliminer de notre esprit tout ce qui est imparfait
ou ce que nous avons du mal à accepter en nous-mêmes (nos failles, nos limites,
nos faiblesses, nos défauts, etc.). Mais en agissant ainsi, nous risquerions de
devenir stériles.
La fécondité de
notre vie ne se mesure pas à l’aune de notre perfection. Elle n’est jamais
l’expression d’une existence absolument parfaite : Ceux que nous estimons
avoir été des personnages importants ou charismatiques (Gandhi, Martin Luther
King, L’abbé Pierre ou d’autres) avaient sans doute bien des défauts. Même
Jésus (que la dogmatique traditionnelle présente comme un homme sans péché) a
pu faire preuve de colère en chassant avec violence les marchands du temple ou
en maudissant un figuier qui ne donnait pas de fruits.
La fécondité de
la vie découle de la confiance que ce qui est bon – le froment – est plus
résistant que l’ivraie et que celle-ci sera écartée lors de la moisson.
En fait, il faut
beaucoup de sérénité pour laisser pousser en nous ce qu’il y a de bon et de
mauvais. Et il faut être libérés de l’obsession de devoir porter sans cesse des
jugements de valeur (sur soi ou sur les autres).
Laissons donc
pousser le tout, en essayant de favoriser au maximum la croissance de la bonne
semence en nous, et remettons le jugement aux mains de l’Eternel, le maître de
la moisson, qui saura conserver ce qui est bon, notre meilleure part.
En d’autres
termes, dans tout ce que nous faisons, soyons toujours conscients de la
présence du souffle de Dieu et soyons disponibles à son Esprit. Mais, en toute
humilité, sachons aussi que des arrière-pensées, des mauvaises semences, se
glissent aussi parfois dans notre esprit.
Tant que nous
vivons, l’ivraie croît avec le bon grain sur le champ de notre esprit. C’est un
fait ! Que cette réalité qui brise notre orgueil nous ouvre à l’humilité
et qu’elle nous préserve de toute intransigeance avec nous-mêmes et avec les
autres.
C’est donc – en
quelque sorte une parabole de la patience et de la miséricorde que Jésus nous
offre ici : c’est l’image du Royaume dans lequel il nous invite à entrer.
Possibilité de
conversion, magnanimité, patience et pardon vis-à-vis de nous-mêmes et des
autres. Non pas juger, mais patienter dans l’espérance et la confiance.
* Avant de
porter notre attention sur l’autre parabole que nous avons entendue, je voulais
encore vous faire partager la lecture de cette parabole dans l’évangile
apocryphe de Thomas : LOGION 57
« Jésus disait :
Le Royaume du Père est comparable à un
homme qui avait une bonne semence.
Son ennemi vint de nuit, sema de l’ivraie
parmi la bonne semence,
l'homme ne les laissa pas arracher
l'ivraie, de peur, dit-il, que vous n'arrachiez le blé avec elle.
En effet, au jour de la moisson, l'ivraie
apparaîtra. On l’arrachera. Elle sera consumée. »
Voici le bref
commentaire du théologien Jean-Yves Leloup :
« Jésus
propose ici à l'égard du mal, de ce qui sème la « zizanie » en nous (l’ivraie :
zizanion en grec), une attitude non
duelle. Ne pas l'arracher, de peur d'arracher en même temps le bon grain.
Qui juge ? Le
bien et le mal sont souvent étroitement mêlés.
Vous êtes
agressif, violent, c'est un mal et, pourtant, il ne faut pas arracher la
force... Avec la même énergie, on peut assommer quelqu'un ou lui porter ses
valises.
Vous êtes
hypocrite, c'est un mal, et pourtant il ne faut pas arracher l'habileté,
l'intelligence... Avec la même finesse, on peut tromper quelqu'un ou au
contraire l'éclairer.
Il faut accepter
en nous cette ambiguïté originelle. Ce qui importe, c'est l'orientation du cœur
qui fera mûrir nos actes du côté de l'ivraie ou du côté du bon grain.
