Lc 16, 1-13
Lectures
bibliques : Lc 16, 1-13 ; Lc 12, 33-34 ; Mt 6, 3-4
Thématique :
la parabole du gérant habile
Prédication de
Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 27/09/15
(Inspirée d’un
commentaire de Daniel Marguerat et Emmanuelle Steffek)
* L’actualité de
cette semaine a été marquée (entre autres) par des révélations troublantes
concernant le 1er constructeur automobile : Volkswagen. Nous
avons appris que la marque allemande – réputée pour son sérieux et sa fiabilité
– a en réalité triché aux tests d'homologation des émissions polluantes pour un
certain nombre de ses véhicules diesels, en implantant des puces électroniques
destinées à tromper ces contrôles. Il semble que cette triche de grande
envergure ait été organisée depuis les sommets de la hiérarchie, puisque le
patron de la marque a dû démissionner quelques jours après que cette
information ait été rendue publique.
Bien sûr, nous
n’avons pas à juger les hommes responsables de cette fraude massive. Les tribunaux
s’en chargeront. Mais, il est intéressant de se pencher sur la raison de cette
triche, qui jette, du coup, une certaine méfiance à l’égard de ce constructeur réputé.
Il apparaît que
les véhicules de la marque rejetteraient en fait davantage de Nox que le seuil
autorisé, c'est à dire d’oxydes d'azote, un polluant agressif pour les voies
respiratoires et qui génère le fameux SMOG au-dessus des villes. Or, les normes
pour ce genre de polluant sont beaucoup plus strictes aux Etats-Unis qu’en
Europe ou ailleurs.
Pour produire
des véhicules moins polluants, il aurait fallu modifier les moteurs diesel et
cela aurait nécessité des investissements ou développements conséquents.
Autrement dit, la seule explication de cette triche de grande ampleur est vraisemblablement
l’appât du gain ou le développement commercial coûte que coûte pour être N°1.
Il était dans
doute plus facile et moins onéreux d’inventer une puce électronique pour
falsifier les tests antipollution que de financer des laboratoires de recherche
et développement pour diminuer les rejets polluants.
Il semble donc
que l’Evangile ait une fois de plus raison lorsqu’il affirme qu’on ne peut pas
servir 2 maîtres à la fois : Dieu ou l’argent. Ici, c’est l’argent que le
fabriquant a choisi sans se soucier des règles destinées à protéger l’intérêt
collectif et la santé des particuliers.
* Cette
actualité illustre en fait très bien le dilemme dans lequel nous pouvons tous
être plongés à notre niveau individuel à chaque fois que l’occasion se
présente : lorsqu’il s’agit de déclarer nos impôts, d’embaucher un ouvrier
pour quelques travaux à la maison, lorsque la caissière du supermarché se
trompe quand elle nous rend la monnaie, etc. … est-ce que nous n’avons pas la
tentation, nous aussi, de faire des économies, disons même de tricher pour
dépenser moins… même si cela implique aussi un tiers.
Evidement, les
conséquences ne sont pas les mêmes lorsqu’il s’agit de quelques euros, dizaine
ou centaines d’euros… mais sur le fond ce n’est pas tellement différent.
N’avons-nous pas
tendance à nous offusquer et même à nous insurger contre les tricheurs et les
profiteurs, tout en faisant parfois de même – à notre petit niveau – lorsque
l’occasion se présente à nous ?
Autrement dit,
parvenons-nous à être vraiment détaché de l’anti-dieu « Mamon » et de
ses attraits… ou de nos peurs : souci de mettre de côté, peur de
manquer, besoin de sécurité, etc.
* Cette question
rejoint d’une certaine manière la parabole du gérant habille :
L’histoire, sans
doute inspirée d’un fait divers, nous présente un homme – un gérant, un
intendant – qui s’est peut-être un peu arrangé avec les biens de son maître, en
profitant plus ou moins de sa richesse et de ses largesses.
Quoi qu’il en
soit, des bruits remontent jusqu’à son riche patron dont il aurait dilapidé les
biens. Une plainte pour gestion déloyale lui étant parvenue, le propriétaire
lui signifie son congé.
Face à décision
brutale de le renvoyer, le gérant rentre en lui-même et se livre à une analyse
réaliste de ses possibilités. Se sentant incapable ni de bécher, ni de mendier,
il invente une troisième solution : Il réalise que la solution la plus
avantageuse pour lui, avant son départ, consiste à profiter de son ultime pouvoir
pour abaisser les dettes des débiteurs de son maître, afin de tirer de cette
générosité une grande reconnaissance de leur part.
Evidemment quand
on doit 3700 litres d’huile, un rabais de 50% n’est pas de refus ! On
comprend que l’intendant se soit fait des amis !
Mais, la
parabole suscite notre étonnement quand on apprend que le maître finalement ne
réprouve pas le comportement du gérant, mais le félicite pour son habilité.
Si l’homme s’était
ménagé une sortie et des amis aux dépens de son maître – (comme on l’interprète
souvent, en analysant la parabole) – on aurait du mal à comprendre pourquoi
celui-ci en fait l’éloge.
