dimanche 2 avril 2023

Mc 14, 1-11

 Lecture biblique : Mc 14, 1-11 (voir en bas de page)culte avec les jeunes 

Thématique : Faire ce qui est beau et qui vient du cœur 

Prédication de Pascal LEFEBVRE – Temple du Hâ – Bordeaux, le 02/04/23

(Début inspiré d’une méditation de Christian Baccuet)



Elle a fait ce qui est beau ! Elle a fait une belle œuvre ! dit Jésus au sujet de la femme de Béthanie qui – ce jour-là – a versé un parfum de très grande valeur sur sa tête, en signe de reconnaissance. 


Et pourtant cet hommage appuyé – cet élan de la foi, ce signe fort d’amitié – envers le maître qui va bientôt mourir sur la croix, est sujet à discussions et critiques :


Certains y voient un beau gâchis… un manque d’utilité… 

On aurait pu le vendre ce parfum précieux… et en tirer une belle somme d’argent (plus de 300 pièces d’argent, c’est-à-dire le salaire d’une année de travail d’un ouvrier) pour en faire un meilleur usage : pour le donner aux pauvres ! 

Imaginez un flacon de parfum qui vaudrait près de 15 000 € 


C’est vrai ! Les observateurs médusés de cette scène n’ont pas tort ! Quel gaspillage !

Pourtant, il y a des jours, il faut arrêter de penser avec sa raison… il faut écouter son cœur !

Et c’est ce qu’a fait cette femme ce jour-là. 

Elle a écouté son intuition : son geste est chargé de sens. Et Jésus l’a bien deviné. 


Dans le monde biblique, verser du parfum était une manière d’honorer quelqu’un. C’est un geste d’hommage et d’accueil.


Dans le cas présent, c’est aussi un geste d’onction : Dans l’Ancien Testament, on versait du parfum sur la tête du roi, pour le reconnaître dans sa dignité royale : c’est ce qu’on appelle « l’onction ». 

Par ce geste, la femme reconnaît en Jésus le roi, le messie. Le « Messie », le « Christ », c’est-à-dire « celui qui est oint ». Son geste est une confession de foi.


Et ce geste, c’est aussi celui de l’embaumement, celui par lequel on honore le corps d’un proche décédé. 

C’est, par exemple, le geste que les femmes voudront accomplir au matin de Pâques, quand elles se rendront au tombeau. 

C’est donc un geste prophétique, qui annonce que la royauté de Jésus va passer par la mort, va se révéler sur la Croix.


C’est enfin un geste d’Evangile, de Bonne Nouvelle. 

Le vase brisé, le parfum qui s’en échappe, c’est comme l’évocation, déjà, de la Résurrection, du tombeau ouvert et de la vie qui se répand.


C’est un geste fou que celui de la femme. Mais à travers cette folie, s’exprime sa confession de foi en Jésus, le roi messie, le crucifié ressuscité...


C’est un élan de confiance, de générosité… un don gratuit… une offrande… un geste d’amour. 


Alors, oui : ce geste inattendu n’est pas très rationnel. Jésus le sait certainement. 


Mais, il y a tant d’occasion de faire le bien et de faire des choses utiles :

« Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous » dit Jésus - quand vous le voulez, vous pouvez leur donner, leur faire du bien. Mais en ce moment se joue quelque chose d’essentiel. En ce moment je suis avec vous, dans quelques heures je serai mort, c’est le temps pour se situer par rapport à moi. Ce temps est celui de la confession de foi, comme le fait cette femme.


C’est donc elle qui a compris et discerné l’enjeu – l’intensité – de ce moment précis. 

Dans sa liberté, c’est elle qui a tout compris, consciemment ou inconsciemment. 


C’est d’autant plus remarquable, qu’elle est une femme, dans une société dirigée par les hommes. Pourtant, c’est elle qui prend l’initiative de l’action… en agissant avec le cœur… sans se préoccuper des perceptions sociales de son geste. 

