Mt 25, 1-13
Lectures
bibliques : Mt 7, 21-27 ; Mt 25, 1-13
Thématique :
la parabole des dix vierges
Prédication de
Pascal LEEBVRE / Tonneins, le 13/09/15
(Inspirée d’une méditation d’Anselm Grün)
On classe
communément cette parabole dans le registre eschatologique. Elle est une image
développée par Jésus pour nous parler des choses dernières, de la venue du Fils
de l’homme et du jugement dernier à la fin des temps.
Elle représente
une sorte d’allégorie sur l’attente prolongée du retour de Christ, qui nous
appelle à veiller et à nous engager, en attendant la suite … car, selon
Matthieu, notre vie ne se limite pas à notre existence terrestre, ici et
maintenant. Nous devons, pendant notre existence ici-bas, nous mettre à
l’écoute de l’Evangile, le mettre en pratique et veiller, pour être prêt quand
viendra le grand jour du retour du Christ.
Aujourd’hui, si
on interrogeait bon nombre de chrétiens, on s’apercevrait rapidement que cela
ne correspond plus ni à notre manière de penser, ni à notre attente ou notre préoccupation.
Nous ne pensons pas tous les jours au retour du Fils de l’homme… et peut-être
même ne sommes nous plus dans cette attente.
Est-ce
choquant ? Je ne le crois pas. Si ce texte est dans l’évangile de
Matthieu, c’est que justement, déjà, à l’époque de Matthieu, cinquante ans
après la mort de Jésus, l’espérance du retour du Christ était remise en
question.
Au départ, on
croyait cette venue imminente… mais peu à peu… comme cette attente s’est prolongée, sans se
réaliser… beaucoup ont commencé à douter de cette venue… d’où cette exhortation
que Matthieu met dans la bouche de Jésus, appelant les disciples à veiller en
attendant la venue de l’époux, une image, une métaphore, pour le Messie, le
Christ.
L’interprétation
traditionnelle de cette parabole est la suivante :
Dix jeunes
filles (qui représentent la figure du croyant) se mettent en route avec leurs
lampes pour aller chercher l’époux. Mais l’époux, le Christ, tarde à venir. Dès
lors, la parabole opère une séparation entre deux catégories de jeunes filles,
de croyants. Les « sages » qui y croient toujours et qui ont prévu la
chose. Et les « insensées » qui n’ont pas anticipé ce retard.
A l’époque de
Matthieu, ces lampes, fichées sur une perche, des flambeaux, ne brulaient pas
longtemps sans être rechargées. Il fallait sans cesse y remettre de l’huile.
Quand à minuit,
retentit le cri « voici le marié ! », elles veulent toutes
préparer leurs lampes. Mais les « étourdies » s’aperçoivent qu’elles
n’ont pas emporté de réserves d’huile : leurs lampes ne pourront brûler
que très peu de temps.
Selon certains
exégètes, il est probable que les lampes des jeunes filles aient brûlé tout le
temps écoulé de l’attente. Mais n’ayant pas suffisamment anticipé le retard de
l’époux – ou n’y croyant plus – les étourdies se sont fait surprendre. Quand
l’époux est enfin là, il est trop tard. Elles sont à sec.
Dans cette
interprétation classique, ce qui reproché aux jeunes femmes
« étourdies » c’est de n’avoir pas prévu le retard de l’époux,
c’est-à-dire le retour du Christ.
Mais cette
interprétation n’est pas forcément très stimulante pour nous, car nous-mêmes
sommes peut-être comme ces « insensées »… peut-être n’attendons-nous
plus le retour imminent du Christ. Ce qui par ailleurs, ne nous empêche pas de
croire en sa Parole et de mettre en pratique son Evangile… parce que nous
croyons qu’il est juste et bon, porteur de vie et de promesses.
Il y a une autre
interprétation qui me paraît plus intéressante. Selon certains exégètes, le
défaut des « insensées » ne vient pas d’un manque d’anticipation, du
fait qu’elles n’aient pas emporté suffisamment d’huile dans cette longue
attente… mais vient, en réalité, du fait qu’elles n’avaient pas cette huile…
soit qu’elles n’avaient pas cherché à en avoir, soit qu’elles n’avaient pas suffisamment
fait de réserves d’huile pendant leur existence.