L'important,
c'est de mêler à toutes choses de l'intelligence et de la bonté. Le reste
disparaîtra. Nos grimaces seront « brûlées » par la beauté de notre visage. »
* Pour
poursuivre notre méditation, je vous propose de nous pencher maintenant sur la
parabole du figuier stérile, qui est aussi une parabole de la patience et de la
miséricorde.
Dans cette
courte histoire, ce qui motive l’homme qui vient voir son figuier planté dans
sa vigne, ce sont les fruits. Il vient contempler sa récolte. Or, il ne trouve
aucun fruit sur l’arbre.
On peut penser
ici que l’homme de la parabole figure Dieu. Dieu attend quelque chose de nous,
que notre vie donne de bons fruits : d’amour, de bonté, de pardon, de grâce, de
confiance, de douceur, (comme Paul parle des « fruits de l’esprit » en
Gal. 5, 22).
Ces fruits, ils
ne sont pas seulement pour nous, mais aussi pour les autres, comme le rappelle
la parabole des vignerons (Mt 21, 33ss).
Cette idée que
Dieu a un projet pour l’humanité… qu’il attend quelque chose de nous – que le
figuier symbolise l’ensemble des croyants, l’Eglise, ou simplement chacun
d’entre nous, individuellement – n’est pas à négliger. Car, il y a quelque
chose de juste dans cette image. Jésus l’affirme dans son sermon sur la
montagne, c’est aux fruits qu’on reconnaît un arbre. Tout bon arbre produit de
bons fruits (cf. Mt 7, 15-20).
Ce qui donne de
la valeur à notre existence, ce n’est pas ce que nous gardons pour nous… ce
n’est pas nos satisfactions personnelles et égocentriques… mais ce que nous
donnons aux autres, ce que notre vie produit de positif, en terme de don,
d’amour, de bien, pour nos frères et nos sœurs, pour notre prochain, pour le
monde.
Si un arbre ne
porte jamais de fruit, il perd sa raison d’être.
Si nous sommes
incapables de donner aux autres, nous finirons par nous dessécher pour mourir
tout seuls… comme le figuier stérile ou l’ivraie qui sera consumée.
Si toute notre
vie est tournée vers notre seule satisfaction personnelle, vers l’expression
des pulsions de notre égo ou, différemment, si elle est réduite à une
obéissance servile à des principes rigoureux et sclérosants, finalement, nous
ne laisserons rien derrière nous… aucun fruit pour les autres.
Les images
employées par Jésus nous rappellent encore une fois que la valeur de notre vie
est liée à ce que nous donnons dans cette vie… et que l’entrée dans le Royaume
– dans le règne de Dieu – nous conduira inévitablement – à produire de bons
fruits.
A bien y
réfléchir… il est tout à fait légitime que le propriétaire, qui offre la vie,
le soleil, la terre et l’eau à son figuier, en attende du fruit. N’importe quel
agriculteur souhaite obtenir des fruits de son verger. Même si, dans les faits,
on sait qu’un figuier doit devenir adulte – et donc qu’il faut un certain
nombre d’années – pour qu’il puisse porter du fruit de façon conséquente.
De la même
manière, nous avons besoin de temps pour grandir et murir… pour que notre foi
devienne productive. C’est un travail en profondeur qui se fait dans notre
intériorité, quand nous éveillons et élevons peu à peu notre conscience, quand
nous méditons, quand nous nourrissons notre foi et l’entretenons… un travail
qui finit par donner - sans qu’on s’en rende forcément compte - quelque chose
d’extraordinaire dans notre vie… qui finira bien fructifier au moment propice.
Mais, en
attendant… dans la parabole, c’est là qu’intervient un autre personnage, le
vigneron, qui intercède… qui invite le maître a davantage de patience.
Ce personnage –
est-ce une figure du Christ ? – ne perd pas espoir. Il propose au
propriétaire de la vigne d’attendre encore une année, le temps que l’arbre fructifie
enfin.
Pour ce faire,
il veut donner au figuier toutes les chances de devenir productif : il
propose de bécher autour de l’arbre et de mettre du fumier.