Elle ne manifeste aucune honte palpable, ni de son corps, ni de ses actions. Elle n’écoute que son intuition et cela entraîne une reconnaissance positive de Jésus. 


Ce passage de l’évangile est intéressant pour nous… car il nous invite à interroger nos habitudes, notre rationalité, nos reflexes sociétaux… où tout doit toujours être mesuré, calculé, évalué, à la lumière de la performance, de la rentabilité ou de l’utilité. 


La plupart du temps, nous devons réaliser quelque chose pour son intérêt, son utilité économique ou sociale. 

Or, Jésus nous invite ici à un autre regard : non plus à mesurer nos gestes pour leur performance, mais pour leur beauté, leur gratuité : 

Le texte grec dit « elle a fait une belle œuvre ! elle a fait ce qui est beau ! »


Et c’est vrai que si nous sortions de notre vision utilitariste, de notre enfermement dans une logique rationnelle, pour penser autrement… en ayant la préoccupation de faire de belles choses - des œuvres belles -, alors, notre monde serait certainement plus beau ! plus rayonnant !


A bien y regarder, c’est souvent l’irruption de la grâce, de la beauté, de l’amour, de la foi… qui peut bouleverser notre quotidien… et lui apporter de la saveur… 


Qui n’a jamais été touché par le spectacle d’un paysage splendide… par la beauté d’une magnifique d’une œuvre d’art… d’une cathédrale… d’un tableau bouleversant… ou encore qui n’a jamais été transporté par l’écoute d’une belle œuvre musicale ou vocale ?....  ou par un parfum délicat et envoutant… 

C’est l’irruption du beau – dans toute sa gratuité – qui donne de la saveur et de la profondeur à notre existence… 


Et ce qui est intéressant ici, dans cet hommage rendu au Christ, c’est que l’évangile relie le beau au sacré… car il y a une dimension transcendante et divine dans ce qui est beau : 

C’est l’irruption de la grâce et de la fête dans notre quotidien… dans un monde où se nouent parfois tant de choses sombres… où se trament tant de drames…  tant de violences, de « complots », de corruptions, … et où tant de gens se replient dans l’habitude, la résignation, l’isolement ou l’indifférence. 


Il y a certainement un point commun entre le beau et la prière… et c’est ce que nous pouvons ressentir, par exemple, dans le chant, ou en écoutant une belle œuvre d’orgue.  


Le culte, lui-même, où se trouve une alternance de temps d’écoute, de louanges, de prières, de chants, de pauses musicales, est conçu comme une œuvre belle : un moment de cœur à cœur avec le Christ, dans lequel on reconnaît en lui, le Seigneur de nos vies, le crucifié, le ressuscité, celui qui donne de la profondeur et de la saveur à nos jours. 


C’est un moment aussi où nous donnons ce que nous avons de plus précieux : notre temps… notre confiance… comme cette femme au parfum. 


Pourtant, face à la raison, quel gaspillage de venir au culte ! Quelle perte de temps !

On pourrait faire tant de choses pendant ce temps, on pourrait travailler, construire, partager, aider, donner aux pauvres. 

Quel luxe choquant que de s’arrêter pour prier, alors que tant de misères gangrènent notre monde. N’y a-t-il pas des gestes plus utiles, plus efficaces que de lire la Bible ? que de méditer ?


La raison oppose la prière et l’action, le culte et le service, la confession de foi et l’engagement. Mais le cœur les unit.


Cet épisode de l’évangile – avec cette femme qui, dans sa liberté, donne tout ce qu’elle est et tout ce qu’elle a à Jésus… qui donne toute sa foi au Christ– nous rappelle qu’il y a un fondement essentiel à nos engagements. C’est le lien à Jésus-Christ. 

Ce n’est pas du superflu, ni du temps perdu. Au contraire, c’est la base, le fondement. 


