dimanche 18 septembre 2022

Desacraliser le pouvoir de l argent par le don

Lecture biblique : Lc 16, 1-13

Thématique : désacraliser le pouvoir de l’argent par le don. 

Prédication de Pascal LEFEBVRE - 18/09/22 - Bordeaux – temple du Hâ


Lecture biblique : Lc 16, 1-13


1. Puis [Jésus] dit aux disciples : Il était un homme riche qui avait un gérant, et celui-ci lui fut dénoncé comme dispersant (gaspillant) ses biens.
2. L’ayant appelé, il lui dit : qu’est-ce que j’entends à ton sujet ? Rends-moi compte de ta gestion, car tu ne peux plus gérer.
3. Le gérant se dit en lui-même : que ferai-je, puisque mon maître m’enlève la gestion ? bêcher je n’en ai pas la force, mendier j’en ai honte.
4. Je sais ce que je ferai, afin que, lorsque je serai écarté de la gestion, ils me reçoivent dans leurs maisons.
5. Ayant fait venir chacun des débiteurs de son maître, il disait au premier : combien dois-tu à mon maître ?
6. Il répondit : cent baths (barils) d’huile.
Il lui dit : prends ton reçu, assieds-toi, écris vite : cinquante.
7. Puis il dit à un autre : toi, combien dois-tu ?
il répondit : cent kors (mesures) de blé.
Il lui dit : prends ton reçu, et écris : quatre-vingts.
8. Le maître félicita le gérant de l’injustice car il fit de manière sensée (avisée). En effet, les enfants de ce siècle sont plus sensés (avisé) que les enfants de la lumière envers leur génération.
9. Et moi je vous dis : faites-vous des amis avec l'Argent trompeur (le Mamon de l’injustice), pour que, lorsqu’il manquera, ils vous reçoivent dans les demeures (tentes) éternelles.
10. Celui qui est fidèle (fiable) pour la moindre chose l’est aussi pour beaucoup. Celui qui est injuste pour la moindre chose l’est aussi pour beaucoup.
11. Si donc pour l’injuste Mamon vous n’avez pas été fidèles, le bien véritable, qui vous le confiera ?
12. Et si, pour ce qui vous est étranger, vous n’avez pas été fidèles, ce qui est à vous, qui vous le donnera ?
13 Aucun domestique ne peut servir deux maîtres. Car ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et dédaignera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mamon. 

Prédication

* Qui est vraiment malhonnête dans cette histoire : 

  • - Est-ce le gérant de la parabole ?
  • - Est-ce l’argent trompeur, le « Mamon d’injustice » comme l’appelle Jésus ?
  • - Ou est-ce simplement l’attachement du gérant pour Mamon : L’homme ne s’est-il pas laissé séduire par l’attrait de l’argent ?


Qu’en est-il pour nous-mêmes ?

Quel est notre rapport à l’argent ? 

Ce sont là des questions que l’Evangile nous pose. 


* Comme une parabole est une comparaison, pour la décrypter, on essaie habituellement de voir qui représente qui dans l’histoire, et où se situe la surprise pour en déterminer la pointe. 


Qui est le maître, l’homme riche de la parabole : serait-il une image de Dieu ?

Qui est le gérant : serait-ce nous ? ou peut-être même Jésus ? 


L’histoire présente un type de gérant : un gérant trompeur.

Ce n’est pas très flatteur… s’il s’agit de nous… mais peut-être assez réaliste. Les humains ne sont pas toujours très fiables. 


Il semble, en réalité, qu’il y ait différentes catégories d’intendants :

  • - Le gérant trompeur qui appartient à ce monde.
  • - Et un type de gérant honnête, qui appartient déjà à la lumière. Mais ce type d’économe doit être assez rare. Car il n’est pas l’objet principal de la parabole. Elle ne fait le focus que sur le gérant trompeur. 

L’histoire commence avec l’homme riche qui demande des comptes à son gérant : Qu’a-t-il fait des biens qui lui ont été confiés ? 


Et nous … que faisons-nous des biens, des responsabilités ou des talents… que le Seigneur nous a mis entre nos mains ? Les utilisons-nous pour Dieu… pour les autres… ou seulement pour nous-même ? 


Le gérant de la parabole est accusé de gaspiller, de dilapider les biens de son maître : Comment ? on ne le sait pas… mais sans doute les gèrent-ils à son seul profit… par intérêt égoïste. 


Dans une métairie, le rôle habituel d’un gérant était de faire prospérer les affaires et la propriété de son maitre. 

Il était d’usage que cet intendant soit rémunéré, en prenant une commission, c’est-à-dire une partie des intérêts ou des récoltes, pour sa bonne gérance.  


Or, visiblement, notre économe a tendance à exagérer… et à ne penser qu’à lui… peut-être a-t-il été surpris la main dans le sac… au point que son maitre reçoive des plaintes. 

Il est alors déchargé de sa responsabilité. La gérance lui est tout simplement retiré. 


Face à cette situation désastreuse, le gérant trompeur réalise un travail d’introspection. 

Il rentre en lui-même, pour réaliser son incapacité à assumer la responsabilité de sa vie :

- il se dit trop faible et trop peu courageux, pour bécher et travailler.

- et trop honteux, trop fier, pour mendier et devoir dépendre des autres. 


Devant l’impasse de sa situation, il échafaude un plan : 

Se faire des amis – des bonnes relations – être bien vu par les débiteurs de son maitre, et acquérir leur reconnaissance, pour que ces derniers lui soient redevables… et lui fassent bon accueil dans leur maison… lorsqu’il aura perdu son travail de gérance. 


Comment s’y prend-il ?


Mon hypothèse de lecture, c’est qu’il décide simplement de renoncer – de façon exceptionnelle – à ses marges personnelles et ses commissions… de sorte que les montants des dettes des débiteurs de son maitre sont toutes revues à la baisse. 


Ainsi, celui qui devait cent jarres d’huile au maitre n’en devra plus que cinquante… celui qui devait cent sacs de blé n’en devra plus que quatre-vingts… puisque le gérant renonce à ses commissions. 


Le montant important des remises montre à quel point le gérant prenait auparavant des commissions exorbitantes. 


Ce faisant, les débiteurs seront désormais soulagés de constater que le montant de leurs dettes a largement diminué… Ils se montreront désormais favorables, et feront bon accueil à ce gérant filou. 


Effectivement cet intendant est très malin ! 

Il réagit de façon créative à sa culpabilité. 

Il applique son imagination pour en tirer le meilleur parti. 


Ce qui semble paradoxal (et peut-être un peu dérangeant, à première vue), c’est que le maitre apprend le stratagème de son gérant malhonnête, et fait l’éloge de son habileté. 

Il reconnait qu’il a agi de façon particulièrement avisée. 


Pourquoi félicite-t-il son attitude ? 


Parce qu’en agissant de la sorte, le gérant a, en réalité, trompé l’argent trompeur. 

En agissant certes par intérêt… mais de façon totalement gratuite – puisqu’il renonce à ses marges et accepte donc de travailler gratuitement – il a, en réalité, trompé l’argent… il a agi en sacrifiant le système de la dette. 


La parabole nous montre ainsi que c’est par la gratuité et la générosité, qu’on peut parvenir à tromper l’argent trompeur. 


En choisissant de privilégier la relation humaine avec les débiteurs de son maître… quitte à renoncer à ses marges… il a inversé le rôle de l’argent :

Il l’utilise pour tisser des liens de fraternité, plutôt que des liens d’esclavage… puisqu’il les soulage du poids de leurs dettes. 


Aussi, la conclusion de la parabole montre en exemple l’attitude avisée du gérant : 


Puisque, pour Jésus, l’argent peut devenir un maître, une idole, un dieu … à qui nous vouons parfois notre vie et notre énergie… à qui nous donnons notre confiance et consacrons notre temps… il existe une possibilité de détrôner le pouvoir de l’argent… de renverser l’esclavage dans lequel il nous tient par la dette : c’est par le don, la gratuité, la générosité. 


« Eh bien ! moi, je vous dis : faites-vous des amis avec l’Argent trompeur, pour qu’une fois celui-ci disparu, ces amis vous accueillent dans les demeurent éternelles » : 


C’est une invitation à subvertir le dieu argent, à renverser son pouvoir… par un lâcher-prise… par le don… par le partage.