Autrement dit,
ce qui différencierait les vierges « avisées » des « étourdies »
n’est pas une question de prévision et d’attente – puisque d’ailleurs, toutes
finissent par s’endormir, dans la mort – mais une question de réserves d’huile
qu’elles ont ou non faites durant leur existence.
Vivant au jour
le jour sans réfléchir, oubliant l’importance de la vie et de la volonté de
Dieu, les « insensées, les folles » ont négligé la tâche de produire
de l’huile. Elles ne sont pas fiables.
Au contraire,
les vierges sages et prudentes se sont préparées à cela. Elles ont fabriqué ou
collectionné de l’huile tout au long de leur vie, au point d’en avoir assez –
même après une longue attente – pour allumer leur torche et accueillir l’époux.
Et ainsi, être reçues dans la salle de noces, pour faire la fête avec Lui.
[Cette
opposition entre sagesse « avisée » et folie, ou « étourderie », est
caractéristique des paraboles de Jésus : nous avons « l'homme avisé » qui a
construit sa maison sur le roc et « l'homme insensé » qui a bâti la sienne sur
le sable (Mt 7,24-27). […]
Le mot grec phronimos, pour « sage, avisé », vient
de phrènes, le diaphragme,
l'intérieur de l'homme, la conscience, l'intelligence.
Les jeunes
filles « sages, sensées », sont celles qui se laissent guider par leur saine
intuition, par leur bon sens. Chez Platon, l'homme avisé et réfléchi est
toujours l'homme bon, alors que l'insensé est mauvais. Qui est réfléchi tourne
son esprit vers le divin.
Dans la
parabole, les vierges folles sont celles qui ferment les yeux devant la
réalité, alors que les vierges sages portent un regard juste sur la situation ;
pour elles, la réalité extérieure est une image de la réalité intérieure, de
leur relation à Dieu.] [1]
Reste à savoir
ce que désigne cette huile que les jeunes femmes (les croyants) sont appelées à
mettre en réserve, à emmagasiner, en vue de l’union avec l’époux, le Christ.
Beaucoup de
théologiens ont vu dans cette huile une image des bonnes œuvres qui doivent
venir s’ajouter à la foi, représentée par la torche.
En effet, dans
l’évangile de Matthieu, la foi et les œuvres sont indissociables. Le croyant
n’est pas seulement appelé à entendre les paroles de Jésus, mais aussi à les
suivre, à les mettre en pratique au quotidien, dans le concret de l’existence.
La foi est
appelée à se manifester dans toute notre vie, pour mener une vie juste dans nos
relations avec autrui, sinon cette foi n’est que religieuse ou spéculative, et
sombre dans l’inconsistance.
Saint Augustin,
de son côté, voit dans l’huile l’image de l’amour que nous sommes appelés à
cultiver, à faire grandir en nous et autour de nous. Il interprète l’huile
comme l’état d’esprit qui doit guider l’action du chrétien ; elle est une
image de l’amour.
C’est la raison
pour laquelle, dans la parabole, les jeunes filles sages ne peuvent pas
partager leur huile avec les vierges « étourdies » au moment où
l’époux se présente :
Ce n’est pas par
égoïsme que les vierges « sages » refusent de donner de leur huile
aux vierges « folles », mais c’est parce que cette huile ne peut pas
se récolter pour autrui. C’est à chacun de la récolter, c’est à chacun de se
laisser construire par l’amour.
L’amour relève
de l’être et non de l’avoir. On peut partager du pain, du vin, des biens
matériels, des biens spirituels même, mais notre façon d’être, on ne peut pas l’imposer
à d’autres. Chacun a la sienne et il en a la charge.
Pour Augustin,
donc, cette parabole nous exhorte à éveiller en nous l’amour qui s’y trouve
déjà, mais dont nous nous sommes souvent coupés.
Le chemin de la
vie, c’est celui de l’amour que nous sommes appelés à cultiver… comme une huile
précieuse, capable de nous nourrir, de nous éclairer et de guérir nos
blessures.
En d’autres
termes, au moment décisif, au moment de faire le point sur sa vie, on ne peut
pas s’en remettre à autrui. Chacun est libre et responsable de sa propre vie.