L’image indique
que le vigneron est particulièrement attentionné vis-à-vis de son figuier… qu’il
veut faire le maximum pour favoriser sa croissance et sa fructification. Il projette
de bêcher, de creuser autour (c’est bien de creuser, d’apprendre à voir
les choses plus en profondeur, de prendre soin de nos racines). Il veut aussi
mettre du « fumier » au pied.
Ce
fumier : on peut le comprendre comme un bon engrais, comme la grâce,
l’amour et le pardon que Dieu nous donne sans cesse, qui peuvent remplir nos
cœurs de reconnaissance et de grâce, nous amenant à nous tourner vers les
autres pour leur donner aussi.
Mais le
fumier, en fait, ce n’est que de l’excrément, et le mot est plutôt négatif en
général dans la Bible. Cela pourrait vouloir dire que Dieu met à nos pieds les
misères du monde. Il nous fait voir les difficultés et les épreuves des
personnes qui nous entourent. C’est en voyant d’autres qui souffrent, peut être
plus que nous, d’autres qui ont besoin d’aide, de soin, d’attention que nous
pouvons prendre conscience et comprendre qu’il importe que nous les aidions,
que nous donnions ainsi du fruit, et que nous ne nous préoccupions pas
seulement de nous-mêmes.
Ce que nous
considérons comme du fumier, ce peut être aussi nos échecs, ce qui en nous est apparu
comme vain ou dérisoire, ce qui est peu glorieux. Tout cela est certes à
dépasser et à éliminer. Mais cela peut aussi préparer le sol pour permettre à
notre arbre de vie de grandir autrement et de fleurir dans la nouveauté.
* Qu’il
s’agisse de la bonne semence qui doit donner du blé, malgré la présence de
l’ivraie, ou du figuier qui est appelé à produire des fruits, dans les deux
cas, il s’agit de patienter, de croitre et de fructifier en vue de la récolte.
En d’autres
termes, le royaume nous parle d’une dynamique de croissance et de
fructification – et non de perfection.
Pour produire
de bons fruits, Jésus nous appelle à devenir de bons arbres… en dépassant les
préoccupations et les impulsions de notre égo… en ouvrant notre esprit, notre
âme à la présence de Dieu qui fait croitre la bonté en nous.
Si ces paraboles
nous montrent que Dieu a une attente à notre égard, elles nous montrent
également qu’il nous fait une infinie confiance, et qu’il ne nous laisse pas
seuls, sans ressources.
D’une certaine
manière, ces paraboles sonnent comme un appel. Dieu fait de nous des
co-créateurs de notre réalité, pour construire un monde le meilleur possible
dans la réalité matérielle qu’il nous a confiée.
Si nous sommes
le champ de Dieu ou son figuier, cela veut dire que nous sommes aussi son
terrain d’action spirituel, le lieu où il plante sa Parole, son amour et sa
grâce, le lieu où il souffle son Esprit, pour que nous donnions de bons fruits,
pour le monde, pour les autres et pour nous.
Au delà de notre
réalité matérielle et visible, il faut donc garder en mémoire la réalité
spirituelle à laquelle nous appartenons… qui est à la fois en nous et au-delà
de nous… ce règne de Dieu dans le quel Jésus nous appelle à entrer… en ouvrant
notre cœur, en accédant à notre âme – notre vrai Soi – créée à l’image de Dieu…
C’est cette réalité qu’il nous invite à laisser croître, pour produire des
fruits bons et abondants.
Amen.
[1] Bibliographie : Cette prédication s’inspire de différentes
sources :
-
Anselm
Grün, Jésus, Le maître du salut, Evangile
de Matthieu, éd. Bayard
-
Alberto
Mello, Evangile selon Matthieu, Cerf,
Lectio Divina
-
Jean-Yves
Leloup, L’évangile de Thomas, Albin
Michel, Spiritualités vivantes
-
Une
prédication de Louis Pernot :
http://www.eretoile.org/Predications/paraboles-agricoles-de-jesus.html
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