lundi 24 juin 2024

Une spiritualité du cri

 Texte biblique : Mc 10, 46-52 (voir texte en bas de page)

Thématique : pour une spiritualité du cri 

Prédication de Pascal LEFEBVRE - Bordeaux, le 17/06/25

Culte d’espérance - à l’occasion des obsèques de Christiane (57 ans). 



Face aux épreuves de la vie, aux difficultés, aux situations de maladie, d’accidents… ou face à la mort, à la perte d’un être aimé… nous pouvons légitimement nous sentir désemparés… ou même en colère. 


Les questions surgissent… pourquoi lui / pourquoi elle… pourquoi maintenant / pourquoi si tôt…  et comme ça / d’une façon si soudaine… un sentiment d’incompréhension ou même d’injustice peut nous submerger. 


C’est une chose tout à fait normale…  nous éprouvons le besoin d’exprimer nos émotions… et nous pouvons nous tourner vers Dieu pour lui dire notre désarroi. 


C’est tout à fait « humain » d’être saisi par des questions existentielles… d’autant que dans notre société nous exprimons assez peu notre vulnérabilité… et nous avons tendance à cacher de notre vue tout ce qui est susceptible de nous rappeler notre fragilité et notre finitude. 


Les malades ou les personnes en fin de vie sont placées à l’abri des regards dans hôpitaux…  ou des services spécialisés. Les personnes âgées - bien souvent - sont cachées ou « enfermées » dans des Ehpad… On oublie ainsi que la vie est transitoire… que nos corps sont fragiles et qu’ils se dégraderont un jour ou l’autre… On oublie tout simplement que la mort biologique appartient à la vie. 


Alors… quand la mort arrive plus tôt que prévu… elle constitue, pour nous, soit un scandale, soit un grand point d’interrogation. 


Dans cette situation… face à nos détresses… à nos incompréhensions… on peut se laisser rejoindre l’Evangile… malgré tout… car la spiritualité tente de nous accompagner dans la question du sens. 


Tout ce qui est important dans la vie porte ces questions : celle du sens… de la vérité… ou celle de la liberté / face à la destinée. 


Ce matin, pour nous accompagner, nous avons cet épisode de la rencontre entre l’aveugle Bartimée et Jésus (cf. Mc 10). 


Bartimée est un personnage intéressant… parce qu’il est lui aussi traversé de questions existentielles… et il nous propose d’expérimenter quelque chose de différent… en tout cas, c’est ce que lui a vécu : 

une spiritualité qui part d’en bas… qui prend corps à partir de nos blessures, de nos questions … une spiritualité du cri. 


Bartimée, l’aveugle, traverse un de ces épisodes si difficile de la vie : 

il a perdu la vue… il vit désormais dans le noir… mais sans doute aussi dans l’isolement, la pauvreté et la marginalité subie… Car à cette époque, dans cette région du monde… on pensait que les personnes malades ou handicapées devaient bien avoir fait quelque chose de travers et même de mal… pour mériter ça… 

On envisageait la maladie comme une impureté ou une punition divine. Bien sûr, Jésus va lutter contre cette façon erronée de voir les choses. 


Le récit de l’aveugle Bartimée commence par un cri… un cri qui se répète et qui s’amplifie… 

Il a appris que Jésus - le rabbi, le sage, l’enseignant, le thérapeute… celui qui a fait des merveilles… et peut-être même des miracles - doit passer à proximité… Alors, il veut avoir une chance de croiser sa route : il n’a d’autre choix que de se faire entendre… lui, le marginal… il veut lui dire son malheur… il veut sortir de l’impasse.


Ces cris ne sont pas nouveaux dans la Bible… on peut penser à un certain nombre de Psaumes qui sont aussi des cris adressés à Dieu. 


Par exemple, le Psaume 88 (TOB). Je cite : « SEIGNEUR, mon Dieu sauveur ! le jour, la nuit, j’ai crié vers toi. Que ma prière parvienne jusqu’à toi ; tends l’oreille à ma plainte. Car ma vie est saturée de malheurs et je frôle les enfers. On me compte parmi les moribonds ; me voici comme un homme fini, reclus parmi les morts, comme les victimes couchées dans la tombe… » 


Ou encore dans le Psaume 18 (NBS) : « Les liens du séjour des morts m'avaient entouré, les filets de la mort étaient devant moi. Dans ma détresse, j'invoque le SEIGNEUR, j'appelle mon Dieu au secours ; de son temple, il m'entend, et les appels au secours que je lance vers lui parviennent à ses oreilles ». 