Bien sûr, on
peut penser que le gérant est un bon perdant, qu’il s’incline devant l’astuce
de son intendant. Mais l’explication est peut-être ailleurs.
Il est possible
qu’en réalité ce gérant ne soit pas un escroc, mais un homme habile.
En effet, si on
remonte aux coutumes de l’époque et au droit romain, il apparaît que les
gérants de métairie gagnaient leur salaire grâce à des commissions : grâce
aux commissions qu’ils prélevaient sur les opérations commerciales qu’ils
réalisaient.
Autrement dit,
si le gérant est félicité, ce n’est pas parce qu’il a volé son patron (ce qui
serait contraire au décalogue), mais parce que – contre toute attente – il a
changé de comportement et a renoncé à ses marges personnelles sur ses
transactions.
De cette façon,
il a inversé la fonction de l’argent : au lieu de l’amasser comme un gage
de sécurité et un objet de jouissance et de confort immédiat, il a pensé à
l’avenir et l’a investi pour ouvrir des relations et se faire des amis.
Au lieu
d’amasser pour lui un trésor, il se crée un trésor de reconnaissance auprès des
anciens débiteurs (cf . Lc 12,21).
Si cet homme
totalement opportuniste est félicité, ce n’est pas pour sa moralité, mais pour
sa réaction rapide et inventive face à une menace proche. C’est parce qu’il a
détourné la finalité de l’argent : Au lieu de servir uniquement un but
égocentrique, il a utilisé l’argent comme un moyen de nouer des relations
humaines,… en abandonnant ses commissions, donc en laissant cet argent aux
débiteurs de son maître.
D’une certaine
manière, l’homme est entré dans la logique de la grâce, de la gratuité, en
renonçant à son bon droit (non pas à sa retraite chapeau, mais à ses
commissions).
Cela dit, il faut
garder à l’esprit que la motivation de son acte, généreux en apparence, est en
réalité intéressé : il se ménage des relations futures, sachant qu’il sera
dès demain sans emploi.
Comment doit-on comprendre la phrase qui
conclut la parabole ?
« En effet, les fils de ce monde
(ceux qui appartiennent à ce monde) sont plus habiles (plus avisés) vis-à-vis
de leurs semblables que ceux qui appartiennent à la lumière (les fils de la
lumière) » (v.8)
Ce qui est mis
en avant dans l’habileté du gérant, c’est son intelligence et sa
malignité. Cela dit, il est présenté, malgré
tout, comme un « fils de ce monde », c’est-à-dire comme appartenant à
groupe de ceux qui ne connaissent que le monde présent et n’agissent que pour
lui. Cet homme habile ne l’est que d’un point de vue matérialiste.
A ceux-là,
l’évangéliste Luc oppose « les fils de la lumière », c’est-à-dire
ceux qui ont d’autres préoccupations que l’argent, qui ne conçoivent pas le
monde et ses attraits comme étant uniquement visibles et matériels, mais qui
reçoivent leur lumière de Dieu, la Source de l’Être et de l’Amour.
En d’autres
termes, ce verset vient retourner le sens de la parabole : Certes, cet homme
opportuniste peut être salué pour son habileté, mais il reste un homme de ce
monde, un homme attaché à son égo … un homme qui n’a pas compris grand chose au
projet d’amour de Dieu pour l’humanité.
Cette conclusion
laisse entendre que les « fils de la lumière » n’ont pas l’habileté
du gérant pour les choses de ce monde, mais sans doute ont-ils fondamentalement
d’autres préoccupations plus exaltantes et plus nourrissantes en termes de
croissance humaine et spirituelle que ceux qui ne pensent qu’à l’argent ou à leur
petit égo.
* L’évangéliste
Luc a placé après cette parabole plusieurs réflexions éparses sur l’argent
qu’il a rassemblé ici. Il est tout à fait possible que cette parabole assez
scandaleuse qui met en avant un personnage douteux quant à sa probité, ait pu
choquer les premiers chrétiens.
Cela
expliquerait pourquoi Luc place ici d’autres paroles de Jésus permettant de
faciliter la compréhension de son message.
- « Eh bien ! moi, je vous
dis : faites-vous des amis avec l’Argent trompeur pour qu’une fois
celui-ci disparu, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles »
(v.9)
L’expression
« argent trompeur », littéralement le « Mamon d’injustice »
désigne l’argent idolâtré tel qu’il fascine les humains, mais dont la
possession est toujours liée à un système de répartition injuste.
Premier
commentaire : si le gérant a su se servir des biens pour assurer son
avenir sur cette terre, que les Chrétiens en usent pareillement mais pour
préparer leur avenir éternel.
Or, le moyen que
Jésus propose pour acquérir des trésors dans le ciel, c’est de se laisser
transformer dans notre intériorité par l’amour, c’est de s’enraciner dans le
don : le don de soi et de ses biens. Cela passe par le lâcher-prise (la
déproccupation de soi-même) et l’ouverture du cœur, qui peut se concrétiser dans
le don de soi, de son temps ou de son argent, en faveur des plus petits et des
plus pauvres (cf. Lc 12, 33 ; Mt 25).