Nous avons tout le temps qu’il faut, pour accomplir des œuvres bonnes, pour vivre dans l’altruisme, pour aider notre prochain, pour exercer une éthique de l’hospitalité et du partage. 

Mais sans l’élan de notre foi, tout cela sonne creux. 

Comme la foi sans le souci des pauvres, est vide. 


Le temps pour l’adoration, la contemplation… le temps pour la confession de foi, la prière, ou pour la rencontre gratuite, c’est ce qui donne sens à nos œuvres. 

Sans l’enracinement en Christ, elles risquent de devenir régulières, automatiques, sans saveur, utilitaires, expression du « devoir », légalisme étouffant. 


En Christ, elles deviennent rencontre vivante, partage de l’Evangile, parfum de vie.


Il y a donc un geste prophétique dans ce que fait cette femme… et, en ce sens, nous sommes invités à l’imiter :


Confesser sa foi vivante, prendre du temps pour la rencontre communautaire avec le Seigneur, c’est faire un pied de nez à tous ceux qui (comme au temps de Jésus) complotent dans le silence pour détruire ce monde… et c’est secouer la torpeur de notre bonne conscience pour trouver la vie. 


Se rassembler pour le culte, prier, lire la Bible, c’est un moment gratuit au cœur de notre existence qui ne croit qu’en la rentabilité et l’efficacité. Un moment qui peut coûter. Un moment déraisonnable. Un moment de gaspillage. 

Mais un moment unique et essentiel, car il est la rencontre avec Celui qui donne saveur et profondeur à nos jours. 


Rencontrer Jésus avec son cœur, c’est un fondement… cela permet de pouvoir ensuite rencontrer les autres, en vérité, en partageant un peu du parfum de l’Evangile. 

Voilà pourquoi on racontera encore longtemps le geste de cette femme qui nous invite, à notre tour, à confesser le Christ, à faire « sentir » l’Evangile au monde !


* Pour conclure, je voudrais vous dire que ce petit épisode de l’évangile peut paraitre à beaucoup sans importance, presque anodin. Mais il nous aide à réfléchir à la question du sens de la vie. 


Beaucoup de personnes autour de nous (et peut-être que c’est aussi notre cas), un jour ou l’autre, peuvent s’interroger sur leur vie… face aux difficultés, aux découragements… face aux épreuves, aux échecs… ou face à des situations apparemment absurdes… : 

A quoi ça sert la vie ? A quoi bon ?


Dans le mot « sert » … il y a « service ». 

A quoi je sers ?

Au service de quoi… de qui… suis-je vivant et présent dans mon existence ?


Ça ramène à la question de l’utilité… comme la société nous y pousse bien souvent… en nous proposant de nous inscrire dans une sorte de mimétisme, où toute chose devrait servir à une fin… puisque tout doit être utile, performant et rentable !


En écoutant la femme au parfum, nous sommes invités à reconfigurer cette question : 

Le « A quoi, moi, je sers, ici et maintenant ? » devient « qu’est-ce que j’amène dans ce monde comme saveur, comme parfum ? »


Et la réponse que nous donne l’Evangile de la gratuité, c’est que je peux trouver un sens à cette existence si j’y amène « ce que je suis ! » : Cela suffit !


Si ma vie est précieuse aux yeux de Dieu, c’est en apportant ce que je suis – comme enfant de Dieu, comme être humain unique et singulier – que ma vie sert à quelque chose, qu’elle devient « service » !


Le service, ce n’est pas faire comme tout le monde, ce n’est pas la servitude, ce n’est pas seulement répondre à des besoins extérieurs… c’est l’offrande de soi, l’offrande de ce que l’on est, en vérité : c’est ce que nous rappellent Jésus et cette femme. 


A quoi ça sert la vie ? A quoi je sers dans cette vie ?