Celui qui vit
dans l’insouciance et l’égoïsme risque de se retrouver les mains vides au
moment crucial. Au contraire, celui qui cultive l’amour dans sa vie, récolte de
l’huile, du combustible, pour allumer sa lampe et accueillir l’époux.
Si tel est le
cas… la réponse des vierges « avisées » qui invitent les vierges « folles » à aller acheter
de l’huile en magasin est à interpréter de façon ironique.
En pleine nuit,
les magasins sont fermés. On ne peut pas se procurer au dernier moment ce qu’on
n’a pas cultivé en soi.
L’amour n’est
pas une marchandise. Il doit se développer en nous, et par un travail sur
nous-même, nous devons faire qu’il détermine peu à peu toutes nos actions.
Bien évidemment,
cette parabole exprime une sorte d’avertissement.
Pour autant, il
ne faut pas être manichéen. Il y a en chacun de nous une part de vierge
prudente et de vierge folle.
Il nous arrive, à
certains moments, de vivre dans l’oisiveté et l’inconscience, de ne pas nous
préoccuper du royaume et de la justice de Dieu. Mais, à d’autres moments de
notre existence, il nous arrive aussi d’être attentif à la Parole de Dieu, de
nous attacher à la mettre en pratique dans notre vie… d’essayer de progresser
dans le chemin de l’amour : avec nos amis, notre famille, dans notre vie
professionnelle, nos engagements associatifs, partout l’occasion nous est donné
d’aimer, encore et toujours.
Nous pouvons avancer
et essayer tout au long de notre existence de vivre unifié… de vivre en paix
avec Dieu, avec les autres et avec nous-mêmes… c’est le travail de toute une
vie… de dépasser et de transformer nos zones d’ombre, d’abandonner les fausses
images de nous-mêmes, de quitter nos peurs et nos replis, notre orgueil et
notre égocentrisme, pour vivre libre, pour nous ouvrir à la confiance et aux
autres, pour laisser Dieu nous transformer et accéder à une unification
intérieure.
Conclusion : Pour conclure… que peut-on retenir de
cette méditation ?
Il est possible
que nous n’attendions plus le retour du Christ… mais ce texte de l’Evangile
nous concerne et nous interpelle quand même.
Bien entendu, ce
texte peut être interprété comme une image du jugement dernier… mais il peut
aussi être interprété – de façon plus simple – comme ce qui adviendra lors de
notre mort.
Au seuil de
notre existence, quand notre vie basculera de l’autre côté, une lumière d’amour
et de vérité poindra sur nous … et toute la lumière sera faite sur notre vie.
Ce qui aura finalement compté dans notre existence vécue ce sont tous les actes
d’amour que nous aurons donnés et reçus.
Ce qui accèdera
à la noce du royaume, à l’unité avec le Christ, c’est ce qui aura été unifié
par l’amour. Le reste ne subsistera pas.
En d’autres
termes, cette parabole nous appelle – à travers l’image de l’huile, de l’amour
à cultiver – et de l’image de la rencontre avec le Christ, l’époux – à produire
de l’huile et à l’emmagasiner.
Bien évidement,
cette huile si précieuse ne s’achète pas chez des marchands. Elle se trouve
dans le don, le don de Dieu – de son amour – que nous sommes appelés à recevoir
et à assimiler dans toutes les facettes de notre vie… et le don de soi – car
l’amour ne s’économise pas. Pour le produire, il faut s’engager corps et âme
dans la vie avec les autres, il faut se risquer, donner de l’huile de coude.
Finalement,
cette parabole nous rappelle le but de notre vie : au bout du chemin, nous
accéderons à notre vrai Soi, à l’unité avec Dieu, nous célébrerons la fête dans
la joie.
Cette parabole
décrit le chemin qui nous y mène : non pas l’insouciance, la nonchalance
et l’attente passive, mais l’engagement dans la vie et la persévérance, car
pour produire de l’huile, il est souvent nécessaire de veiller, de faire des efforts :
il faut savoir se concentrer sur l’essentiel, savoir extraire l’essentiel dans
nos relations avec autrui… parfois laisser les choses se décanter… et
finalement purifier notre cœur, pour en tirer une huile dorée et limpide.
C’est cette
huile que nous sommes appelés à produire : une huile translucide…
reflétant toutes les saveurs et les couleurs de l’amour de Dieu.
Amen.
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