- « Celui qui est digne de confiance
pour une toute petite affaire est digne de confiance aussi pour une
grande ; et celui qui est trompeur pour une toute petite affaire est
trompeur aussi pour une grande. Si donc vous n’avez pas été
dignes de confiance pour l’Argent trompeur, qui vous confiera le bien
véritable ? Et si vous n’avez pas été dignes de confiance pour ce qui vous
est étranger, qui vous donnera ce qui est à vous ? » (v.10-12)
Le deuxième
commentaire dissipe le malentendu qui verrait dans la parabole une permission
de frauder : une bonne gestion dans les affaires matérielles rend digne de
se voir confier la gestion des affaires spirituelles.
(D’une certaine
manière, l’argent est présenté comme le test de la fidélité des disciples. La
fidélité et la confiance commencent déjà par l’argent.)
L’exhortation
s’adresse notamment aux responsables des communautés chrétiennes, chargés de la
croissance spirituelle des fidèles.
Ce qui est
intéressant ici, c’est que Jésus présente l’argent comme un bien qui nous est « étranger ».
Au contraire, l’accès au royaume, (cf. 12,32), l’accès à la présence de Dieu en
nous, est présenté(e) comme une réalité qui est à nous, qui nous est non
seulement possible et ouverte, mais donnée.
Alors, pourquoi
chercher à acquérir ce qui nous est étranger, quand ce qui est à nous est à
portée de main ?
Prenons-nous le
temps de méditer, de prier, pour nous ouvrir à cette grâce qui nous est
offerte… à cette lumière qui est portée de notre cœur ?
En d’autres
termes, sommes-nous autant préoccupé par notre progression spirituelle, par
l’élargissement de notre cœur, que par nos soucis d’argent, qui restent une
réalité extérieure, étrangère au développement de notre intériorité.
- « Aucun serviteur ne peut servir
deux maîtres : ou bien il haïra le premier et aimera le second ; ou
bien il s'attachera au premier et méprisera le second. Vous ne pouvez pas
servir à la fois Dieu et l'argent. » (v.13)
Le troisième
commentaire pointe sur le verbe « servir ». Dieu n’est pas l’ennemi
de l’argent, mais idolâtrer l’argent est incompatible avec la confiance en
Dieu. L’argent n’est qu’un instrument, un moyen, pas un but, ni une finalité,
ni un maître.
Jésus insiste
ici sur un choix que nous avons à faire : en qui / en quoi doit-on
ultimement placer notre confiance ?
On ne peut pas
investir sa sécurité à la fois en Dieu et en l’argent.
Si Jésus nous
demande de faire ce choix, c’est que pour lui notre confiance en Dieu peut et
doit être totale. Dieu le Père est amour et bienveillance. Il sait ce dont nous
avons besoin, avant même que nous lui demandions.
Notre seule
tâche est de lui faire pleinement confiance, de nous ouvrir à sa Source, à son
Esprit d’amour. En nous élevant spirituellement, en nous laissant construire
par Dieu et influencer par son Souffle, nous nous nous ouvrirons et recevrons
ses bénédictions.
* La question
soulevée par ces textes – comme ceux de l’Ancien testament qui laissent parfois
entendre la colère des prophètes – est de savoir si nous partageons / ou pas
les bénédictions que nous avons reçues de notre Créateur dans la vie.
Dans les livres
prophétiques, Esaïe ou Jérémie (Es 10, 1-3 ; Jr 5, 26-28) se fâchent après
les riches incapables de restituer aux pauvres la part de bénédiction qu’ils
ont reçu. Leur tort est d’accaparer pour eux seuls des bienfaits dont le peuple
entier pourrait aussi profiter.
La convoitise
est en réalité une tentation qui touche tout le monde, et pas seulement les
plus riches. La possession implique une responsabilité à l’égard des autres,
notamment des plus démunis.
Lorsque Jésus
oppose le service de Dieu le Père et celui de l’Argent /Mamon, il porte à notre
conscience le risque de la fascination de l’argent et la dénonce, car elle s’alimente
d’une cupidité qui se refuse au partage.
Ce qui est en
jeu, c’est notre égo, qui tend à ramener toute chose à soi-même.
Or, Jésus,
précisément, nous invite à surmonter cet égo, par l’amour, en nous rappelant
que nous sommes tous frères, fils d’un même Père.
Il défend une
spiritualité de l’argent, basé sur une confiance placée en Dieu seul… une
confiance qui nous appelle à la générosité et au partage.
En conclusion,
c’est à un changement de mentalité que Jésus nous appelle… à commencer par nous
arrêter de nous préoccuper de ce qui nous est étranger – l’argent / Mamon –
pour nous intéresser à ce qui est à nous et qui nous est offert : le
royaume… le règne de Dieu en nous… dans notre cœur et notre vie.
Amen.
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