Ou, enfin, le fameux Psaume 130 (TOB) : « Des profondeurs je t’appelle, SEIGNEUR : Seigneur, entends ma voix ; que tes oreilles soient attentives à ma voix suppliante ! »


Il n’y a donc pas de culpabilité de se sentir accablé et désemparé face aux malheurs ou à la mort… Avec la Bible, avec les Psaumes et Bartimée… il nous est proposé, au contraire, d’entrer dans une spiritualité du cri… pour nous tourner vers Dieu. 


Car il s’agit bien d’exprimer ce qui nous traverse : notre colère, notre révolte, notre impuissance et nos questions face au mal. 


Il ne faut donc pas se résoudre au silence… et encore moins à l’indifférence… nous pouvons - au contraire - sortir des apparences bien lisses… sortir des sentiers battus du « politiquement correct »… oser lâcher les masques… pour se tourner vers Dieu et pour crier notre incompréhension ou notre peine.


Ce cri est même une étape nécessaire… Car, il ne sera possible de se mettre à l’écoute d’une réponse… d’essayer d’entrer dans le silence (par la suite) pour écouter Dieu… qu’à condition d’avoir pu lui dire d’abord tout ce que nous avons sur le coeur (ou tout ce qui nous reste en travers de la gorge). 


Ce cri, si nécessaire… voici ce qu’en disait le cardinal Roger Etchegaray. Je cite : 


« On ne sait plus crier. Braillements de la foule, faciles à déclencher pour peu que l'on soit un manipulateur habile. Mais isoler quelqu'un de cette foule, demandez-lui d'exprimer son émotion, la sienne, dépouillée des idées venues d'ailleurs, bref demandez-lui un cri qui soit son cri : il n'a plus rien à dire. […]


On ne sait plus crier. Vidé de poésie, privé du silence qui lui servait de caisse de résonance, le cri meurt. Notre société, avec ses routines et ses tabous, ne laisse plus au cœur le droit ni les moyens de se libérer. Les « voix intérieures » se taisent ou sont étouffées. On ne sait plus où trouver la fraîcheur, la saveur, le don sans calcul, l'élan sans recul, l'instinct, l'homme primitif qui dort au fond de chacun de nous et que personne ne cherche à réveiller même chez l’enfant.


L'homme des cavernes savait crier, parce qu'il savait créer : Lascaux est une immense clameur de l'Esprit. L’homme d'aujourd'hui ne crée pas, il copie. Et son cri, s'il existe, n'est que la fade imitation d'un autre cri, simple écho sans cesse reproduit, monotone et assourdi. Et parce que l'on ne sait plus crier, on ne supporte plus le cri des autres.


Le cri, c'est le don total d'un instant de soi-même, l'alliance intense autant que périssable de l'homme avec l’Esprit. »


C’est l’union du cri de détresse et du cri de confiance… la fusion du désespoir et du cri d’espérance.


« Que de cris dans le désert d’Isaie à Jean-Baptiste (Lc 3.4) !

Que de cris autour du Fils de David, de la Cananéenne (15.20) aux aveugles (Mt 9.27) !

Que de cris du Christ lui-même ! 

Pour appeler ceux qui ont soif (Jn 7.37), pour annoncer l'Époux (Mt 25.10), pour ressusciter lazare (Jn 11.43), pour offrir ses prières et supplications (He 5.7).

Et ce double cri sur la croix, ces deux notes d'arpège inséparables : le cri de détresse de Celui qui se croit abandonné (Mt 27.46) et le cri de confiance de Celui qui s'abandonne à son Père (Mt 27.50).


Et si nous laissions nous-mêmes monter au fond de notre coeur le cri de l'Esprit : « Abba, Père! » (Ga 4.6)

On ne sait plus crier. On ne sait plus prier ».


Face aux changements imposés par un calendrier qu’on ne maitrise pas… face aux malheurs, aux injustices, à la souffrance… nous sommes en droit d’exprimer notre cri… et c’est d’ailleurs ce que Jésus fait avec Bartimée. 


Alors que l’entourage du maître est tenté de faire taire le gêneur… Jésus le fait appeler… il veut l’entendre de plus près ce cri… il veut accueillir sa misère, son questionnement, ses doutes, ses révoltes… il s’ouvre à l’écoute. 