L’Evangile nous rappelle que la réponse à cette question ne peut pas être validé par autrui… ni par le biais de l’utilité, ni par celui du mérite. 


La réponse vient de Dieu, et il nous dit : « c’est bien que tu sois là ! » 

« Sois toi-même… discerne tes potentialités… exprime qui tu es… fais ce qui est beau… en partant de toi ! »  


En d’autres termes, nous n’avons rien à prouver… ni à mériter notre vie. 

La vie ne consiste pas à répondre aux besoins du monde… mais à l’expression de soi. 

(À donner la meilleure version de soi-même, en l’exprimant.)


C’est important de le rappeler à tous nos jeunes qui sont là aujourd’hui, avec nous, au culte : 

La vie sert à l’expression de soi… à affirmer qui nous sommes véritablement… qui nous choisissons d’être !


Notre mission est donc de déployer nos ressources, nos dons, nos charismes…

La question n’est donc pas « à quoi ça sert la vie ? » dans le sens « est-ce que je parviens à reproduire ou à répondre à ce que les autres attendent de moi ? » … Mais plutôt « suis-je en train d’accomplir ce pourquoi j’ai pris forme humaine ? » « Suis-je en train d’offrir au monde le meilleur de moi-même ? » 


Visiblement, la vocation de cette femme au parfum, c’était d’exprimer sa sensibilité, sa reconnaissance, sa gratitude, sa douceur… en faisant une belle œuvre, en versant ce parfum délicat sur la tête de Jésus. Ce don (cette offrande) avait un sens éminemment profond pour elle. 


Il en est de même pour nous : nous sommes appelés à trouver notre vocation… à réfléchir au service qui nous correspond personnellement…. à exprimer la belle énergie qui nous traverse… à réaliser ce pour quoi nous sommes là… en exprimant qui nous sommes !... ce qui est beau, en nous. 


Jésus nous rappelle que la vie trouve tout son sens dans l’expression de soi, dans le don de soi : 

Tu es appelé à t’offrir… à faire ce qui est beau et qui vient du cœur ! 


Voilà la Bonne Nouvelle de ce jour ! 


Amen. 


Texte biblique : Mc 14, 1-11


1La Pâque et la fête des pains sans levain devaient avoir lieu deux jours après. Les grands prêtres et les scribes cherchaient comment arrêter Jésus par ruse pour le tuer. 

2Ils disaient en effet : « Pas en pleine fête, de peur qu’il n’y ait des troubles dans le peuple. »

3Jésus était à Béthanie dans la maison de Simon le lépreux et, pendant qu’il était à table, une femme vint, avec un flacon d’albâtre contenant un parfum de nard, pur et très coûteux. Elle brisa le flacon d’albâtre et lui versa le parfum sur la tête. 

4Quelques-uns se disaient entre eux avec indignation : « A quoi bon perdre ainsi ce parfum ? 

5On aurait bien pu vendre ce parfum-là plus de trois cents pièces d’argent et les donner aux pauvres ! » Et ils s’irritaient contre elle. 

6Mais Jésus dit : « Laissez-la, pourquoi la tracasser ? C’est une bonne œuvre qu’elle vient d’accomplir à mon égard. 

7Des pauvres, en effet, vous en avez toujours avec vous, et quand vous voulez, vous pouvez leur faire du bien. Mais moi, vous ne m’avez pas pour toujours. 

8Ce qu’elle pouvait faire, elle l’a fait : d’avance elle a parfumé mon corps pour l’ensevelissement. 

9En vérité, je vous le déclare, partout où sera proclamé l’Evangile dans le monde entier, on racontera aussi, en souvenir d’elle, ce qu’elle a fait. »

10Judas Iscarioth, l’un des Douze, s’en alla chez les grands prêtres pour leur livrer Jésus. 

11A cette nouvelle, ils se réjouirent et promirent de lui donner de l’argent. Et Judas cherchait comment il le livrerait au bon moment.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire