dimanche 16 juillet 2023

Le semeur et le levain

 Lectures bibliques : Es 55, 8-11 ; Mt 13, 1-9. 18-23. 31-35 : voir en bas de cette page

Thématique : Des paraboles - le semeur & le levain

Prédication de Pascal LEFEBVRE / Temple de Soulac sur Mer, le 16/07/23



La parabole du semeur est bien connue. Comme toute parabole, elle est une comparaison entre une réalité spirituelle qui fait vivre (la parole du Royaume) et une scène relativement simple de la vie quotidienne et rurale de l’époque (autour des semailles). 


Elle se conclut par un appel solennel à l’écoute (v.9), pour affirmer que l’accueil d’une parole nouvelle est au cœur de l’enseignement de Jésus. Et c’est aussi l’explication qui en est donnée : ensemencer dans la bonne terre, ce serait entendre, comprendre et s’approprier la Parole du Christ, afin que cette parole transformatrice puisse produire du fruit dans notre existence. 


* Le premier étonnement de cette petite histoire, c’est le geste de prodigalité du semeur. 

Le semeur jette la semence à tout va, sur des terrains différents. 

Il n’est pas très économe. Son attitude est même un peu irrationnelle. Il gaspille presque le grain, puisqu’il en répand partout. Cela veut dire qu’il ne désespère d’aucune parcelle de terrain… il veut y croire. 


Il sème, il donne, il distribue généreusement…  et le reste, ça regarde le terrain. C’est comme si – une fois la semence répandue – la croissance n’était plus son affaire. 

Chacun son rôle ! chacun ses responsabilités ! 

Lui, il est là pour semer !


Qui est donc ce semeur fou de la parabole ?

Est-ce que Jésus n’est pas en train de parler de lui ?


Remarquez que c’est une parabole d’ouverture placée en tête des autres. Ici, Jésus se présente à Israël, aux foules.

Voilà qui je suis – dit-il : un Semeur sorti pour semer la parole ! Rien qu’un semeur !


Et remarquez que c’est une présentation originale, car c’est là que tout commence : Jésus est le Messie du commencement. 

Il s’agit d’une parabole-programme. Car, on le sait, « semer » est fondamental. Mais ça ne dure qu’un temps : seulement quelques jours. Et c’est après que tout commence … mais pour le voir, il faudra du temps… 


Remarquez aussi que cette présentation est en contraste, en opposition presque, avec les attentes du peuple d’Israël.


Israël, en effet, d’après sa culture, sa foi, sa religion, attendait un Messie moissonneur et non un semeur. 

Il attendait un fils de l’Homme qui viendrait conclure et couronner une histoire, et non commencer une ère nouvelle. 

Tous les Messies éventuels s’annonçaient comme ceux qui allaient finir, terminer, accomplir les temps… bref, moissonner, et non en inaugurer de nouveaux. 


C’est à cause de cette attente messianique que l’on attendait un messie de gloire et non de souffrance, selon l'adage tiré du Psautier de l’Exil : 

« Pour les semeurs, les larmes ; mais les chants, pour la moisson. » Ou encore : « Il marche, il marche et pleure, le porteur de semences. Il vient, il vient et chante, le porteur de gerbes !...»


D'ailleurs, les semeurs étaient souvent absents lors des fêtes des moissons. Aux ouvriers la peine et la fatigue, au Maitre la gloire finale et les greniers pleins. 


D'emblée, Jésus annonce la couleur : il n’est qu’un semeur ! 

Mais il risque de se disqualifier en parlant de semailles… d’une Parole et d’un Royaume qu’il faut accueillir et laisser naître en nous, dans notre intériorité… alors que tous s’attendaient à voir prochainement surgir un Royaume de gloire !


Ainsi, Jésus ne vient pas pour terminer… mais pour commencer… et cela peut nous interroger.  


Déjà les Religieux, les sages d’Israël et les auditeurs sont certainement décontenancés… et peut-être que nous aussi… car il aurait été plus facile qu’un Royaume tombe directement du ciel tout prêt… qu’un Messie de la fin – souverain et juge – viennent pour faire le tri… pour nous accueillir et ouvrir ses greniers… 


Mais là… Jésus annonce que nous n’en sommes encore qu’au commencement… qu’il vient semer une parole nouvelle qu’il nous faut d’abord accueillir. 


* Précisément, le cœur de l’homme est comparé à différents types de lieux qui reçoivent la semence : il peut-être tantôt une bordure de chemin, tantôt un endroit pierreux, tantôt une terre pleine d’épines, tantôt – enfin – une bonne terre. 


Tout se joue sur le rapport de l’homme à la « parole du Royaume ». 

Tous (tous les terrains) sont au bénéfice de la parole, mais les obstacles semblent nombreux : trois échecs pour 1 seule réussite. Un taux de réussite de 25% pourrait-on dire. Mais qui semble compensé, en réalité, par un fort rendement des grains tombés dans la bonne terre, malgré une majorité d’échecs et de refus. 


Et c’est ce qui est remarquable dans cette parabole. La surprise ce n’est pas que la semence donne du fruit dans la bonne terre : ça tout le monde le sait ! Mais c’est la quantité obtenue : jusqu’à 60 ou même 100 grains par épis. Ce qui correspond à une quantité énorme… sachant qu’une culture de blé à rendement élevé comprend aujourd’hui 45 à 50 grains par épis. Jésus lui parle du double.


Il y a donc une promesse dans cette parabole : promesse d’un résultat grandiose pour ceux qui sont comme de la bonne terre. Les échecs répétés (du fait de lieux inappropriés et inadaptés à la semence) n’empêcheront pas la croissance ni la surabondance du fruit. 


La bonne nouvelle, c’est d’entendre et de recevoir la parole du Royaume, c’est-à-dire la parole de Jésus lui-même. 


Le travail de l’homme, c’est donc d’accueillir cette parole, de de lui faire de la place, de la laisser pousser en soi. 


* De tout temps, des exégètes et des théologiens ont essayé de donner des explications sur les différents terrains plus ou moins propices. 


Initialement, Jésus s'adresse aux croyants Juifs de son temps… mais bien sûr, avec le temps, on peut dire qu’il s’adresse à tous les Chrétiens.


Voici ce que note le théologien Anselm Grün : 


« Tous ont entendu la Parole qu'évoque l'image du semeur, mais l'âme de certains croyants ressemble à un chemin : sans repos ni profondeur, tout y reste en vue, à la surface. 


Dès lors, la Parole de Dieu ne peut pas y pénétrer, le grain est mangé par les oiseaux ; ceux-ci représentent les nombreuses pensées erratiques [et instables] qui empêchent la réception du message. Trop d'idées préconçues sur Dieu ne laissent aucune chance à sa Parole d'entrer en nous.


Le terrain rocheux, c'est l'image des êtres que la Parole remplit d'enthousiasme, mais qui manquent de persévérance : elle ne pénètre qu'au niveau superficiel des émotions, le fond du cœur n'est pas atteint.

Quant aux épines, elles représentent les passions, et l'aiguillon des blessures que nous recevons ou nous infligeons à nous-mêmes ; elles ne laissent pas lever la semence, elles l'étouffent. 

Être tourmenté par le souci ou constamment occupé à fouiller ses blessures, c'est empêcher le grain de pousser.

Une [certaine quantité] des grains tombent néanmoins sur une terre fertile, et y portent une riche moisson : l’évangéliste Matthieu ne dissocie pas l'écoute et l'action : le fruit que doit porter l'existence chrétienne, c'est [une façon de penser nouvelle et] un comportement nouveau. 


Mais l'on voit se dessiner là une autre image encore. L'intensité de la vie et la fécondité sont les signes d'une spiritualité authentique : qui se laisse transformer par Dieu se distingue par la richesse des fruits qu'il porte, il rayonne de vie, d'imagination, de créativité (13,4-9). » (Anselm Grün)


Pour autant une question se pose : peut-on réellement décrire chaque terrain ? Ne sommes-nous pas, tour-à-tour, des sols différents selon les moments de notre vie… selon nos préoccupations et nos priorités ? 


* En réalité, il y a un danger de lire cette parabole comme une allégorie. 


Dans l’allégorie, les choses nous sont expliquées dans les détails : les endroits pierreux, c’est ceci… les épines, c’est cela… etc. 

Et le risque, c’est de tomber dans une bonne vieille morale traditionnelle : seuls les bons terrains, les bons sujets, biens gentils et obéissants, auront droit à la récompense, à la bonne note de 16, 18, voire même 20 sur 20. 


Or, il n’est pas question de cela : Jésus parle en poète. 

Précisément, s’il parle en paraboles, ce n’est pas pour nous confier un savoir. C’est pour nous appeler à une transformation créative. 

Sa Parole n’est pas d’abord un contenu, mais une création, et c’est moi – homme ou femme – qui vais être créé être humain nouveau, croyant – sujet d’une parole nouvelle qui m’appelle. 


Le Christ nous fait naître à la Parole. Il ne nous fait pas répétiteurs de vieux dits, de vieux discours légalistes ou moralisateurs… mais poètes de notre chant, de notre vie, pour qu’elle soit une création originale. 


La raison : c’est que Jésus ne s’adresse pas à nous de l’extérieur, comme quelque chose – une loi – qui s’imposerait à nous. Il vient nous parler, nous toucher, nous saisir, de l’intérieur. Il s’adresse à notre âme, à notre cœur, pour nous laisser déplacer et transformer par sa Parole.


En la recevant, il m’appelle à devenir créateur d’une parole mienne, et sienne, et nouvelle. 


Car quand Jésus parle d’une semence qui pousse, il parle d’une réalité vivante, en train d’être créée et d’advenir… en train de grandir… et qui pourra à son tour porter du fruit. 


Il est en train de nous dire que sa parole est créatrice : elle nous crée fils et fille du Royaume… non pas tous pareil, de la même manière… mais chacun de façon originale… car chacun s’appropriera, habitera, incarnera la parole du Christ, de façon personnelle… le tout étant de l’accueillir, de la laisser s’épanouir en nous. 


La question de la réception de la semence est quelque chose d’intime qui se joue dans les cœurs. Et ce n’est évidemment pas sans conséquence : accepter de recevoir la semence, c’est quelque chose qui vient nous faire sortir de notre zone de confort, nous troubler et nous déranger. 

Jésus, le semeur, vient bousculer et transgresser notre sol quotidien et nos logiques humaines… puisqu’il nous crée fils et fille du Royaume. 


Avec lui, nous ne sommes plus un sol nu… une terre rocailleuse ou pleine de mauvaises herbes… nous pouvons accueillir quelque chose de nouveau. Il nous invite donc à écouter sa parole créatrice… et à changer d’état d’esprit… à convertir notre regard et nos mentalités… car il s’agit bien de cela : s’il l’on veut porter du fruit pour le Royaume, il faut être habité par les paroles de Jésus. 


Cette parabole de la semence, ce n’est donc pas une allégorie sur les terrains, mais un appel à l’écoute, à l’accueil, à la croissance et à la transformation. 


* En ce sens, les autres petites paraboles peuvent aussi nous éclairer… en particulier la courte parabole du levain. 


Écoutons ce qu’en dit le théologien Anselm Grün : 


« Les deux paraboles du grain de sénevé et du levain sont communes à Matthieu et à Luc. 

Les Pères de l'Église ont souvent identifié ce grain de moutarde à la foi semée dans le cœur de l'homme ; on le voit soudain prendre la dimension d'un arbre : on y prend appui, autour de lui se forme une communauté, les oiseaux nichent dans ses branches. 

Vivacité, légèreté, ouverture au ciel sont les marques d'une âme pénétrée par la foi. 


Pour saint Augustin, le levain, que l'on mêle à « trois mesures de farine », est l'image de l'amour qui transfigure tout en nous. 

Les Pères ont, en outre, donné une interprétation allégorique de ces trois mesures, y voyant les trois composantes de l'être humain : la pensée (ou la raison), la sensibilité et le désir (ou le corps). Toutes ces dimensions doivent être pénétrées par la foi et l'amour ; nous devenons alors, pour les autres, comme du pain. 


C'est la femme qui mêle le levain à la farine ; elle est l'image de la part féminine de l'être humain, sensible à la complétude, à la renaissance, à la transformation. 

La farine peut représenter aussi ce qui nous file entre les doigts. Nous avons parfois le sentiment que notre vie est semblable à la farine : nous n'arrivons pas à maîtriser nos pensées, nos sentiments, il y a tant de choses en nous qui restent juxtaposées, sans lien entre elles. 

En nous, l'inconscient est comme une poussière qui se dépose partout ; nous ne savons pas d'où elle vient, mais elle est là. 


Si le levain de l'amour pénètre tout en nous, cette multiplicité d'éléments volatiles, à peine palpables, se fond en une unité cohérente. 

Du jour au lendemain, tout est travaillé par le levain et peut se changer en un pain nourricier que nous offrons aux autres. » (Anselm Grün)


Cette parabole du levain montre, en définitive, qu’il suffit d’un rien pour que tout lève : il suffit d’écouter la parole du Christ, de lui offrir notre confiance, d’accueillir son amour en nous… alors, nous serons peu à peu transformés. 


Que ce soit l’image du pain nourricier… ou de l’épis de blé plein de grains… c’est l’idée que grâce à la parole du Christ, la vie finit par l’emporter… quelque chose de bon sera finalement produit ou obtenu en conséquence de l’accueil de cette parole nouvelle. 


Il ne nous reste plus qu’à décider du temps que nous allons prendre dans notre vie quotidienne… peut-être cet été, pendant les vacances ou dès la prochaine rentrée, pour nous mettre un peu plus à l’écoute de la parole du Royaume… pour nous laisser imprégner par cette mentalité du monde nouveau dans lequel Jésus nous invite à entrer… 


Car qu’il s’agisse de laisser pousser la semence… ou de laisser monter la pâte du pain … tout cela prend du temps… c’est aussi, en ce sens, une parabole de la patience : la croissance spirituelle prend du temps… c’est à nous de le prendre… en nous mettant à l’écoute du Seigneur.


Car si Jésus est bien le Christ envoyé par Dieu, Celui qui est venu incarner sa Parole : il est bon d’entendre toute la bienveillance de Dieu, toute l’attention qu’il a pour nous. 

Dans le contexte morose et tourmenté qui est le nôtre, notre monde a assurément besoin de cette parole d’amour que le Christ est venu semer de la part de Dieu : parole de confiance et d’espérance… parole qui encourage, qui relève et qui guérit… c’est forcément une bonne nouvelle d’entendre cette Parole de vie que Jésus est venu offrir…

Et d’ailleurs, quand il parle d’épis ou de pain… Jésus parle bien que quelque chose qui fait grandir, qui porte du fruit… ou qui nourrit ou qui rend vivant !


Voilà donc la bonne nouvelle de ce jour : 

Jésus, le Semeur a pour nous des paroles capables de transformer nos vies … Qu’il nous soit donné de les entendre et de les recevoir. 


Amen. 


Lectures bibliques 


Es 55, 8-11


8 Mes pensées ne sont pas vos pensées, vos voies ne sont pas mes voies— déclaration du SEIGNEUR.

9 Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes voies sont élevées au-dessus de vos voies et mes pensées au-dessus de vos pensées.

10 Comme la pluie et la neige descendent du ciel et n'y reviennent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l'avoir fécondée et fait germer, sans avoir donné de la semence au semeur et du pain à celui qui a faim,

11 ainsi en est-il de ma parole qui sort de ma bouche : elle ne revient pas à moi sans effet, sans avoir fait ce que je désire, sans avoir réalisé ce pour quoi je l'ai envoyée.


Mt 13, 1-9. 18-23. 31-35


Les paraboles du Royaume

1 En ce jour-là, Jésus sortit de la maison et s’assit au bord de la mer. 

2 De grandes foules se rassemblèrent près de lui, si bien qu’il monta dans une barque où il s’assit ; toute la foule se tenait sur le rivage.


Le semeur

3 Il leur dit beaucoup de choses en paraboles. « Voici que le semeur est sorti pour semer. 

4 Comme il semait, des grains sont tombés au bord du chemin ; et les oiseaux du ciel sont venus et ont tout mangé. 

5 D’autres sont tombés dans les endroits pierreux, où ils n’avaient pas beaucoup de terre ; ils ont aussitôt levé parce qu’ils n’avaient pas de terre en profondeur ; 

6 le soleil étant monté, ils ont été brûlés et, faute de racine, ils ont séché. 

7 D’autres sont tombés dans les épines ; les épines ont monté et les ont étouffés. 

8 D’autres sont tombés dans la bonne terre et ont donné du fruit, l’un cent, l’autre soixante, l’autre trente. 

9 Entende qui a des oreilles ! » […]


Interprétation du semeur

18 « Vous donc, écoutez la parabole du semeur. 

19 Quand l’homme entend la parole du Royaume et ne comprend pas, c’est que le Malin vient et s’empare de ce qui a été semé dans son cœur ; tel est celui qui a été ensemencé au bord du chemin. 

20 Celui qui a été ensemencé en des endroits pierreux, c’est celui qui, entendant la Parole, la reçoit aussitôt avec joie ; 

21 mais il n’a pas en lui de racine, il est l’homme d’un moment : dès que vient la détresse ou la persécution à cause de la Parole, il tombe. 

22 Celui qui a été ensemencé dans les épines, c’est celui qui entend la Parole, mais le souci du monde et la séduction des richesses étouffent la Parole, et il reste sans fruit. 

23 Celui qui a été ensemencé dans la bonne terre, c’est celui qui entend la Parole et comprend : alors, il porte du fruit et produit l’un cent, l’autre soixante, l’autre trente. » […]


Le grain de moutarde

31 Il leur proposa une autre parabole : « Le Royaume des cieux est comparable à un grain de moutarde qu’un homme prend et sème dans son champ. 

32 C’est bien la plus petite de toutes les semences ; mais, quand elle a poussé, elle est la plus grande des plantes potagères : elle devient un arbre, si bien que les oiseaux du ciel viennent faire leurs nids dans ses branches. »


Le levain

33 Il leur dit une autre parabole : « Le Royaume des cieux est comparable à du levain qu’une femme prend et enfouit dans trois mesures de farine, si bien que toute la masse lève. »


Pourquoi Jésus parle en paraboles

34 Tout cela, Jésus le dit aux foules en paraboles, et il ne leur disait rien sans paraboles, 

35 afin que s’accomplisse ce qui avait été dit par le prophète : J’ouvrirai la bouche pour dire des paraboles, je proclamerai des choses cachées depuis la fondation du monde.


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