Puisque la gratuité a le pouvoir d’alléger – voire d’effacer – le poids de la dette. 


Le don et la gratuité sont donc présentés ici comme des instruments de lutte efficaces, contre l’idolâtrie de l’argent, contre sa puissance écrasante. 


Et la conclusion du passage nous conduit – comme auditeur – à opérer un choix décisif pour notre vie : 

Choisir un camp entre Dieu et l’Argent… car, pour Jésus, on ne peut servir deux maitres : Dieu et l’Argent… qu’il appelle aussi l’argent trompeur ou le Mamon d’injustice. 


Pourquoi l’appeler ainsi ?


Pour le Christ, l’argent est honnête lorsqu’il est un moyen. Mais il devient injuste ou trompeur, dès que nous en faisons un but ou une idole. 


C’est la raison pour laquelle, il nous appelle à faire un choix si radical. 


Et c’est vrai que même 2000 ans après… cette parole exigeante de l’Evangile n’arrange pas trop nos affaires… nous qui avons peut-être tendance à nous soucier fréquemment des questions d’argent. 


Le sens du mot « Mamon » peut aussi nous éclairer : 

Le « Mamon », c’est ce en quoi je me fie… ce en quoi je place ma confiance. 


Or, l’argent ne peut pas constituer le véritable socle de notre confiance.

Pour le Christ, fonder sa vie sur un tel maître, ce serait courir le risque de passer à côté du « bien véritable », à côté du « sens de la vie ». 


C’est pourquoi Jésus l’appelle le « Mamon trompeur », car nous sommes enclins à nous laisser duper par son pouvoir attachant.  


C’est donc notre rapport à l’argent qui est ici interrogé.  


L’argent n’est qu’un moyen. / Pas un but, ni un absolu. 

Le mettre au centre de nos préoccupations, c’est courir le risque d’une forme d’asservissement… en en faisant une idole, et en passant à côté de la vraie vie. 


Le problème, c’est qu’il est facile de se laisser prendre à son piège : l’argent nous donne l’illusion du pouvoir ou de la puissance, mais il peut aussi prendre toute notre énergie, tout notre temps… alors qu’au fond, sa fiabilité reste incertaine. 


Ceux qui parmi nos aïeux ont connu des crises financières, des périodes de dévaluations ou de forte inflation, savent que la valeur de l’argent n’est que provisoire… et que sa possession ne donne qu’une sécurité toute relative. 


Regardez ce qui se passe au Liban en ce moment, le pays est en faillite et les banques ont décidé de bloquer les comptes bancaires de leurs clients… au point que certains ont décidé de braquer leur banque pour récupérer leur argent… pour pouvoir payer leurs frais de santé. On marche sur la tête !


Si un krach boursier survient demain dans le monde – comme certains économistes s’y attendent – rien ne dit que l’argent qui est placé sur nos comptes bancaires ou nos assurances-vie soient réellement disponibles et puissent nous apporter une quelconque sécurité.  


Alors, à quoi bon servir un tel maître ? placer en lui notre confiance et nous attacher à lui ? 

Ne serait-ce pas tout simplement nous illusionner ?


Au-delà de la question de la confiance, se pose aussi celle de la justice : 


La parabole nous montre – à travers l’attitude initiale du gérant – que l’adoration de l’argent (pour son profit personnel / ce qu’on appelle « la convoitise ») ne peut conduire qu’à l’injustice… Car l’intendant malhonnête du début écrasait littéralement les débiteurs de son maitre, par des dettes conséquentes, du fait de commissions exorbitantes (destinées, bien sûr, à répondre à son avidité, à sa soif d’en avoir « toujours plus »). 


Aujourd’hui, c’est un peu la même chose, qui se déroule sous nos yeux : les 1% des plus riches du monde ne cessent de s’enrichir, malgré les périodes de crises que nous traversons. Et même au niveau des États, il se passe des choses scandaleuses. 

Les gérants contemporains (d’aujourd’hui) sont les cabinets-conseils des ministres qui eux aussi touchent des sommes exorbitantes. 

Et ce sont nos enfants qui devront payer les dettes que nous gouvernants contractualisent en toute impunité. 


Ce qui est intéressant dans cette parabole, c’est le retournement de situation opérée par le gérant avisé. En changeant totalement d’attitude (du fait qu’il se retrouve acculé), il modifie la situation initiale d’injustice créée par le système de la dette.  


Dans la 2ème partie de la parabole, l’histoire met finalement en avant l’importance des relations humaines.

Si le gérant malhonnête est désormais loué pour son habileté… c’est précisément, parce qu’au milieu de l’épreuve, il a trouvé le moyen ingénieux de détourner la puissance écrasante de l’argent, par le don et la gratuité. 


Face à sa situation finalement précaire et incertaine, il en vient à réaliser que les relations humaines sont plus importantes que l’argent et les commissions qu’il aurait pu empocher. 

C’est une prise de conscience aussi pour l’auditeur, qui se met à la place du personnage qui va perdre sa situation. 


D’une part, les relations humaines lui seront plus utiles pour son avenir… D’autre part, son geste de gratuité permet de désacraliser l’argent et de le remettre à sa juste place : un moyen au service des relations humaines. 


A travers cette histoire presque scandaleuse, Jésus nous appelle donc à entrer dans une nouvelle logique économique, fondée sur le don… une logique qui permet de renverser le pouvoir de l’argent (en faisant entrer la grâce dans le monde de l’argent). 


* On voit donc qu’il y a 2 manières de dilapider l’argent dans l’Evangile :  

  • - Le fait de le dilapider pour soi : c’est ce que va faire le fils prodigue qui s’éloigne de son père (Lc 15, 11-32) ou le gérant malhonnête au début de la parabole.
  • - Le fait de le dilapider pour les autres : c’est ce que fait, par exemple, la femme au parfum (Mc 14,3-9) ou le gérant avisé à la fin de la parabole. 

Si vous vous souvenez de cet épisode de la femme au parfum (cf. Mc 14,3-9), on voit justement que Jésus approuve le geste de cette femme qui a (entre guillemets) « gaspillé » un parfum de grande valeur pour le lui offrir. 

Le Christ dira qu’elle a fait ce qui est beau et bon. Puisqu’elle a usé de ce qu’elle possédait pour montrer de la reconnaissance et de l’amour. 

Elle a ouvert son cœur, sans se soucier de comptabilité. 


* En conclusion, que pouvons-nous retenir de notre passage ? 


L’argent peut m’asservir ou me servir. 

C’est par le don qu’il nous sert réellement. 


Le don, au nom de la gratuité, remet l’argent à sa juste place : un moyen de favoriser la relation et l’échange humain. 


2 bonnes nouvelles nous sont ainsi offertes :

  • - La possibilité de mettre l’argent au service de l’amour… plutôt que se laisser asservir par sa puissance. Cela signifie choisir Dieu et renoncer à Mamon. C’est important de pouvoir faire cela (d’avoir la capacité d’entrer dans la logique de la gratuité) dans notre société, à l’heure où l’argent est en train d’asservir tous les rapports humains… à l’heure où le politique est lui-même toujours au service de l’économique… même la santé aujourd’hui est sous l’emprise de la finance et des puissances d’argent (à travers les grands laboratoires ou les fondations). 
  • - L’autre bonne nouvelle, c’est que c’est peut-être Jésus qui est à l’image de ce gérant avisé (de la 2ème partie de la parabole) : puisque le Christ a décidé de dilapider les dettes que nous avions envers Dieu, en nous apportant le don et le pardon. Par grâce, par amour, le Christ nous montre comment sortir de la logique de la rétribution et de la dette. Il nous dit à chacun que notre dette est remise… que nous pouvons le recevoir comme un ami dans nos maisons… et que ce qui compte dans cette vie, ce sont les relations humaines : l’amour du prochain. Tout le reste n’est qu’un moyen au service du règne de Dieu. 


Plaçons donc toute notre confiance dans Celui qui nous assure un avenir et la sécurité de son amour, pour l’éternité !


Que cette confiance nous appelle à la générosité et au partage !


Amen. 

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