N’est-ce pas également ce que Dieu fait avec nous, lorsque nous nous tournons vers Lui : il ne nous juge pas… il ne nous demande rien d’autre que d’être nous-mêmes… d’être sincères, comme Job… 

Et il nous attend déjà pour cet écoute… dans le secret de notre chambre, de notre coeur, de notre prière… Saurons-nous lui confier notre cri ?


C’est là… au coeur de notre coeur… que nous pouvons déposer nos fardeaux… le poids de cette existence parfois si difficile à porter… avec toutes ses limites… avec les réussites et les échecs… avec les bonnes et - parfois - les très mauvaises surprises… nous pouvons tout lui confier. 

Même Jésus sur la Croix a crié vers son Père pour lui dire sa détresse et son abandon. 


Mais revenons à Bartimée…


Après avoir écouté ce cri… Jésus n’en reste pas là… lui et ses disciples obligent l’aveugle à opérer un déplacement… il vient questionner le présent et la capacité de l’homme à mobiliser ses propres ressources : « que veux-tu ? » lui demande-t-il. 


L’épreuve de l’existence a placé Bartimée face à son impuissance… il ne peut se sauver tout seul, par lui-même… il a besoin du secours d’un Autre… il est prêt à lâcher-prise… à s’abandonner au Christ… à placer sa confiance en quelqu’un d’autre. 


De façon symbolique, Bartimée commence à abandonner son manteau… signe de son identité d’aveugle et de mendiant… pour exprimer enfin sa volonté et son désir. 


Il a soif d’autre chose… soif d’une autre vie… 

Il veut voir la vérité de sa vie en face. 

Et pour cela, il a besoin du secours du Christ. 


Ces différentes étapes : expression d’un cri / entrée dans un dialogue / changement de posture et expression d’un désir / entrée dans un mouvement de confiance… Tout cela annonce une transformation plus radicale pour Bartimée : la présence de Jésus sur sa route a ouvert pour l’aveugle une nouvelle vision : un autre chemin possible… 

L’espérance s’est fait voir… une vie nouvelle est déjà accessible…


Ce ne sera pas la vie d’avant ; ce sera un nouveau chemin. Puisqu’il va désormais suivre le Christ sur sa route.


Il y a ainsi - chers amis - deux manières de lire cet épisode. Deux lignes d’interprétations :

  • soit le lire comme un récit de miracle extraordinaire, mais qui n’a pas grand chose à nous dire… si ce n’est que Jésus était sans doute un thaumaturge puissant, un guérisseur exceptionnel. 
  • soit le lire comme un récit qui nous propose d’entrer dans une relation de confiance… capable de transformer notre état d’esprit et notre vision de la vie. Et c’est sur ce chemin que l’Evangéliste Marc veut nous conduire… puisqu’il nous parle de la grande foi de Bartimée… puisqu’il nous parle de cette confiance qui sauve… qui libère du doute et de l’angoisse… et qui nous fait suivre le chemin ouvert par le Christ.


2000 ans plus tard, c’est un fait : Jésus n’est plus là, en chair et en os, pour nous apporter une guérison extraordinaire… mais - en revanche - son message est toujours présent et actif, pour nous ouvrir à la confiance et à l’espérance.


La confiance qui nous est offerte, c’est de penser que nous ne sommes pas seuls sur notre route… pas seuls face à la mort… Dieu est là avec nous… comme il était là déjà, aux côtés de Jésus sur la Croix. 


Le Dieu auquel nous pouvons croire n’est pas un « Dieu-parapluie » qui pourrait nous protéger de toutes les épreuves. Il n’est pas non plus un « Dieu-magicien » qui pourrait faire disparaitre d’un coup de baguette magique toutes les maladies, les fragilités ou les zones perturbées de nos corps biologiques. Il n’est pas non plus un « Dieu-surnaturel » qui serait au-dessus des lois de l’univers qu’il a sans doute lui-même établies. 


Il est davantage le Dieu d’amour - dont la toute-puissance est celle de l’amour - … un Dieu plein de tendresse, qui nous prend pour ses enfants… et, quoi qu’il arrive, nous tend la main… un Dieu plein de compassion, qui accueille notre souffrance et la partage avec nous. 


Face à l’expérience du mal… seul ce Dieu là est croyable : un Dieu-avec-Nous (Emmanuel). 


Le dieu fort et tyrannique… le dieu manipulateur, qui règne par la puissance ou la soumission… qui récompense uniquement les meilleurs et qui punit qui bon lui semble : celui-là n’est pas croyable. Il n’est même pas souhaitable !


Et l’espérance qui nous est offerte, qu’elle est-elle ?

Elle est avant tout spirituelle !


Ce n’est pas celle d’une guérison physique immédiate… même si ça peut exister (Il y a toujours des miracles !). 

Mais c’est, avant tout, l’espérance que - quoiqu’il arrive - nous ne soyons pas plongés dans l’impasse et le désespoir… C’est l’espérance qu’il y aura toujours un chemin possible devant nous… avec Dieu. 


Bien sûr… ce chemin, n’est pas toujours celui qu’on imaginait… Ce n’est pas forcément de suivre (encore et toujours) la même route quotidienne, comme nous nous y étions si facilement habitués.


C’est un chemin de vie éternelle … qui certes, commence ici-bas, ici et maintenant… mais qui sera beaucoup plus vaste et beaucoup plus lumineux que celui que nous connaissons déjà. 


Et nous avons déjà quelqu’un qui nous guide sur ce chemin de vie, c’est Jésus-Christ… Puisque le Crucifié est ressuscité… puisqu’il a été relevé de la mort par Dieu… puisqu’il est apparu comme « vivant » à ses disciples dans une autre sphère de réalité… puisqu’il a ainsi révélé que notre route est promise à la Lumière de l’éternité. 


Alors… oui… notre corps biologique est provisoire… il est fragile, limité et inscrit dans la finitude… Mais nous sommes plus que ce corps… nous sommes : corps, âme et esprit… Et il y a une suite pour notre être spirituel. 

Cet « être » va poursuivre sa route ailleurs et autrement. 


C’est ce que Jésus est venu révéler : la vie éternelle !… Cette vie de pleine présence, de pleine conscience et de pleine confiance, qui s’inscrit dans la relation avec le divin. 


Pour les Chrétiens, c’est le message de Pâques : 

Quoi qu’il arrive, notre vie n’est pas une impasse… il y a toujours une porte de sortie… Dieu y mettra toujours sa lumière, d’une façon ou d’une autre !


Aussi … souvenons-nous, en ce jour… que la spiritualité du cri que l’aveugle Bartimée a expérimentée… a donné suite à une autre spiritualité : une spiritualité de l’écoute, où il a pu entrer en relation avec le Christ et lui dire sa soif profonde et son espérance… 


Et cette spiritualité de l’écoute a elle-même débouché sur une autre voie … un nouveau chemin de confiance avec le Seigneur. 


Ainsi nos cris ne sont pas vains… ils ouvrent une voie… un chemin vers Dieu… 

Ce chemin peut commencer par l’interrogation, par la révolte… Non seulement Dieu nous y autorise, mais il nous attend…  il réclame notre sincérité : la vérité de notre être. 


Si l’évangéliste Marc nous raconte cette histoire, c’est pour nous rappeler qu’il y a une promesse : 

Dieu - tel que Jésus Christ l’a manifesté - est plein de compassion.

Et parce qu’il nous aime… nous pouvons crier vers Lui… 


Peut-être un jour, pourrons-nous transformer ce cri de détresse… en écoute, en dialogue… et en cri de confiance ! 

C’est un cheminement spirituel. 


Aujourd’hui, osons déjà offrir nos cris à Dieu… il nous attend et nous entend !   Amen. 


Marc 10, 46-52 (Bartimée) - Oser Crier vers le Christ ou vers Dieu


Ils arrivent à Jéricho. Alors que Jésus sortait de cette ville avec ses

disciples et une foule de gens, un aveugle appelé Bartimée, le fils de

Timée, était assis au bord du chemin et mendiait. Quand il entendit que

c’était Jésus de Nazareth, il se mit à crier : “Jésus, fils de David, prends pitié

(compassion) de moi !”

Beaucoup lui faisaient des reproches pour le faire taire, mais il criait de

plus belle : “Fils de David, prends pitié de moi !” Jésus s’arrêta et dit :

“Appelez le.

” Ils appellent donc l’aveugle et lui disent : “Courage, lève-toi,

il t’appelle !”

Alors il jeta son manteau, se leva d’un bond et vint vers Jésus. Jésus lui

demanda : “Que veux-tu que je fasse pour toi ?” L’aveugle lui répondit :

“Rabbouni, ce qui signifie “maître”, fais que je voie de nouveau !” Et Jésus

lui dit : “Va, ta foi t’a sauvé.” 

Aussitôt, il retrouva la vue et suivait Jésus sur le chemin.

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